Ukraine : la Russie et le droit international – Fondation Robert Schuman

Grain de sel GB : Alors que la Russie vient de reconnaître l’autonomie des régions séparatistes de l’Ukraine, l’Union européenne s’apprête à décider de sanctions et le spectre de la guerre inquiète les esprits. La Fondation Robert Schuman propose une analyse des enjeux juridiques de cette crise aux portes de l’Europe.

Les actions russes en Ukraine – depuis 2014 – et les tensions auxquelles elles donnent lieu occultent
les aspects juridiques de ces agressions ouvrant ainsi la voie à la propagande et aux approximations.
Pour contribuer à mieux comprendre les enjeux, la présente contribution se limite aux aspects juridiques
d’une question, par ailleurs éminemment politique.

Longtemps la diplomatie russe s’est attachée au respect strict et formel des règles du droit
international, s’y « cramponnant » parfois pour résister aux revendications des peuples. Même
lors de la succession de l’URSS, cette constante a été respectée. Cependant, les agissements en
Crimée et dans le Donbass depuis 2014 ont marqué l’abandon de ce formalisme alors que la diplomatie
du Kremlin met en avant la nécessité de conclure de nouveaux traités avec les Etats-Unis et les Etats
européens pour consacrer ses revendications.

Depuis 1945, le continent européen n’avait pas connu de questionnement aussi dramatique
que celui de la remise en cause par la Russie des frontières issues du Second conflit mondial,
et confirmées notamment par l’Acte final de la Conférence d’Helsinki en 1975. Ni l’éclatement de
l’Union soviétique, ni la réunification allemande, deux évènements d’importance majeure,
n’avaient donné lieu à un tel revirement russe.

Quelles qu’en soient les raisons, en effet, la réapparition, depuis 2008 aux confins de l’Union
européenne, de l’usage de la force armée et de méthodes bannies du continent, est pour l’Union
et ses dirigeants une interpellation très violente, puisqu’elle s’est construite sur le droit et par
le droit, qu’elle fonctionne, y compris dans les difficultés, grâce au droit, accepté et respecté et
que cela l’avait conduite à profiter d’une stabilité exceptionnelle au regard de son douloureux passé.

En annexant la Crimée et en participant à la remise en cause de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, la Russie de Vladimir Poutine viole les textes fondamentaux des Nations unies, les statuts du Conseil de l’Europe dont est membre la Russie, au moins deux traités régionaux organisant la paix en Europe et deux traités bilatéraux signés avec l’Ukraine, ainsi, au passage, que les constitutions d’Ukraine et de Crimée.


LA CHARTE DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES

L’article 2 §4 de la Charte de l’ONU fonde les principes de l’inviolabilité des frontières, du respect de l’intégrité territoriale des États et de l’interdiction du recours à la force. Plusieurs actes, déclarations et accords conclus dans le cadre de l’Organisation, rappellent l’impératif de règlement pacifique des différends, de non-ingérence ou de l’interdiction de la menace dans les relations internationales.

On peut notamment citer la résolution 2625, « Déclaration relative aux principes du droit, international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », adoptée le 24 octobre 1970 par l’Assemblée générale. Ce texte anticipe même la « guerre hybride » en des termes précis.

Le 14 décembre 1974, l’ONU, par une résolution 3314 de la même Assemblée générale, définit le concept
d’agression, y incluant plusieurs des actes auxquels s’est manifestement livré la Russie en Crimée et dans l’Est de l’Ukraine (occupation militaire, invasion, bombardements, passage de bandes armées). On comprend mieux d’ailleurs, à la lecture de ce document, que la Russie, membre du Conseil de Sécurité, se refuse à admettre la présence de plusieurs milliers de ses troupes en Ukraine, ce qui la conduirait à une inévitable condamnation par l’ONU au titre de nombre de textes signés par elle. Mais ces précautions ne sont même pas efficientes pour la Crimée, dont l’occupation ne sera vraisemblablement reconnue ni par l’ONU, ni par la plupart de ses membres.

