Le départ des députés européens du Royaume-Uni, à la suite du Brexit, avait donné un nouvel élan à l’idée de constituer des listes transnationales aux élections européennes. Cette idée répond au souhait d’assurer une tonalité européenne plus soutenue à la campagne des élections européennes, et d’éviter qu’au cours de la législature, le prisme national n’empiète trop sur une approche résolument européenne des enjeux. Le 7 février 2018, une majorité de députés européens s’y étaient montrés hostiles.
Mais le 3 mai 2022, une majorité de députés européens a adopté le rapport Domènec Ruiz Devesa (S&D, Espagne) qui s’exprime en faveur de listes transnationales composées de 28 députés. La balle est donc maintenant dans le camp du Conseil, qui doit se prononcer à l’unanimité d’ici au printemps 2023.
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Introduction
La question des listes transnationales avait fait son retour dans l’actualité depuis le vote des Britanniques sur leur appartenance à l’Union européenne et depuis qu’Emmanuel Macron, relayant une proposition italienne visant à profiter de la vacance des 73 sièges britanniques au Parlement européen (PE) en 2019 à la suite du Brexit, s’était prononcé en faveur de telles listes dès les élections européennes de 2019.
L’on voterait « pour les mêmes parlementaires européens partout en Europe », avait-il mis en avant dans son discours à la Sorbonne, voulant « construire un espace démocratique inachevé ». Le président français avait même suggéré, qu’à partir des élections de 2024, « la moitié du Parlement européen soit élue sur ces listes. » Chaque citoyen disposerait donc de deux votes, l’un pour la liste nationale, l’autre pour la liste transnationale.
Dans le même esprit, lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement du Sud de l’Europe, qui s’était tenu à Rome le 10 janvier 2018 (Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie, Malte, Portugal), ces derniers avaient déclaré que des listes transnationales de membres du Parlement européen à élire au niveau européen « pourraient renforcer la dimension démocratique de l’Union »2.
De son côté, le premier ministre irlandais, Leo Varadkar, dans un discours prononcé à Strasbourg le 17 janvier 2018, avait marqué son accord, espérant « que les citoyens, dans les cafés à Naples et les restaurants à Galway, parlent des mêmes choix électoraux ». Mais, lors d’un vote en séance plénière le 7 février 2018, les recommandations de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen n’avaient pas été suivies.
Tous les passages du texte sur la composition du Parlement européen concernant les listes transnationales avaient été biffés suite à un vote négatif d’une très grande majorité des votes des groupes du Parti populaire européen (PPE, centre-droit), des Conservateurs et réformistes européens (CRE, droite eurosceptique), de la Gauche unitaire européenne (GUE, gauche radicale — devenu aujourd’hui le groupe La Gauche) et de l’Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD selon l’acronyme anglais, droite nationaliste — groupe aujourd’hui disparu).
Le vote du PPE surtout avait été déterminant et le dossier était donc provisoirement enterré.
Après les élections européennes de 2019, le Parlement européen s’empare à nouveau de la question, et nombre d’obstacles sont levés. Le 3 mai 2022, le Parlement européen votait majoritairement en faveur des listes transnationales (323 pour, 262 contre, 48 abstentions) lors d’un vote qualifié d’ « historique » par le rapporteur Domènec Ruiz Devesa. Parallèlement, les travaux de la Conférence sur l’avenir de l’Europe mettaient en avant la question des listes transnationales dans le rapport final présenté le 9 mai 2022
Le PDF complet : PP279_Listes-transnationales_Verger_FR.pdf (institutdelors.eu)
Conclusion
À travers les listes transnationales, ce sont des conceptions différentes de la dimension démocratique du projet européen qui s’affrontent. Le débat ne se réduit pas à une simple confrontation entre « pro » et « anti » européens, puisque des approches diverses apparaissent même dans le camp des « pro-européens ».
Certains, parmi ces derniers, considèrent que des listes transnationales ne feraient que réveiller les nationalistes, opposés aux « partis de l’étranger ». D’autres, au contraire, souhaitent initier par ce biais une prise de conscience citoyenne au niveau européen, renforçant ainsi le sentiment d’un « demos » européen.
L’équilibre à tenir entre petits, moyens et grands États membres de l’UE reste encore une question
importante dans le débat, même si le système proposé dans le rapport Ruiz Devesa présente une approche très équilibrée sur ce sujet, répondant largement à la critique. Au-delà, la question de fond que soulève l’idée de ces listes touche à la définition respective de la souveraineté des peuples par rapport à celle des nations et de la manière dont celle-ci doit s’exprimer.
L’idée progresse cependant, mais le chemin sera long. Si, à défaut d’unanimité entre les États membres de l’UE, une feuille de route, un processus ou toute autre forme d’engagement politique pouvaient être décidés, ce serait un premier pas qui ne fermerait pas l’avenir. Le débat juridico-politique, si illustratif de la complexité de la réalité de l’Union européenne d’aujourd’hui, a déjà le mérite d’être désormais bel et bien ouvert à nouveau.
D’autres questions, plus prospectives, restent à éclaircir. Alors que le mérite attendu des listes transnationales est une qualité européenne accrue de la campagne des européennes, les modalités de celle-ci restent à définir pour de telles listes, en particulier leur financement.
Autre point : la vingtaine d’élus issus de ces listes seraient-ils des députés européens comme les autres ou seraient-ils considérés politiquement et médiatiquement, au-delà de leurs divergences politiques, comme une catégorie à part dans l’hémicycle européen ?
Leur voix dans l’hémicycle et leur poids politique prendraient inévitablement un relief distinct, au risque peut-être d’un Parlement européen à deux vitesses, mais au profit d’élus plus indépendants d’intérêts strictement nationaux et plus à même, lors des votes, d’embrasser un horizon
européen.
Si l’unanimité n’était pas trouvée en vue des élections de 2024, cet échec ne devrait cependant pas entraver la mise en place de la procédure des Spitzenkandidaten, qui peut être traitée par un accord politique et/ou institutionnel, ni empêcher la poursuite du débat. Ce débat sera en toute hypothèse relancé à l’occasion des travaux de suivi de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
RECOMMANDATIONS
• L’idée de créer des listes transnationales doit être justifiée profondément par le souci d’européaniser les débats lors des élections européennes, et de poser les jalons d’une vraie citoyenneté européenne qui complète la citoyenneté nationale.
• Introduire des listes transnationales dès les élections européennes de 2024 sera encore
difficile en raison des obstacles politico-juridiques, en particulier la nécessaire unanimité
au Conseil, et le besoin de ratifier la modification de la loi électorale européenne dans
chacun des parlements nationaux.
• Mais un nombre même réduit de sièges, tel que proposé par le rapport Ruiz Devesa (28),
réservés aux élus de listes transnationales aurait valeur d’expérience avant d’éventuellement l’élargir.
• L’équilibre géographique proposé dans le rapport du Parlement européen semble à même
de répondre aux préoccupations des petits et moyens pays.
PP279_Listes-transnationales_Verger_FR.pdf (institutdelors.eu)