Semi-conducteurs : réduire la dépendance européenne

Les Etats membres de l’UE et les parlementaires européens ont trouvé un accord politique, mardi 18 avril, pour développer l’industrie des semi-conducteurs en Europe. Objectif : éviter une pénurie de ces composants électroniques cruciaux et faire face à la concurrence mondiale.

Les députés européens ont approuvé le règlement sur les semi-conducteurs à 587 voix pour – Crédits : Mathieu Cugnot / Parlement européen

Proposé par la Commission européenne le 8 février 2022, le règlement sur les semi-conducteurs semble faire consensus au sein des institutions. Après s’être provisoirement accordé avec le Conseil en avril, le Parlement européen a largement approuvé le texte mardi 11 juillet en première lecture (587 votes pour et 10 contre), lors de sa session plénière à Strasbourg. Celui-ci doit désormais être examiné devant le Conseil de l’UE avant d’entrer en vigueur.

Les eurodéputés donnent ainsi leur feu vert pour garantir l’approvisionnement européen en semi-conducteurs et booster leur production sur le territoire de l’Union. Les semi-conducteurs, fabriqués à partir de métaux comme le silicium, le gallium et le germanium, sont des composants essentiels de nombreuses technologies du quotidien, telles que les voitures et les smartphones.

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Sécuriser l’approvisionnement

Le ‘Chips Act’ a pour objectif principal d’éviter de nouvelles pénuries en Europe. “Durant la pandémie, 45 % de nos chaînes d’approvisionnement ont été exposées à des pénuries de semi-conducteurs, avec une augmentation des prix pour les industriels et les consommateurs”, a souligné le rapporteur du texte Dan Nica (groupes des Socialistes & Démocrates) lors des discussions qui ont précédé le vote. Ces composants sont en effet produits pour l’essentiel en Asie et aux Etats-Unis. Le texte prévoit ainsi un mécanisme d’alerte permettant de mettre en œuvre des mesures d’urgence, tels que des achats groupés entre les Vingt-Sept.

Il vise également à consolider le tissu industriel européen sur le long terme. 3,3 milliards d’euros issus de fonds européens seront ainsi destinés à la recherche et l’innovation dans ce domaine. Par ailleurs, la législation renforcera les droits de propriété intellectuelle pour protéger le secteur. Enfin, le dernier pilier de ce texte vise à renforcer les partenariats commerciaux avec d’autres pays, comme le Japon avec lequel un mémorandum a été conclu la semaine dernière.

Un marché de 1300 milliards d’euros

Le marché des semi-conducteurs pourrait valoir 1 300 milliards de dollars d’ici 2030 – Crédits : Sankai / iStock »Ce sont les vitamines de la transition numérique, et l’Europe en a cruellement besoin« , débute Le Figaro. Les représentants du Conseil de l’UE et du Parlement européen sont parvenus à un accord en trilogue sur un plan de financement de l’industrie des semi-conducteurs, mardi 18 avril. « Dans le but de garantir la production locale d’une technologie cruciale qui est au centre d’une course effrénée à l’échelle mondiale« , explique The Irish Times.

Aussi appelée « Chips Act », cette législation « ouvre la voie à une vague de subventions » [Politico] afin de relocaliser la production de ces puces électroniques en Europe. Elle doit permettre à l’UE « de représenter 20 % de la chaîne de valeur mondiale de semi-conducteurs d’ici 2030« , alors que cette dernière ne pèse actuellement que 9 % du marché mondial, fait savoir Politico.

Mobiliser les investissements dans les semi-conducteurs

Pour y parvenir, « le texte prévoit de mobiliser 43 milliards d’euros d’investissements publics et privés dans le développement de centres de production » [Euronews]. Ce chantier « titanesque » repose sur trois piliers « dont le premier consiste à soutenir fortement la R&D et l’innovation vers les puces avancées« , précise Le Figaro.Le deuxième volet doit permettre un « [assouplissement des] règles de l’UE en matière d’aides d’Etat« , poursuit la chaîne de télévision Euronews. Bruxelles assume désormais « une politique industrielle interventionniste dans un continent traditionnellement très ouvert à la concurrence mondiale« , remarque France 24.

Sécuriser l’approvisionnementLe troisième pilier consiste en un mécanisme de réponse aux crises, qui permettra à l’exécutif européen de « privilégier l’approvisionnement des produits touchés par la pénurie, ou procéder à des achats communs pour les Etats membres« , indique L’Echo. »L’Europe prend son destin en main« , s’est réjoui sur Twitter le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton [L’Echo]. En effet, « les semi-conducteurs sont incontournables dans de nombreux objets du quotidien, comme les téléphones mobiles » [Les Echos], ou encore les voitures.