L’ACTE FINAL DE LA CONFÉRENCE D’HELSINKI

La Conférence d’Helsinki (1er août 1975) a organisé le respect des frontières en Europe et donné naissance à l’OSCE, dont est membre la Russie. Sa Charte confirme les principes ci-dessus énoncés. Elle les décline et les confronte à la spécificité de la situation européenne du moment, celui de la guerre froide devenue l’équilibre de la terreur puis la détente. Il s’agit d’un accord régional déclinant la Charte des Nations unies, destiné à donner un contenu concret à la détente entre les deux blocs. Il
consacre les principes d’inviolabilité des frontières, de l’intégrité territoriale des États, du règlement pacifique des différends, de la non-intervention dans les affaires intérieures, mais aussi du respect des droits de l’Homme et des minorités, de l’égalité des droits des États et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans le cadre des lois et de l’exécution de bonne foi des obligations
assumées conformément au droit international. Il est assorti de mesures de confiance, par exemple l’obligation de notifier les manœuvres militaires, mais aussi de déclarations d’intention de coopérer dans toute une série de domaines, y compris la liberté d’information.

Par ses actions, la Russie, avec l’annexion de la Crimée en 2014, et avec la menace qu’elle fait de nouveau
peser sur la frontière ukrainienne depuis décembre 2021, fait fi de l’ensemble des parties de ce traité,
qui visait déjà des problématiques qui s’appliquent aujourd’hui à l’Ukraine, comme par exemple :
• « Ils (les États) ont aussi le droit d’appartenir ou de ne pas appartenir à des organisations
internationales, d’être partie ou non à des traités bilatéraux ou multilatéraux, y compris le droit
d’être partie ou non à des traités d’alliance » I §2 ;
• « Aucune considération ne peut être invoquée pour servir à justifier le recours à la menace ou à l’emploi
de la force en violation de ce principe » et : « ils (les États) s’abstiennent de toute manifestation de force
visant à faire renoncer un autre État participant au plein exercice de ses droits souverains » II §1 et 2,
• « Ils s’abstiennent aussi de toute exigence ou de tout acte de mainmise sur tout ou partie
du territoire d’un autre État participant » III
• « De même, les États participants s’abstiennent chacun de faire du territoire de l’un d’entre eux l’objet d’une occupation militaire ou d’autres mesures comportant un recours direct ou indirect à la force contrevenant au droit international, ou l’objet d’une acquisition au moyen de telles mesures ou de la menace de telles mesures. Aucune occupation ou acquisition de cette nature ne sera reconnue comme légale » IV.

Justifier de l’attroupement militaire à la frontière ukrainienne en évoquant un sentiment d’insécurité,
tente de dissimuler une violation consciente et complète depuis 2014 de l’ensemble des dispositions de ce texte, pourtant signé à l’époque par l’Union soviétique qui y voyait la reconnaissance de frontières fragiles puisqu’issues des combats et des rapports de force sur le terrain à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

LE CONSEIL DE L’EUROPE

La Russie a adhéré le 28 février 1996 au Conseil de l’Europe dont les statuts sont définis par le traité
de Londres. Aujourd’hui la Russie ne siège plus au Conseil de l’Europe. Réintégrée en 2019, elle refuse
d’y être représentée et de payer sa cotisation, car elle refuse notamment de respecter les quotas de genre de l’organisation. Auparavant, à trois reprises, la dernière fois en janvier 2015, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a estimé nécessaire de suspendre les pouvoirs de la délégation russe et sa participation aux différentes instances de l’Assemblée.

« Les pouvoirs non encore ratifiés de la délégation russe ont été contestés sur la base des articles 8.1 et 8.2 du Règlement de l’Assemblée parlementaire au motif que le rôle et la participation de la Fédération de Russie dans le conflit qui touche l’est de l’Ukraine, ainsi que le maintien de son annexion illégale de la Crimée, sont contraires au Statut du Conseil de l’Europe (STE n°1) ainsi qu’aux engagements qu’elle a
contractés lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, ce qui, d’une manière générale, remet en cause le respect par la délégation russe des principes de l’Organisation et des obligations imposées à ses États membres ».

Lors de l’annexion illégale de la Crimée, l’Assemblée réaffirmé que cet acte constituait une violation grave
du droit international, dont la Charte des Nations unies, l’Acte final d’Helsinki de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ainsi que le Statut du Conseil de l’Europe et les engagements contractés par la Russie lors de son adhésion à cette Organisation.
Le Conseil de l’Europe, qui incarne depuis son origine, l’Europe du Droit et des droits de l’Homme, s’est
préoccupé à de très nombreuses reprises de l’évolution inquiétante de l’État de droit en Russie, de ses atteintes répétées aux droits des minorités et des méthodes employées par elle tant en Géorgie en 2008, qu’en Crimée en 2014 et en Ukraine depuis cette date. L’Assemblée a émis pas moins de 17 vœux les condamnant et appelant la Fédération à remplir les obligations qu’elle a volontairement souscrites par son adhésion.

