La Chine, « menace ou défi » ?

Le président français Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen se rendent en Chine du mercredi 5 au samedi 8 avril. Ils espèrent dissuader Pékin de soutenir la Russie tout en maintenant le partenariat économique entre l’UE et la Chine, dans un contexte international tendu.

Ursula von der Leyen s’est rendue à l’Elysée lundi, avant son départ pour la Chine en compagnie d’Emmanuel Macron – Crédits : Commission européenne

« La réouverture des frontières chinoises, décrétée fin 2022 […], a créé un spectaculaire appel d’air diplomatique : en quelques mois, les grands dirigeants européens se seront tous succédé à Pékin« , débute Contexte. Après le chancelier allemand Olaf Scholz et le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, c’est au tour d’Emmanuel Macron, qui a également convié la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, de se rendre en Chine du 5 au 8 avril.

Durant cette visite officielle, « la France ambitionne de porter une autre voix que celle de Washington dans sa relation à Pékin« , poursuit Contexte, avec en toile de fond le conflit en Ukraine, le resserrement de l’emprise de Xi Jinping sur son parti, et les pressions chinoises dans le détroit de Taïwan.

Paris veut « dissuader Pékin de soutenir l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais sans s’aliéner un acteur commercial et géopolitique crucial« , résume France 24. Emmanuel Macron compte aussi défendre les intérêts français dans la région Asie-Pacifique, dans laquelle « Paris considère qu’elle a un rôle à jouer grâce à ses territoires d’outre-mer et à ses déploiements militaires« , poursuit la chaîne d’information.

Dialogue difficile

En amont de sa visite à Pékin, le locataire de l’Elysée a déclaré que son objectif était « d’essayer d’impliquer la Chine autant que possible pour faire pression sur la Russie » sur des sujets tels que les armes nucléaires, rapporte Politico. Une passerelle diplomatique aurait été ouverte en coulisse sur la sécurisation des centrales nucléaires en Ukraine, précise la présidence française au Point.

Toutefois, certains observateurs « doutent de la capacité du président français à influencer la position de la Chine« , poursuit Politico, se remémorant les tentatives de dialogue infructueuses d’Emmanuel Macron avec son homologue Vladimir Poutine au commencement de l’invasion de l’Ukraine.

D’autant que Paris et Bruxelles « devront faire face à un Parti communiste chinois hostile à toutes critiques tant sur sa position face à la guerre en Ukraine que sur sa conception des droits de l’homme« , analyse Alice Ekman de l’Institut des études de sécurité de l’Union européenne (EUISS) dans une tribune pour Libération. En outre, il n’est pas certain que « la venue d’Ursula von der Leyen soit totalement appréciée« , la presse chinoise la considérant comme « très proche des positions américaines« , remarque Slate.

Voix européenne

« Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron rencontre les dirigeants chinois en compagnie de leaders européens« , poursuit le site d’information. Avec la présidente de la Commission à ses côtés, il entend ainsi porter la voix de l’Union européenne comme il a pu le faire lors des récentes négociations avec les Etats-Unis, souligne Politico, mais « en Chine, cette carte pourrait être plus difficile à jouer« .

En effet, « lors d’un discours très médiatisé sur les relations entre l’UE et la Chine [jeudi 30 mars]« , Ursula von der Leyen a exhorté les Etats membres à « réduire les risques » d’une « dépendance excessive à l’égard de la Chine« , poursuit le média. Elle a également laissé entendre que les négociations autour de l’accord global sur les investissements entre l’UE et la Chine pourraient prendre fin.

Cette « distanciation » ne signifie cependant pas une rupture économique avec Pékin, qui était en 2022 « le troisième partenaire des exportations de biens de l’UE et le premier partenaire des importations de biens de l’Union« , rappelle Euronews.

Si les Etats-Unis parlent d’un « découplage » de leur économie avec celle de la Chine, Ursula von der Leyen s’est montrée plus prudente car la position des Vingt-Sept n’est pas uniforme. Entre « les tenants de la politique la plus dure à l’égard de Pékin » et la Hongrie qui se veut plus « pragmatique » vis-à-vis de Xi Jinping, de nombreux Etats « sont favorables à une ligne intermédiaire« , explique Contexte. « Tout est une question de dosage« , selon Antoine Bondaz, spécialiste de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) interrogé par Le Figaro. « L’agenda de la France et de l’Union européenne ne doit être ni dirigé contre la Chine ni aligné sur les Etats-Unis. Ce n’est pas une troisième voie, mais la voie de la France et de l’UE« , ajoute le chercheur.

