Destiné à libéraliser les échanges entre l’UE et cinq pays d’Amérique latine, le traité commercial avec le Mercosur a été signé en 2019 mais n’est pas appliqué. Alors que plusieurs Etats membres s’opposent à la version actuelle de l’accord, dont la France, il est toujours négocié des deux côtés de l’Atlantique.
NOTA BENE : Du fait de l’évolution rapide des débats, cet article sera ultérieurement complété, notamment par un grain de sel personnel de Madame la Professeure Viviane de Beaufort.
Compléments :
- Un article rédigé en 2020 par les étudiants du cours CITOYEN, droit et politiques de l’Europe – cours fondamental de Droit à l’ESSEC
- Agriculture : la variable d’ajustement des accords commerciaux ?
Un cinquième de l’économie mondiale et 750 millions de personnes : c’est ce que pèsent aujourd’hui l’Union européenne et les cinq pays du Mercosur, à savoir l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie. De quoi donner une idée des conséquences d’un éventuel accord de libre-échange entre ces deux mastodontes commerciaux.
Le 28 juin 2019, la Commission européenne annonçait que le traité UE-Mercosur était bouclé, prêt à passer les dernières étapes de ratification. “C’est un accord réellement historique”, avait alors réagi le président de l’exécutif européen de l’époque, Jean-Claude Juncker. Mais depuis cette date, l’accord de libre-échange n’a toujours pas été appliqué. Retour sur ce projet controversé.
BREAKING NEWS :
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a confirmé ce vendredi 6 décembre que l’Union européenne (UE) avait conclu les négociations sur l’accord de libre-échange avec le bloc du Mercosur — composé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay.
Cette annonce, faite aux côtés des présidents argentin Javier Gerardo Milei, brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, paraguayen Santiago Peña et uruguayen Luis Lacalle Pou, met un terme à 25 années de négociations et intervient en dépit de l’opposition farouche de la France, des agriculteurs européens et des groupes de défense de l’environnement de l’ensemble de l’Union.
« Aujourd’hui marque un tournant véritablement historique », a déclaré Ursula von der Leyen à l’issue d’un sommet de deux jours à Montevideo, en Uruguay. « Nous envoyons un message clair et fort au monde, dans un monde de plus en plus conflictuel […], à savoir que cet accord n’est pas seulement une opportunité économique, mais une nécessité politique. »
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a confirmé ce vendredi 6 décembre que l’Union européenne (UE) avait conclu les négociations sur l’accord de libre-échange avec le bloc du Mercosur — composé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay.
Cette annonce, faite aux côtés des présidents argentin Javier Gerardo Milei, brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, paraguayen Santiago Peña et uruguayen Luis Lacalle Pou, met un terme à 25 années de négociations et intervient en dépit de l’opposition farouche de la France, des agriculteurs européens et des groupes de défense de l’environnement de l’ensemble de l’Union.
« Aujourd’hui marque un tournant véritablement historique », a déclaré Ursula von der Leyen à l’issue d’un sommet de deux jours à Montevideo, en Uruguay. « Nous envoyons un message clair et fort au monde, dans un monde de plus en plus conflictuel […], à savoir que cet accord n’est pas seulement une opportunité économique, mais une nécessité politique. »
« Nous pensons que l’ouverture et la coopération sont les véritables moteurs de la croissance et de la prospérité », a ajouté la présidente de l’exécutif européen. « Nous savons que des vents violents soufflent dans la direction opposée […], cet accord est notre réponse. »
Luis Lacalle Pou a reconnu que l’accord ne serait « pas une solution magique », précisant que « les étapes seraient progressives, mais certaines ».
Lancées en 1999, les négociations sur l’accord UE-Mercosur ont abouti à un premier accord politique en 2019, mais la ratification par les États membres a toutefois été retardée en raison des préoccupations concernant les divergences de normes environnementales entre l’UE et les pays du bloc sud-américain, et sur fond de protestations accrues des agriculteurs.
L’accord UE-Mercosur ambitionne de créer l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde — un vaste marché de plus de 700 millions de consommateurs — en supprimant les droits de douane pour les principales industries exportatrices de l’UE, telles que les voitures, les machines, les produits chimiques et les produits pharmaceutiques.
Au total, il envisage la suppression des droits de douane sur 91 % des exportations de l’UE vers les pays du Mercosur, ainsi que sur 92 % des exportations du Mercosur vers l’UE, selon les données de la Commission.
En ce qui concerne le secteur agroalimentaire, l’accord éliminera progressivement 93 % des droits de douane sur les exportations de l’UE vers les pays du Mercosur, notamment sur le vin, les spiritueux, l’huile d’olive et les pêches en conserve, tout en libéralisant 82 % des importations de produits agricoles.
À l’heure actuelle, les États du Mercosur sont déjà des partenaires commerciaux clés pour l’UE. En effet, les exportations du bloc communautaire vers le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay ont atteint 55,7 milliards d’euros en 2023 et les importations de ces pays vers l’UE 53,7 milliards d’euros la même année — soit des échanges totaux (importations et exportations comprises) qui ont atteint 110 milliards d’euros en 2023.
Compte tenu des tensions accrues avec deux des principaux partenaires commerciaux de l’UE, les États-Unis et la Chine, l’Allemagne, géant de l’exportation européen, a appelé à une conclusion rapide de l’accord.
Plusieurs industries et responsables politiques ont été jusqu’à suggérer de scinder l’accord en deux volets pour accélérer le processus. Cela aurait permis une ratification des parties clés de l’accord, y compris les droits de douane et les quotas d’importation.
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Le « début d’un processus »
Alors que la France, principal détracteur de l’accord, est en proie à l’incertitude politique après la démission du Premier ministre Michel Barnier, l’annonce de la fin des négociations sur l’accord avec le Mercosur risque de déplaire à Paris.
« Aujourd’hui n’est clairement pas la fin de l’histoire. Ce qu’il se passe à Montevideo n’est pas une signature de l’accord mais simplement la conclusion politique de la négociation. Celle-ci n’engage que la Commission, pas les États membres », a souligné Sophie Primas, ministre déléguée au Commerce extérieur démissionnaire de la France dans une déclaration transmise à l’AFP. « La Commission prend ses responsabilités de négociatrice, mais cela n’engage qu’elle. »
« La Commission a la compétence exclusive de négocier des accords commerciaux », avait en effet rappelé Olof Gill, porte-parole de la Commission, jeudi en réponse à une question sur l’impact de la crise politique française sur les négociations du Mercosur.
Les opposants à l’accord, dont les gouvernements français et polonais, ont mis en garde contre l’augmentation des importations de denrées alimentaires bon marché en provenance du Mercosur, qui, selon eux, créent une concurrence déloyale pour les agriculteurs européens du fait des différences en matière de normes environnementales.
