« Réveiller l’Europe » en matière de souveraineté numérique. Telle est l’ambition de la France pour sa PFUE, qui court jusqu’à fin juin. Ce lundi 7 février, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a décliné le programme de l’Hexagone sur ce « sujet majeur pour les dix prochaines années« . Au menu : « développer l’innovation et accélérer la régulation« , a synthétisé le locataire de Bercy.
« Pendant des décennies, par pur dogmatisme et par crainte de fausser la concurrence, l’Europe s’est empêchée d’accorder des aides publiques à des projets industriels innovants, alors que la Chine le faisait, que les États-Unis le faisaient. C’est une stupidité et une lâcheté. La première condition pour que l’Europe dispose de sa souveraineté numérique est qu’elle retrouve le goût de l’innovation », a déclaré le ministre en ouverture de la journée de débats.
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Scale-Up Europe : 1 milliard d’euros « en fonds de fonds » dans les startups européennes
Le premier temps fort de la présidence française de l’Union européenne sera la présentation, mardi 8 février, d’un investissement d’un milliard d’euros dans les startups européennes, via l’initiative Scale-Up Europe. Lancée en mars 2021 à Station F, Scale-Up Europe est un mouvement paneuropéen impulsé par la France, qui a réuni 150 entrepreneurs, investisseurs, grands groupes et institutionnels, avec pour objectif de formuler des propositions pour développer la tech européenne.
Cet investissement d’un milliard d’euros dans les startups se fera, d’après Bruno Le Maire, « en fonds de fonds« , comme le fait parfois Bpifrance dans l’Hexagone, pour stimuler le secteur privé aujourd’hui peu performant quand il s’agit de financer les très gros tours de table, ceux qui font naître les licornes.
« Le fonds européen Scale-Up va rassembler 10 à 20 fonds pour un montant total minimal d’un milliard d’euros pour financer les champions technologiques européens et ainsi contribuer à avoir 10 supergéants de la tech valorisés chacun 100 milliards de dollars à l’horizon 2030 », a détaillé Bruno Le Maire.
Pour l’heure, cet objectif de 10 supergéants valorisés au moins 100 milliards d’euros chacun, formulé à l’automne dernier par Emmanuel Macron, paraît très lointain. Aucune entreprise européenne de la tech ne s’approche aujourd’hui de ce niveau, même pas Spotify qui se situe autour des 70 milliards de dollars. Ce seuil symbolique a seulement été atteint et dépassé par les géants américains et chinois de la tech.
Pour Bruno Le Maire, combler la faiblesse du financement des très gros tours de table par des investisseurs européens pourrait contribuer à résorber ce problème. Mais c’est surtout une solution pour permettre aux fonds européens de prendre une part dans l’énorme gâteau des startups, qui font essentiellement appel à des fonds américains et asiatiques pour réaliser les grosses levées de fonds qui font d’elles des licornes et au-delà. En France par exemple, la quasi-totalité des 26 méga-levées de fonds de plus de 100 millions d’euros de 2021, ont été menées par des fonds étrangers hors-européens. « En Europe il n’y a que deux fonds de plus d’un milliard d’euros, Eurazeo et EQT, contre 40 fonds américains« , déplorait Cédric O, le secrétaire d’Etat à la Transition numérique, dans les colonnes de l’Usine Digitale en janvier dernier. Scale-Up Europe tente donc ici de rééquilibrer un peu la donne en donnant davantage d’options de financement aux startups européennes.
Retrouver la souveraineté technologique et logicielle
L’autre grand axe de la présidence française de l’UE est de développer des secteurs industriels stratégiques pour la souveraineté numérique du Vieux continent. Le premier est celui des semi-conducteurs, avec le Chips Act. Présenté ce mardi à la Commission européenne, il s’agit d’un plan à hauteur de 50 milliards d’euros : 12 milliards d’euros dans la recherche, près de 30 milliards d’euros par les Etats membres dans le cadre du plan de relance européen pour la construction de très grandes usines de semi-conducteurs, et 5 milliards d’euros par la Banque européenne d’investissement (BEI) pour financer les entreprises de la filière. L’objectif : multiplier par deux la part de l’industrie européenne des semi-conducteurs dans la production mondiale de puces, pour la porter à 20% en 2030, contre 10 % environ actuellement.
Le deuxième grand plan technologique européen en cours concerne le cloud. « Un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) sur le cloud est en cours à Bruxelles » a indiqué le ministre de l’Economie, sans toutefois révéler les montants qui seront adossés à cette initiative. Il a cependant ajouté que la France mettra « 300 millions d’euros » sur la table.
Régulations majeures contre les Gafam, sur les communs numériques et la cybersécurité
Enfin, l’Europe ne serait pas l’Europe sans la régulation, levier d’action assumé par la présidence française, qui souhaite faire aboutir pendant ses six mois sous les projecteurs des textes en préparation parfois depuis plusieurs années.
Ainsi, le grand chantier réglementaire de l’année sera incontestablement le « package » DSA/DMA, qui désigne, respectivement, le Digital Services Act et le Digital Markets Act. Le premier vise à établir la responsabilité des plateformes -réseaux sociaux, places de marché- pour les contenus qu’elles hébergent et les produits qu’elles vendent. Et ainsi lutter contre l’un des fléaux des démocraties modernes : les fake news, nouvel instrument de lutte géopolitique comme l’ont déjà montré l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis en 2016 ou encore le vote du Brexit, en partie influencés par des campagnes de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux.
Le deuxième texte vise, lui, à dépoussiérer le droit de la concurrence, inadapté à l’ère numérique, pour empêcher les abus de position dominante des Gafam notamment, et favoriser la concurrence. « Avec le DMA, Apple ne pourra plus bloquer les solutions alternatives à l’Apple Pay sur iPhone et avec le DSA, les plateformes devront lutter efficacement contre la désinformation. Ces textes auront des conséquences concrètes sur l’économie et la société« , se réjouit le locataire de Bercy.
La présidence française de l’UE veut également profiter de son semestre pour avancer, voire acter, la réforme de la directive NIS, dont le but est d’assurer un niveau de cybersécurité élevé pour les réseaux et les systèmes d’information européens. Dans nos colonnes, Guillaume Poupard, le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), résumait ainsi les enjeux de sa réforme. « La directive fonctionne et c’est pourquoi il faut étendre son périmètre au-delà des opérateurs critiques, dans tous les secteurs de l’économie« .
Enfin, l’autre gros dossier de régulation sera d’avancer sur les communs numériques. « Seize Etats membres travaillent avec la Commission européenne pour proposer d’ici au 21 et 22 juin prochain, en assemblée digitale, de nouveaux financements sécurisés et stables ou encore la création d’un incubateur européen« , a indiqué le secrétaire d’Etat en charge des Affaires européennes.
Souveraineté numérique : le plan ambitieux de la présidence française pour l’Europe (latribune.fr)