L’année 2023 sera-t-elle l’année où la Hongrie et la Pologne rentrent dans le rang des États membres qui respectent les valeurs de l’Union européenne ? Rien n’est moins sûr car, à Budapest comme à Varsovie, les réformes demandées par l’Union se font attendre. Le président polonais, Andrzej Duda, a renvoyé devant le Tribunal constitutionnel, début février, une loi censée mettre fin aux abus disciplinaires contre les juges. Le gouvernement hongrois n’a toujours pas finalisé les réformes destinées à rendre plus transparente la gestion des marchés publics et à renforcer la lutte contre la corruption.
Que ces mesures soient discutées indique néanmoins que le rapport de force a changé. 2022 a été une année charnière dans les efforts de l’Union européenne pour combattre les atteintes à l’État de droit dans ses États membres. Pour la première fois, un ensemble d’outils nouveaux et anciens, spécifiques à la question ou non, structurels ou conjoncturels, ont pu être utilisés pour tenter de renverser la tendance à l’œuvre depuis plusieurs années, principalement en Hongrie et en Pologne, de remise en cause de l’indépendance de la justice, de l’équilibre entre pouvoirs et contre-pouvoirs, et de certains droits considérés comme fondamentaux.
Jusqu’alors, l’Union européenne disposait d’outils en matière d’État de droit mais qui avaient démontré leurs limites. La procédure de l’article 7, souvent décrite comme « l’option nucléaire », continue de stagner au Conseil, où seules cinq auditions de la Pologne et quatre de la Hongrie ont été organisées depuis l’ouverture des procédures contre les deux pays, respectivement en décembre 2017 et septembre 2018. Alors que les atteintes à l’État de droit et aux valeurs sont largement documentées, et pour certaines condamnées par les tribunaux européens (CJUE et CEDH), le vote au Conseil européen, à l’unanimité, prévu par l’article 7 pour constater « l’existence d’une violation grave et persistante » de l’État de droit, n’aura probablement jamais lieu, ni même celui possible au Conseil des ministres qui pourrait simplement « constater qu’il existe un risque clair de violation grave« .
De plus, la Commission semble être arrivée aux limites de la logique des procédures d’infraction, dans la mesure où les gouvernements en place à Budapest et à Varsovie refusent de tenir compte des arrêts de la CJUE auxquels aboutissent les procédures. La Hongrie, malgré un arrêt de novembre 2021, n’a pas amendé ses lois dites « Stop Soros » destinées à empêcher l’aide aux demandeurs d’asile. Elle n’a pas non plus modifié les règles dans les zones de transit à sa frontière avec la Serbie en dépit d’une condamnation par la CJUE en décembre 2020. Dans cette affaire, la Commission a renvoyé la Hongrie devant la Cour pour demander des sanctions pécuniaires, mais cette dernière n’a pas encore statué. La Commission a également déposé un recours devant la CJUE en décembre 2022 contre la loi dite de protection de l’enfance, considérée comme violant les droits fondamentaux des LGBT, que le gouvernement hongrois maintient malgré une procédure d’infraction lancée en juillet 2021.
La Pologne n’a respecté aucun des arrêts et ordonnances rendus par la CJUE au sujet de ses réformes de la justice, en particulier du régime disciplinaire des juges. Soumis à une astreinte journalière de 1 million € par jour depuis octobre 2021 pour non-respect de l’ordonnance du 14 juillet 2021 exigeant la suspension de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, l’État polonais refuse de payer et a déjà perdu plus de 360 millions € de fonds européens, suspendus par la Commission dans le cadre de l’astreinte. Le gouvernement polonais a même défié la Commission et la Cour de Justice en saisissant le Tribunal constitutionnel pour qu’il déclare, en octobre 2021, que la Cour outrepassait ses pouvoirs et que le traité sur l’Union européenne est en partie incompatible avec la Constitution du pays. Cette décision du Tribunal constitutionnel fait elle-même l’objet d’une procédure d’infraction lancée en décembre 2021, avec une nouvelle saisine de la CJUE annoncée en février 2023.
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Une fenêtre d’opportunité
Dans ce contexte, la Commission et les États membres ont tiré profit d’une fenêtre d’opportunité créée par le calendrier institutionnel et les événements. D’une part, le nouveau cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027, entériné fin 2020, prévoit un nouvel instrument, le règlement instaurant une conditionnalité budgétaire en cas de violation de l’État de droit, et une version actualisée du règlement sur les dispositions communes aux programmes de cohésion. Ce dernier introduit des conditions dites « favorisantes » dont dépendent le versement des fonds de cohésion, qui sont spécifiques aux objectifs d’un programme, ou horizontales, c’est-à-dire applicables à l’ensemble des programmes. Dès la conception de son budget, l’Union européenne s’est donc dotée des moyens de lier l’outil budgétaire à la panoplie pour l’État de droit.