LES GARANTIES OFFERTES À L’UKRAINE DÉNUCLÉARISÉE

Le mémorandum de Budapest (5 décembre 1994), conclu entre la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni
et l’Ukraine, dont la France et la Chine sont aussi les garants comme « témoins », a permis la dénucléarisation de l’Ukraine, qui hébergeait le plus formidable arsenal nucléaire (1800 têtes nucléaires), contre la garantie expresse de la reconnaissance de ses frontières.

Signé de tous les membres permanents du Conseil de Sécurité, appliqué à grands renforts de moyens coûteux, financés principalement par les États-Unis mais scrupuleusement et entièrement, ce texte était aussi, dans le contexte de l’époque, un message adressé aux États qui caressaient des velléités nucléaires et qui, sous la pression de la communauté internationale unie, ont accepté d’y renoncer au cours des mêmes années 90.

L’Afrique du Sud, le Brésil, la Libye et d’autres encore, ont ainsi renoncé à l’arme nucléaire. Alors que les mêmes efforts tendent depuis des années à convaincre l’Iran de suivre leur exemple, on mesure ici l’ampleur des conséquences potentielles de la violation de ce traité par un État membre du Conseil de Sécurité de l’ONU qui s’était engagé, à titre bilatéral comme multilatéral, à les garantir.
Non seulement la garantie, la parole et la signature de la Russie s’en trouvent durablement affaiblies,
mais il en va de même de celles des plus grandes puissances de la planète, voire de l’ONU elle-même.

LE TRAITÉ RÉGLANT LA SUCCESSION DE L’UNION SOVIÉTIQUE

L’Acte constitutif de la Communauté des États indépendants (Traité de Minsk – 8 décembre 1991) qui a organisé la succession de l’URSS, empire constitué par la force et démantelé par l’échec, a garanti aux nouveaux États, en 1991, le respect de leurs frontières, la Russie renonçant à les contester. D’ailleurs l’Ukraine, contrairement à d’autres en Europe, avait gardé toujours l’apparence de son indépendance et disposait d’un siège au sein de l’ONU, même si elle n’avait le choix que de voter comme l’URSS.

LES TRAITÉS ET ACCORDS BILATÉRAUX SIGNÉS AVEC L’UKRAINE
L’accord d’amitié signé entre la Russie et l’Ukraine le 31 mai 1997 mettait spécifiquement l’accent sur le respect des frontières, ce qui prouve qu’il a été signé en parfaite connaissance de cause, car nul n’ignore l’histoire de la colonisation de la Crimée qui s’est traduite par son annexion en 1783 et la décision du Plenum du Comité central de l’URSS de 1954, la rattachant à l’Ukraine « du fait de (leurs) liens économiques particuliers ». L’accord sur la présence de la flotte russe, signé le 28 mai 1997 et renouvelé en 2010, organisait la répartition des navires de l’ex-URSS contre un dédommagement de
526 millions $, confirmait l’appartenance à l’Ukraine de ce territoire dont les facilités navales étaient louées à la Russie, contre un loyer annuel de 97 millions $, et précisait les conditions de stationnement des troupes russes (25 000 hommes, 132 véhicules blindés, 24 pièces d’artillerie).

LES ACCORDS DE MINSK

Les accords de Minsk, signés le 5 septembre 2014 et le 12 février 2015 entre la Russie, l’Ukraine et les Républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, prévoyaient un désengagement militaire des deux parties dans le Donbass. Le premier protocole s’accordait sur un cessez-le-feu, le retrait des troupes militaires, une décentralisation de l’État ukrainien, un statut spécial accordé aux territoires contestés et l’organisation d’élections locales, une zone tampon entre l’Ukraine et la Russie, la relaxe des prisonniers et des otages, une loi d’amnistie ukrainienne, ainsi que des programmes de reconstruction et d’aide humanitaires. La seconde version de ces accords concernait la mise en place concrète des décisions. Cependant, un désaccord majeur est apparu concernant l’ordre d’application de ces mesures. Ainsi,
le gouvernement russe refuse de retirer ses soldats tant que l’Ukraine ne réforme pas sa constitution en faveur d’un État décentralisé et tant que des élections ne sont pas organisées dans les territoires contestés. Le cessez-le-feu est donc régulièrement violé depuis 2015 et l’Ukraine ne contrôle pas à ce jour sa frontière orientale.