Intérêts économiques

Paris espère aussi « obtenir des contrats pour les entreprises françaises« , explique Le Figaro. « Le commerce figurera parmi les priorités de M. Macron, qui est accompagné d’une importante délégation de chefs d’entreprise, dont des représentants d’EDF, d’Alstom, de Veolia et du géant de l’aérospatial Airbus« , détaille Politico.

Le moment est aussi très attendu « par les quelque 2 000 entreprises françaises présentes en Chine« , constate France info. Ce sont des chefs d’entreprise « encore traumatisés par trois années de politique ‘zéro Covid’ » que le président de la République va rencontrer sur place, poursuit la chaîne publique.

Emmanuel Macron rejoindra également des résidents français à Pékin après son arrivée mercredi après-midi, « avant de s’entretenir jeudi avec des dirigeants chinois et de participer à un dîner d’Etat dans la soirée« , détaille France 24. S’il n’est pas prévu qu’Ursula von der Leyen participe aux différents dialogues franco-chinois qui vont se tenir à Pékin, cette dernière sera conviée à ce dîner « qui doit se dérouler […] avec les hauts dirigeants chinois au Palais du peuple« , ajoute Slate.

Alors que les Américains et les Européens sont toujours divisés sur la question de savoir s’il faut considérer la Chine comme une «  menace  » ou un «  défi  » pour la sécurité, le fossé se resserre alors que les alliés tentent de se mettre d’accord sur le nouveau document stratégique à long terme de l’OTAN, qui mentionne pour la première fois Pékin.

«  L’influence croissante de la Chine remodèle le monde, avec des conséquences directes pour notre sécurité et nos démocraties  », a déclaré mardi (14 juin) le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, à l’Agence de presse Athènes-Macédoine (ANA), ajoutant que «  les politiques coercitives de la Chine  » constitueraient des «  menaces et des défis  » pour la sécurité de l’Occident.

Quelques semaines plus tôt à Davos, M. Stoltenberg a prévenu que les pays occidentaux ne devaient pas troquer la sécurité contre le profit économique, soulignant les risques de laisser sans contrôle les liens économiques étroits avec la Russie et la Chine.

EURACTIV croit savoir que la majorité des membres, y compris la France et l’Allemagne, hésitent à utiliser la même description de la menace pour la Chine que pour la Russie et sont davantage disposés à désigner clairement Moscou comme une «  menace  » pour la sécurité, tandis que Pékin est qualifié de «  défi  » pour la sécurité.

Toutefois, même en désignant la Chine comme un «  défi  », le langage utilisé serait plus sévère que celui utilisé dans le concept stratégique actuel de l’OTAN, publié en 2010, qui ne mentionne pas le pays.

L’année dernière, les dirigeants de l’OTAN, dans un tournant historique, ont souligné que la Chine posait des défis auxquels il fallait répondre, en partie à la demande expresse des États-Unis.

Convergence de vues sur la Chine

«  Les points de vue transatlantiques sur la Chine ont longtemps été divergents, mais récemment, ils convergent progressivement  », a déclaré à EURACTIV Bruno Lété, chargé de mission transatlantique pour la Sécurité et la Défense au German Marshall Fund à Bruxelles.

«  Néanmoins, les États membres de l’UE maintiennent une approche pragmatique à l’égard de la Chine, principalement en raison des interdépendances économiques, les États membres de l’UE ne sont pas unanimes sur le fait que la Chine constitue une menace et pour le moment, le consensus décrit la Chine comme un “concurrent stratégique”  », a-t-il déclaré, ajoutant que la nouvelle stratégie de l’OTAN devrait suivre cette ligne.

L’OTAN cherchera probablement aussi à minimiser la coopération avec la Chine dans la construction d’infrastructures et les chaînes d’approvisionnement via le cadre de l’OTAN.

Washington, notamment sous l’ancien président américain Donald Trump, a longtemps fait pression sur les pays européens et autres pour qu’ils excluent les technologies chinoises, comme l’équipementier télécoms chinois Huawei des réseaux 5 G.

«  L’administration Trump mettait l’UE dans une position où on lui demandait d’accepter une politique “l’Amérique d’abord, et contre la Chine”, mais cela n’a pas bien fonctionné pour Washington  », a déclaré M. Lété.

