L’accord de libre-échange du Mercosur : l’Union Européenne se protège

Article rédigé par les étudiants du cours CITOYEN, droit et politiques de l’Europe – cours fondamental de Droit à l’ESSEC : Martin BENEFICE – Nathan COHEN – Anna CROS Clara – DUMAS Paul EL FORZI – Romain MARTOCQ – Alix MALAFOSSE – Pierre OLIVIER – Jean François VU

#EUMercusour #Amazonie #Libreéchange #Climat #Greendeal 

Engagé depuis 1995, le processus d’établissement d’un traité de libre-échange entre l’Union Européenne et les Etats du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) est depuis l’élection de Jair Bolsonaro soumis aux lourdes incertitudes de la conjoncture politique, dans un contexte général où la défense du climat et des intérêts nationaux ne peuvent être simplement ignorés. Quelles sont les modalités juridiques destinées à protéger l’UE et soutenir le dessein européen ?

Un parcours semé d’embûches

L’accord de libre-échange avec le Mercosur a pour but de baisser de 90% les droits de douane entre cette zone et l’Union européenne et de solidifier les relations commerciales avec une région en fort développement. La mise en place d’un tel traité a subi un parcours chaotique. Alors que la volonté de coopération entre les deux zones était manifeste depuis 1995, il a fallu attendre juin 2019 pour voir apparaître un accord de principe définitivement signé. En effet, il existait de forts blocages  sur l’inclusion de produits agricoles et agro-industriels ainsi que des normes phytosanitaires. Paradoxalement, c’est l’élection de Donald Trump et sa menace d’un retour à l’isolationnisme qui a redynamisé le projet.  

L’accord du 19 juin dernier semble avoir porté ses fruits. Des deux côtés de l’Atlantique, on s’apprête à baisser drastiquement les droits de douane (91% côté Mercosur et 92% côté UE). Les secteurs principalement affectés seront l’industrie (l’automobile, les pièces détachées, la chimie, l’habillement, etc.), l’agriculture (vins, biscuits, boissons gazeuses, olives…) et les produits laitiers de l’UE qui bénéficieront de nombreux quotas détaxés. En contrepartie, Bruxelles a consenti à laisser ouvrir son marché aux produits agricoles sud-américains, principalement le sucre, la volaille et le bœuf.

L’accord instaure un “mécanisme de sauvegarde” afin d’éviter toute possibilité de préjudice pour des industries.

Le Mercosur assure aussi la protection de 357 “indications géographiques” parmi lesquels le whisky irlandais, le jambon de parme ou encore le champagne.

Ensuite, le texte contient un volet environnemental et sanitaire avec une référence au “principe de précaution” qui appuie le fait que les autorités pourront « agir pour protéger la santé humaine, animale ou végétale, ou l’environnement, face à un risque perçu, même lorsque l’analyse scientifique n’est pas concluante ». De même, les deux parties prennent acte de l’urgence climatique et s’engagent à s’impliquer dans la transition vers une économie plus durable, avec notamment “un mécanisme d’évaluation indépendante et impartiale de ces questions par un groupe d’experts”.

La clause de sauvegarde et ses limites

Pour protéger les filières sensibles, notamment les filières « sucrière et bovine », une clause de sauvegarde permet en cas de déstabilisation manifeste du marché, de stopper les importations et suspendre une partie de l’accord. La Commission européenne a précisé que cette déstabilisation pouvait résulter d’une « augmentation imprévue et significative des importations » provoquant ainsi un « dommage économique » sur une filière. 

L’enjeu majeur de la question environnementale

C’est la question environnementale qui constitue à ce jour un des points de blocage majeurs. C’est elle qui a provoqué le revirement du président Macron à l’été 2019 notamment parce que  la politique menée en la matière par Bolsonaro s’inscrit en contre-pied de celle de l’UE.  Mi-décembre 2019, les députés européens examinaient la question de la compatibilité de l’accord de libre-échange avec le Green Deal qui permettrait, à terme, à l’Europe de devenir le premier continent climatiquement neutre. La présidente de la Commission a en effet présenté le 11 décembre dernier un Pacte vert européen imposant une neutralité d’ici 2050 à l’ensemble des États de l’Union avec un délai supplémentaire accordé à la Pologne. . Des députés européens considèrent que l’accord de libre-échange s’inscrit dans le programme du Green Deal en offrant à l’Union les moyens de poursuivre ses objectifs climatiques. Cette position serait aussi celle du Conseil et de la Commission européenne. D’autres, comme Yannick Jadot, soulignent la totale incompatibilité, rappelant que « la déforestation a été doublée cette année avec le président brésilien »

A l’épreuve de la ratification

Le traité est d’ailleurs encore très loin d’entrer en application. C’est un protocole d’accord qui a été signé. Celui-ci doit maintenant passer l’épreuve du feu: la ratification par les vingt-huit Etats membres de l’Union (vingt-sept ). Comme nous l’avons évoqué, le président français Emmanuel Macron a affirmé qu’il ne signerait pas l’accord “en l’état” et d’autres pays membres ont fait part de leurs réserves.

Néanmoins, cette ratification peut sembler nécessaire du point de vue stratégique. Un des grands objectifs de cet accord était de contraindre le Brésil à tenir les engagements pris lors de la conférence de Paris. Il s’agit de ramener Brasilia sous l’égide européenne de peur de voir Bolsonaro rallier le camp Atlantiste de Trump. Comme l’a indiqué Angela Merkel, ne pas ratifier l’accord n’arrangera pas le problème de l’Amazonie

Le Mercosur face à la crise environnementale

Rappelons que la famille écologiste occupe désormais la quatrième place au Parlement européen. L’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi estime que la conclusion de cet accord est une provocation, surtout après les élections européennes qui ont prouvé l’inquiétude des Français vis-à-vis du climat : « L’urgence climatique est là et on fait tout ce qu’il ne faut pas faire. On sait qu’il faut diminuer les émissions de gaz à effet de serre et on conclut un accord pour importer chaque année depuis l’autre bout du monde 200 000 tonnes de viande qui participent à la déforestation ».

Enfin, les acteurs privés sont clairement en opposition. Par exemple, les agriculteurs français sont clairement en opposition avec les constructeurs automobiles allemands qui voient dans ce traité l’opportunité d’entrer sur le marché automobile sud-américain.