Proposée par la Commission en 2018 et définitivement adoptée en décembre 2020, la conditionnalité budgétaire est potentiellement l’instrument le plus efficace. Le régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union n’est pas un mécanisme de sanction couvrant l’ensemble des questions liées à l’État de droit. Pour qu’il soit applicable, il faut que les violations constatées menacent « d’une manière suffisamment directe » la bonne gestion du budget ou la protection des intérêts financiers de l’Union.
Pour cette raison, la CJUE a estimé que le mécanisme ne « contourne pas » la procédure de l’article 7. La conditionnalité budgétaire diffère des autres outils car elle déplace les procédures du terrain des valeurs, propice au relativisme politique, à celui des finances, tout en permettant de démontrer le fonctionnement de la corruption. L’autre particularité du mécanisme est la sanction qu’il porte, lourde à la fois financièrement et symboliquement puisque touchant à la distribution des fonds européens, l’un des fondements de la solidarité européenne. Cette dernière repose, comme l’a rappelé la CJUE, sur la confiance mutuelle qu’entretiennent les États membres dans « l’utilisation responsable des ressources communes« . Les gouvernements hongrois et polonais ont bien compris le péril puisqu’ils ont été les seuls à s’opposer à l’adoption du règlement sur la conditionnalité et à saisir la Cour.
Par ailleurs, et en parallèle de l’adoption du budget pluriannuel, la pandémie de Covid-19 et ses conséquences ont amené l’Union européenne à mettre en place le plan NextGenerationEU de 750 milliards €, mis en œuvre à partir du printemps 2021 pour soutenir et aider les États membres à relancer et moderniser leur économie, dans lequel est intégrée la Facilité pour la reprise et la résilience, dotée de 672,5 milliards €. Chaque plan national a été élaboré par les gouvernements, puis validé par la Commission et le Conseil, et les versements des subventions et/ou prêts européens, qui s’étalent jusqu’en 2026, dépendent de la réalisation de « jalons » (milestones) et de « cibles » (targets) détaillés dans le plan. S’il veut bénéficier des crédits du plan de relance, chaque État membre doit donc faire ce à quoi il s’est engagé. Le fonctionnement de la facilité introduit de fait une conditionnalité, qui n’est pas spécifique à l’État de droit, pleinement utilisée sur cette question par les institutions européennes.
En outre, les plans de relance et le programme de cohésion ont permis de faire converger des outils déjà à disposition de la Commission pour essayer de faire respecter l’État de droit, mais qui, utilisés séparément, avaient jusqu’alors fait preuve de peu d’efficacité. Ainsi le rapport annuel sur l’État de droit dans les États membres, publié depuis 2020 sans être systématiquement examiné par le Conseil[1], ne comprend des recommandations que depuis 2022, lesquelles ne sont accompagnées d’aucun mécanisme contraignant de mise en œuvre ou de vérification. De même, le semestre européen, cycle de la gouvernance économique, budgétaire et sociale de l’Union, est intégré dans la panoplie d’outils de l’Union en matière d’État de droit, par le biais des recommandations par pays, qui peuvent contenir des recommandations concernant l’administration et la justice lorsque leur fonctionnement a des incidences sur la vie économique ou le budget de l’État. Mais ces recommandations n’impliquent, là encore, ni obligation ni mécanisme contraignant. Cependant, en utilisant ces deux types de recommandations pour définir les objectifs à remplir dans les plans de relance post-covid, la Commission les a dotés d’un nouveau pouvoir, puisque de leur application dépend les versements de fonds. Plutôt que les valeurs, le biais utilisé est celui de l’efficacité économique, étant entendu qu’une justice plus efficace et plus prévisible parce qu’indépendante, ou une lutte renforcée contre la corruption, sont plus favorables au climat des affaires et à la croissance.
De surcroît, la facilité de reprise et de résilience étant intégrée au budget de l’Union, le mécanisme de conditionnalité budgétaire peut s’appliquer si l’état du système judiciaire venait mettre en péril les intérêts financiers de l’Union. L’utilisation combinée des instruments de conditionnalité liés au budget communautaire et des jalons à atteindre dans les plans de relance démultiplie ainsi la capacité de l’Union à contraindre les États membres à modifier leurs pratiques en matière d’État de droit.
L’exemple hongrois
Tous ces éléments ont fini de se mettre en place en 2022. Le 16 février, la Cour de Justice a rejeté les recours de la Hongrie et de la Pologne contre le règlement instaurant la conditionnalité budgétaire. La Commission a ainsi pu formellement déclencher le mécanisme le 27 avril à l’encontre de la Hongrie, observant « une incapacité, une impossibilité ou une réticence systémiques des autorités hongroises à empêcher les décisions contraires au droit applicable en matière de marchés publics et de conflits d’intérêts, et donc à lutter de manière adéquate contre les risques de corruption« . La procédure a abouti le 15 décembre à la suspension de 6,3 milliards €, correspondant à 55 % des fonds européens prévus pour la Hongrie dans les trois programmes de la politique de cohésion qui fonctionnent le plus par le biais de marchés publics. Dans un premier temps, la Commission avait, en septembre, proposé une suspension de 65 %, mais le Parlement hongrois a adopté en octobre et novembre deux lois, dites « omnibus », destinées à répondre aux demandes de l’Union. Une Autorité pour l’intégrité et un groupe de travail chargé de la lutte contre la corruption ont ainsi été créés, une stratégie de lutte contre la fraude et la corruption a été élaborée pour la période 2021-2027, les mécanismes d’audit et de contrôle de l’utilisation des fonds européens ont été renforcés, et le nombre d’appels d’offre avec soumission unique a été réduit lorsque les projets concernés sont financés par l’Union.
