Christophe Préault
Le Royaume-Uni quitte formellement l’Union européenne le 1er janvier 2021. C’est la fin du long feuilleton du Brexit, lancé en juin 2016. Après quarante-huit ans de vie commune, souvent agitée, Britanniques et Européens se séparent de façon ordonnée, après avoir signé un accord qui encadre leurs relations futures.
L’accord de « commerce et de coopération » signé le 24 décembre 2020 entre l’Union européenne et le Royaume-Uni entre en vigueur le 1er janvier 2021. Cet accord commercial d’environ 1 300 pages couvre les échanges de biens et de services, mais aussi un large éventail d’autres domaines (investissement, concurrence, aides d’État, fiscalité, transport, énergie, environnement, pêche, protection des données…). Il établit également un nouveau cadre de coopération policière et judiciaire. Cet accord vient compléter l’accord de retrait, signé en octobre 2019, consacré, entre autres, aux droits des citoyens européens et britanniques, aux engagements financiers mutuels et à la stabilité sur l’île d’Irlande.
Signé le même jour, mercredi 30 décembre, par le Conseil européen, représentant les 27 États membres, et les députés britanniques, le texte doit encore être adopté par le Parlement européen, début 2021. Après une période de transition (février-décembre 2020), le Royaume-Uni quitte donc formellement l’Union européenne le 1er janvier 2021.
Voici quelques points clés qui régiront désormais les relations entre Britanniques et Européens.
Commerce. L’accord de « commerce et de coopération » signé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne repose sur le principe du libre échange : absence de droits de douane et de quotas dans les échanges de marchandises. C’était le point principal de discussion entre les deux parties, considérant que les échanges commerciaux entre l’Union européenne et le Royaume-Uni s’élèvent à 700 milliards d’euros par an. Le Royaume-Uni souhaitait toujours profiter du marché de 450 millions de consommateurs qu’offre l’Union européenne et inversement vis-à-vis des 66 millions de consommateurs britanniques. Ce sera le cas pour les biens et services, mais les entreprises du Royaume-Uni pour profiter de cet accord unique devront se plier aux règles et normes européennes (voir Concurrence).
Pas de droits de douane, donc, mais la réinstauration d’un contrôle aux frontières, avec des déclarations d’importation et d’exportation pour les deux parties. Ces déclarations vont néanmoins générer de nouvelles démarches administratives et de nouveaux coûts dans les échanges.
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Concurrence. L’Union européenne avait une crainte : voir s’installer un paradis fiscal à sa porte, un « nouveau Singapour » qui aurait créé une concurrence déloyale sur le continent européen. Avec cet accord, en contrepartie de l’accès au marché unique, le Royaume-Uni sera soumis aux règles européennes en matière d’environnement, de droits sociaux, de fiscalité, de sécurité alimentaire, d’aides d’État (…). Ainsi, le Royaume-Uni ne pourra pas s’engager dans une pratique déloyale de dumping en tout genre. Néanmoins, l’UE n’a pas réussi à imposer un « alignement dynamique » des normes britanniques sur les normes européennes à chaque évolution. Londres s’est engagé à maintenir des standards élevés. Pour autant si un écart devenait trop important sur un critère, l’une des parties pourra réinstaurer des droits de douanes (voir Gouvernance).
Gouvernance. Signer un accord, c’est bien. En assurer la bonne application c’est mieux. Rapidement, lors des négociations s’est donc posé la question de savoir qui trancherait un éventuel désaccord ou un non-respect des règles édictées. L’UE souhaitait que la Cour de justice européenne tranche les éventuels désaccords. Ligne rouge pour le Royaume-Uni ! Ce sera donc un Conseil de partenariat qui supervisera la mise en œuvre de l’accord. Composé de représentants de l’UE et du Royaume-Uni, le Conseil de partenariat se réunira dans des configurations différentes en fonction de la question traitée et se prononcera sur les litiges, notamment sur l’instauration de droits de douane si l’une des parties s’estime lésée. Ce système de règlement des différends couvre la plupart des domaines de l’accord, y compris l’égalité des conditions de concurrence et la pêche. En outre, chaque point de l’accord peut faire l’objet d’une demande de renégociation par l’une des parties selon des dispositions préétablies.