Cherchant à apaiser les inquiétudes, la Commission avait proposé en 2019 un paquet de mesures de soutien financier pouvant aller jusqu’à un milliard d’euros en cas de perturbation du marché. Or, aucune référence à ce paquet n’a été faite lors de la conférence de presse de vendredi.
Lors de la conférence de presse vendredi, Ursula von der Leyen a également assuré avoir écouté « les préoccupations » du secteur agricole de l’UE et avoir mis en place des « garanties » dans le cadre de l’accord.
En vertu des traités européens, la Commission est seule négociatrice des accords commerciaux au nom des Vingt-Sept. Cependant, pour qu’un accord entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins quinze États membres représentant 65 % de la population de l’UE et obtenir l’approbation du Parlement européen. Ainsi, même si un accord a été conclu à Montevideo, il pourrait encore être bloqué sans ces validations.
Ces dernières semaines, Paris s’est efforcée de constituer une « minorité de blocage » contre l’accord. Si seule la Pologne s’est explicitement prononcée contre l’accord à ce stade, d’autres pays, dont l’Autriche, les Pays-Bas et la Belgique, auraient également émis des réserves.
L’Italie pourrait également être défavorable à l’accord, l’AFP ayant rapporté jeudi que des sources gouvernementales italiennes avaient déclaré que « les conditions n’étaient pas réunies » pour que Rome signe l’accord. L’agence de presse italienne ANSA a corroboré ces informations vendredi matin.
« La signature de l’accord d’association UE-Mercosur ne peut avoir lieu qu’à la condition de garanties adéquates et de compensations en cas de déséquilibres pour le secteur agricole », note l’agence italienne, citant des responsables du gouvernement de Rome.
Vendredi, Olof Gill a également déclaré qu’« il est très important de garder à l’esprit qu’un accord politique n’est que la première étape d’un long processus visant à obtenir la ratification finale de tout accord commercial, d’investissement ou de partenariat ».
« Ce n’est pas la fin d’un processus, c’est le début d’un processus », a-t-il conclu.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le commissaire européen en charge du Commerce, Maroš Šefčovič, sont arrivés à Montevideo, en Uruguay, jeudi 5 décembre au matin, avec pour objectif d’achever les négociations sur l’accord commercial entre les Vingt-Sept et les pays du Mercosur.
« La ligne d’arrivée de l’accord UE-Mercosur est en vue. Travaillons, franchissons-la », a écrit la présidente de la Commission sur X à son arrivée en Amérique du Sud.
Malgré la vive opposition de la France, qui dénonce l’impact de l’accord sur l’environnement et les agriculteurs européens, la Commission semble bien décidée à conclure cette semaine les négociations entamées il y a plus de 20 ans avec des pays du bloc latino-américain (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay).
- Accord UE-Mercosur : les manifestations d’agriculteurs se poursuivent en France
- UE-Mercosur : les agriculteurs espagnols tirent la sonnette d’alarme
“Le point de non-retour est atteint”, assurent des agriculteurs à La Dépêche. Depuis hier, lundi 18 novembre, plusieurs syndicats agricoles sont mobilisés afin de “mettre la pression” sur le gouvernement français. Tous sont vent-debout contre l’accord commercial prévu entre l’Union européenne et les cinq pays d’Amérique du Sud qui forment le Mercosur, qui pourrait être signé début décembre lors d’un sommet entre ces Etats. Un projet qui, selon les syndicats agricoles, “peut signer la fin de toutes les filières […]. Si c’est signé, il n’y aura plus de respect des normes environnementales et sociales”.
Lundi, “la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont recensé ’85 points de manifestation’ ” et “d’autres actions sont prévues mardi, menées notamment par la Coordination rurale”, explique Le Monde. Ce dernier syndicat, “dont certains cadres affichent leur proximité avec l’extrême droite”, promet une “révolte agricole” et menace de “bloquer le fret alimentaire” à partir de mercredi, note Le Nouvel Obs. Quant à la Confédération paysanne, plutôt classée à gauche, elle “privilégie pour l’instant des rassemblements devant les institutions françaises et européennes”, relate L’Express.
De fait, “la perspective des élections professionnelles fin janvier pousse les syndicats à la surenchère”, pointe l’hebdomadaire. “La forme et l’ampleur des protestations pourraient très vite évoluer en fonction des réactions de la base. Qu’elle s’enflamme et toutes les organisations suivront, de peur d’être distancées par les plus radicales d’entre elles”.
La Commission européenne appelée à rejeter l’accord
Si tous ces syndicats semblent “unis dans le rejet de l’accord avec le Mercosur, […] des nuances existent, puisque la FNSEA ne remet pas en cause les accords de libre-échange en tant que tels”, note Le Monde. Dans le cadre de l’accord UE-Mercosur, “les éleveurs de bovins et de volailles, les producteurs de betterave et de maïs, les fabricants de sucre et d’éthanol craignent tout particulièrement les effets de la baisse des taxes aux importations venant du Brésil ou de l’Argentine”, poursuit le quotidien.
Mais d’autres filières, “comme celle du lait ou du vin, ne sont pas signataires” d’une lettre adressée la semaine dernière à la Commission européenne. C’est dans celle-ci que le Copa-Cogeca, le plus grand lobby agricole de l’UE, appelle l’exécutif européen à rejeter le “redoutable accord du Mercosur”, qu’il qualifie de “no-go zone pour les agriculteurs européens” [Politico].
Au-delà de la France, les syndicats agricoles de “Belgique, d’Italie et de Pologne menacent”, eux aussi, de retourner dans la rue pour entraver les négociations, “tandis que ceux d’Allemagne, d’Autriche et d’Irlande observent avec insatisfaction” la situation, poursuit le média en ligne. De fait, la majorité des Etats européens, l’Allemagne et l’Espagne en premier lieu, souhaite “finaliser au plus vite l’accord”, titre 20 Minutes.
La France sous pression
Si cette colère paysanne est avant tout dirigée “contre la Commission européenne favorable au Mercosur”, elle “n’épargne pas non plus les autorités françaises”, relève France Culture. “La dissolution de l’Assemblée nationale a entraîné la suspension du projet de loi d’orientation agricole porté par l’ancienne majorité, et les promesses faites l’hiver dernier sont aujourd’hui en jachère”, déplorent les manifestants interrogés par la station de radio publique.
“La France ne signera pas en l’état” l’accord commercial afin de “rassurer les agriculteurs”, a répété le président français Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec son homologue argentin, Javier Milei, le 17 novembre [Le Monde]. “Il faut le refuser”, a abondé le Premier ministre Michel Barnier [Le Figaro], qui a promis ce matin d’organiser “un débat suivi d’un vote” au Sénat et à l’Assemblée nationale afin de “mettre la pression sur Ursula von der Leyen”, la présidente de la Commission européenne [BFM TV].
