Le maintien de la suspension des règles budgétaires de l’UE en 2023 ?

La Commission européenne a proposé, lundi 23 mai, d’autoriser les Etats membres à dépasser les règles budgétaires, les plafonds de déficit et de dette publique, pendant une année supplémentaire. Après la pandémie de Covid-19, c’est maintenant la guerre en Ukraine qui motive cette décision.

"Les gouvernements doivent avoir la souplesse d'adapter leurs politiques à des développements imprévisibles", a affirmé le commissaire européen à l'Economie Paolo Gentiloni, lundi 23 mai - Crédits : European Parliament / Flickr CC BY 2.0
Les gouvernements doivent avoir la souplesse d’adapter leurs politiques à des développements imprévisibles”, a affirmé le commissaire européen à l’Economie Paolo Gentiloni, lundi 23 mai – Crédits : European Parliament / Flickr CC BY 2.0

Le retour à plus de rigueur budgétaire attendra encore”, annoncent Les Echos. La Commission européenne a proposé, lundi 23 mai, de prolonger “d’un an la suspension des règles budgétaires de l’UE […] afin de donner de la flexibilité aux Etats membres pour faire face au ralentissement économique provoqué par la guerre en Ukraine” [Euronews].

Nous voulons soutenir la reprise post-pandémie et simultanément préparer la sortie avant 2030 de notre dépendance à l’énergie russe”, a expliqué Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de l’exécutif européen, cité par Les Echos. La prolongation de la souplesse budgétaire, en vigueur depuis mars 2020, “doit encore être validée par les 27 Etats membres” [Le Soir].

Un allongement discuté “lors des réunions des ministres des Finances de la zone euro (Eurogroupe) et de l’UE (Ecofin), ces lundi 23 et mardi 24 mai”, précise le quotidien belge. Alors qu’un “certain consensus se dégage désormais parmi eux en faveur” de cette perspective, les règles budgétaires européennes ne seront rétablies que “début 2024″ si les pays de l’UE approuvent la proposition de la Commission [Les Echos].

Sans cette clause dérogatoire exceptionnelle, “les Etats membres devraient […] maintenir leur déficit public à moins de 3 % de leur PIB et leur dette publique à moins de 60 % du PIB, ou la faire baisser suffisamment s’ils dépassent ce plafond”, rappelle La Libre. La souplesse dont il est question “est en rapport aux critères de convergence économique, aussi appelés ‘critères de Maastricht’ (simplement parce qu’ils ont été établis par le traité européen signé à Maastricht en 1993)”, souligne Le Soir.

À LIRE AUSSIDéficit : qu’est-ce que la règle européenne des 3 % ?

Des perspectives économiques incertaines

Cette nouvelle année de dérogation est, pour la Commission européenne, la conséquence des mauvaises prévisions économiques également dévoilées ce lundi.

Nous faisons face à l’une des plus grandes chutes que nous ayons répertoriée dans nos prévisions économiques. Alors que nous prévoyions en février une croissance de 4 % pour 2022, nous l’estimons [maintenant] à 2,7 %” dans l’UE, prévient le commissaire européen à l’Economie Paolo Gentiloni dans un entretien accordé à L’Opinion. Dans la zone euro, “la monnaie unique subit le choc économique provoqué par la guerre en Ukraine, mais aussi l’augmentation des prix alimentaires et de l’énergie […] et les perturbations sur les chaînes de production en Chine et sa politique du zéro Covid” [Euronews].

L’inflation record ne cesse de susciter l’inquiétude au sein des Vingt-Sept”, abondent Les Echos. Avec une augmentation de “l’incertitude tant pour les entreprises que pour les ménages” [Le Figaro]. Selon Paolo Gentiloni, cité par Les Echos, “les gouvernements doivent […] avoir la souplesse d’adapter leurs politiques à des développements imprévisibles”.

À LIRE AUSSIInflation : une hausse historique en Europe

Pas un chèque en blanc

Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, les règles budgétaires européennes avaient déjà été suspendues à partir de mars 2020. L’allègement avait “permis aux 27 pays membres d’engager des dépenses exceptionnelles de soutien aux ménages pour éviter un crash économique”, note Le Figaro.

Malgré la proposition de maintenir l’assouplissement budgétaire, Valdis Dombrovskis a tout de même appelé “les Etats à la rigueur”, estime TF1. “La politique budgétaire devra être prudente en 2023, en contrôlant la croissance des dépenses courantes primaires financées par l’Etat”, a ainsi déclaré le vice-président exécutif de la Commission européenne. La suspension des critères de Maastricht ne se résume donc “pas [à] un chèque en blanc” pour les Etats membres, prévient La Libre.