Dans sa décision de suspendre une partie des fonds de cohésion, le Conseil a cependant constaté que « d’importantes faiblesses compromettent toujours gravement le caractère approprié des mesures correctives qui sont de nature horizontale, structurelle et systémique » et souligné que le bien-fondé des mesures doit être démontré dans la pratique et par une période de mise en œuvre plus longue. Les mesures prises par la Hongrie sous la menace de pertes financières constituent donc un progrès, mais un progrès limité, qui a incité les institutions à accentuer leur pression par une utilisation généralisée de la conditionnalité.
Tout en suspendant les fonds de cohésion en application du mécanisme de conditionnalité budgétaire, le Conseil a adopté le plan de relance et de résilience présenté par la Hongrie, d’un montant de 5,8 milliards €, en y incluant vingt-sept « super jalons » concernant la justice, la transparence des marchés publics, ainsi que la lutte contre la fraude, la corruption et les conflits d’intérêts. Ces vingt-sept mesures correspondent aux insuffisances constatées dans la procédure du mécanisme de conditionnalité et reprennent des recommandations exprimées dans le cadre du semestre européen. Le Conseil a précisé que ces jalons devront avoir été « pleinement et correctement » mis en œuvre avant que la Hongrie ne puisse déposer sa première demande de paiement.
Le 22 décembre 2022, la Commission a approuvé l’accord de partenariat avec la Hongrie pour la politique de cohésion 2021-2027, pour un montant total de près de 22 milliards €. Elle y pose l’indépendance de la justice comme condition horizontale, c’est-à-dire pouvant justifier la suspension de l’ensemble des 22 milliards € prévus dans le programme, et soumet le versement des fonds à la mise en œuvre des vingt-sept super-jalons requis dans le cadre du PRR. Elle pose également une série de conditions favorisantes spécifiques à quelques programmes, notamment en matière de droits des LGBT et de droit d’asile. Dans les deux cas, la Commission tente d’obtenir par la conditionnalité les changements que la Hongrie a jusqu’à présent refusé d’opérer en faisant l’objet de poursuites devant la Cour de Justice.
La Hongrie représente donc une sorte de cas d’école de la manière dont l’Union européenne peut déployer de manière large et complémentaire les différents types de conditionnalité à sa disposition, avec pour l’État membre en question le risque potentiel de perdre un total de près de 30 milliards € d’ici 2027, soit un cinquième de son PIB de 2022.
Le cas polonais
La Pologne, qui est comme la Hongrie sous le coup de la procédure de l’article 7 et fait davantage l’objet que la Hongrie de procédures d’infraction et d’arrêts de la Cour de Justice en matière d’État de droit, est moins visée par les divers instruments de conditionnalité.
La Commission n’a pas déclenché le mécanisme de conditionnalité budgétaire à son encontre, estimant qu’elle ne pouvait pas démontrer que les atteintes à l’indépendance des juges menacent directement la gestion du budget et les intérêts financiers de l’Union, comme l’exige le règlement. Elle a conclu dès juin 2022 l’accord de partenariat avec la Pologne pour le programme de cohésion, d’un montant de 76,5 milliards €, sans mentionner a priori de quelconques conditions favorisantes qui laisseraient planer le risque pour la Pologne d’une suspension de fonds. En revanche, elle a utilisé, comme pour la Hongrie, le plan de reprise et de résilience pour imposer des mesures remédiant à certaines atteintes à l’État de droit.
Approuvé par le Conseil en juin 2022, le plan polonais, doté de 35,4 milliards € (23,9 milliards € de subventions et 11,5 milliards € de prêts), exige en particulier que le système disciplinaire des juges soit transféré à une autre juridiction que la chambre disciplinaire de la Cour suprême. Il exige aussi que les juges sanctionnés par la chambre disciplinaire de la Cour suprême puissent bénéficier d’une révision de leur cas par une juridiction conforme au droit européen. Parmi les objectifs à atteindre figure aussi le droit pour les tribunaux polonais de soumettre des questions préjudicielles à la CJUE et de vérifier si un juge remplit les conditions d’indépendance et d’impartialité et a bien été « établi par la loi »[2]. Concernant les pratiques du gouvernement dirigé par le parti Droit et Justice (PiS), le plan requiert une amélioration du travail législatif, en particulier par l’introduction des consultations publiques et l’utilisation limitée des procédures accélérées au Parlement.
