Pratiques de concurrence déloyale de ses partenaires, l’Union européenne a recours à trois instruments : les règles antidumping, les mesures antisubventions et les mesures de sauvegarde.
Les instruments de défense commerciale visent à assurer un commerce équitable ainsi qu’à défendre les intérêts des entreprises européennes. Ils sont conformes aux accords de l’OMC qui autorisent ses membres à se prémunir contre les pratiques déloyales.
“La politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne […] les mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions” (article 207 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne)
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L’antidumping
L’UE considère qu’un produit fait l’objet d’un dumping lorsque son prix à l’exportation vers l’UE est inférieur à celui d’un même produit dans le pays exportateur (“produit similaire”) ou inférieur à son coût de production. Il s’agit d’une pratique visant à “casser” les prix pour mieux pénétrer les marchés étrangers, et qui peut donc être qualifiée de déloyale.
Tout bien concerné peut être soumis à une procédure antidumping lorsque sa circulation (“mise en libre pratique”) dans l’UE cause un préjudice. Toute personne physique ou morale peut porter plainte. Une association n’ayant pas la personnalité juridique mais agissant au nom de l’industrie européenne (le plus souvent une fédération professionnelle à la demande des entreprises du secteur touché) peut également porter plainte par écrit auprès de la Commission, ou d’un Etat membre qui la transmet à cette dernière.
L’enquête, qui porte simultanément sur le dumping et le préjudice, est opérée en coopération avec les Etats membres. L’Union européenne peut en corriger les dommages par des mesures provisoires, le plus souvent une amende sur le produit importé, applicable pendant six mois. Si les Etats membres la valident, une taxe douanière peut aussi s’appliquer pour cinq ans maximum.
Un exemple : l’affaire des chaussures de cuir
Le 23 mars 2006, la Commission européenne a adopté des mesures antidumping provisoires à l’encontre des chaussures en cuir en provenance de la Chine et du Vietnam.
A la demande de plusieurs Etats membres dont l’Italie, l’institution avait enquêté sur l’existence d’un dumping et sur les préjudices subis par l’industrie européenne. Son rapport avait identifié les éléments suivants :
– évidence manifeste d’une intervention étatique sérieuse dans le secteur de la chaussure en cuir en Chine et au Vietnam, dont leurs marchés n’avaient, en outre, pas besoin ;
– préjudice causé aux fabricants de l’UE : la production de chaussures en Europe avait reculé d’environ 30 %, les prix d’importation chuté de plus de 20 % et le secteur perdu près de 40 000 emplois. Cette affaire ne concernait néanmoins que 9 % des paires de chaussures achetées par les Européens.
Des droits de douane progressifs ont été adoptés : 16,8 % pour le Vietnam et 19,4 % pour la Chine. La Commission a bien précisé qu’il ne s’agissait pas de protectionnisme mais de mesures de rétorsion contre un commerce déloyal : “les chaussures en cuir bénéficient de subventions étatiques et font l’objet d’un dumping, ce qui est inacceptable au regard des règles de l’OMC et nous confère le droit de protéger les fabricants européens contre de telles pratiques”.
Entrée en vigueur le 20 décembre 2017, une nouvelle méthodologie antidumping prévoit de mieux tenir compte des éventuelles interventions d’un Etat tiers pour fausser les prix ou les coûts sur son marché intérieur.
Elle a été complétée par un texte sur la modernisation des instruments de défense commerciale de l’UE, entré en vigueur le 8 juin 2018. Objectif : mettre en œuvre ces instruments “de façon plus rapide, plus efficace et plus transparente”. Les mesures provisoires interviennent ainsi dans un délai plus court, les droits sont plus élevés et le calcul du préjudice amélioré.
Les mesures antisubventions
Comme pour les mesures antidumping, les mesures antisubventions ont pour objectif de lutter contre les pratiques de concurrence déloyales. Plus précisément, ces mesures visent à rétablir des conditions de concurrence équitables lorsque des producteurs étrangers ont bénéficié de subventions ciblées leur donnant un avantage par rapport aux producteurs européens. C’est notamment le cas lorsque les financements viennent favoriser une entreprise ou un secteur en particulier. Lorsque cette distorsion des échanges est avérée, des actions peuvent être prises au niveau de l’OMC afin de corriger le désavantage concurrentiel provoqué. On parle de mesures compensatoires.
Le règlement n°2016/1037, qui transpose en droit européen les dispositions de l’accord sur les subventions conclu dans le cadre de l’OMC, établit qu’ ”un droit compensateur peut être imposé afin de compenser toute subvention accordée, directement ou indirectement, à la fabrication, à la production, à l’exportation ou au transport de tout produit dont la mise en libre pratique dans l’Union cause un préjudice”.