Petit rappel : le Pacte de stabilité

Créé en 1997, cet instrument vise à garantir une certaine discipline budgétaire des Etats de la zone euro, afin d’assurer la stabilité des prix et la croissance. Ses règles sont suspendues depuis 2020 en raison de l’impact économique du Covid-19 puis de la guerre en Ukraine.

Le pacte de stabilité et de croissance astreint les Etats membres à contrôler leur dette et déficit publique - Crédits : gaffera / iStock
Le Pacte de stabilité et de croissance astreint les Etats membres à contrôler leur dette et déficit publics – Crédits : gaffera / iStock

Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) instaure un ensemble de critères que doivent respecter les Etats membres pour assainir leurs finances publiques et coordonner leurs politiques budgétaires en contrôlant les déficits excessifs et en réduisant les dettes publiques trop élevées.

Il reprend les principes édictés dans le traité de Maastricht, qui pose les jalons de la monnaie unique : les Etats s’engagent à maintenir leur déficit en dessous de 3 % du PIB et leur dette publique à un niveau inférieur ou égal à 60 % de leur PIB.

Souvent critiquées et assouplies lors des périodes de crises (économique en 2008, sanitaire en 2020, guerre en Ukraine en 2022), ces règles sont au cœur d’un débat lancé par la Commission européenne en vue de leur révision.

Quels sont les obligations initiales du pacte ?

Le 17 juin 1997 à Amsterdam, le Conseil de l’UE a adopté une résolution instaurant le PSC et précisé ses règles dans deux règlements (1466/97 et 1467/97). Ce cadre de coordination budgétaire accompagne alors les préparations au lancement de la zone euro, prévu le 1er janvier 1999. Il a depuis été révisé à plusieurs reprises. 

Le PSC s’appuie sur deux piliers : un volet préventif et un volet correctif. Le volet préventif du pacte” est régi par le règlement n° 1466/97. Il fixe des objectifs budgétaires pour tous les Etats membres et notamment aux membres de la zone euro, dont le budget doit être proche de l’équilibre ou excédentaire.

À LIRE AUSSILa dette publique des Etats de l’Union européenne

À LIRE AUSSILe déficit public des Etats de l’Union européenne

Le volet correctif, vise les déficits excessifs conformément au règlement n° 1467/97 (il est aussi appelé “procédure concernant les déficits excessifs” ou PDE). Si un pays atteint un niveau de déficit excessif vis-à-vis des 3 % recommandés, qui semble inquiétant pour la Commission, le Conseil ECOFIN (conseil des ministres des Finances de l’UE) lui propose des recommandations en laissant un délai de 3 à 6 mois pour prendre des mesures de correction. Si aucune mesure n’est prise, le Conseil envisage d’imposer des sanctions au pays concerné.

À LIRE AUSSIDette et déficit : quelles sont les obligations des Etats en Europe ?

Comment ont-elles évolué ?

Après la mise en application officielle des règlements du PSC en 1998 et 1999, le Conseil a modifié certaines de ses règles en mars 2005. Les plafonds de déficit public (inférieur à 3 % du PIB) et de dette publique (inférieure à 60 % du PIB) sont réaffirmés. Mais un dépassement “exceptionnel et temporaire” des critères de Maastricht est alors toléré, afin de prendre en compte les réformes structurelles (portant sur les systèmes de santé et de retraite par exemple), les investissements dans la recherche et le développement, ou encore d’autres “facteurs pertinents” dans l’appréciation du respect de ces critères. Un Etat membre est également exonéré du respect de ces règles s’il entre récession (et non plus seulement en récession sévère avec une diminution de 2 % ou plus du PIB), et bénéficie de délais rallongés pour retrouver un déficit sous la barre des 3 %.

Avec la crise économique et financière de 2008, beaucoup d’Etats de l’Union se sont fortement endettés et ont creusé leurs déficits, bien au-delà des règles européennes. En 2009, le déficit français atteignait 7,5 % du PIB et la dette 77,6 %.

Les législateurs européens ont alors introduit, en 2011, un calendrier de supervision des économies nationales, appelé “Semestre européen”. Entre janvier et avril, le Conseil partage aux Etats membres des orientations stratégiques sur les politiques économiques à suivre. Forts de cette base, les pays de l’UE envoient à la Commission européenne leur programme annuel de stabilité (pour les membres de la zone euro) ou de convergence (hors zone euro) dans lesquels ils adoptent un objectif budgétaire à moyen terme (OMT). Ils joignent également les réformes nationales qu’ils prévoient de réaliser. Après évaluation par la Commission, le Conseil de l’UE établit des recommandations pour chaque pays (mai-juillet). Les pays peuvent ainsi intégrer ces recommandations dans l’établissement de leur budget national pour l’exercice suivant.

