Stratégie de sécurité économique de l’Union européenne · Enjeux, lacunes et fragilités


En juin dernier, la Commission européenne a présenté son projet de « stratégie de sécurité économique ». Exercice inédit, le document invite l’Union européenne et ses États membres à l’alignement de leurs politiques économique, commerciale et industrielle sur leurs objectifs stratégiques et de sécurité. La « réduction des risques » et des dépendances à l’égard de pays rivaux ou de plus en plus hostiles est placée au cœur de la stratégie.

Si ni l’une ni l’autre ne sont nommées, c’est principalement à la Chine et à la Russie qu’on pense. Si Bruxelles s’était jusqu’alors essentiellement concentrée sur le volet intérieur de sa stratégie de sécurité économique, le document du 20 juin 2023 pose les contours d’outils tournés vers l’extérieur, cherchant à contrôler l’externalisation d’industries et de technologies clés. Toutefois, le projet montre des lacunes et révèle des fragilités importantes qui disent, une nouvelle fois, combien l’Union européenne n’est pas un acteur géopolitique de plein exercice.

Le 20 juin 2023, la Commission européenne a dévoilé son projet de toute première stratégie de sécurité économique, destiné à renforcer les capacités de l’Union (UE) à aligner ses politiques commerciales et industrielles sur ses objectifs stratégiques et de sécurité. Cette proposition souligne, entre autre, la nécessité, pour les États membres de l’UE, de freiner leurs exportations de technologies hautement sensibles, comme l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et les semi-conducteurs, et d’examiner avec la plus grande attention les investissements à l’étranger (IDE) de leurs entreprises ; l’un et les autres étant susceptibles de renforcer les capacités militaires et de renseignement d’acteurs aptes à les utiliser « pour menacer la paix et la sécurité internationale ».

Bien que ni la Chine continentale ni la Russie ne soient pas explicitement désignées, elles sont fortement considérées comme les cibles principales de ce projet ; celui-ci soulignant la nécessité de réduire les risques dans les relations économiques de l’UE avec le reste du monde, en particulier avec les grandes puissances et les puissances régionales, lorsque Bruxelles les perçoit comme offensives et/ou aux intérêts contraires à ceux des Européens.

Ce concept de « réduction des risques » a été présenté pour la première fois par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, à l’occasion d’une communication, le 30 mars 2023, peu avant d’accompagner le président français, Emmanuel Macron, lors de sa visite d’État à Pékin, du 5 au 8 avril 2023. Elle l’a, par la suite, de nouveau mobilisé, lors de ses discussions à la réunion du Groupe des 7 (G7), à Hiroshima, en mai 2023, notamment.

Ce projet de document programmatique souligne, par ailleurs, le risque de voir l’Europe devenir trop dépendante d’« un seul pays, en particulier un pays avec des valeurs, des modèles et des intérêts systémiquement divergents », une autre référence claire à la Chine communiste, mais aussi à la Russie, étant donné les relations économiques étroites de nombreux membres de l’UE avec les géants asiatique et euroasiatique et l’importance des importations de matières premières russes et, pour la transition énergétique européenne, de technologies vertes chinoises.

Si elle marque une étape dans la prise de conscience géopolitique de l’Union européenne, cette stratégie témoigne de lacunes et de fragilités propres difficilement dépassables. Décryptage.

Stratégie de sécurité économique de l’Union européenne · Enjeux, lacunes et fragilités – Institut Thomas More (institut-thomas-more.org)

ITM-NoteActu87-202309-2.pdf (institut-thomas-more.org)

La volonté de mener le débat sur la sécurité économique

Au cours des années 2000, de nombreuses entreprises ont fait le choix, principalement pour des raisons de coût, de transférer leur production à des fournisseurs étrangers. Mais les différentes crises liées au Covid, à la guerre en Ukraine et à l’inflation ont changé la donne.

Les industriels ont pris conscience que faire fabriquer ses produits à des milliers de kilomètres pouvait poser toutes sortes de problèmes tant du point de vue de la qualité, de la sécurité que de la planification et de la gestion des priorités.

