Grain de sel : Les propos n’engagent que leur auteur mais nous avons choisi de lui faire place en proposant des EXTRAITS
En ces premiers mois de 2025, la folie a pris le monde. Donald Trump et son administration ont torpillé les règles internationales de 1945, mis à bas le « commerce » cher aux Européens, opéré un revirement de stratégie sur la guerre en Ukraine, humilié son héros, instillé le poison du doute dans la science, acté un différend sur les valeurs démocratiques avec le vieux continent. En bowling, on appelle cela un « strike ».
Face à cette nouvelle donne internationale, les peuples européens se retrouvent désemparés. Nous sentons que nos divisions profondes minent désormais le continent européen et menacent son intégrité. Dans ce moment singulier, nous découvrons que la construction européenne est mortelle. Pourtant nos valeurs sont justes. n os forces existent. Nous devons les libérer.
Que faire ?
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Première réalité : les États-Unis ont vrillé.
De la considération, nous sommes passés à l’indifférence, et le mépris: voir le discours du Vice-Président américain à Munich,
La seule différence avec la nouvelle administration Trump est que ni Obama, ni Biden ne visaient explicitement à affaiblir les États européens. Bruno Le Maire
En juin 2019, Vladimir Poutine déclarait dans le Financial Times : « La pensée libérale est devenue obsolète. Elle est entrée en conflit avec les intérêts de l’écrasante majorité de la population.
Donald Trump achève un retournement, dans un mélange de brutalité, d’imprévisibilité et de deal qui fait son style. Parmi ses multiples déclarations, une aurait dû retenir notre attention en 2018, la veille d’un entretien avec Vladimir Poutine : « The European Union is a foe of the United States » 2. Ou dans une intervention publique plus récente : « The European Union was formed to screw the US » 3. Le tout assorti d’une menace de droits de douane à 25 %.
Désormais le continent européen doit être soumis. Le centre de coûts militaire que nous sommes doit devenir un centre de profits pour soutenir la dette américaine et les bons du Trésor américain. Autrement, ce sera la guerre commerciale. Le deal est clair : soit les Européens financent les dépenses publiques américaines, soit les Européens paient des tarifs. Avec notre épargne de 35 000 milliards d’euros nous aurions vocation à acheter une partie des 2000 milliards de dollars annuels de bons du Trésor américains pour garantir les taux d’intérêt stables du nouveau Saint Empire romain d’Amérique.
L’Europe des Lumières ne peut pas suivre une politique obscurantiste, l’Europe des droits de l’Homme ne peut pas accepter le dévoiement de la démocratie, l’Europe du droit international ne peut pas cautionner sa violation.
Les États-Unis ont vrillé, torpillant sciemment l’ordre international libéral dont ils sont les garants depuis 1945.
Un désaccord économique ou militaire nous aurait conduit à un éloignement. Un désaccord sur les valeurs nous conduit à un schisme. Ce schisme est la première menace pour le continent européen : il pourrait entraîner un schisme à l’intérieur de l’Europe, entre les États qui défendront les valeurs européennes de liberté et de droit et ceux qui se rallieront, autant par faiblesse que par conviction, à la force brute. Le rapprochement entre Vladimir Poutine et Donald Trump leur laissera même le choix de se soumettre, suivant leur histoire et leur géographie, à la force russe ou à la force américaine, désormais compatibles.
2. La force, nouvelle règle dans le commerce international.
La paix pour toujours, la victoire de la démocratie la fin de l’Histoire proclamée par Francis Fukuyama, nous y avons cru — Nous aurions dû entendre les avertissements de Samuel Huntington : « The hope for the benign end of History is human. To expect it to happen is unrealistic. To plan on it happening is disastrous » 5.
Conséquence immédiate : OMC, clause de la nation la plus favorisée, arbitrage — tout a volé en éclats. La force est la nouvelle règle dans les relations internationales.
Ne perdons pas 15 ans supplémentaires pour reconstituer nos capacités de défense et de riposte technologique. La guerre en Ukraine est un point de départ, pas un point final. Nous avons mis quinze ans à saisir le sens véritable des propos de Vladimir Poutine en 2007 à la conférence sur la sécurité de Munich : la Russie veut retrouver son empire.
Troisième réalité : Européens, nous avons notre part de responsabilité.