La France cherche également des alliés au niveau européen. “Nous nous efforçons de constituer une minorité de veto sur cet accord”, a déclaré la ministre de l’Agriculture Annie Genevard [Le Figaro], soit quatre Etats membres représentant au moins 35 % de la population de l’UE. La ministre affirme être “en lien avec [ses] homologues des Pays-Bas et de l’Italie”, et bientôt de Pologne. Avec succès ? Bien que plusieurs membres du gouvernement italien aient affiché leur soutien à l’accord commercial, le ministre italien de l’Agriculture a fait savoir, ce lundi, “qu’il considérait que cet accord n’était, ‘sous sa forme actuelle’, ‘pas acceptable’ ” [Le Monde].
I – Qu’est-ce que le Mercosur ?
Le “marché commun du Sud”, ou Mercosur, est un espace de libre circulation des biens et des services en Amérique latine. Il regroupe cinq pays : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Bolivie. La Bolivie y a adhéré mi-2024 et dispose de plusieurs années pour adopter les règles du Mercosur, tandis que le Venezuela en a été suspendu en 2016 pour des raisons politiques. Le Chili, la Colombie, l’Equateur, le Guyana, le Pérou et le Surinam sont des membres associés au Mercosur.
Ses Etats membres élaborent une politique commerciale commune et coordonnent plusieurs de leurs politiques. Certaines législations et pratiques ont aussi été harmonisées afin de garantir le bon fonctionnement de ce marché. Ces pays sont par exemple en train de supprimer les frais téléphoniques supplémentaires lorsque leurs citoyens voyagent dans un autre Etat membre, à l’image de ce qui existe déjà dans l’Union européenne.
Le Mercosur a pris forme avec le traité d’Asunción (Paraguay), signé le 26 mars 1991. Parfois considéré comme le 3e bloc économique après l’Union européenne et le trio Canada/Etats-Unis/Mexique, le Mercosur représente plus de 80 % du PIB sud-américain.
A- Quel est l’objectif de l’accord entre l’UE et le Mercosur ?
Comme tout accord de libre-échange, l’objectif du traité avec le Mercosur est d’intensifier les échanges de biens et de services entre l’UE et les économies latino-américaines. En d’autres termes, donner un coup de fouet au commerce transatlantique.
Les entreprises européennes se heurtent aujourd’hui à des barrières commerciales lorsqu’elles exportent vers cette région. Le Mercosur applique par exemple des droits de douane de 27 % sur le vin et de 35 % sur les voitures et les vêtements importés depuis l’UE. Des normes et réglementations différentes imposent par ailleurs aux exportateurs européens des procédures pour prouver que les produits de l’UE répondent à certaines exigences en matière de sécurité alimentaire ou de santé animale. Les entreprises brésiliennes ou argentines ont des contraintes comparables si elles veulent exporter vers l’Union européenne.
Selon la dernière analyse d’impact commandée par la Commission européenne, un accord engendrerait 0,1 % de croissance supplémentaire dans l’UE à l’horizon 2032. Côté Mercosur, la croissance pourrait augmenter de 0,3 %.
L’Union européenne compte aujourd’hui près de 50 accords commerciaux avec des pays du monde entier. Alors que le multilatéralisme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est en panne, les accords bilatéraux de libre-échange sont devenus centraux dans la stratégie commerciale européenne. Plus ou moins approfondis, ces partenariats comportent toujours une diminution des droits de douane.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, la construction européenne s’est réalisée parallèlement à la libéralisation des échanges mondiaux, à laquelle elle a contribué. L’UE s’est elle-même fondée sur les principes de libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux, qui sont le leitmotiv de son marché unique.
B – Que contient l’accord ?
Le texte conclu en 2019 prévoit d’éliminer plus de 90 % des droits de douane imposés par le Mercosur et l’UE aux produits venant de part et d’autre de l’Atlantique. Le marché européen s’ouvrirait ainsi plus largement aux produits agricoles sud-américains, sur la base de quotas. 99 000 tonnes de bœuf par an pourraient par exemple entrer en Europe à un taux préférentiel (7,5 %), ainsi que 60 000 tonnes de riz et 45 000 tonnes de miel sans obstacles tarifaires.
Les droits de douane du Mercosur seraient quant à eux progressivement éliminés sur les voitures, les machines, la chimie, les vêtements, le vin, les fruits frais ou encore le chocolat venus d’Europe.
Des mécanismes de sauvegarde autoriseraient les deux parties à limiter temporairement les importations en cas de préjudice grave porté à leur économie. Le Mercosur reconnaîtrait aussi plusieurs indications géographiques de l’UE, qui protègent les produits européens de haute qualité de la contrefaçon, à l’image du prosecco italien ou du roquefort français.
L’Union européenne est le second partenaire commercial des pays du Mercosur, après la Chine. L’UE est aussi le premier investisseur étranger dans la région. A l’inverse, le Mercosur représente le 11e partenaire commercial des Vingt-Sept et seulement 2 % de leurs exportations.
C – Pourquoi l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur est-il critiqué ?
Comme beaucoup d’accords de libre-échange, le traité entre l’UE et le Mercosur est sous le feu de critiques. Ses opposants pointent du doigt l’opacité des négociations et dénoncent ses potentielles conséquences environnementales et sociales.
Sur le plan économique et social, ses détracteurs l’accusent notamment de contribuer à importer plus de produits agricoles dans l’UE sans pour autant respecter toutes ses règles, favorisant une concurrence déloyale et exerçant une pression sur le marché européen. Alors que la grogne des agriculteurs s’est étendue à quasiment toute l’Europe en début d’année 2024 pour des raisons multiples, le président français Emmanuel Macron a renouvelé ses réserves sur le projet de traité commercial, soutenant notamment l’introduction de clauses miroirs. “La règle qui vaut à l’intérieur pour la production doit valoir à l’extérieur quand on facilite les importations”, a résumé le chef de l’Etat en marge du Conseil européen de février dernier.
D’un point de vue écologique, les opposants au traité avec le Mercosur soulignent que l’intensification des flux commerciaux contribue à augmenter les émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. D’aucuns alertent également sur les écarts entre l’UE et le Mercosur en matière de normes environnementales. La question de la déforestation en Amazonie et des pressions sur la savane brésilienne est également soulevée par des ONG comme Greenpeace.
D – Quelles sont les prochaines étapes pour le traité de libre-échange UE-Mercosur ?