La subvention désignée peut être accordée par les pouvoirs publics du pays d’exportation du produit concerné. Elle peut prendre la forme d’un transfert de fonds direct, d’une garantie de prêt, de recettes publiques exigibles non perçues ou encore de l’exécution par un organisme privé de plusieurs fonctions étant du ressort des pouvoirs publics.
Début 2023, un nouveau règlement est entré en vigueur. Il muscle l’arsenal législatif européen contre les subventions qui donneraient un avantage “indu” dans l’acquisition des entreprises européennes (notamment celles dont le chiffre d’affaires dépasse 500 millions d’euros dans l’UE) ou la participation à des marchés publics de l’Union européenne (en particulier ceux de plus de 250 millions d’euros).
En outre, les investissements (IDE) de pays étrangers sont également “filtrés” par la Commission depuis octobre 2020 pour éviter les prises de contrôle, par des acteurs étrangers, d’entreprises européennes qui opèrent dans des domaines sensibles et stratégiques.
Les mesures de sauvegarde
Un membre de l’OMC peut temporairement restreindre les importations d’un produit si son industrie nationale subit un grave préjudice ou en est menacée par une vague d’importations massives. Ces mesures de sauvegarde constituent des exceptions au régime commun applicable aux importations. Elles peuvent prendre la forme d’un relèvement du taux de droit consolidé ou de restrictions quantitatives (avec des contingents répartis entre les principaux pays fournisseurs).
L’UE les applique si des importations, augmentant significativement et étant opérées sous certaines conditions, affectent l’industrie européenne. La procédure peut être engagée à la demande d’un Etat membre ou à l’initiative de la Commission européenne. Les mesures de sauvegarde provisoires peuvent durer jusqu’à 200 jours et les mesures définitives jusqu’à quatre ans. Lorsqu’elles dépassent trois ans, elles doivent être réexaminées à mi-parcours et peuvent être prolongées jusqu’à huit ans au total.
L’Union européenne prépare un “instrument anticoercitif”, destiné à dissuader les Etats tiers qui seraient tentés d’exercer des pressions commerciales sur l’UE. Celles-ci peuvent prendre la forme de boycott organisés ou de taxes discriminatoires sur les produits européens. Des restrictions sur les marchés publics ou sur l’accès aux programmes européens de recherche sont par exemple prévues.
En pratique
La réglementation antidumping est l’instrument de défense commerciale le plus utilisé dans l’Union européenne. A la fin de l’année 2021, il représentait 67 % du total des mesures de défense commerciale de l’UE (109 sur 163 mesures). Sur la période 2018-2022, la Chine a été le pays le plus visé par des enquêtes.
Si les mesures antidumping et antisubventions sont très proches dans leur fonctionnement, les secondes sont beaucoup moins appliquées que les premières tout simplement pour des raisons techniques : il est, en effet, très difficile pour une entreprise ou une association de démontrer l’existence même d’une subvention étrangère.
En partenariat avec les éditions Larcier, cet article est partiellement tiré du manuel Droit européen des affaires et politiques européennes, ouvrage collectif dirigé par Viviane de Beaufort.
Compléments sur les conflits commerciaux
L’UE utilise les meilleurs aspects de la mondialisation et son économie se développe grâce au libre échange. Cependant, elle peut parfois souffrir à causes des tarifs déloyaux imposés par certains pays sur ses biens ou à cause des pays qui vendent leurs produits à des prix anormalement bas.
Il existe également un risque de voir certains conflits commerciaux se transformer en guerre commerciale, ce qui peut se produire lorsque les deux parties continuent à augmenter les tarifs ou créent d’autres barrières, ce qui peut rendre les produits plus chers ou rendre les choses plus compliquées pour les entreprises.
L’Union européenne peut avoir recours à divers instruments de défense commerciale dans cette situation.
Apprenez-en plus sur les moyens de défense de l’UE et sur les conflits commerciaux récents dans notre article.
En savoir plus sur la politique commerciale de l’UE
Demande d’arbitrage : Le rôle de l’OMC
L’UE et ses États membres font partie des 164 membres de l’Organisation mondiale du commerce qui existe afin de garantir un système commercial international réglementé. L’OMC a le pouvoir de statuer sur des conflits commerciaux et de faire appliquer les décisions prises. Dans le passé, l’OMC a permis d’éviter l’escalade de plusieurs conflits commerciaux. Depuis sa création en 1995, l’Union européenne a été impliquée dans 201 cas : 110 en tant que plaignante et 91 en tant que partie défendresse.
Lutter contre les importations injustement bon marché
Être membre de l’OMC n’empêche pas l’UE d’élaborer une législation pour contrer l’impact des produits qui arrivent sur le marché européen à un prix anormalement bas et qui nuisent aux producteurs locaux.
Ces prix bas peuvent être causés par plusieurs facteurs tels que le manque de compétence dans le pays où le produit a été fabriqué, une forte interférence de l’état dans le processus de production ou parce que l’entreprise en question ne se soucie pas des normes internationales de travail et de protection de l’environnement.