Comme dans le cas de la Hongrie, les jalons requis reprennent des recommandations précédemment faites dans le cadre du mécanisme sur l’État de droit ou du semestre européen. Et de manière similaire, la décision validant le plan précise que « la Pologne devrait atteindre ces jalons avant de présenter la première demande de paiement et aucun paiement au titre de la facilité ne peut être effectué avant cela« . Pour recevoir les 35,4 milliards € de son plan de relance, le gouvernement polonais devra donc défaire en grande partie le système judiciaire mis en place pour avoir une magistrature à sa main. L’enjeu et la pression économique sont importants, puisque le plan représente environ 5 % du PIB polonais de 2022, et que le potentiel de croissance apporté par le plan est estimé par la Commission entre 1,1% et 1,8% d’ici 2026, alors que les dernières prévisions de croissance du pays sont de l’ordre de 0,4% en 2023 et 2,5% en 2024.
La confirmation roumaine
Par un effet d’opportunité et de logique politique, les plans de reprise et de résilience sont ainsi devenus l’instrument principal d’action de l’Union européenne en matière d’État de droit. Leur mode de fonctionnement, qui soumet les versements de fonds à la réalisation d’objectifs fixés à l’avance, ainsi que l’importance des sommes en jeu constituent un levier puissant pour contraindre les gouvernements à faire ce qu’ils refusaient, ou tardaient, à accomplir.
On trouve une confirmation de ce constat avec un autre État membre, la Roumanie, dont les problèmes en matière d’État de droit ont été moins spectaculaires ces dernières années, mais néanmoins persistants.
Depuis son adhésion en 2007, la Roumanie est soumise à un instrument particulier, le Mécanisme de coopération et de vérification (MCV), dont le but est de faciliter et suivre les réformes du système judiciaire et l’amélioration de la lutte contre la corruption. Le MCV, qui était censé fonctionner par incitation à agir, en particulier par la pression des pairs, ne prévoyait pas de sanctions en cas d’absence de progrès. La Cour de Justice a tout de même jugé en 2021 que le MCV avait un caractère contraignant, soulignant que « la Roumanie est tenue de prendre les mesures appropriées pour réaliser lesdits objectifs [du MCV] et de s’abstenir de mettre en œuvre toute mesure risquant de compromettre la réalisation de ces mêmes objectifs. »
En novembre 2022, après quinze ans de faibles progrès ponctués de retours en arrière au gré des différents gouvernements au pouvoir à Bucarest, la Commission a estimé que les progrès accomplis par la Roumanie étaient « suffisants » et a proposé de clôturer le MCV[3]. Entretemps, certaines des mesures attendues depuis longtemps dans le cadre du mécanisme ont été prises en vertu du plan de reprise et de résilience.
Doté de 29 milliards € en subventions et prêts, le PRR de la Roumanie prévoit cent-sept mesures d’investissements et soixante-quatre réformes. Parmi ces dernières, insérées dans le pilier « santé, résilience économique et sociale », dans un chapitre sur la bonne gouvernance, se trouvent plusieurs objectifs concernant la justice et la lutte contre la corruption. Parmi les objectifs à atteindre pour prétendre à un premier versement figuraient des réformes de l’éducation, des chemins de fer et de la gestion de l’eau, mais aussi l’adoption d’une stratégie anti-corruption. La Roumanie a reçu 2,6 milliards € le 27 octobre 2022.
Parmi les jalons à atteindre pour le prochain versement figurent la réforme de lois sur la justice, le statut des magistrats, l’organisation judiciaire et le Conseil supérieur de la magistrature, qui étaient demandées dans le cadre du MCV depuis 2018 et qui ont finalement été promulguées en novembre 2022.
D’ici la fin du plan en 2026, la Roumanie devra également mettre en œuvre une stratégie de développement du système judiciaire, modifier le code pénal et le code de procédure pénale, et faire entrer en vigueur des lois consolidées sur l’intégrité et la révision des codes d’éthique et de conduite du gouvernement. Le PRR fixe même des objectifs très précis comme un taux d’occupation de 85% des postes de procureurs de la Direction nationale de lutte contre la corruption d’ici au 30 juin 2023, la mise en œuvre d’au moins 70% des mesures prévues dans la nouvelle stratégie de lutte contre la corruption d’ici au 31 décembre 2025, et une augmentation de 50 % de la valeur des biens gérés par l’Agence nationale pour la gestion des biens saisis.
Les limites de la stratégie
La conditionnalité associée aux versements des fonds du plan de relance a été utilisée, pour l’instant, avec succès dans le cas de la Roumanie, dont le gouvernement actuel, contrairement à plusieurs de ses prédécesseurs, est plutôt disposé à régler les problèmes identifiés par les institutions européennes. Si le déploiement des différentes conditionnalités dans le cas de la Hongrie et de la Pologne démontre l’ampleur de la gamme des instruments disponibles et l’importance des sommes en jeu, son efficacité reste pour l’heure hypothétique.