Ouvertes à la fin des années 1990, les négociations entre l’UE et le Mercosur avaient abouti en juin 2019. Le processus a ensuite été suspendu, avant la ratification finale, en grande partie à cause des politiques du président brésilien de l’époque Jair Bolsonaro concernant l’environnement et la déforestation. Les discussions avaient ensuite repris avec l’élection de Luis Inácio Lula da Silva (dit “Lula”), fin 2022.
Certains pays, dont la France, ont montré leurs réticences vis-à-vis d’un traité jugé peu ambitieux sur les plans environnemental et social. Le Parlement européen avait lui-même voté un amendement en octobre 2020, affirmant que le texte ne pouvait pas “être ratifié tel quel”. Les députés de Strasbourg soulignaient là aussi les dégâts potentiels du projet sur la forêt amazonienne.
Les négociations portent aujourd’hui essentiellement sur l’environnement et la lutte contre le changement climatique. Maintenant que les élections européennes de juin sont passées, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen souhaite aboutir à un compromis avant la fin d’année 2024. Si tel était le cas, l’exécutif européen pourrait soumettre l’accord entre l’UE et le Mercosur au vote des Etats membres puis des eurodéputés.
La politique commerciale commune est une compétence exclusive de l’Union européenne. En ce qui concerne les traités de libre-échange, la Commission européenne doit recevoir un mandat de négociation des Etats membres. Une fois les pourparlers achevés avec la partie tierce, le texte doit ensuite être validé par les pays de l’UE (à la majorité qualifiée) et le Parlement européen. Dans certains cas, chaque Etat doit ensuite ratifier le nouveau traité avant sa mise en œuvre.
II – Les tensions entre Berlin et Paris
Par : Jonathan Packroff et Théo Bourgery-Gonse | EURACTIV.com | translated by Marine Béguin
L’Allemagne fait monter la pression pour conclure l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le bloc latino-américain Mercosur d’ici décembre, tandis que des responsables politiques clés appellent à scinder l’accord pour contourner l’opposition de la France, blâmant le « patriotisme erroné » de Paris.
Plusieurs responsables politiques allemands pressent pour la conclusion rapide d’une partie de l’accord de libre-échange concernant uniquement l’UE, tandis que la France réaffirme son opposition, préoccupée par son secteur agricole et la protection de l’environnement. La Commission européenne laisse entendre de son côté qu’un accord politique pourrait être conclu avant la fin de l’année.
« La Commission européenne doit diviser l’accord en une partie commerciale réservée à l’UE et une partie politique », a déclaré à Euractiv Markus Töns, député et responsable de la politique commerciale pour le SPD (S&D), le principal parti du gouvernement.
En « divisant » l’accord, la partie commerciale, qui comprend les droits de douane, les quotas d’importation et un « chapitre sur la durabilité », pourrait être adoptée à la majorité qualifiée par le Conseil, sans attendre la ratification par les parlements nationaux de chacun des États membres.
Bien que Markus Töns ait avoué qu’il n’était pas favorable à l’idée de « contourner la France », le fait de scinder l’accord en deux éléments permettrait aux pays pro-Mercosur de contourner l’opposition farouche de la France — exacerbant ainsi le conflit de longue date entre Berlin et Paris au sujet du plan d’accord commercial conclu il y a 25 ans avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.
Markus Töns s’oppose à l’idée de « contourner la France », même si le fait de scinder l’accord en deux éléments permettrait aux pays pro-Mercosur de contourner l’opposition farouche de la France — exacerbant ainsi le conflit de longue date entre Berlin et Paris au sujet de cet accord commercial conclu il y a 25 ans avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.
La conclusion de l’accord avec le Mercosur et l’accent mis sur les dispositions « réservées à l’UE » constituent une demande de longue date du chancelier allemand Olaf Scholz, qui pourrait vouloir faire aboutir l’accord avant de se lancer dans la campagne électorale en vue des élections anticipées de février.
Le reste de l’accord, comme les références aux dialogues culturels et politiques et les « éléments essentiels », serait mis en suspens jusqu’à ce que les parlements nationaux soient parvenus à un consensus.
Signaux contradictoires
Paris a depuis longtemps fait savoir qu’elle ne pouvait pas signer l’accord en tant que tel, au motif qu’il mettrait en péril l’Accord de Paris — accord sur le climat — et ne garantirait pas le niveau de réciprocité nécessaire en matière de normes de production sociales et environnementales, en particulier dans les secteurs agricoles.
« En l’état actuel des choses, j’ai dit [à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen] que l’accord n’est pas et ne sera pas acceptable », a déclaré le Premier ministre Michel Barnier mercredi 13 novembre à l’issue d’un voyage express à Bruxelles.
L’équipe de presse de Michel Barnier a confié à Euractiv qu’elle ne s’attendait pas à un accord politique d’ici décembre, avertissant que l’UE ne devrait « pas aller à l’encontre d’un pays comme la France ».
Pendant ce temps, l’Élysée s’est empressé de noter que d’autres États membres, comme la Pologne, la Belgique, les Pays-Bas, mais aussi Chypre et la Grèce ont également fait part de leurs inquiétudes.
Markus Töns a cependant critiqué le gouvernement français pour avoir suivi un « sens patriotique erroné » en « s’attachant au secteur agricole, petit, mais identitaire ».
« La France doit, à mon avis, reconsidérer d’urgence sa position et, espérons-le, parvenir à un accord », a-t-il ajouté.
Contrairement à Michel Barnier, « la Commission européenne et les partenaires du Mercosur sont convaincus que nous pourrons finaliser l’accord cette année », a poursuivi l’homme politique allemand.
Il a en outre fait part de son « optimisme » quant à la possibilité de conclure les négociations d’ici les 5 et 6 décembre, date d’un sommet des États du Mercosur.
L’Élysée a refusé de commenter les détails, mais a confirmé que l’ajout d’un régime de compensation pour les agriculteurs, comme l’a rapporté Politico le mois dernier, n’avait pas suffi à infléchir la position du pays.
Ne divisez pas l’Europe
L’appel urgent du SPD à diviser l’accord en deux ne fait cependant pas l’unanimité à Berlin.
Alors que l’ancien partenaire de coalition du SPD, le député pro-marché Carl-Julius Cronenberg (FDP), a indiqué à Euractiv que la division de l’accord ne devait pas être un sujet tabou, Bettina Rudloff, experte en commerce et en agriculture à l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité (SWP), a affirmé qu’un soutien suffisant pour une telle décision n’était pas garanti.
« Onze pays ont signé une lettre exprimant explicitement leur soutien à l’accord », a-t-elle rappelé, citant un document envoyé par le chancelier Olaf Scholz, le Premier ministre espagnol Pédro Sanchez et neuf autres homologues à Ursula von der Leyen en septembre.