LES CONSTITUTIONS UKRAINIENNE ET DE CRIMÉE

En outre, tant la Constitution ukrainienne dans ses articles 73 et 132[5], que la Constitution de la
République autonome de Crimée dans ses articles 2 et 6, prévoient le respect des règles juridiques
du texte fondamental ukrainien et, notamment, l’hypothèse d’une modification des frontières qui ne
peut être décidée que par l’ensemble des Ukrainiens.

Ce sont ainsi au moins deux textes fondamentaux de l’ONU, cinq traités importants et deux
constitutions qui sont violés par l’annexion russe.

DES JUSTIFICATIONS INOPÉRANTES UTILISÉS EN 2014
La Russie a fait fi avec une inédite légèreté de nombre d’obligations résultant de son appartenance à
l’Organisation des Nations unies, arguant des libertés prises par d’autres nations au Kosovo, en Libye ou en Syrie, qui auraient outrepassé les mandats onusiens donnés récemment à certains États ou certaines
organisations (OTAN) pour venir à bout de crises graves.
Pourtant ces comparaisons ne sont pas justifiées. Le 22 juillet 2010, la Cour internationale de justice, saisie
pour avis par l’Assemblée générale des Nations unies a estimé « que la déclaration d’indépendance du Kosovo adoptée le 17 février 2008 n’a pas violé le droit international ».
Dans un arrêt de 105 pages, rendu à 10 voix contre 4 après auditions et contributions de tous les États
qui le souhaitaient, la Cour a constaté l’implication du Conseil de sécurité et les décisions de celui-ci, qui font partie du droit international, ainsi que l’enchaînement des circonstances et la recherche réelle, mais vaine par la communauté internationale, d’autres solutions (Plan Ahtisaari) susceptibles d’arrêter un génocide déjà basé sur des critères ethniques et religieux, ainsi que le statut juridique du Kosovo placé sous la tutelle du Conseil, conformément aux objectifs de la Charte de l’ONU.
Elle en a conclu que « la déclaration d’indépendance n’a pas violé la résolution 1244 (1999) du Conseil
de sécurité » et que « la déclaration d’indépendance n’a pas violé le cadre constitutionnel » du moment.
En Libye, le Conseil de sécurité a autorisé, en vertu du chapitre 5 de la Charte, l’usage de la force pour faire cesser un trouble grave et immédiat pouvant conduire à l’extermination de populations entières. Les « libertés » prises par les nations qui ont fait chuter le dictateur libyen n’ont en rien violé le droit. Elles l’ont interprété sous le contrôle du secrétaire général et du Conseil.
Il en aurait été de même en Syrie sans le veto russe réitéré aux propositions visant à faire cesser une guerre civile dont le bilan, de ce fait, ne cesse de s’aggraver. À court d’arguments juridiques, la diplomatie de Moscou est allée jusqu’à exhumer le précédent de l’indépendance des Comores, ratifiée par référendum sauf dans l’île de Mayotte, qui avait voté à plus de 98% pour rester territoire français, au grand dam de plusieurs États africains.

Mais les circonstances ne sauraient être comparables, car la France n’a jamais agi positivement pour annexer ce territoire, mais plutôt répondu à une demande massive et démocratique d’une population menacée. Ces très graves violations du droit de la part d’un membre permanent du Conseil de Sécurité s’accompagnent de l’utilisation d’arguments inacceptables et d’une diplomatie coercitive.

Aujourd’hui, la menace de violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine remet profondément en cause l’ordre international qui connaît déjà des importantes mutations. Les agissements et les justifications du Kremlin pourraient influencer d’autres pays et entraîner la création ou la réapparition de zones de tensions, en premier lieu la Chine, qui pourrait utiliser un précédent pour s’emparer de Taïwan.
Rappelons-nous que le 7 février 2015, Sergei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, devant la
Munich Security Conference, s’est efforcé de justifier en droit ces violations. Déclenchant par son outrance – ce qui est peu courant dans cette enceinte – des rires d’incrédulité, il n’a pas convaincu et l’on imagine le
désespoir des diplomates russes dont on connaît la qualité professionnelle. S’inscrivant dans la continuité du discours de Vladimir Poutine en 2007 devant la même assemblée, qui avait en effet marqué les esprits par son caractère offensif, il démontre que la Russie entend s’affranchir du droit pour la poursuite de ses objectifs politiques.