Le projet européen est désormais pris en étau entre la Russie et les États-Unis. Il résiste mal. Pourquoi ? Parce que rongé par de minuscules et incessantes morsures intérieures. Les morsures de la division, qui nous privent de la prospérité économique et de la puissance politique que devrait nous donner notre marché intérieur. Les morsures de la technocratie, qui brisent l’élan des entrepreneurs . Les morsures de la lâcheté démocratique, qui nous a interdit de consulter les peuples sur leur avenir européen.
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Prospérité, sécurité, démocratie : ce sont les trois promesses du projet européen.
Donnons-nous les moyens de les tenir, pour desserrer l’étau stratégique dans lequel nous sommes pris.
Depuis la crise du Covid-19, nous avons su nous défaire de certains dogmes et nous avons brisé des tabous. Sous l’impulsion de la France, les aides publiques à l’industrie sont devenues possibles, une dette en commun a été levée, un plan d’accès aux matières critiques a été mis en place. Preuve que l’Union européenne sait évoluer sous le coup de la nécessité.
Mais tout est encore trop lent, trop faible.
Rappelons une évidence : quand l’Union européenne affichait le meilleur taux de croissance des nations occidentales, quand le désordre migratoire ne menaçait pas nos frontières, quand en 1989 la démocratie libérale semblait avoir définitivement vaincu la menace soviétique, les partis extrémistes ne caracolaient pas en tête des élections en Europe.
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Le retour de la prospérité est la première urgence.
Elle suppose que partout en Europe nous définissions un meilleur équilibre entre un État providence qui fait partie de notre héritage et un État puissance qui demande des ressources supplémentaires. Un État puissance ne prend pas la place des entreprises, il ne dirige pas le fonctionnement économique, il laisse leur liberté aux entrepreneurs, il est le garant de règles simples, il ne se laisse pas empêtrer comme un Gulliver politique par les mille fils de la technocratie, il ne se laisse par étouffer par la dépense sociale.
Axiome de base : un État a la puissance de ses armées, de ses finances et de son économie.
Arrêtons donc de faire croire que tout est possible. Nous ne pouvons pas continuer à dépenser toujours plus : comme ministre des Finances, je me suis employé depuis la sortie de crise du Covid-19 à le dire et à le faire, en soutenant les réformes nécessaires comme la réforme des retraites ou en retirant un à un les dispositifs exceptionnels comme les boucliers tarifaires. Avec quel soutien des oppositions ? L’heure des choix a sonné. Les années à venir appelleront une redéfinition de nos priorités sociales pour protéger ceux qui en ont réellement besoin, une transformation radicale de l’action publique par les nouveaux outils technologiques, un investissement massif dans notre sécurité. Ce nouvel équilibre est une nécessité absolue, mais il relève exclusivement de choix nationaux.
Axiome de base : un État a la puissance de ses armées, de ses finances et de son économie.Bruno Le Maire
Le retour de la prospérité européenne passe par trois décisions immédiates.
Première décision : débloquer notre épargne.
Avec un objectif : dégager 100 milliards d’euros supplémentaires par an pour financer la croissance de nos entreprises et la création d’emplois.
Nous devons modifier les règles prudentielles définies au lendemain de la crise financière de 2010. Les ratios de solvabilité imposés aux assureurs par la directive Solvabilité II de 2009 réduisent considérablement les fonds disponibles pour nos entreprises. Résultat : une grande partie des 35 000 milliards de notre épargne européenne — soit davantage que les PIB américain et russe cumulés — dort sur des comptes courants ou finance les bons du Trésor et les entreprises américaines, qui offrent de meilleurs rendements. Nous nous dépouillons volontairement de notre puissance financière. 1 ou 2 points de flexibilité dans les ratios prudentiels permettrait pourtant de dégager des montants de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour notre économie.
Pour donner sa pleine efficacité à ces mesures, elles devraient être accompagnées de la création d’un produit d’épargne européen attractif, dont la France avait défini les contours en 2023. Nous avions alors proposé que les épargnants européens puissent mettre leur épargne en commun dans un produit simple, au capital sécurisé, avec des rendements solides. Ce produit aurait eu vocation à financer la transition énergétique. Sa gestion aurait été assurée par les acteurs privés des États participants.