« Mais 11 ne sont pas 15 », a-t-elle noté, car 15 est le nombre d’États membres requis pour une « majorité qualifiée » au Conseil.
Alors que de nombreux accords commerciaux de l’UE se heurtent à une opposition sur des éléments inclus dans la partie « politique », telles que les clauses de protection des investissements, Bettina Rudloff a noté que « dans le Mercosur, les questions les plus litigieuses se trouvent dans la partie commerciale traditionnelle », citant les quotas d’importation pour le bœuf et le chapitre sur le développement durable.
Par ailleurs, l’accord entre l’UE et le Mercosur ne comporte pas de clause de protection des investissements, non seulement à cause de l’UE, mais aussi parce que « le Brésil est traditionnellement critique sur les règles respectives », a-t-elle fait remarquer.
De son côté, le député vert Maik Außendorf a mis en garde contre le contournement de la France, affirmant que « l’Europe ne doit pas se laisser diviser ».
Le ministère de l’Économie dirigé par les Verts a réitéré le rôle de la Commission en tant qu’unique négociateur. La Commission « décide des prochaines étapes, en particulier de l’architecture de l’accord », a déclaré un porte-parole du ministère à Euractiv.
Le porte-parole a néanmoins indiqué que l’accord était « d’une grande importance pour l’Allemagne et l’UE en termes de commerce et de géopolitique », ajoutant que l’Allemagne « est fermement en faveur de la conclusion des négociations avec les États du Mercosur avant la fin de l’année ».
III – La position française : les raisons d’une opposition
D’un côté, la Commission européenne et une majorité d’Etats membres pressent pour conclure définitivement l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur (Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay, Uruguay). De l’autre, le gouvernement français s’oppose à un tel projet “en l’état”. En cause pour Paris : la concurrence des agriculteurs sud-américains et des normes de production différentes.
A – L’impact sur l’agriculture française
L’accord UE-Mercosur prévoit une libéralisation des échanges entre les deux blocs économiques. Une baisse des droits de douane qui pourrait entraîner une augmentation des importations de produits agricoles sud-américains, notamment de la viande bovine. Les éleveurs sud-américains pourraient ainsi exporter 99 000 tonnes de boeuf par an à un tarif douanier préférentiel de 7,5 %.
Or les agriculteurs français craignent cette concurrence accrue, qu’ils jugent déloyale en raison de coûts de production plus bas et de normes moins strictes dans les pays du Mercosur. Certains de ces Etats autorisent ainsi l’usage d’antibiotiques pour les animaux d’élevage et de pesticides interdits en Europe, tandis que leur réglementation sur le bien-être animal est moins stricte que dans l’UE.
Tous les produits vendus au sein de l’UE, y compris les importations, doivent respecter les normes européennes en matière de sécurité alimentaire. L’Union européenne interdit notamment l’usage d’hormones de croissance, ou d’antibiotiques en vue de favoriser la croissance des animaux. Des contrôles sont effectués aux points d’entrée dans l’UE pour vérifier la conformité des produits importés.
Pour autant, la traçabilité de ces pratiques fait débat. Alors que l’UE exige des systèmes de traçabilité très détaillés tout au long de la chaîne de production, ceux-ci sont souvent moins développés dans les pays du Mercosur. La France souhaite ainsi instaurer des “clauses miroirs” pour garantir que les produits importés respectent les mêmes normes de production que dans l’UE.
B – Une colère agricole qui s’inscrit dans une multitude de reproches envers l’UE
La colère des agriculteurs n’est pas encore retombée. Par l’intermédiaire de son président Arnaud Rousseau, le principal syndicat agricole français, la FNSEA, a appelé à une mobilisation nationale “à partir de lundi” 18 novembre. Dans le viseur de l’organisation, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay et Uruguay), conclu en 2019 mais toujours non ratifié.
Ce nouvel épisode de contestation des agriculteurs surgit moins d’un an après une vague de protestations dans plusieurs pays de l’Union européenne : en Pologne, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Roumanie et en France. Avec dans chaque pays, un élément déclencheur différent : une réduction des subventions pour le fioul agricole en Allemagne, le coût des carburants et des assurances en Roumanie ou encore les importations de céréales ukrainiennes en Pologne.
Si le mouvement n’était pas coordonné au niveau européen, les agriculteurs du Vieux Continent dénonçaient tous des conditions de travail difficiles et certaines politiques publiques, notamment de l’Union européenne. Dans leur viseur, on retrouvait le Pacte verteuropéen (Green Deal en anglais), la politique agricole commune (PAC) et déjà la politique commerciale. A l’approche des élections européennes qui se sont déroulées du 6 au 9 juin dernier, ces mouvements avaient permis aux agriculteurs européens d’obtenir quelques concessions.
L’accord avec le Mercosur dans le viseur
Les organisations agricoles qui appellent à la reprise de la contestation s’opposent fermement à l’accord commercial entre l’Union européenne et l’alliance économique du Mercosur. Cet accord, signé en 2019 mais non ratifié, prévoit d’éliminer plus de 90 % des droits de douane imposés aux produits venant de part et d’autre de l’Atlantique. Les agriculteurs dénoncent une concurrence déloyale affirmant que les normes environnementales et sociales européennes sont de loin bien plus strictes que celles appliquées en Amérique du Sud.
Côté français, l’opposition à cet accord est unanime. “La France dit non et la France n’est pas seule dans ce refus du Mercosur. Ce qu’il faut obtenir, c’est de quoi exercer notre veto au niveau européen”, a déclaré la ministre de l’Agriculture Annie Genevard lundi 11 novembre, s’alignant sur la position d’Emmanuel Macron. Dans une tribune transpartisane publiée sur Le Monde, plus de 600 parlementaires estiment également que “les conditions pour l’adoption d’un accord avec le Mercosur ne sont pas réunies”.
Plusieurs sénateurs avaient exprimé leurs inquiétudes dans une résolution adoptée le 16 janvier dernier : “L’agriculture française et européenne ne supporterait pas longtemps la concurrence déloyale d’un tel afflux de poulets dopés aux antibiotiques, de maïs traité à l’atrazine ou de bœuf responsable de la déforestation, produits à l’autre bout du monde et bénéficiant des ‘tolérances à l’importation’ de l’Union européenne, par exemple en matière de limites maximales de résidus”.
L’Union européenne a récemment ratifié un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, entré en vigueur le 1er mai 2024. L’accord prévoit la suppression des droits de douane néo-zélandais sur les importations de viande porcine, vin et vin mousseux, chocolat, ou encore confiserie et biscuits, auparavant taxés à hauteur de 5 %. Mais là aussi, plusieurs fédérations d’éleveurs ainsi que des associations écologiques ont exprimé leurs inquiétudes vis-à-vis de cette concurrence néo-zélandaise. En cause : l’utilisation, par les agriculteurs néo-zélandais de substances chimiques interdites sur le sol européen, comme l’atrazine ou le diflubenzuron.