La raison principale, en contraste avec l’exemple roumain, est que les gouvernements en place à Budapest et à Varsovie ne sont pas spontanément enclins à remédier aux atteintes à l’État de droit qu’ils ont eux-mêmes commises. Si la pression économique engendrée successivement par la pandémie, l’inflation et la guerre en Ukraine ne leur a guère laissé d’autre choix que de négocier les termes d’un plan de relance aux conditions de l’Union, ils peuvent être tentés de gagner du temps pour se recréer des marges de manœuvre à la faveur des circonstances. Tandis que la stratégie du président polonais, qui retarde l’adoption de la loi sur le système disciplinaire des juges, condition qui permettrait un premier versement, s’inscrit probablement dans des manœuvres politiques au sein de la majorité au pouvoir, l’attitude du Premier ministre hongrois suscite beaucoup de doutes sur ses motivations et intentions profondes.
Malgré les mesures concédées à l’automne qui ont permis de réduire le montant des fonds de cohésion suspendus par l’Union européenne, la Hongrie semble se radicaliser dans son opposition aux objectifs, aux valeurs et aux intérêts de l’Union. Cette évolution est la plus flagrante dans la proximité affichée avec la Russie, la Biélorusse et la Chine, ainsi que dans des blocages répétés lors des discussions sur les sanctions contre la Russie en raison de la guerre en Ukraine. La saisine de la Cour de Justice par la Commission, en février 2023, contre la Hongrie pour avoir voté par deux fois contre la position de l’Union à l’Organisation mondiale de la santé, est un signe de la préoccupation envers un État membre qui s’affranchit de plus en plus de ses obligations de membre d’une communauté politique et de valeurs.
L’évolution de la Hongrie et de la Pologne depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine offre d’ailleurs un contraste qui a des conséquences dans la gestion par l’Union européenne de la question de l’État de droit. La Pologne est, de par sa position géographique et son positionnement politique, une pièce centrale du dispositif stratégique de l’Union et de l’OTAN face à la guerre en Ukraine, qu’il s’agisse de l’accueil des réfugiés, du maintien de lignes de communication et d’approvisionnement ou de l’organisation matérielle du soutien militaire. Dans les institutions, on reconnaît à demi-mot que cette situation justifie une certaine souplesse dans le dialogue avec Varsovie, tout en essayant de rester ferme sur les objectifs de rétablissement de l’État de droit.
Cela soulève la question du degré d’exigence dans l’élaboration des objectifs et l’évaluation de leur mise en œuvre. Pour la Hongrie, la Pologne et la Roumanie, comme pour les vingt-quatre autres États membres, la liste et le calendrier des jalons et cibles est le fruit d’un dialogue plus ou moins intense et difficile entre les Etats membres qui ont conçu leurs plans et la Commission qui les a évalués et approuvés avant la validation par le Conseil. Dans le cas de la Pologne au printemps, et de la Hongrie à l’automne, le dialogue est devenu un travail en commun des gouvernements et de la Commission pour laborer le plan. Le compromis trouvé avec la Pologne pour approuver le plan de relance a suscité de nombreuses critiques, y compris au sein de la Commission, puisque Frans Timmermans et Margrethe Vestager se sont opposés à l’accord trouvé, et que les deux commissaires en charge de la justice, Vera Jourova et Didier Reynders, ont exprimé leurs doutes dans des lettres adressées à Ursula von der Leyen.
Une question de pilotage politique
En octobre 2021, la présidente de la Commission avait publiquement fixé trois conditions pour approuver le plan polonais : « démanteler la chambre disciplinaire, abolir ou réformer le régime disciplinaire, et entamer un processus de réinstallation des juges« . Or, le plan adopté permet le transfert de la chambre disciplinaire vers une autre cour, la Cour administrative suprême, ce qui lui permet de continuer d’exister, et la révision des cas des juges sanctionnés par une nouvelle juridiction ne garantit pas leur réinstallation. La conformité des mesures prises avec les ambitions de départ, qui reflétaient les exigences de la Cour de Justice, reste donc soumise à une appréciation de la Commission qui aura une dimension politique.
Or le pilotage politique des conditionnalités par la Commission n’est pas univoque. Les discussions sur les plans de relance ont été menées par les services des commissaires aux portefeuilles économiques, Valdis Dombrovskis et Paolo Gentiloni. De même, les échanges avec la Hongrie à propos des mesures à prendre pour répondre à la procédure du mécanisme de conditionnalité budgétaire ont été principalement gérées par les services du commissaire au budget, Johannes Hahn. Les objectifs et exigences de ces services financiers ne sont pas les mêmes que ceux de leurs collègues de la DG Justice qui sont traditionnellement en charge des instruments traditionnels de la panoplie sur l’État de droit. La Commission devra, à terme, trouver un équilibre interne entre les prismes économique et juridique afin de gérer au mieux l’utilisation des conditionnalités. La puissance potentielle du mécanisme de conditionnalité budgétaire, des conditions favorisantes dans les programmes de cohésion, et des jalons des plans de reprise et de résiliences ne sera effective que si la Commission maintient une ligne claire et exigeante dans leur application.