Certaines problématiques de fond prennent également de l’importance dans la stratégie des entreprises. L’impact écologique, les modes de production éthiques et les émissions de carbone sont désormais au cœur des préoccupations.

Dans ce contexte, de plus en plus de sociétés décident finalement de réindustrialiser, c’est à dire de rapatrier leur production en France ou près de nos frontières.

Ainsi, actuellement, environ 80% des produits de grande distribution sont issus d’une industrie qui a été relocalisée. De même dans l’automobile, des usines d’assemblage reviennent en France, alors qu’elles étaient encore il y a peu, implantées en Chine.

Pourquoi les entreprises réindustrialisent-elles ?

Après plusieurs décennies de délocalisations, les industries ne considèrent plus que le futur est de disposer de toujours plus d’usines à travers le monde et de sous-traiter. Elles semblent désormais faire machine arrière.

Plusieurs raisons expliquent ce choix :

La maîtrise du risque

L’un des enjeux majeurs de la relocalisation est de réduire l’exposition de l’entreprise aux risques. Notamment, au risque de rupture d’approvisionnement et de pénurie. Relocaliser la production permet de réduire ce risque.

Le savoir-faire et la qualité

Relocaliser, c’est garder la main sur son savoir-faire. Un point crucial, au cœur des valeurs de l’entreprise. En relocalisant, l’entreprise limite considérablement les problèmes de non-qualité. De plus, elle court beaucoup moins de risques de se faire copier ses produits originaux !

La maîtrise des délais

La délocalisation implique des délais de livraison longs et mal maîtrisés. La relocalisation réduit ces délais et permet à l’entreprise de gagner en agilité, tout en évitant les risques de ruptures de stock.

La réduction des coûts

Contrairement aux idées reçues, délocaliser n’est plus forcément synonyme de réduction des coûts.

Rapatriement des activités de production : quels enjeux et conséquences pour la Supply Chain ?

Il y a aujourd’hui beaucoup d’exemples encourageants de relocalisations réussies. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’une relocalisation est toujours synonyme de changements majeurs pour l’entreprise. Avec l’arrivée – ou le retour – du volet production, certaines entreprises vont devoir repartir quasiment de zéro !

Les entreprises qui relocalisent doivent passer par une phase d’adaptation, où le fonctionnement global est totalement remis en question. Progressive, cette phase plus ou moins longue passe par différentes incertitudes, tâtonnements, notamment à propos des capacités de production. Durant cette phase transitoire, l’entreprise reprend la main sur la production et réalise en parallèle des approvisionnements complémentaires pour les produits qu’elle n’est pas encore en mesure de fabriquer.

La Supply Chain doit par ailleurs se réadapter à des délais et des tailles de lots radicalement différents. Plus besoin désormais de disposer de plusieurs mois de stocks d’avance alors que l’usine relocalisée peut produire en seulement 15 jours, par exemple.

En définitive, la réindustrialisation doit nécessairement passer par la conduite de changement. Ce processus permet notamment de réapprendre à l’entreprise le métier de la production et l’aide à changer des habitudes souvent ancrées depuis de nombreuses années. La réorganisation en matière de personnes et d’outils autour de la planification industrielle à long terme demande également de tout repenser de A à Z. Or, c’est un point très critique de la Supply Chain.

Pour que la conduite de ce changement soit totalement réussie, certains piliers fondamentaux doivent être respectés. L’un des challenges majeurs consiste à aligner les fonctions de Supply Chain et de stratégie, de faire monter en compétences certains collaborateurs au moyen de formations adaptées et de recruter pour la fabrication.

Enfin, il est nécessaire de mettre en place un système collaboratif ou chacun communique et où aussi bien les services commerciaux que financiers interviennent pour ajouter leurs connaissances métier à la planification. Dans ce contexte, une bonne option consiste à opter pour un outil S&OP. La réindustrialisation est un processus ultra stratégique.