Enfin, des régimes de retraite par capitalisation nous donneront les fonds qui nous sont pour le moment apportés par les retraités de Californie. Ces régimes ne remplaceront pas la retraite par répartition : ils la complèteront. Ils permettront eux aussi de mobiliser plus de moyens financiers pour irriguer notre économie.
Deuxième décision : lever les barrières à la libre circulation des services.
Le rapport de Mario Draghi est sans appel : nos normes nationales sont équivalentes à des droits de douane intérieurs de 70 à plus de 100 % sur les services européens. Harmoniser ces normes permettrait de baisser le coût des services, par exemple le prix des médicaments, dans le marché unique.
Nous devons définir les conditions juridiques pour la création de nouveaux champions européens.Bruno Le Maire
La mise en place de l’Union des marchés de capitaux ne peut pas attendre davantage : sans quoi nous continuerons à financer la naissance de nouvelles entreprises technologiques qui grandiront ensuite aux États-Unis ou ailleurs. Il suffit pour cela de commencer avec les États membres volontaires sans attendre une hypothétique unanimité. Cette ambition pourrait être relancée directement entre le Président de la République et le futur Chancelier allemand, Friedrich Merz. Elle pourrait être l’une de leurs premières actions communes.
Troisième décision : revenir sur les règles de la concurrence, stopper net la production normative, simplifier.
En 2019, la Commission européenne a refusé le projet franco-allemand de fusion entre Alstom et Siemens, qui nous aurait permis de créer un champion européen du ferroviaire susceptible de rivaliser avec le géant chinois CRRC. Comment la commissaire Margrethe Vestager et les fonctionnaires de la DG Concurrence ont-ils pu sérieusement prendre comme « marché pertinent » le marché intérieur, alors que la compétition est mondiale ? Pendant des mois nous avons bataillé. Nous avons avancé nos arguments. La Commission est restée sourde. Nous ne pouvons pas rester sur cet échec. Nous devons définir les conditions juridiques pour la création de nouveaux champions européens dans tous les domaines, en particulier les semi-conducteurs, les lanceurs spatiaux, les télécom, les banques ou les assurances.
Il serait salutaire que des considérations nationalistes ne bloquent pas la création de rapprochements comme celui envisagé entre Generali et Natixis, qui donnerait le jour à un gestionnaire d’actifs européen de plus de 2000 milliards d’euros. À titre de comparaison, le géant américain BlackRock gère actuellement près de 12 000 milliards de dollars d’actifs. Je ne sais pas si « big is beautiful », mais il est incontestable que la fin de la parenthèse néolibérale en 2020 signifie le retour de cette règle simple : « big is powerful ».
Soyons honnêtes : le dégorgement normatif européen ne résulte pas que de la mécanique de la Commission. Le Parlement européen a sa responsabilité. Les États membres également. Nous avons l’esprit à la complexité, car nous vivons encore dans un empire idéal où le droit l’emporte sur toute considération économique. Mais cet idéalisme a tourné à une idéologie suicidaire pour nos économies : le droit fait abstraction de la réalité économique. Le droit européen tourne donc à vide. Il ignore la compétition mondiale, la concurrence chinoise, les prix de l’énergie aux États-Unis, les droits de douane, les subventions massives de Pékin aux véhicules électriques, l’absence de tout reporting social et environnemental chez nos compétiteurs. Nous ne devons pas seulement simplifier ce droit, comme Ursula von der Leyen et la Commission ont commencé à le faire à juste titre. Nous devons le lier à une ambition politique et économique.
Réviser le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières dans des délais trop long, ou en ignorant la question des produits finis importés en Europe, ou encore en ne revenant pas sur les quotas gratuits, ce serait un remède pire que le mal. Ce mécanisme a été créé pour protéger notre industrie verte. Pas pour la tuer.
Modification des règles prudentielles, création d’un produit d’épargne européen, lancement de la retraite par capitalisation pour compléter la retraite par répartition, suppressions des tarifs intérieurs, achèvement de l’union des marchés de capitaux, modification des règles de la concurrence, simplification drastique : donnons-nous 12 mois au maximum pour réaliser ces avancées décisives.
Fin 2025, une nouvelle Europe économique et financière doit avoir vu le jour : unie, forte, conquérante.
