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La primauté du droit de l’UE mis à mal
Le principe de primauté du droit de l’Union Européenne a été affirmé par la Cour de justice de l’Union Européenne dans Costa c/ ENEL de 1964 (CJUE, Costa c/Enel,15 juillet 1964). En contradiction avec ce principe, le 7 octobre dernier, le tribunal constitutionnel polonais a affirmé une incompatibilité entre certaines dispositions des traités européens et la constitution polonaise. Il a écarté les paragraphes 1 et 2 de l’article 1 du TUE qui précise » les compétences pour atteindre leurs objectifs communs » vers « une union sans cesse plus étroite » et rejeté l’article 2 qui définit les valeurs de l’Union, l’article 19 §1 qui impose aux États membres d’établir « les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ». Par cette décision la primauté de la constitution polonaise sur les traités de l’Union Européenne et l’autonomie du système juridique polonais vis-à-vis de celui européen sont affirmées. L’ingérence de la Cour de justice de l’Union Européenne dans le système juridique de ce pays a été dénoncée par la président du tribunal constitutionnel polonais. Pire, grande première, cette décision contient une remise en cause d’un traité européen ratifié et appliqué depuis 13 ans.
La menace d’un Polexit est elle sérieuse?
Après le Brexit, cette décision inquiète. Certains commentateurs expliquent cette décision par la montée de l’illibéralisme et du populisme en Pologne ayant pour effet la remise en cause des fondements de l’Etat de droit.
On commence à parler de menace d’un POLEXIT et les partis s’affrontent en Pologne. Le Parti populaire européen (PPE) a tiré la sonnette d’alarme jeudi 7 octobre, avertissant que le parti au pouvoir en Pologne pousse le pays vers le « Polexit ». Le parti frère du PPE en Pologne est la Plateforme civique (PO), fondée par Donald Tusk, ancien premier ministre polonais et président du Conseil européen à Bruxelles avant de diriger le parti PPE. La Plateforme civique est le principal adversaire du PiS et beaucoup pensent que D. Tusk, qui a quitté la tête du PPE pour revenir en Pologne, pourrait unir l’opposition avant les élections législatives de 2023.
Selon l’opposition, cette décision marque le début d’un « compte à rebours vers le Polexit » et « l’entrée dans un champ de mines ». Les Polonais comptent sur Tusk pour empêcher la sortie du pays de l’UE. Dimanche 10 octobre, quelque 200 000 personnes ont manifesté dans 126 villes, tant en Pologne, que dans le reste de l’Europe et du monde. Donald Tusk a appelé à la manifestation pour manifester l’unité de l’opposition à cette décision. « Nous restons », « La Pologne est uniquement européenne », « Nous sommes l’Europe » étaient les slogans de la foule pro-UE rassemblée à Varsovie. Au cours de la manifestation, un groupe de nationalistes (non affiliés au PiS) a tenté de faire échouer le rassemblement dirigé par M. Tusk. Alors qu’elle s’exprimait depuis le podium, Wanda Traczyk-Stawska, une vétéran de la Seconde Guerre mondiale âgée de 94 ans, s’est adressée au leader des nationalistes en disant : « Tais-toi, mon garçon ! L’Europe est aussi ma mère ». La vice-présidente de la Diète, Małgorzata Kidawa-Błońska (PO, PPE), a déclaré: « le rêve de Jarosław Kaczyński (chef du parti PiS) d’une Pologne hors de l’Union européenne est en train de se réaliser ».
Une attitude rebelle récurrente
La Pologne depuis plusieurs années pose problème relativement à l’Etat de droit. L’UE est engagée dans un bras de fer depuis plusieurs années et celà qui concerne aussi d’autres aspects de sa politique, comme sa politique écologique : en septembre, la Pologne a été condamnée à des astreintes de 500.000 euros par jour pour l’obliger à fermer une mine de lignite.
Cette décision du tribunal constitutionnel constitue un point d’orgue (et peut être de rupture) d’un conflit entre la Commission européenne garante du droit communautaire et cet ETAT qui se décline sur plusieurs questions dont la liberté des médias , les droits des LGBT qui lui ont valu une saisine devant la CJUE le 15 juillet 2021, une réforme judiciaire non respectueuse de l’indépendance du juge épinglée aussi par la CEDH, etc.
UPDATE 13 Decembre : la Commission européenne souhaite que la Pologne liquide la chambre disciplinaire de la Cour suprême « Nous considérons que le Tribunal constitutionnel ne répond plus aux exigences d’un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, comme l’exige le traité »et réintègre les juges licenciés comme condition préalable au déblocage de milliards d’euros du Fonds européen de relance économique.
Varsovie répond que « la Pologne répondra au chantage de l’UE par un veto sur les questions qui requièrent l’unanimité au sein de l’UE ». La Pologne a été condamnée à des astreintes le 27 octobre : un million d’euros par jour pour faire cesser le fonctionnement de la chambre disciplinaire de la Cour suprême,
UPDATE 22 décembre : une procédure d’infraction lancée contre la Pologne après les arrêts du Tribunal constitutionnel polonais contestant la primauté du droit européen et l’autorité de la Cour de justice de l’UE.
L’arrêt conteste donc la suprématie du droit européen en jugeant certains articles des traités de l’Union européenne « incompatibles » avec la Constitution polonaise.« Nous considérons que cette jurisprudence (du Tribunal constitutionnel polonais) a violé les principes généraux d’autonomie, de primauté, d’efficacité et d’application uniforme du droit de l’Union, et les arrêts contraignants de la Cour de justice de l’UE », a déclaré le commissaire européen à l’Economie, Paolo Gentiloni. « Le droit communautaire prime sur le droit national, y compris les dispositions constitutionnelles ». « Tous les arrêts de la CJUE sont contraignants pour les autorités de tous les États membres, y compris les tribunaux nationaux ».
Conditionnalité des aides
Les réformes controversées ont aussi conduit la Commission européenne à bloquer depuis plusieurs mois l’approbation du plan de relance post-Covid de la Pologne prévoyant le versement de 23,9 milliards d’euros de subventions et 12,1 milliards d’euros de prêts. La Pologne avec la Hongrie a saisi CJUE pour faire annuler ce mécanisme permettant de priver de fonds européens un pays où sont constatées des violations de l’Etat de droit affectant les finances de l’UE. Les Etats membres ont accepté que le dispositif ne soit pas mis en œuvre avant que la CJUE se prononce sur sa validité. Cette déclaration a permis de lever leur veto au plan de relance et de permettre la mise en œuvre du plan de relance européen (750 milliards d’euros) et du budget 2021-2027 (1 074 milliards) qui y est adossé. A noter que les fonds européens ont représenté en 2019 3,3% du PNB pour la Pologne et 4,48% pour la Hongrie. La Cour de justice de l’UE devrait se prononcer sur la légalité de ce dispositif début 2022.
Voir les publications d’EURACTIV.FR sur VARSOVIE mais également le propos de J.D.Giulani de la fondation Robert Schuman: le droit qui dérange ou de l’Institut Jacques Delors : LA PRIMAUTÉ DU DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE, UN PRINCIPE CARDINAL DANS LA TOURMENTE de Maître Ophélie Omnes