Un Pacte vert trop radical ?
Si le mouvement de contestation se concentre aujourd’hui sur les accords de libre-échange, les blocages du début de l’année 2024 visaient également d’autres politiques de l’UE, à l’image du Pacte vert. Celui-ci constitue la feuille de route environnementale de la Commission européenne et la priorité du premier mandat (2019-2024) de sa présidente Ursula von der Leyen. Son objectif principal est de permettre à l’Union européenne atteigne la neutralité climatique en 2050.
Mais cette ambition européenne a suscité la colère de certains agriculteurs. Ils estiment que le Pacte vert, et notamment sa déclinaison agricole (la stratégie “de la Ferme à la table”) fixe des objectifs intenables pour leur secteur. “Les agriculteurs veulent contribuer [à la lutte contre le changement climatique]”, affirmait en janvier dernier Christiane Lambert, présidente du Copa qui rassemble les syndicats agricoles majoritaires en Europe. Dans un entretien accordé à Ouest-France, elle mettait toutefois en garde la Commission : “attention à ce que la marche ne soit pas trop haute. Nous sommes confrontés à un amoncellement de normes environnementales qui menacent la viabilité de nos exploitations”.
Au Parlement européen, certains réfutent l’idée selon laquelle le Pacte vert soit la cause des difficultés actuelles. A l’image du Français Pascal Canfin (Renew) qui rappelait en mars qu’ ”aucun des textes agricoles du Pacte vert n’[était] encore entré en vigueur”. A ce jour, parmi la trentaine de textes que compte la stratégie “De la ferme à la table”, très peu sont finalisés et la moitié n’ont même pas fait l’objet de propositions.
Enfin certains projets, et non des moindres, ont été ralentis, voire abandonnés. Par exemple, la révision de la législation sur les produits phytosanitaires qui visait une réduction de 50 % de l’usage de ces substances d’ici à 2030, a été retirée par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le 6 février dernier. Quelques semaines plus tôt, en novembre 2023, ce projet avait été rejeté par le Parlement européen, après avoir été largement vidé de sa substance par les groupes de droite de l’hémicycle. Par ailleurs, les discussions sur ce texte au Conseil de l’UE, sont également au point mort.
Longtemps menacé, un texte clé du Pacte vert, portant sur la restauration de la nature, est entré en vigueur le 18 août dernier. Destiné à améliorer l’état des écosystèmes terrestres et marins, ce projet avait suscité de vifs débats dans les sphères européennes, ses partisans dénonçant son “affaiblissement” au cours des négociations.
Un “dialogue stratégique” entre les institutions européennes et le monde agricole
Le 4 septembre dernier, un groupe d’experts a remis un rapport sur l’avenir de l’agriculture à la présidente de la Commission européenne. Mis en place par Ursula von der Leyen un an plus tôt et pensé pour désamorcer la grogne du monde agricole, ce “dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture de l’UE” a réuni 29 experts indépendants issus du secteur agricole (exploitants, coopératives, associations, entreprises, société civile ou ONG) pour alimenter les réflexions de l’exécutif européen. Présidé par l’universitaire allemand Peter Strohschneider, le groupe avait débuté ses travaux au mois de janvier 2024, au plus fort des manifestations des agriculteurs à travers le continent.
Le document liste une série de 10 grands principes à respecter pour garantir l’avenir de l’agriculture européenne. Parmi eux on y retrouve des considérations telles que “l’évolution vers des régimes alimentaires équilibrés, plus sains et plus durables est essentielle pour réussir la transition” ou encore l’idée que “la durabilité économique, environnementale et sociale peut se renforcer mutuellement”.
Concrètement, le rapport met en avant des recommandations, dont plusieurs sur la politique agricole commune (voir plus bas). Elles devraient alimenter le travail de l’exécutif européen dans les mois et les années à venir. Ursula von der Leyen a ainsi promis de présenter les contours d’une “vision pour l’agriculture et l’alimentation” au cours des 100 premiers jours du nouveau mandat de l’exécutif européen. La tâche reviendra notamment au Luxembourgeois Christophe Hansen, commissaire-désigné à l’Agriculture.
Une politique agricole commune trop complexe ?
Côté français, les premiers mécontentements avaient été exprimés à l’automne 2023. A cette période, le syndicat des Jeunes agriculteurs avait lancé le mouvement “On marche sur la tête” en retournant les panneaux d’entrées des communes pour protester, entre autres, contre les retards de paiement des aides de la politique agricole commune.
Mise en place en 1962 pour assurer la souveraineté alimentaire du continent, la PAC représente encore aujourd’hui plus du tiers des dépenses de l’Union européenne (386,6 milliards d’euros pour la période 2021-2027). Les agriculteurs français en sont les principaux bénéficiaires avec plus de 9 milliards d’euros par an, représentant une part importante de leurs revenus.
“Sans la PAC, l’agriculture française n’aurait pas connu un tel développement depuis un demi-siècle”, reconnaissait Christiane Lambert en janvier dernier. Si les agriculteurs ne remettaient pas directement en cause cette politique, ils dénonçaient les lourdeurs administratives qu’elle implique. Au fil des années, les démarches pour bénéficier des aides agricoles se sont complexifiées, conduisant à des retards de paiement.
La dernière réforme de la PAC, entrée en vigueur en 2023, a également apporté son lot de nouveautés. Parmi elles, la mise en place d’écorégimes, un système d’aides directes visant à promouvoir des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Autre élément : les plans stratégiques nationaux, des feuilles de route rédigées par chaque pays pour une période de 5 ans.
Ces changements avaient également engendré de nouvelles procédures pour les agriculteurs, comme pour les administrations nationales qui effectuent les paiements, et occasionné d’importants retards. Les versements sont réalisés par chaque Etat membre, la Commission venant rembourser les sommes octroyées.
Enfin, ces aides sont conditionnées au respect de certaines mesures appelées BCAE (bonnes conditions agricoles et environnementales). Plusieurs d’entre-elles étaient jugées inadaptées à leur situation par les agriculteurs, comme la mise en jachère d’au moins 4 % des terres arables (qui peuvent être labourées ou cultivées) pour favoriser la biodiversité. Une obligation pour laquelle la Commission européenne avait déjà prolongé la suspension courant février (cette dernière avait été mise en place après l’invasion russe de l’Ukraine pour doper la production agricole commune).