Pour en savoir plus sur le dumping, sa définition et ses effets
L’UE peut répondre en imposant des droits antidumping. En 2017, les députés ont voté en faveur de la mise à jour des normes qui contrôlent quand et comment ces tarifs peuvent être imposés. Les députés ont adopté de nouvelles règles permettant à l’UE d’imposer des tarifs plus élevés sur les importations déloyales ou faisant l’objet d’un dumping en mai 2018.
Pour en savoir plus sur la politique antidumping de l’UE (article en anglais)
Lutter contre les subventions étrangères ayant des effets de distorsion
Le 8 novembre 2022, le Parlement a approuvé des règles visant à lutter contre les subventions étrangères qui faussent le marché aux entreprises opérant dans l’UE. Ces subventions peuvent créer des conditions de concurrence inégales et rendre la concurrence plus difficile pour les entreprises européennes. Les députés veulent que la Commission européenne ait le pouvoir d’enquêter et de contrecarrer ces subventions étrangères accordées aux entreprises prêtes à acquérir des entreprises européennes ou à participer à des marchés publics européens.
Lutter contre le chantage économique
Ce nouvel outil appelé instrument anti-coercition sera utilisé pour lutter contre les menaces économiques et les restrictions commerciales injustes imposées par les pays tiers. C’est un moyen de dissuasion permettant à l’UE de résoudre les conflits commerciaux par la négociation.
Toutefois, en dernier recours, il pourrait être utilisé pour lancer des contre-mesures contre un pays tiers, notamment des restrictions liées au commerce, aux investissements et au financement.
Le Parlement et le Conseil sont parvenus à un accord sur le texte final de la législation en juin 2023, qui a été approuvé par les députés le 3 octobre 2023.
Chine et industrie automobile
Le 4 octobre, Bruxelles a lancé une procédure pour vérifier si l’interventionnisme de Pékin dans son industrie automobile, jugé déloyal, ne nuit pas aux intérêts de l’UE
Dans notre hsitoire avec la Chine, le traumatisme des panneaux solaires, dans les années 2010, après des exportations allemandes à destination de la chine, les fabricants européens de panneaux photovoltaïques sont exclus et très vite des importations massives interviennent depuis la Chine qui subventionne l’ industrie florissante: 80 % de la production mondiale du secteur est chinoise.
Aujourd’hui sont en cause: les véhicules électriques. Alors que l’UE prévoit de mettre fin à la vente des voitures thermiques neuves en 2035, le marché européen est un débouché pour des capacités de production grandissantes en Chine.
La Commission a annoncé, le 13 septembre, une “enquête antisubventions” visant Pékin. “Les marchés mondiaux sont inondés de voitures électriques chinoises bon marché dont le prix est maintenu artificiellement bas par des subventions publiques massives” ( quatrième discours sur l’état de l’Union). Selon les services de la Commission, la Chine représente aujourd’hui environ 8 % des ventes de voitures électriques en Europe. Lancée officiellement le 4 octobre, l’enquête peut durer 13 mois.
Selon l’ avis d’enquête, trois formes de subventions chinoises posent un problème de concurrence : des aides financières directes: “octroi de prêts […] par des banques publiques”, avantages fiscaux comme les “exonérations et […] abattements de la TVA”, soutien en nature comprenant la fourniture de matières premières. L’agence Reuters l’aide à 57 milliards de dollars entre 2016 et 2022.
La Commission recense 300 producteurs véhicules –a direction générale du Commerce (DG TRADE) procéde par échantillonnage. Les entreprises vont remplir un questionnaire, sur cette base, la Commission formera l’échantillon sur lequel portera l’enquête.
Les cibles auront ensuite 30 jours pour renvoyer un nouveau questionnaire plus détaillé comportant questions sur les avantages fiscaux ou les tarifs préférentiels de l’énergie dont elles auraient bénéficié, mais également sur leurs liens avec les autorités chinoises. Les banques et les pouvoirs publics en Chine sont invités à fournir des données sur les subventions aux véhicules électriques.
du côté de l’UE, les importateurs, l’industrie et les associations de consommateurs sont interrogés pour évaluer les préjudices causés.
Afin de vérifier les informations qu’elles recueillent avec tous ces questionnaires, les équipes d’enquête de la Commission européenne peuvent effectuer des visites dans les locaux des entreprises concernées. Et même dans ceux des ministères ou des banques. Ces examens in situ doivent, lorsqu’ils ont lieu sur le sol chinois, obtenir l’aval des autorités à Pékin. La Commission envisage de les effectuer entre le 4 décembre 2023 et le 11 avril 2024.
L’UE pourrait par ailleurs lancer d’autres procédures antisubventions visant la Chine dans le domaine de l’éolien et de l’acier.
https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/defense-commerciale-les-instruments-europeens/