De même, la Commission ne pourra assurer l’efficacité de ces nouveaux instruments que si elle tire tout le parti de leur combinaison avec les instruments classiques comme les procédures d’infraction et une utilisation pertinente des recommandations du mécanisme de l’État de droit et du semestre européen. Cela est d’autant plus nécessaire que les conditionnalités ne peuvent pas couvrir toutes les violations de l’État de droit, car les contraintes du droit ne permettent pas d’appliquer une logique de sanctions financières de manière systémique. Le mécanisme de conditionnalité n’est légal que parce qu’il impose de démontrer un lien direct entre les violations de l’État de droit et le budget européen, et les jalons imposés dans les plans de relance doivent avoir une justification économique et sociale, puisque la facilité pour la reprise et la résilience est légalement basée sur les compétences de l’Union européenne en la matière.
Les récentes saisines de la Cour à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne constituent à cet égard un signe positif. En utilisant pour la première fois l’article 2 TUE pour fonder ses poursuites à l’encontre d’un État membre, en l’occurrence la Hongrie, dans la procédure d’infraction concernant la loi sur la protection des enfants, la Commission a laissé entendre qu’elle continuait d’élargir son interprétation des traités pour nourrir son action sur la base de la jurisprudence de la Cour de Justice[4]. Pour sa part, le Conseil ne peut uniquement s’appuyer sur ces instruments et doit poursuivre la procédure de l’article 7 en maintenant la possibilité d’un vote sur le « risque clair de violation grave » en Hongrie et en Pologne si la situation ne s’améliore pas dans les deux États. Le premier test pour les deux institutions viendra si l’un de ces deux États membres présente des réformes qui ne répondent toujours pas aux demandes de l’Union, ou s’ils ne manifestent pas prochainement l’intention de légiférer.
Pour l’Union européenne, la résolution ou non de la question de l’État de droit est liée à deux échéances à moyen terme. La première est relative à l’issue du scrutin parlementaire en Pologne à l’automne 2023. Une alternance politique, après deux mandats du parti au pouvoir Droit et Justice, faciliterait un retour vers une coopération politique et un système judiciaire plus conforme aux valeurs et aux traités. La seconde aura lieu au second semestre 2024 lorsque la Hongrie prendra la présidence du Conseil de l’Union, suivie de la Pologne au premier semestre 2025. Si l’orientation politique du gouvernement polonais dépendra alors des élections de l’automne 2023, il est certain, sauf imprévu, que le gouvernement de Viktor Orban assurera la présidence hongroise et sera donc en mesure d’en influer l’agenda.
La mise en place des conditionnalités a renforcé la main de l’Union européenne face aux États qui violent ses valeurs de manière systémique. Il lui appartient de ne pas les priver de leur efficacité.
A contribué à cette étude : Amandine Guérin, assistante de recherche à la Fondation.
[1] Seul le rapport sur la situation générale dans l’Union est examiné chaque année par le Conseil Affaires générales. Les rapports sur les États membres ne sont discutés que par groupes de cinq, en suivant l’ordre protocolaire, de manière non régulière. Les rapports concernant la Hongrie et la Pologne n’ont été qu’une fois à l’ordre du jour, respectivement en avril 2022 et décembre 2022.
[2] Les juges nommés depuis les réformes considérées comme anticonstitutionnelles, du Tribunal constitutionnel, de la Cour suprême et du Conseil national de la magistrature, ne sont plus considérés comme « établis par la loi ».
[3] Un MCV avait également mis en place pour la Bulgarie, qui a aussi adhéré à l’Union en 2007. La Commission a proposé en 2029 de clôturer le mécanisme pour la Bulgarie. La clôture n’a pas été formellement décidée, mais la Commission ne publie plus de rapport de suivi.
[4] L’article 2 TUE est celui qui liste les valeurs communes sur lesquelles est fondée l’Union. C’est sur la violation de ces valeurs que se base la procédure de l’article 7 mais il n’avait jamais été avancé dans les procédures d’infraction. La CJUE y a fait référence pour la première fois dans son arrêt de février 2022 rejetant les recours hongrois et polonais contre le mécanisme de conditionnalité budgétaire.
Etat de droit : le pari incertain de la conditionnalité (robert-schuman.eu)
Comment l’UE conditionne-t-elle les fonds européens au respect de l’état de droit ?
Dans les tuyaux depuis plusieurs années, l’idée de conditionner l’attribution des fonds européens au respect des valeurs européennes s’est concrétisée en décembre 2020 avec l’adoption d’un mécanisme de conditionnalité des fonds européens au respect de l’état de droit.
Le principe est simple : si un pays se rend coupable de violations de l’état de droit, l’Union européenne peut décider de suspendre les différentes aides financières à destination de cet Etat. Une procédure déclenchée pour la première fois à l’encontre de la Hongrie le 27 avril 2022. La présidente de la Commission européenne en avait annoncé le lancement trois semaines plus tôt, seulement deux jours après la réélection de Viktor Orbán à la tête du pays. Le 12 décembre 2022, les ambassadeurs des Vingt-Sept sont parvenus à un accord pour confirmer la mise en route du mécanisme : le Conseil a ainsi décidé de suspendre 6,3 milliards d’euros dédiés au pays.