La pandémie de Covid-19 a mis en lumière « la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement » et la concentration des sites de production en Asie, souligne The Irish Times. Et la pénurie de semi-conducteurs qui s’en est suivie, freinant notamment l’industrie automobile, « a provoqué un électrochoc » [France 24].À LIRE AUSSILa Commission européenne présente un plan d’investissement massif pour les semi-conducteursCar l’essentiel des puces de moins de 2 nanomètres sont produites par TSMC à Taïwan et Samsung en Corée du Sud, détaille La Tribune.

En outre, la pression accrue exercée par la Chine autour de l’île de Taïwan a « fait prendre conscience de la nécessité de produire en Europe ces composants indispensables » [France 24]. Ce qui peut expliquer pourquoi l’accord a été conclu après des négociations de seulement un mois et demi. Des discussions achevées en « un temps record« , remarque L’Echo.Concurrence mondialeLe compromis trouvé mardi 18 avril vise aussi à rattraper les grands producteurs asiatiques ainsi que les Etats-Unis, ces derniers étant « leaderssur la conception de ces puces » [Le Figaro].

« Les semi-conducteurs sont d’ailleurs au cœur de la guerre à laquelle se livrent les Etats-Unis et la Chine pour la suprématie mondiale« , ajoute le quotidien. Le Figaro explique par ailleurs que le marché des semi-conducteurs explose : « il pourrait doubler pour atteindre 1 300 milliards de dollars en valeur d’ici à 2030« .Depuis que la Commission a présenté le Chips Act en février 2022, d’autres pays « sont allés de l’avant avec leurs propres programmes de subventions« , notamment les Etats-Unis qui ont déjà leur « Chips and Science Act » doté de 52 milliards de dollars, constate Politico. Des travaux ont été entamés « sur les sites de production d’Intel dans l’Ohio et de TSMC en Arizona« , poursuit le média. Et de l’autre côté de l’Atlantique, des entreprises comme Intel, STMicroelectronics et GlobalFoundries « se sont déjà engagées à construire des installations de plusieurs milliards d’euros en Allemagne et en France« .

Celles-ci demanderont à bénéficier de subventions nationales grâce à des règles relatives aux aides d’Etat assouplies par l’UE [Politico].The Irish Times fait savoir que le gouvernement irlandais espère aussi une augmentation des investissements sur son territoire. Dan Nica (S&D), l’eurodéputé qui dirige les négociations parlementaires sur ce dossier, a souligné que « les Etats-Unis avaient également l’intention de stimuler la fabrication de puces en Irlande« .La législation sur les semi-conducteurs doit encore être formellement approuvée par les Etats membres de l’UE et par le Parlement européen, « mais l’accord suggère qu’elle devrait franchir ces obstacles » sans problème [The Irish Times].

C’est un plan de très grande envergure. Pour réduire ses dépendances en matière de semi-conducteurs et retrouver une autonomie stratégique, l’UE va mettre sur la table près de 50 milliards d’euros d’ici à 2030, a annoncé vendredi Thierry Breton, commissaire européen en charge du marché intérieur lors d’un briefing. Soit 12 milliards d’euros, dont 6 milliards financés par la Commission, sur le volet recherche ; près de 30 milliards d’euros de la part des États membres, via le plan de relance européen, pour la construction notamment de trois à cinq très grandes usines (Mégafab) ; et, enfin, la création par la Banque européenne d’investissement (BEI) d’un fonds de plus de 5 milliards d’euros pour financer cette filière. Un plan d’ampleur sensiblement équivalente à celui des Etats-Unis (52 milliards de dollars).

Thierry Breton maintient des objectifs très ambitieux dans la chaîne de valeur de cette filière industrielle. Il compte sur l’industrie européenne pour concrétiser des projets en vue d’améliorer la finesse de gravure des circuits imprimés et des composants pour la création des puces, qui iront à 2 nanomètres grâce à la technologie FinFet et en dessous de 10 nanomètres en FDSOI (technologie française développée par le CEA-Leti). Selon Thierry Breton, cette bataille est sur le point d’être gagnée. Ce qui n’était pas gagné au départ. Dans ce cadre, la Commission financera en partie trois lignes pilotes (entre 1 et 2 milliards d’euros par ligne pilote), qui sont de grandes infrastructures pour accompagner l’industrialisation des puces : 1 chez IMEC (en dessous de 2 nm), 1 au LETI (en-dessous de 10 nm en FDSOI) et 1 chez Fraunhofer (Packaging).

« Ce plan démontre qu’avec une vision, de la détermination et de la rapidité, on peut redonner une ambition industrielle et technologique à l’Europe« , a-t-il expliqué.

Multiplier par quatre la production en Europe

L’objectif de Thierry Breton est de renforcer l’industrie européenne de semi-conducteurs en multipliant par deux la part qu’elle représente dans la production mondiale de puces, pour la porter à 20% (contre 10 % environ actuellement) d’ici à 2030, a-t-il confirmé. Ce qui veut dire multiplier la production européenne par quatre en raison des besoins mondiaux en très forte croissance dans les prochaines années. Le marché des semi-conducteurs devant doubler en 10 ans (de 500 milliards à 1.000 milliards d’euros). La pénurie mondiale de semi-conducteurs a mis en exergue les risques pour l’UE de dépendre en grande partie d’industriels asiatiques (notamment TSMC, Samsung et UMC).