DES CONSÉQUENCES GRAVES

Comme dans la vie civile, les manquements aux obligations souscrites volontairement constituent, pour
les relations entre États, de graves précédents. En l’occurrence, la volte-face de la diplomatie russe quant
à la valeur des engagements internationaux peut entraîner des conséquences directes sur plusieurs théâtres et pour plusieurs cas difficiles qui occupent la communauté internationale.
L’élimination, ou au moins la diminution du nombre des armes nucléaires, a longtemps été un objectif partagé, y compris de part et d’autre du rideau de fer. Le cas de la Corée du Nord a même rallié à cette cause les grandes puissances asiatiques. Les négociations avec l’Iran et avec ce pays se trouvent évidemment fragilisées, voire tout simplement gravement mises en cause. Qui et comment pourrait-on garantir à un État abandonnant volontairement ce type d’armes, comme l’ont fait dans le passé l’Afrique du Sud, le Brésil ou la Libye, le respect de ses droits étatiques élémentaires que sont l’indépendance,
l’égalité, la non-ingérence et l’intangibilité de ses frontières ? Dans le cas de l’Ukraine, ils étaient garantis par tous les membres permanents du Conseil de Sécurité et confortés par des traités bilatéraux engageant les voisins.

L’attitude de la Russie est donc propice à une relance de la nucléarisation des relations internationales,
c’est-à-dire l’acquisition par tout État qui en a les moyens – ils sont de plus en plus nombreux – de
l’arme nucléaire, garantie ultime de son intégrité. Par voie de conséquence, c’est tout le régime déjà fragile du Traité de non-prolifération, qui se trouve ébranlé.

Le droit de la guerre se trouve profondément affecté par l’usage à grande échelle de « la guerre hybride », celle qui utilise des militaires dissimulant leurs uniformes ou des mercenaires et les attaques cyber. Alors que depuis le début du XXe siècle, le droit des conflits armés n’a cessé d’évoluer pour diminuer l’impact des conflits et tenter d’en atténuer les pratiques les plus répréhensibles, l’usage dissimulé de forces armées et de bandes irrégulières remet en cause les progrès accomplis, notamment pour interdire certains comportements, protéger les prisonniers et les combattants, sans parler des populations civiles. L’ensemble de l’architecture de ce droit complexe est ainsi fragilisé.
L’histoire dira s’il convient d’y voir une preuve de faiblesse, le réflexe typiquement russe de toujours vouloir agrandir un territoire déjà immense mais dont l’unité est fragile, l’expression d’un sentiment d’encerclement, d’une profonde humiliation après l’échec de la dictature communiste, la quête incessante de nouveaux horizons, en l’occurrence ceux des mers chaudes ou la nostalgie de l’empire. D’ores et déjà, l’Europe ne peut rester sans réagir à cette remise en cause de la stabilité sur le continent par la force au mépris d’un si grand nombre de traités et de textes juridiques contraignants.

Les efforts diplomatiques européens doivent être reconnus et soutenus car la réponse à la crise actuelle
doit être européenne et définie de manière autonome pour avoir une chance d’être durable. Elle ne saurait être seulement juridique, car l’interventionnisme et le révisionnisme russes, une défaite du droit, exigent aussi des réponses politiques fortes. Pour l’Europe, c’est aussi le rappel qu’une diplomatie active ne saurait se passer de « Hard Power ». On le savait déjà. En ce sens, l’adoption de la Boussole stratégique au mois de mars sous Présidence française du Conseil est essentielle pour donner aux Européens une véritable capacité de réaction.

Enfin, les intérêts communs de l’Union et de la Russie sont évidents à tout observateur et devraient faire l’objet d’un développement positif et concret plus systématique. Nul ne souhaite l’exacerbation des tensions et une épreuve de force. Mais est-il possible pour l’Europe de traiter avec un partenaire gouvernemental qui viole à ce point sa parole, qui se rit des principes même sur laquelle elle est fondée et qui est responsable d’un conflit ayant déjà entraîné 13 000 morts et 30 000 blessés ?

Le spectre de la guerre à nos frontières ne doit point affaiblir nos convictions fondatrices que le droit
reste le meilleur instrument pour régler les relations entre les États et entre les hommes. Ce n’est pas
faire preuve d’idéalisme que de le proclamer ; c’est au contraire rappeler une ardente nécessité pour la
stabilité et la sécurité des relations internationales.

La stratégie européenne pour un « New Deal » avec l’Afrique – Question d’europe N°620 – Fondation Robert Schuman (robert-schuman.eu)