«  L’administration Biden est plus nuancée, elle comprend que les Européens ont leur propre relation avec Pékin, mais elle fait néanmoins pression sur les capitales européennes pour qu’elles répondent aux préoccupations sécuritaires qui émergent de la Chine, cela met les Européens dans une position beaucoup plus confortable pour envisager publiquement un alignement transatlantique concernant la Chine  », a-t-il ajouté.

Allemagne : réduire les dépendances de la chaîne d’approvisionnement

«  Un durcissement de la position de l’OTAN et de l’UE vis-à-vis de la Chine reflète généralement une tendance similaire en Allemagne  », a déclaré à EURACTIV Tim Rühlig, chargé de recherche au Conseil allemand des relations extérieures (DGAP).

Le gouvernement allemand travaille actuellement sur une nouvelle stratégie à l’égard de la Chine, qui exposera très probablement cette approche plus critique, en abordant les dépendances de la chaîne d’approvisionnement, notamment au regard des récentes situations de dépendance critique vis-à-vis de la Russie dans le secteur de l’énergie, a expliqué M. Rühlig.

«  Ce qui reste contesté, cependant, c’est le degré, la vitesse et la méthode de désenchevêtrement  », a déclaré M. Rühlig, ajoutant que tant dans les cercles économiques que politiques de l’Allemagne, il y aurait des positions différentes.

Selon l’expert allemand, cela serait particulièrement visible dans le puissant secteur automobile du pays, où la Chine est un marché d’importation et d’exportation essentiel pour l’Allemagne.

«  Étant donné que la Chine est un acteur majeur de l’e-mobilité, la Chine passe dans les années à venir d’un statut de marché à celui de concurrent pour l’industrie automobile allemande  », a déclaré M. Rühlig.

>> Lire aussi : Allemagne : la décision du Parlement européen d’interdire les véhicules polluants en 2035 critiquée.

«  Réduire les dépendances critiques vis-à-vis de la Chine est plus difficile et prendra plus de temps que de se découpler de la Russie, mais le consensus selon lequel nous devons réduire les dépendances et adopter une approche plus critique ne cesse de croître.  »

France : filtrer les investissements étrangers

Parallèlement, en France, après l’entrée en fonction du président français Emmanuel Macron en 2017, des appels ont été lancés en faveur d’une plus grande restriction des investissements chinois, d’une plus grande prudence et de la création d’une stratégie industrielle qui, à terme, élimine les intrants chinois.

Bien qu’il n’y ait jamais eu de référence directe à la Chine, celle-ci est au cœur de la stratégie industrielle de la France. La crise d’approvisionnement en masques lors de la pandémie de Covid-19 et celle des semi-conducteurs l’ont bien montré.

«  L’approche du gouvernement français à l’égard de la Chine est celle de la réduction des risques, notamment en ce qui concerne les transferts de technologie et les investissements directs à l’étrangers  », explique à EURACTIV France Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne.

«  L’approche française est officiellement agnostique à l’égard des pays, même si elle est fortement éclairée par les réalités de la puissance économique chinoise  », a ajouté Mathieu Duchâtel.

En ce sens, la France a été un acteur crucial pour que le règlement européen établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs à l’étrangers soit convenu en 2020.

Il en va de même pour la loi PACTE de 2019, qui renforce les efforts du gouvernement en matière de filtrage des investissements directs a l’étrangers et encourage les entreprises françaises à vérifier l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement.

Commerce : en Chine, l’Union européenne passe à un discours plus offensif

En visite en Chine du 23 au 26 septembre 2023, le commissaire européen Valdis Dombrovskis a fustigé les pratiques commerciales déloyales de Pékin. La presse revient sur les réponses de l’Union à cette situation, notamment son enquête antisubventions sur les véhicules électriques chinois.

Valdis Dombrovskis s'est adressé lundi aux étudiants de la prestigieuse université de Tsinghua, à PékinValdis Dombrovskis s’est adressé lundi aux étudiants de la prestigieuse université de Tsinghua, à Pékin – Crédits : Aaron Berkovich / Commission européenne

« L’UE hausse le ton face aux pratiques commerciales chinoises« , entament Les Echos. Après avoir visité Shanghai et Suzhou ce week-end, le commissaire européen Valdis Dombrovskis, en charge des questions économiques et commerciales, est à Pékin ce lundi 25 septembre « pour une étape très surveillée de son voyage de quatre jours à travers la Chine » [Politico].