Surtout, mi-mars, l’exécutif européen a proposé de réformer certaines de ces BCAE. Cet “assouplissement” de la PAC vise par exemple à supprimer l’obligation de mise en jachère. Autre condition allégée : la rotation des cultures sur 35 % des terres arables. Les Etats membres pourront décider de la supprimer au profit d’une simple “diversification” des cultures. Enfin, le texte prévoit d’exempter les petites exploitations de moins de 10 hectares des contrôles liées aux conditions environnementales. La révision a été définitivement adoptée en mai dernier.
Une mauvaise répartition des aides de la PAC ?
De nombreux dirigeants estiment par ailleurs que les fonds alloués à la Politique agricole commune ne sont pas distribués de façon équitable.
Un système qui conduit à une certaine concentration des aides de la PAC. Selon un document du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, 20 % des agriculteurs français possèdent 52 % des terres agricoles et touchent 35 % des subventions européennes. Et ces inégalités sont encore plus visibles au niveau européen : 20 % des agriculteurs possèdent 83 % des terres agricoles et perçoivent 81 % des aides.
Le poids agricole de l’Ukraine…
L’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 a également eu son lot de conséquences pour le secteur agricole. Pour soutenir l’économie du pays et garantir l’approvisionnement de certaines denrées alimentaires, l’Union européenne a rapidement suspendu l’ensemble des droits de douane sur les produits importés d’Ukraine.
Cette décision a nécessairement conduit à une hausse des importations de certains produits agricoles comme les œufs, le sucre ou les poulets, déstabilisant les marchés européens en faisant chuter le prix des denrées. Les agriculteurs y voient une concurrence déloyale en raison des normes bien moins contraignantes côté ukrainien.
Le 8 avril, les représentants des Etats membres de l’Union européenne et des eurodéputés ont trouvé un accord pour durcir les restrictions sur les importations agricoles ukrainiennes. Depuis le mois de juin, des plafonds sont appliqués à certains produits dits sensibles : volaille, œufs, sucre, avoine, gruau, maïs ou encore miel. Mais contrairement aux souhaits de la France, de la Pologne, de la Hongrie et des organisations d’agriculteurs européens, le blé et l’orge ne sont pas concernés.
La guerre en Ukraine a également contribué de façon indirecte à accélérer l’inflation. Un phénomène qui a touché les agriculteurs de plein fouet, ces derniers ayant été affectés par l’explosion des coûts de l’énergie, mais également de ceux des intrants, de la main d’œuvre et de l’alimentation des animaux.
C -Les préoccupations environnementales
La France exprime également des réserves quant aux conséquences environnementales de l’accord. Les pratiques agricoles dans certains pays du Mercosur, telles que la déforestation de l’Amazonie pour l’expansion des terres agricoles, sont en contradiction avec les engagements climatiques de l’UE. Paris estime que l’accord, en l’état, pourrait compromettre les objectifs de développement durable et de lutte contre le changement climatique.
C’est pourquoi le gouvernement français réclame d’y adjoindre une obligation de respect de l’accord de Paris sur le changement climatique. Avec la possibilité de suspendre le traité commercial si un pays y contrevenait, par exemple en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Bien que les cinq pays du Mercosur soient déjà signataires de l’accord de Paris, le gouvernement argentin de Javier Milei a menacé de s’en retirer.
IV – Malgré un rejet du ministre de l’Agriculture, l’Italie reste favorable à l’accord commercial UE-Mercosur
Par : Anna Brunetti | EURACTIV.com | translated by Sarah Chaumot
Lundi 18 novembre, le vice-premier ministre italien Antonio Tajani (Forza Italia, Parti populaire européen) a réitéré la volonté du pays de conclure l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur, tandis que le ministre de l’Agriculture Francesco Lollobrigida a déclaré plus tôt dans la journée que l’accord n’était pas acceptable dans sa forme actuelle.
Avant une réunion des ministres de l’Agriculture de l’UE à Bruxelles, Francesco Lollobrigida a annoncé dans un communiqué qu’il s’opposait à l’accord proposé entre l’UE et les pays du Mercosur — l’Uruguay, le Paraguay, le Brésil et l’Argentine — exigeant que les agriculteurs sud-américains se conforment aux mêmes « obligations » que ceux de l’UE.
« Le traité UE-Mercosur dans sa forme actuelle n’est pas acceptable », a affirmé le proche allié de la Première ministre italienne Georgia Meloni, issu du même parti qu’elle — Fratelli d’Italia (Conservateurs et Réformistes européens).
« À ce jour, bien que nous soyons en faveur de marchés ouverts et réglementés, l’UE n’est pas en position de garantir la protection de ses entreprises », a déclaré le ministre italien, « dans le cadre d’accords commerciaux avec des pays qui ont des coûts de production extrêmement bas, et qui sont donc en mesure d’offrir des prix qui ne sont pas viables pour nos producteurs », a-t-il ajouté.
Plus tard, cependant, le vice-premier ministre italien Antonio Tajani a précisé à Bruxelles que le gouvernement italien était toujours officiellement en faveur de la signature de l’accord du Mercosur — ce qui « n’est pas en contradiction avec le fait de ne pas être en mesure de soutenir certaines parties de l’accord », a-t-il tempéré.
« Nous sommes en faveur de l’accord sur le principe », a-t-il expliqué, « mais il y a encore des points en suspens sur lesquels il n’y a pas de consensus ».
Les discussions des États membres de l’UE sur l’accord s’intensifient dans un contexte de pression politique accrue de la part de Paris, où de nouvelles manifestations d’agriculteurs ont incité le président Emmanuel Macron à durcir son opposition avant le sommet du G20 qui se tient les 18 et 19 novembre au Brésil.
Entre-temps, des responsables politiques allemands ont présenté des propositions visant à diviser l’accord en deux parties afin d’en accélérer la finalisation, ce à quoi Paris s’est explicitement opposé.
V – La Pologne et la France affichent un front commun contre l’accord commercial
Le 12 novembre dernier, plus de 600 parlementaires ont écrit à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans une tribune publiée dans Le Monde. Ils affirment que l’accord avec le Mercosur représente « un risque substantiel pour la sécurité des approvisionnements agricoles et la traçabilité des aliments en Europe » et dénoncent le projet comme étant « contraire aux objectifs que l’UE s’est fixés en matière de climat et de développement durable ». [Vincent Koebel/NurPhoto via Getty Images]
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Le gouvernement polonais et l’Assemblée nationale ont adopté des résolutions s’opposant à l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur. Les agriculteurs des deux pays ont exprimé leur contestation vis-à-vis de cet accord qui, selon eux, entraînera une concurrence déloyale pour l’agriculture européenne.
Varsovie et Paris s’efforcent de réunir une minorité de blocage au sein de l’UE afin de freiner les négociations sur l’établissement d’une zone de libre-échange avec le Mercosur. Les deux parties invoquent des préoccupations liées aux normes environnementales et à la protection de l’agriculture nationale.