Nous vivons encore dans un empire idéal où le droit l’emporte sur toute considération économique. Bruno Le Maire
Adoptons pour cela une nouvelle méthode, avec des sommets mensuels entre les 27 leaders, leurs ministres des Finances, la Banque centrale européenne et la Commission. Mettons fin aux Conseils européens à rallonge et sans les exécutants que sont les ministres : chacun se renvoie la balle et jamais les décisions nécessaires ne sont prises, nourrissant la mécanique de l’impuissance. Pourquoi ce qui se fait dans le cadre des G20 ne se ferait pas dans le cadre européen ?
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La défense de notre sécurité est la deuxième urgence.
Pour avoir suivi pendant dix ans au côté de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin la mise en place de la politique étrangère et de sécurité commune, je mesure combien cette ambition est difficile à réaliser. N’oublions pas que la plus grande avancée des trente dernières années a été accomplie en 1998 dans le cadre du sommet de Saint-Malo entre la France de Jacques Chirac et le Royaume-Uni de Tony Blair, donc avec un État qui a depuis quitté l’Union européenne. Et que cinq ans plus tard, en 2003, nous nous déchirions sur la guerre en Irak.
Car le sujet touche trois points sensibles : la souveraineté des États, qui sont les seuls à pouvoir décider de la vie et de la mort de leurs soldats, la force de dissuasion nucléaire et la relation avec l’OTAN. Comme Secrétaire d’État aux Affaires européennes en 2009, je me suis retrouvé en butte aux mêmes atermoiements, hésitations, reculs, qui tous traduisent le vrai non-dit de la défense européenne : notre incapacité à penser la guerre, et plus encore à penser la guerre sans le soutien américain.
Réfléchissons à une option radicale : une « Alliance de sécurité européenne » sous parapluie nucléaire français.Bruno Le Maire
Aucun progrès décisif ne pourra donc être accompli si nous esquivons cinq questions fondamentales : quelle articulation entre l’OTAN et la défense européenne ? Faut-il un commandement militaire européen intégré ? Comment associer les forces britanniques ? Comment favoriser l’achat de matériels militaires européens ? Comment financer l’effort de défense ?
La France a été la première avec le Président de la République et son ministre des Armées à jeter les bases de cette réflexion. Le prochain chancelier allemand Friedrich Merz n’a pas hésité dans ses premières interventions à défendre le principe de l’indépendance européenne, quand ses prédécesseurs avaient laissé sans réponse les propositions françaises de 2017.
Saisissons cette opportunité, que les peuples attendent.
Et puisque la question du nucléaire militaire est directement soulevée par la menace russe, réfléchissons à une option radicale : une « Alliance de sécurité européenne » sous parapluie nucléaire français.
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Une révolution dans la gouvernance européenne est la troisième urgence, si nous voulons tenir notre promesse démocratique. Sans démocratie efficace, les partis extrêmes finiront par prendre le pouvoir partout en Europe.
Une remarque incidente : ce point est celui qui fait le plus débat. Les oppositions sont féroces. À Bruxelles comme dans les capitales européennes, les tenants du statu quo sont légion. Les voix pondérées ont un art consommé de susurrer sur un ton grave que « mieux vaut attendre », que « le retour de la croissance fera reculer les extrêmes », que « les grands équilibres ne peuvent pas être modifiés ».
Ces voix de la pondération sont les complices volontaires ou non de la disparition annoncée du projet européen.
Il est temps que les voix de la sagesse européenne soient des voix de rupture.
Que manque-t-il cruellement à la gouvernance du continent européen ?
Trois choses : un chef, une stratégie, une puissance.
Un : un chef.
Il est très facile pour Xi Jinping, Vladimir Poutine ou Donald Trump de jouer sur les divisions européennes : nous les affichons nous-mêmes. Tant que nous ne serons pas capables de défendre des positions uniques, nous serons réduits à l’impuissance.
L’Union européenne a quatre Présidents.
Une hydre à quatre têtes ne fait pas une puissance.
Le moment est donc venu de donner à la Présidence de la Commission des attributions claires et respectueuses des prérogatives des États, de clarifier le rôle du Président du Conseil européen, de supprimer cette absurdité des présidences tournantes, qui revient à changer de priorités européennes tous les six mois, quand les grands empires autour de nous défendent des stratégies à vingt ans.
