Protéger les contre-pouvoirs pour sauver l’Etat de droit – Fondation RS

par Eric Maurice

Depuis une dizaine d’années, la Pologne, avec les réformes du système judiciaire pour en faire un simple relais du pouvoir politique, et la Hongrie, avec l’instauration d’une démocratie illibérale et le démantèlement des contre-pouvoirs, s’attèlent à démanteler l’Etat de droit cher à l’Union européenne, malgré les sanctions de la CJUE et l’activation sans succès de l’article 7 TUE.

A l’automne 2020, ces deux pays ont combattu jusqu’au bout la mise en place d’un mécanisme conditionnant le versement de fonds européens au respect de l’Etat de droit, en revendiquant leur propre modèle. Ils fragilisent ce faisant le consensus fondateur de l’Union, basée sur le respect du droit et des valeurs démocratiques.

Si l’Union a jusqu’alors échoué à stopper la dérive anti-démocratique, il reste que les juges et une presse indépendantes restent les deux derniers remparts contre les coups de force et les tentations autoritaires. Il est donc essentiel que l’Union agisse en priorité pour préserver ces contre-pouvoirs afin d’empêcher la disparition de la démocratie.

Il existe des voies pour défendre plus fermement les valeurs et la démocratie européennes.

  1. Une « panoplie d’outils » élargie

L’Etat de droit est mentionné dans le préambule du TUE, et dès l’article 2 qui énonce les valeurs de l’Union.

L’Europe dispose, pour le faire respecter, d’une multitude d’outils préventifs (évaluations, recommandations, rapports) et répressifs.

Parmi les instruments répressifs, :

  • Le cadre pour l’Etat de droit, permettant d’ouvrir un dialogue structuré avec un Etat membre qui violerait l’Etat de droit, avec l’envoi d’une recommandation afin que l’Etat y remédie.
  • Si cette recommandation reste sans effet, la Commission peut alors actionner l’article 7. L’article 7 prévoit une procédure en cas de manquement à l’article 2 et peut aboutir à des sanctions.
  • La procédure d’infraction, ouverte par la Commission, en cas de violation du droit de l’Union, qui n’est pas spécifique à l’Etat de droit, peut amener à une condamnation par la CJUE
  • Et désormais … Un mécanisme de conditionnalité, permettant de réduire ou suspendre le versement des fonds européens aux Etats membres qui ne respectent plus l’Etat de droit, qui a été adopté en décembre 2020.

Le mécanisme de conditionnalité budgétaire s’attaque aux conséquences de l’affaiblissement des contre-pouvoirs, et signale aux Etats d’Europe de l’est que l’Union n’est pas une manne sans contrepartie. Il s’agit d’une approche qui se veut impartiale, puisque les critères s’appliqueront à tous les pays.

L’Etat de droit comprend, outre le fonctionnement de la justice et le risque d’arbitraire, le pluralisme des médias. Les récentes attaques contre le pluralisme dans certains pays ont conduit les institutions à inclure la liberté de la presse dans l’évaluation des risques systémiques envers l’Etat de droit, et la Commission en un fait un pilier de la protection l’Etat de droit. Elle s’appuie sur les règles du marché intérieur pour protéger ce pluralisme des médias. Elle a proposé plusieurs pistes d’action à cet égard, notamment pour favoriser la transparence des médias.

2. Les limites des instruments existants

Dans son rapport 2020, la Commission a relevé des « problèmes majeurs » dans certains Etats membres, mettent en exergue les insuffisances ou le manque d’efficacité des actions engagées.

S’agissant du cadre pour l’Etat de droit instauré en 2014, la Commission n’a eu l’occasion de le mettre en oeuvre qu’une seule fois pour la Pologne, alors qu’elle exprimait des inquiétudes s’agissant de Malte par exemple ou de la Roumanie. Elle s’est abstenue d’utiliser cet outil à l’encontre de la Hongrie en dépit des violations répétées des valeurs de l’Union, et a ainsi affaibli ce mécanisme.

La Commission a tenté d’ouvrir un dialogue avec la Pologne et la Hongrie, en déclenchant l’article 7§1, relatif au « risque de violation grave » de l’Etat de droit, sans succès.

C’est finalement grâce à la procédure non spécifique d’infraction que la Commission a trouvé son moyen d’action le moins inefficace, puisque sur les 4 procédures d’infraction à l’encontre de la Pologne, deux ont abouti à des arrêts de la CJUE et deux sont en cours au sujet des réformes de la justice. La Hongrie a quant à elle été poursuivie une fois devant la CJUE. La Commission a privilégié l’utilisation de l’article 7 à la procédure d’infraction. Elle s’est ce faisant privée de l’outil le plus direct et le moins politique que constitue la procédure d’infraction, et a laissé perdurer les atteintes à l’Etat de droit en Pologne.

Même lorsqu’elles sont ouvertes, les procédures d’infraction mettent trop de temps à aboutir, ce qui nuit à leur efficacité.

3. Agir de manière plus forte et efficace

Ainsi, alors que les institutions et la plupart des Etats membres considèrent al défense de l’Etat de droit comme une priorité, ils doivent s’en donner les moyens. Plusieurs pistes peuvent être envisagées :

  • crédibiliser l’article 7 en concluant les procédures engagées contre la Pologne et la Hongrie.
  • renforcer le mécanisme de protection de l’Etat de droit, qui ne prévoit actuellement aucune obligation pour les Etats de remédier aux problèmes consignés dans le rapport annuel. Il faudra donc établir un volet répressif à ce mécanisme afin d’aller au delà d’un simple constat.
  • L’utilisation de la procédure d’infraction, qui est l’instrument le plus efficace, constituerait aussi une solution pour répondre aux manoeuvres d’affaiblissement de l’Etat de droit.
  • Accélérer les procédures et d’imposer des mesures provisoires dans le cas d’atteintes à l’Etat de droit, car le fait accompli peut créer des situations sur lesquelles il est difficile de revenir. La Commission pourrait raccourcir les délais ou recourir à la procédure accélérée.
  • La Commission peut également demander à la Cour, lorsqu’un Etat membre a manqué à une de ses obligations, d’imposer des amendes ou des astreintes.
  • Exploiter la jurisprudence permettant de répondre aux attaques contre l’Etat de droit
  • Appliquer pleinement la conditionnalité budgétaire, sans reporter les décisions sur l’éventuelle utilisation d’autres instruments et sans que le Conseil ne soit tenté par des accommodements avec les Etats membres qui portent atteinte à l’Etat de droit
  • Utiliser la fenêtre politique, maintenant que les décisions peuvent être prises à la majorité qualifiée, en réduisant l’influence négative des Etats
  • Utiliser le droit de manière créative en exploitant toutes les possibilités que le droit européen actuel permet

Pour lire l’étude en entier : https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0590-proteger-les-contre-pouvoirs-pour-sauver-l-etat-de-droit