Lors d’une réunion mardi 26 novembre, le gouvernement polonais a adopté une résolution s’opposant à l’accord UE-Mercosur sous sa forme actuelle, en soulignant son opposition à certaines dispositions en particulier.
« Le gouvernement exprime son opposition aux résultats actuels des négociations avec le Mercosur dans le domaine de l’agriculture, en particulier à l’augmentation des contingents tarifaires pour la viande de volaille lors de la phase finale de l’échange d’offres tarifaires », peut-on lire dans la résolution, citée par le Premier ministre Donald Tusk (Plateforme civique, Parti populaire européen).
Les négociations sur l’accord commercial UE-Mercosur — qui durent depuis près de 25 ans — approchent un moment décisif, comme l’a fait remarquer l’industrie alimentaire. Cela pourrait avoir des conséquences importantes sur des secteurs tels que l’agriculture polonaise.
Les négociations devraient être conclues d’ici la mi-décembre, préparant ainsi le terrain pour la réunion du Conseil de l’UE prévue du 18 au 20 décembre, au cours de laquelle une décision finale sur le champ d’application de l’accord est attendue.
Sous la recommandation du ministre de la Défense Władysław Kosiniak-Kamysz et du ministre de l’Agriculture Czesław Siekierski, tous deux membres du Parti paysan polonais (PPE), le gouvernement polonais a décidé d’adopter une résolution confirmant que la Pologne n’est pas prête à accepter l’accord sous sa forme actuelle. Donald Tusk a déclaré qu’il s’agissait d’un message politique de la part de Varsovie qui reflétait la position des autres États membres de l’UE.
« Aujourd’hui, le gouvernement, à la demande des ministres du Parti paysan polonais, a adopté une résolution exprimant son opposition à l’accord UE-Mercosur proposé. Il n’y a pas de consentement sur les initiatives qui pourraient affecter les consommateurs, l’agriculture et l’économie », a écritWladislaw Kosiniak-Kamysz sur X.
En Pologne, cette décision semble être en partie motivée par les récentes protestations et la pression exercée par le secteur agricole. L’industrie polonaise de la viande a adressé une lettre à Donald Tusk début novembre, insistant sur le fait que l’accord pourrait affecter les secteurs de la viande bovine et de la volaille. Les agriculteurs et les éleveurs polonais ont entamé des manifestations, bloquant le poste-frontière polonais de Medyka avec l’Ukraine, et prévoyant un rassemblement national.
Manifestations contre le Mercosur : les syndicats agricoles mobilisent leurs troupes avant les élections professionnelles
Les agriculteurs entendent s’opposer à la signature de l’accord UE-Mercosur, mais les manifestations sont aussi l’occasion pour les syndicats agricoles de se tester avant les élections professionnelles de janvier 2025 et alors que la toute puissante FNSEA pourrait être contestée.
La France invoque le pragmatisme et non le dogmatisme
Faisant écho à l’opposition polonaise, les députés français se sont massivement prononcés contre l’accord lors d’un vote non contraignant qui s’est tenu mardi. Les agriculteurs, qui ont manifesté contre le Mercosur avant leurs confrères polonais, ont intensifié leurs protestations dans tout le pays ces derniers jours.
« Le fait que la Pologne ait voté contre le Mercosur est une excellente nouvelle », a déclaré Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, à la tribune de l’Assemblée nationale avant le début des débats.
« Si cette opposition est ferme, elle n’a rien de doctrinaire, et vous ne trouverez personne au gouvernement qui entende prohiber les accords agricoles », a-t-elle souligné, notant que l’accord « ne garantit pas le respect des normes européennes et n’assure pas une concurrence loyale pour nos agriculteurs ».
« Profitons de cette tribune pour lancer un dernier avertissement », a-t-elle ajouté, rappelant qu’au début de l’année dernière, il y avait déjà eu une « forte levée de boucliers » du secteur agricole « de la Bretagne aux Carpates ».
Initialement prévu le 10 décembre, le vote a été avancé de 15 jours par crainte que l’accord ne soit signé lors du sommet du Mercosur prévu du 5 au 7 décembre à Montevideo, en Uruguay.
Ce vote permet désormais aux autorités françaises de faire front commun face à la Commission européenne, qui souhaite conclure les négociations le plus rapidement possible.
Le 12 novembre, plus de 600 parlementaires ont écrit à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans une tribune publiée dans Le Monde. Ils affirment que l’accord avec le Mercosur représente « un risque substantiel pour la sécurité des approvisionnements agricoles et la traçabilité des aliments en Europe » et dénoncent le projet comme étant « contraire aux objectifs que l’UE s’est fixés en matière de climat et de développement durable ».
« Il est désormais essentiel que les autorités françaises se battent pour empêcher que la partie commerciale de l’accord ne soit scindée, car elles ont jusqu’à présent été relativement discrètes à Bruxelles », a réagi Marine Colli, consultante et spécialiste de la politique agricole.
France : les agriculteurs dans la rue, débat sur le Mercosur à l’Assemblée
Des agriculteurs français ont manifesté mardi 26 novembre dans les rues de Strasbourg avant un débat à l’Assemblée nationale à Paris sur le projet de traité de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les pays du Mercosur — un accord rejeté par la profession.
Les divisions persistent au sein de l’Union
Alors que les négociations sur l’accord commercial se poursuivent, les États membres restent très divisés.
De son côté, l’Autriche a adopté une position prudente, soulignant la nécessité de garanties plus solides en matière de protection des forêts tropicales, de sauvegarde des produits sensibles et de soutien aux agriculteurs touchés.
La ministre néerlandaise du Commerce, Reinette Klever, a suggéré la semaine dernière que l’accord ne devrait pas être réexaminé avant d’être finalisé.
Le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, s’est abstenu d’approuver l’accord, soulignant que certaines garanties manquaient encore.
L’Allemagne, quant à elle, fait pression pour que l’accord soit finalisé. À l’approche des élections anticipées de l’année prochaine, Berlin considère l’accord comme une opportunité clé pour renforcer sa base industrielle, en particulier son secteur automobile.
Dans son enthousiasme, l’Allemagne a trouvé des alliés en Espagne, en Lettonie et en Suède. Mais la France semble déterminée à former une coalition pour rejeter l’accord.
« Face à la perspective de la ratification de cet accord, envoyons un message clair à nos partenaires : ne jetons pas l’allumette dans le baril de poudre », a déclaré Annie Genevard.
« Le souffle d’une telle explosion traverserait le continent, jusqu’à Bruxelles, et provoquerait une fracture béante entre le Berlaymont et nos campagnes », a-t-elle conclu.