En 2012, le “Six-Pack” (paquet gouvernance économique) prévoit une plus large surveillance des politiques économiques des Etats. Il introduit notamment un rapport sur le mécanisme d’alerte, qui recense les pays méritant une attention particulière. Il permet à la Commission de demander des corrections aux projets des Etats membres. Lorsque des faiblesses sont identifiées, le Conseil peut à son tour émettre des recommandations préventives. Dans le cas de situations plus graves, le “Six-Pack” prévoit qu’un État sous “procédure de déséquilibres excessifs (PDE)” doive soumettre un plan de mesures correctives clair. Au-delà des déficits, les autres déséquilibres macro-économiques jugés “excessifs” peuvent désormais faire l’objet d’une procédure. D’autres critères sont néanmoins pris en compte avant l’ouverture d’une procédure : s’agissant de la dette par exemple, celle-ci n’est lancée que si l’excès (au-delà des 60 % du PIB) n’est pas résorbé de plus d’un vingtième par an.

En 2013, le “Two-Pack” (paquet surveillance budgétaire) complète le calendrier du Semestre européen. Le projet de budget pour l’année à venir doit être transmis à la Commission avant le 15 octobre, celle-ci l’examinant avant le 30 novembre. En cas de manquements graves, l’exécutif européen peut demander la révision de ce projet. La Commission accompagne également les pays visés par une procédure de déficit excessif en contrôlant les mesures prises pour le corriger et en émettant, au besoin, des recommandations.

Le PSC a été complété par un traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de 2012, plus connu sous le nom de “pacte budgétaire européen”.

Celui-ci contraint notamment les Etats membres, et prioritairement ceux de la zone euro, à financer leurs dépenses par leurs recettes et donc à limiter le recours à l’emprunt. C’est la fameuse “règle d’or”. Si les politiques budgétaires d’un Etat en divergent trop, la Commission recommande au Conseil d’ouvrir une procédure pour “écart significatif”. La Commission adresse alors un avertissement et le Conseil des recommandations de mesures à prendre au pays concerné afin d’améliorer sa gestion budgétaire. C’était le cas par exemple pour la Hongrie ou la Roumanie en 2018 et 2019.

À LIRE AUSSIQu’est-ce que le pacte budgétaire européen ?

Quelles sont les sanctions prévues ? 

Les Etats qui ne respectent pas les règles de coordination budgétaire peuvent être soumis à des sanctions. La procédure pouvant y conduire, après plusieurs étapes, est nommée “procédure de déficit excessif” (PDE). Elle est lancée par la Commission européenne contre un État membre qui dépasse le plafond de déficit budgétaire (ou de dette) imposé par le pacte de stabilité et de croissance. Les éventuelles sanctions sont alors votées par le Conseil sur la base d’une recommandation de la Commission.

Dans le cas des pays de la zone euro, elles prennent la forme d’un dépôt financier auprès de la Commission (0,2 % du PIB) qui peut être converti en amende définitive (jusqu’à 0,5 % du PIB) si le déficit excessif n’est pas comblé. Pour l’ensemble des pays membres, les sanctions peuvent également amener à une suspension des paiements des Fonds européens structurels et d’investissement.

Dans les faits, aucun pays placé en procédure de déficit excessif n’a réglé d’amendes. La France a été placée en procédure de déficit excessif en 2009 mais en est sortie en 2018. Enfin, la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont poussé l’UE à accorder une clause dérogatoire temporaire, dont la Commission européenne a proposé, le 23 mai 2022, le prolongement jusqu’au 1er janvier 2024. Celle-ci autorise les Etats membres à dépasser les plafonds afin de faire face aux fortes dépenses inhabituelles.

Vers une nouvelle révision ?

Face à la crise sanitaire puis géopolitique, plusieurs voix se sont élevées en Europe pour réviser une nouvelle fois le mécanisme de manière pérenne. La Commission, ainsi que plusieurs pays dont la France, l’Italie ou l’Espagne y sont particulièrement favorables. Mais l’Allemagne et d’autres pays du nord défendent quant à eux un retour au au PSC dans sa version traditionnelle. 

Un clivage qui reflète notamment les écarts de dette publique entre ces pays. Au Sud, celle-ci dépasse généralement les 100 % du PIB, tandis qu’au Nord elle se maintient plutôt entre 40 et 90 % du PIB.

A l’automne 2021, le commissaire européen à l’Economie Paolo Gentiloni a initié un débat sur une réforme du Pacte de stabilité et de croissance. Un projet depuis retardé par la guerre en Ukraine et les fortes dissensions entre Etats membres à son sujet. 

La Commission européenne propose de poursuivre la suspension des règles budgétaires de l’UE en 2023 – Touteleurope.eu

Qu’est-ce que le Pacte de stabilité et de croissance ? – Touteleurope.eu