Pourquoi lier les fonds européens au respect de l’état de droit ?
Les traités européens prévoyaient déjà un régime de sanctions en cas de violation des valeurs européennes et de l’état de droit. Figurant à l’article du 7 du traité sur l’Union européenne, cette procédure vise la Pologne depuis 2017, ainsi que la Hongrie à partir de 2018. Cinq ans après le le lancement de la première, les chances d’être menée à son terme sont très faibles, voire inexistantes. Car son aboutissement doit être décidé à l’unanimité des Vingt-Sept moins une voix, or Budapest et Varsovie se sont mutuellement assurées de leur protection. Une situation de nouveau dénoncée par le Parlement européen en septembre 2022, dans un rapport dénonçant le “délitement de la démocratie, de l’État de droit et des droits fondamentaux en Hongrie, faisant du pays un régime hybride d’autocratie électorale”.
Afin de contourner ces blocages, les parlementaires européens, la Commission ainsi que plusieurs Etats membres ont proposé des alternatives, parmi lesquelles la conditionnalité des fonds européens. Celle-ci vise un double objectif : sanctionner financièrement les Etats coupables de violations de l’état de droit, et éviter que le budget européen ne soit utilisé à mauvais escient par des gouvernements agissant en contradiction avec les valeurs de l’Union.
Formellement proposée par la Commission européenne en mai 2018, l’idée avait été avancée en 2017 par le commissaire européen au Budget de l’époque, l’Allemand Günther Oettinger, et défendue par de nombreux eurodéputés.
En 2020, le sujet est revenu au cœur des débats entre les Vingt-Sept. Le volume important du budget pluriannuel de l’Union européenne pour l’exercice 2021-2027, associé au plan de relance de 750 milliards d’euros, a poussé certains Etats membres à réclamer des mécanismes de contrôle plus importants.
Après un accord au Conseil européen de juillet, puis à celui de décembre 2020, le “règlement relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union” a finalement été adopté le 16 décembre 2020.
Si l’UE s’autorise pour la première fois à suspendre le versement de fonds européens pour des motifs liés à l’état de droit, elle a déjà eu recours à un tel blocage pour d’autres raisons. En 2013, la Hongrie en a fait les frais en raison d’un déficit public trop élevé.
Pourquoi la Commission a-t-elle enclenché le mécanisme contre la Hongrie ?
S’adressant devant le Parlement européen en session plénière le 5 avril 2022, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé que la procédure inédite allait être activée pour la première fois à l’encontre de la Hongrie. Quelques jours plus tard, le 27 avril, l’exécutif européen déclenchait formellement le mécanisme en le notifiant à Budapest, qui disposait de 60 jours pour répondre.
Avant de brandir cette arme législative, la Commission avait envoyé un courrier en novembre 2021 au gouvernement hongrois pour lui exprimer ses inquiétudes au sujet de problèmes de passation de marchés publics, de conflits d’intérêts et de corruption. Ce problème étant devenu endémique en Hongrie, à l’origine également du blocage du plan de relance hongrois par l’exécutif européen.
Le 12 décembre 2022, les ambassadeurs des Vingt-Sept sont finalement parvenus à un compromis. Alors que la Commission proposait de geler 7,5 milliards d’euros, le Conseil a finalement opté pour 6,3 milliards.
Concrètement, le mécanisme de conditionnalité doit être activé par la Commission européenne si celle-ci constate une violation avérée de l’état de droit, qui compromettrait la bonne utilisation des fonds européens dans un Etat membre. Elle peut également choisir de déclencher le mécanisme de manière préventive, s’il existe un risque clair et sérieux de violation de l’état de droit.
Une fois le dispositif activé et des sanctions proposées, il revient au Conseil de l’UE d’adopter des mesures en se prononçant à la majorité qualifiée, et ce dans un délai d’un mois (trois dans des cas exceptionnels).
Sans surprise, l’instauration d’un tel mécanisme ne s’est pas faite sans obstacles. Notamment car elle a nécessité l’unanimité des Vingt-Sept. Or la Hongrie et la Pologne, déjà visées par des procédures pour non-respect de l’état de droit, s’estimaient (à juste titre pour la Hongrie) tout particulièrement concernées par ce nouvel outil.
La négociation autour de sa mise en place a donc nécessité plusieurs compromis :
Le mécanisme de conditionnalité inclut par ailleurs une clause permettant de ne pas sanctionner injustement les bénéficiaires finaux, au sein de l’Etat membre concerné. “Pour nous, il était crucial que les bénéficiaires finaux ne soient pas punis pour les fautes de leurs gouvernements et qu’ils continuent à recevoir les fonds qui leur ont été promis et sur lesquels ils comptent, même après le déclenchement du mécanisme de conditionnalité”, explique la co-rapportrice du Parlement européen Eider Gardiazabal Rubial. Ainsi, les bénéficiaires finaux des fonds européens s’estimant lésés par les éventuelles sanctions visant leurs gouvernements peuvent déposer en ligne une plainte auprès de la Commission, afin de recevoir directement de la Commission les montants dus, court-circuitant ainsi leur gestion par les autorités nationales.