Il est temps que les voix de la sagesse européenne soient des voix de rupture. Bruno Le Maire
Le moment est également arrivé de mettre en place le vote à la majorité qualifiée dans les domaines économiques et financiers, au lieu du droit de veto : sans quoi jamais nous ne pourrons avoir de budget commun de la zone euro, jamais nous ne choisirons un ministre des Finances capable de porter la voix de nos intérêts financiers, jamais nous ne pourrons durablement lever de dette en commun pour financer nos nouvelles priorités, comme la défense et les nouvelles technologies.
Pour avoir négocié avec Olaf Scholz la dette en commun en réponse au Covid-19, je peux témoigner que les nuits blanches de négociation pour arracher un accord ne sont plus appropriées à la vitesse des temps actuels.
Il est impératif de changer les règles de gouvernance tout simplement pour gagner en vitesse d’exécution. Nous avons mis des années à nous mettre d’accord sur une constellation de satellites capables de rivaliser avec Starlink, nous mettrons des années à réaliser un nouveau lanceur spatial pour succéder à Ariane 6 — alors que nous disposons d’un des meilleurs sites de lancement au monde avec Kourou, des meilleurs ingénieurs, des technologies les plus avancées dans les propulseurs. Notre lenteur torpille nos atouts.
Nous devons avancer au rythme du monde, pas à notre rythme. Sans quoi le monde avancera sans nous.
Deux : une stratégie.
Que veut Donald Trump ? Assurer la suprématie des États-Unis et affaiblir la Chine.
Que veut Xi Jinping ? Faire de la Chine la première puissance de la planète et contenir les États-Unis.
Que veut Vladimir Poutine ? Restaurer la puissance russe dans les frontières de l’Union soviétique.
Que veut l’Europe ? Personne ne sait répondre à cette question. Nous nous sommes enfermés depuis des décennies dans le concept d’une « Union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe ». Mais une Union pour quoi faire ? Pour quelle fin ?
Partons d’une idée simple : notre vocation est la démocratie. Cette forme politique de plus en plus contestée dans le monde, nous devons la défendre. Nous devons aussi apporter la preuve de son efficacité, pour notre prospérité comme pour notre sécurité.
Revenons donc à la base : les États-Nations.
Les États-Nations sont la grande création politique de notre continent : ils doivent donc rester le moteur du fonctionnement européen, en prévenant le risque de plus en plus élevé que leurs divisions les jettent impuissants dans les bras des empires. Comment ? Toujours par le vote à la majorité qualifiée et par le regroupement des États volontaires autour de politiques plus approfondies.
Que veut l’Europe ? Personne ne sait répondre à cette question. Bruno Le Maire
À la base encore : nous ne pouvons plus laisser à un organe par essence technocratique le monopole de décisions par essence politiques. Cette faille démocratique nourrit un ressentiment de plus en plus fort contre le caractère prétendument despotique des décisions de Bruxelles. Si nous voulons éviter un écroulement des démocraties sous les coups des partis extrêmes, nous devons redéfinir le rôle de la Commission. Nous devons assurer un contrôle de subsidiarité plus puissant, pour éviter les empiètements de la Commission dans des domaines qui relèvent de la compétence nationale. Nous devons mettre fin à son monopole de l’initiative législative.
En définitive, nous devons stopper de toute urgence la dérive technocratique de l’Union européenne pour en refaire un projet réellement politique.
Un nouvel équilibre doit être défini entre les pôles de pouvoir européens. Leur écheveau inextricable doit être dénoué sans délai. Nous sommes en train de nous enfoncer de plus en plus dans une complexité angoissante pour les citoyens, inefficace pour les peuples, dommageable pour nos économies.
Des États-Nations dont les prérogatives sont garanties par leur Constitution, une nouvelle Commission qui ne dispose plus du monopole d’initiative législative, un principe de subsidiarité mieux respecté, une extension des votes à la majorité qualifiée : ce sont les décisions qui redonneront du sens politique au projet européen, en lui redonnant son caractère démocratique.
Nous devons stopper de toute urgence la dérive technocratique de l’Union européenne pour en refaire un projet réellement politique.Bruno Le Maire
Comme je le proposais en 2016, ce nouvel équilibre devra être soumis à référendum en France.
Je connais les arguments qui militent contre le référendum et qui m’avaient été opposés alors : le risque de rejet, le souvenir cuisant de 2005, le précédent du Brexit, la possibilité de se prononcer dans le cadre des élections européennes.