Cité par Les Echos, le vice-président de l’exécutif européen a dénoncé un « environnement commercial plus politisé » en Chine. Selon Valdis Dombrovskis, s’exprimant devant les étudiants de l’université Tsinghua à Pékin, cela se traduit par « une moindre transparence, un accès inégal aux marchés publics, des discriminations sur les normes et exigences en matière de sécurité, ainsi que des exigences en matière de localisation et de transfert de données« .

Ce déplacement intervient alors que le « déficit commercial record de 396 milliards d’euros de l’UE avec la Chine a conduit Bruxelles à se rapprocher de la position plus dure des Etats-Unis, qui cherchent à freiner la croissance économique et militaire » de la Chine [Financial Times].

Bras de fer commercial ?

« Les pommes de discorde commerciales se sont multipliées entre Bruxelles et Pékin, ces derniers mois« , rapporte en effet Le Monde. Valdis Dombrovskis ne devrait pas manquer, par exemple, « d’évoquer les restrictions annoncées en juillet par la Chine sur ses exportations de gallium et de germanium : deux matériaux identifiés comme stratégiques par l’Union européenne » [L’Echo].

Jusqu’ici, « l’approche douce de Bruxelles dans ses négociations avec Pékin a échoué« , estime ainsi Politico. »Les entreprises européennes continuent de prendre du retard et les concurrents chinois s’emparent de leurs marchés« , résume le média.

« Ces dernières années, les Européens se sont dotés de multiples instruments qui visent officieusement la Chine« , rappelle Le Monde. Le journal du soir cite pêle-mêle « le règlement anticoercition pour aider l’UE à lutter contre le chantage économique » de pays tiers, ou encore « la taxe carbone aux frontières« , un instrument destiné à faire payer aux entreprises le coût écologique des marchandises qu’elles importent dans l’Union.

Les voitures électriques à la loupe

Mais « pour la Chine, l’enquête antisubventions sur les voitures électriques est le sujet numéro un », concède un haut fonctionnaire européen dans les colonnes du Monde. A l’occasion de son discours sur l’état de l’Union le 13 septembre, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait en effet annoncé l’ouverture d’une enquête sur les aides accordées par Pékin à la production de véhicules électriques sur son sol. Si la Commission conclut que le secteur a bénéficié d’un soutien déloyal, « cela pourrait avoir comme conséquence une hausse des droits de douane sur leur importation en Europe » [Le Monde].

« On imagine mal que l’annonce de cette enquête, juste avant la visite de M. Dombrovskis, puisse être une coïncidence« , fait savoir L’Echo. Le journal belge parle de « coup de pression » venant de l’UE : « ça aide, parce que ça rallonge le bras de levier des Européens sur les discussions, et ça augmente l’intérêt de la partie chinoise à en parler« , poursuit le journal belge.

« Que se passera-t-il si le chef du commerce de l’UE n’obtient rien au cours de sa visite ?« , s’interroge toutefois Politico. Le média rapporte que « Bruxelles envisagerait de lancer une nouvelle enquête sur le secteur médical de la Chine, arguant que le marché public du pays était fermé« . Des fonctionnaires ont aussi déclaré auprès de Politico que le secteur ferroviaire pourrait également faire l’objet d’une enquête car, là-aussi, « les pays de l’UE ont été plus ouverts aux trains chinois que l’inverse« .

L’Allemagne réticente ?

Reste à convaincre les Etats membres du bien fondé d’éventuelles mesures concernant les importations chinoises. L’industrie allemande est « nerveuse » sur la question, selon Politico. Outre-Rhin, le ministre des Transports Volker Wissing (FDP, libéral) s’est opposé à des droits de douane sur les voitures électriques chinoises [Die Zeit]. « Par principe, je ne crois pas beaucoup à la mise en place de barrières de marché« , a-t-il déclaré.

« La première puissance européenne est résolument portée par l’automobile et s’est largement tournée vers la Chine pour vendre ses modèles« , rappelait en effet La Tribune la semaine dernière. « La filière est le premier secteur industriel dans le pays et sa part dans le PIB représente environ 13 %« .

Valdis Dombrovskis a toutefois rappelé que Bruxelles et Pékin avaient tout intérêt à s’entendre. « L’UE et la Chine ont toutes deux énormément bénéficié de leur ouverture au monde. C’est pourquoi je continuerai de défendre l’ouverture comme une stratégie gagnante sur le long terme » [Les Echos].

https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/la-chine-%E2%80%89menace-ou-defi%E2%80%89%E2%80%89-lue-reste-divisee-sur-la-question/