Ces géants asiatiques fournissent près de 80% de la demande mondiale (dont plus de 50% venant de Taïwan). Taïwan, qui n’est pas à l’abri d’un conflit avec la Chine, a investi 36 milliards de dollars en 2021 dans les usines de fabrication de semi-conducteurs. Les puces sont essentielles pour plusieurs industries (automobile, smartphone, santé, 5G, Intelligence Artificielle…). Des secteurs stratégiques tels que la défense, la sécurité, l’aéronautique et le spatial sont également menacés par des pénuries. Compte tenu des tensions géopolitiques actuelles, il est impératif que l’Europe puisse compter sur une capacité de production à la hauteur, tant en volume qu’en technologie de pointe.

« Chips european Act »

Ce plan financier s’accompagne d’un volet réglementaire (« Chips european Act »), crucial pour sécuriser les approvisionnements critiques de l’Europe dans certains domaines, dont les puces. La commission européenne va se doter d’un instrument de réciprocité équivalent au Defense Production Act (DPA) américain, qui permet au président d’exiger des entreprises sur le sol américain de produire exclusivement pour les Etats-Unis. Ce qu’ont récemment fait Donald Trump puis Joe Biden pour lutter contre la pandémie de la Covid-19. Le « Chips european Act » « rétablit un rapport de force dans la géostratégie de la chaîne de valeur, a expliqué Thierry Breton. Cet instrument va exister mais nous préférerons toujours favoriser le dialogue ». Cette initiative est clairement une étape importante dans l’évolution vers une Europe puissance, qui s’éloigne d’une Europe ouverte aux quatre vents.

Enfin, la Commission souhaite s’assurer de la sécurité d’approvisionnement et établir des règles pour les entreprises étrangères souhaitant investir dans des installations de production de MegaFab en Europe. « Nous avons appris de la crise des vaccins. Nous adaptons notre marché unique aux nouvelles réalités de la géopolitique des chaînes d’approvisionnement », a fait valoir Thierry Breton.

Semi-conducteurs : le Parlement européen adopte le ‘Chips Act’ – Touteleurope.eu

Semi-conducteurs : le méga plan de l’Europe de près de 50 milliards pour réduire ses dépendances (latribune.fr)

Citation

Le rapporteur Dan Nica (S&D, RO) a déclaré : « Avec la Loi européenne sur les puces, nous visons à renforcer la position de l’UE dans le paysage mondial des semi-conducteurs et à faire face aux vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement révélées par la pandémie. Nous voulons avoir plus d’influence et être leaders, c’est pourquoi nous avons obtenu 3,3 milliards d’euros pour la recherche et l’innovation. Nous visons à renforcer la capacité technologique et mettons en œuvre des mesures pour lutter contre les éventuelles pénuries. L’Europe est prête à affronter les futurs défis de l’industrie des semi-conducteurs, en privilégiant l’autonomie stratégique, la sécurité et un environnement commercial favorable. »

Prochaines étapes

La législation a été adoptée par 587 voix contre 10, avec 38 abstentions. Elle devra maintenant être approuvée par le Conseil des ministres pour devenir loi.

Contexte

Une étude du Parlement souligne que la part de l’Europe dans la capacité de production mondiale de semi-conducteurs est inférieure à 10%. La proposition législative vise à la porter à 20%. Une autre analyse du Parlement de 2022 a souligné que la pandémie a révélé des vulnérabilités de longue date dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, et la pénurie sans précédent de semi-conducteurs en est un exemple flagrant. Elle montre ce qui pourrait se produire dans les années à venir. Ces pénuries ont conduit, entre autres problèmes, à une augmentation des coûts pour l’industrie et à des prix plus élevés pour les consommateurs, et ont ralenti le rythme de la reprise en Europe.

Conférence sur l’avenir de l’Europe

Avec la Loi européenne sur les puces, les députés répondent aux propositions des citoyens issues des conclusions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Cette loi répond à la proposition 11(5) en promouvant l’expansion de la technologie européenne comme une alternative robuste à ses homologues étrangers. Elle répond également à la nécessité d’assurer la sécurité de l’approvisionnement et d’améliorer la production en Europe, comme décrit dans la proposition 12(12). La loi fait écho aux sentiments de la proposition 17(3) et 17(7), plaidant pour le renforcement des chaînes d’approvisionnement de l’UE grâce à des investissements stratégiques et une coopération accrue entre les États membres pour gérer les risques de la chaîne d’approvisionnement. Avec plus de 43 milliards d’euros d’investissements publics et privés mobilisés, la loi met en place des mesures pour gérer proactivement et répondre rapidement aux futures perturbations de la chaîne d’approvisionnement.

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