En résumé : le sujet est trop important pour que le peuple se prononce directement.
Je pense exactement l’inverse : le sujet est trop important pour que le peuple ne se prononce pas directement.
Et le véritable risque désormais est que le silence démocratique produise du chaos politique, sous forme de prise de pouvoir partout en Europe des extrêmes.
En France, n’oublions pas que nous nous sommes affranchis du vote populaire de 2005 par la ratification parlementaire de 2008. Jamais nous ne refermerons cette blessure démocratique si nous ne redonnons pas au peuple français la voix sur ce qui engage son avenir au premier chef : le projet européen.
Trois : une puissance.
On pourrait retourner à l’Europe la question que posait Staline au Pape : « L’Europe, combien de divisions ? »
Dans le cas européen, nous aurions de quoi répondre.
Nous pourrions répondre : nos démocraties, le respect des droits individuels, la protection contre les accidents de la vie, notre culture, notre diversité linguistique.
Nous pourrions répondre : nos 450 millions de consommateurs parmi les plus riches de la planète.
Nous pourrions répondre : notre monnaie unique, nos marchés financiers, nos banques.
Nous pourrions répondre : nos scientifiques, nos laboratoires de recherche, nos nouvelles entreprises, notre expertise dans les domaines aéronautique, nucléaire, ferroviaire, chimique.
Vénus ne va pas devenir Mars en trois jours. Mais Vénus peut prendre une lance et un bouclier pour faire valoir ses intérêts.Bruno Le Maire
Une seule chose nous fait défaut : la conscience de cette puissance, par conséquent la capacité à établir des rapports de force.
Il faut nous faire violence.
Nous devons entrer dans le XXIe siècle en acceptant les logiques de force qui nous sont imposées par les nouveaux empires et en leur résistant.
Un exemple : la monnaie. La dollarisation de l’économie mondiale est une des obsessions compréhensibles de Donald Trump. Mais cette volonté entre en contradiction de plein fouet avec sa politique commerciale agressive, qui pourrait entraîner une hausse des taux. Inquiets, les acheteurs de bons du Trésor américain se tournent vers l’or : offrons-leur de se tourner vers l’euro. Les échanges commerciaux continuent à être majoritairement libellés en dollars : pourquoi pas en euros ? Ces deux orientations renforceraient le caractère de monnaie de réserve de l’euro, par conséquent la main de l’Union européenne sur la scène internationale.
La puissance est conscience et exercice de la puissance. Depuis 5 ans, nous avons su sanctionner Google, nous avons su voter les règles DSA-DMA sur le numérique, nous avons su imposer des tarifs douaniers aux véhicules électriques chinois. Nous avons su montrer les dents lorsque cela était nécessaire. La France a été moteur dans ce mouvement, en étant la première nation européenne à mettre en place la taxation des GAFAM le 11 juillet 2019.
Nous y avons chaque fois gagné le plus important de tout : le respect.
Vénus ne va pas devenir Mars en trois jours. Mais Vénus peut prendre une lance et un bouclier pour faire valoir ses intérêts.
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Parmi les mots les plus galvaudés de la vie politique contemporaine, il y a le mot : « crise ».
Tout est crise.
La génération actuellement au pouvoir et la génération qui vient nourrissent ce sentiment d’une « crise perpétuelle ». Triste horizon, qui ne peut nourrir que le repli sur soi, la défiance, le découragement.
Je voudrais faire partager une conviction intime : la « crise » est le produit de nos renoncements, en réalité le meilleur est toujours possible pour nous, Européens.
La rage de défendre notre modèle de civilisation européenne peut renverser des montagnes.Bruno Le Maire
Oui, tout montre le contraire : le retour des Empires, la guerre qui frappe à nos portes, la domination technologique américaine et chinoise, l’accélération du changement climatique en même temps que le renoncement aux politiques volontaristes dans ce domaine, les victoires des extrêmes dans tous les États membres.
Mais la volonté collective peut beaucoup plus que nous ne le pensons.
La rage de défendre notre modèle de civilisation européenne peut renverser des montagnes.
Il suffit de le croire collectivement.
Il suffit de le porter collectivement.
« I lost time and now does time waste me » 7, regrette le Richard II de Shakespeare.
Ne laissons pas le temps nous perdre.
Prenons-le à la gorge.
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