Pêche. En quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni reprend possession pleine et entière de ses eaux territoriales, jusqu’ici partagées avec les pêcheurs européens sous l’égide de la Politique commune de la pêche (PCP). La négociation maritime a relevé d’un enjeu plus symbolique qu’économique, puisque ce secteur représente 0,1% du PIB britannique et 650 millions d’euros pour l’UE (à comparer aux 700 milliards d’échanges commerciaux). Mais Boris Johnson avait fait de l’accès aux eaux territoriales britanniques une question de souveraineté maritime. L’UE a donc dû faire des concessions. Ainsi, les pêcheurs européens devront renoncer à 25% de leurs prises dans les eaux britanniques. Certes, loin des premières exigences du Premier ministre britannique qui exigeait 80%, puis encore 60% il y a peu.
Cet accord court jusqu’à l’été 2026, soit pendant cinq ans et demi. Ensuite, le partage sera renégocié annuellement, offrant l’opportunité au Royaume-Uni de reprendre progressivement le contrôle de l’accès à ses eaux. L’UE devrait accompagner financièrement cette transition et aider les pêcheurs affectés par cet accord.
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Sécurité. Le nouvel accord prévoit une poursuite de collaboration des autorités policières et judiciaires dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Les deux parties continueront à partager l’ADN, l’immatriculation des véhicules, toutes les informations analytiques pertinentes, les empreintes digitales et les informations sur les passagers (PNR) et coopéreront par l’intermédiaire d’Europol. Le Royaume-Uni désignera un point de contact national qui servira de point de contact central entre Europol et les autorités compétentes britanniques. Il en sera de même avec Eurojust, chargé de renforcer la coordination et la coopération des enquêtes judiciaires, ainsi que les poursuites relatives à la criminalité.
En revanche, le Royaume-Uni n’a pas souhaité inclure dans l’accord les questions de politique étrangère, sécurité extérieure et défense. Il n’est donc pas envisagé de coordination dans ces domaines, ni de réponses communes.
Circulation des personnes. Fin de la libre circulation des Européens au Royaume-Uni et inversement le 1er janvier 2021. Les procédures ne changeront pas pour les courts séjours, chaque Européen se déplaçant pour loisirs ou affaires sur le sol britannique devra présenter ses papiers d’identité (carte d’identité jusqu’au 30 septembre 2021, puis passeport au 1er octobre) simplement subira-t-il des contrôles aux frontières. Les visas seront nécessaires pour les séjours de plus de six mois. A noter que la carte européenne d’assurance maladie ne sera plus valable, tout comme le permis de conduire national ne sera plus reconnu de part et d’autre de la frontière.
Le changement majeur concerne les Européens souhaitant travailler au Royaume-Uni : au 1er janvier 2021, il faudra un visa de travail obtenu grâce à une offre d’emploi avec un salaire minimum de 26 500 livres (environ 30 000 euros). Le Royaume-Uni veut éviter la course aux petits jobs, de nombreux Européens débarquant sur le sol britannique, et ainsi donner la priorité aux locaux. Les Européens résidant au Royaume-Uni et les Britanniques dans l’UE conservent leur droit de résidence et de travail, selon l’accord de retrait négocié en octobre 2019.
Erasmus. Le Royaume-Uni abandonne ce programme phare de l’Union européenne, pour des « raisons financières » selon le Premier ministre britannique, estimant qu’Erasmus est beaucoup trop coûteux. Le Royaume-Uni aurait pu maintenir ce programme, puisque de nombreux pays non-membres de l’UE y participent, mais Boris Johnson a fait un autre choix annonçant la création d’un nouveau programme dédié aux étudiants britanniques souhaitant étudier à l’étranger.
Les étudiants européens actuellement en échange Erasmus dans les universités britanniques (environ 150 000) pourront terminer leur cursus, mais aucun nouveau programme ne sera engagé à la rentrée 2021. Les étudiants européens pourront néanmoins suivre des études au Royaume-Uni, mais considérés comme des étrangers ils devront s’acquitter de droits universitaires plus coûteux (sauf accord d’échanges négociés de gré à gré entre écoles ou universités).
La finance et l’ensemble des services financiers ne font pas partie de l’accord de libre-échange. Théoriquement, le 1er janvier 2021, la City ne pourra donc plus vendre ses produits financiers au sein de l’Union européenne. Mais de nombreuses dérogations ont déjà été accordées et des banques ou fonds d’investissements installés à Londres ont migré dans d’autres pays de l’UE, Paris en ayant par exemple bénéficié, comme d’autres grandes capitales européennes.