Les fonds du plan de relance “gelés”
Avant d’activer finalement le mécanisme de conditionnalité, la Commission a longtemps retardé la validation des plans nationaux de relance de la Pologne et de la Hongrie, des documents nécessaires à l’obtention des fonds européens en réaction à la pandémie de Covid-19. Les deux pays avaient pourtant respectivement déposé leurs plans nationaux les 3 et 12 mai 2021. La Commission a longtemps estimé qu’ils présentaient des manquements sur l’indépendance de la justice et l’efficacité des mécanismes de lutte contre la corruption.
Le 17 juin 2022, plus d’un an après son dépôt, le Conseil a approuvé le plan de relance polonais d’un montant de 35,4 milliards d’euros (23,9 milliards d’euros de subventions et 11,5 de prêts), deux semaines après une évaluation positive de la Commission européenne. Le 12 décembre 2022, la Conseil validait -en même temps que l’accord sur la conditionnalité des fonds- celui de la Hongrie de 5,8 milliards d’euros.
Pour autant, au 27 mars 2023, pas le moindre euro du plan de relance n’a été versé à Budapest et Varsovie. Les deux gouvernements doivent encore présenter des réformes afin de bénéficier des fonds, conformément aux décisions de la Commission validées par le Conseil.
Dans quels cas de figure ce mécanisme peut-il être déclenché ?
Les cas d’application du mécanisme sont source de débats au sein des institutions européennes.
Si l’on s’en tient au texte, le règlement inclut une définition de l’état de droit impliquant “l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste”, ainsi que les principes de “droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi”, tels que définis dans l’article 2 du traité sur l’Union européenne. La mise en péril de ces principes peut donc être considérée comme une violation de l’état de droit, explique un rapport sénatorial français, et donner lieu à l’activation du mécanisme.
Pourquoi a-t-il pris tant de temps à être mis en œuvre ?
Le mécanisme de conditionnalité à l’état de droit des fonds européens est officiellement entré en vigueur le 1er janvier 2021.
Toutefois, la Pologne et la Hongrie ont longtemps cherché à l’enterrer. Les deux Etats avaient pour cela déposé un recours début mars 2021 devant la Cour de justice de l’Union européenne, contestant la légalité du mécanisme. Selon la déclaration politique signée par les Etats membres en décembre 2020, celui-ci ne pouvait être mis en œuvre qu’après le verdict de la Cour. Il s’appliquerait néanmoins de manière rétroactive : “toute violation survenant après le 1er janvier 2021 sera prise en compte”, rappelait ainsi en décembre 2020 la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
Le 16 février 2022, la CJUE a rejeté dans un arrêt les recours déposés par la Hongrie et la Pologne qui contestaient notamment la base juridique du texte. Pour les juges, le mécanisme de conditionnalité “a été adopté sur une base juridique adéquate” et “respecte en particulier les limites des compétences attribuées à l’Union ainsi que le principe de sécurité juridique”.
Dès lors, la balle était dans le camp de la Commission. Pendant plusieurs mois, les eurodéputés ont fait pression sur l’exécutif européen pour qu’il mette en route le mécanisme, considérant que ce dernier s’applique pleinement depuis le 1er janvier 2021. Le Parlement européen avait déjà soumis à la CJUE une action en justice contre la Commission pour sa non-application du règlement sur la conditionnalité. A l’annonce de la décision de la Cour, les eurodéputés ont d’ailleurs renouvelé leur appel à l’action. “Il n’est plus temps de jouer la montre, et la Commission doit maintenant agir rapidement et sans équivoque”, avait alors déclaré l’eurodéputé finlandais Petri Sarvamaa (PPE, centre-droit), en charge du dossier.
La présidente de la Commission a également pris la parole le 16 février 2022. “Lorsque les conditions du règlement seront remplies, nous agirons avec détermination”, a-t-elle affirmé. Le 2 mars suivant, l’exécutif européen a adopté ses lignes directrices sur le régime général de conditionnalité visant à protéger le budget de l’UE contre les violations des principes de l’état de droit.
Droit européen et droit polonais
Depuis de nombreux mois, Bruxelles et Varsovie se livrent à un bras de fer sur la question de la primauté du droit européen. Le 7 octobre 2021, le tribunal constitutionnel polonais affirmait dans un arrêt que certains articles des traités européens étaient incompatibles avec sa Constitution nationale, alors que la Cour de justice de l’Union conteste la compatibilité de la réforme de la justice dans le pays avec le droit de l’UE. Deux mois et demi plus tard, l’exécutif européen annonçait en guise de réplique l’ouverture d’une procédure d’infraction à l’encontre de la Pologne. En février 2023, la Commission européenne a de nouveau saisi la Cour contre Varsovie, à la suite d’arrêts du Tribunal constitutionnel polonais contestant la primauté du droit européen.