Pologne à la présidence : une ambition de puissance et un délicat positionnement politique interne

La Pologne a lancé sa présidence, le 3 janvier, dans un contexte de « tous les dangers » pour l’Union européenne que penser des projets de D. Tusk?

logo de la présidence polonaise par Jerzy Janiszewski, Crédits : Présidence polonaise du Conseil de l’UE / Wikimedia Commons

GRAIN de sel

Entre une économie européenne pour le moins morose et un climat social et politique du même acabit, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et ses potentielles dérives protectionnistes mais aussi impérialistes, l’érosion continue des relations avec la Chine, la guerre persistant en Ukraine et Poutine peut être affaibli économiquement mais plus déterminé que jamais , l’Union européenne fait face à de nombreux défis d’ordre vital.

Or, les deux « grandes » puissances France et Allemagne sont paralysées par des crises internes ces derniers temps,et qui plus est incapables de s’entendre.

La Pologne aspire à jouer un rôle central dans la définition des politiques européennes et place la sécurité au cœur de son programme. « Faisons tout pour que l’Europe et la Pologne n’aient pas à payer le prix le plus élevé pour la liberté, la force et la souveraineté. Faisons tout pour rendre l’Europe forte à nouveau », a déclaré le Premier ministre Donald Tusk lors de l’inauguration de la présidence. Inquiet du contrôle des frontières européennes orientales, il axe sa politique sur la défense des acquis européen et une accélération de la dynamique collective en adoptant une approche globale prenant en compte la défense des intérêts de l’UE dans toutes ses dimensions : externe, interne, économique, militaire, énergétique, sanitaire, alimentaire et informationnelle.

Ancien président du Conseil européen, Donald Tusk veut reprendre le flambeau de la souveraineté européenne. La devise “Security, Europe!” (Sécurité, Europe !), la Pologne, frontalière de l’Ukraine sur 535 kilomètres, a défini sept priorités :

  • Le renforcement des capacités de défense
  • La protection des frontières
  • La transition énergétique
  • La sécurité économique
  • La compétitivité et la résilience agricole
  • La sécurité sanitaire
  • La lutte contre les ingérences étrangères et la désinformation

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Rappels sur la présidence :

A la tête du Conseil de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2025 jusqu’au 30 juin prochain, sa mission consiste à organiser le travail du Conseil, présider les réunions et élaborer des compromis. Le tout en veillant à la cohérence et à la continuité du processus législatif. Un rôle de coordination essentiel pour les Européens.

1. Un programme soutenu par le trio de présidences – Pologne, Danemark et Chypre

La Pologne inaugure un nouveau trio de présidences avec le Danemark et Chypre, jusqu’en juin 2026. A l’instar des trois présidences précédentes, les trois pays ont donc rédigé un programme commun. Leur ambition : une Europe “forte et sûre”, compétitive, prospère et démocratique. Le programme du Conseil de l’UE a été élaboré en étroite collaboration avec Chypre et le Danemark, ses partenaires dans le trio présidentiel. Cette coopération repose sur une répartition stratégique des responsabilités et une volonté commune de maintenir une unité face à des crises sans précédent.

Le Danemark, fort de son expérience en matière de résilience énergétique et de gouvernance, apporte une expertise précieuse pour relever les défis de sécurité énergétique et climatique. Sa participation active vise à garantir une transition écologique équilibrée, notamment par des initiatives pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement stratégiques. De son côté, Chypre joue un rôle clé en tant que pont entre l’Europe et la région méditerranéenne, mettant l’accent sur la nécessité de redynamiser les partenariats stratégiques dans cette zone sensible. Sa position géographique et ses priorités politiques font de Chypre un acteur déterminant pour les relations avec les voisins méridionaux et pour la gestion des flux migratoires. Ce trio s’engage à relever collectivement les défis posés à l’UE, en alignant ses efforts sur des priorités communes tout en tenant compte des spécificités de chaque pays. Cette approche renforce la capacité de l’Union à affirmer son autonomie stratégique dans un monde multipolaire.

2. Sécurité – Défense

Varsovie vise à devenir la principale puissance militaire de l’Union européenne d’ici 2035.

La Pologne cherche à jouer un rôle de premier plan dans la définition des politiques européennes, en particulier en matière de sécurité, alors que le conflit russo-ukrainien redouble d’intensité depuis plusieurs mois et tandis que l’administration américaine menace de réduire son soutien financier et militaire à Kiev.

Le président du Conseil européen, António Costa, a également souligné l’importance de maintenir un soutien constant à Kyiv : « Pour cela, nous devons continuer à considérer la défense comme une priorité stratégique pour l’Union européenne. » Tusk espère un réalignement au sein de l’UE pour bâtir une coalition autour d’un soutien renforcé à l’Ukraine et de l’obtention d’une paix dans la région. Mais comment renforcer et financer les dépenses de défense, alors même nous insistions sur ce point que l’Allemagne est aux abonnés absents, du moins pour le moment : dire qu’on espère beaucoup des résultats des élections en Allemagne est à cet égard un euphémisme!

A lire : Allemagne : des enjeux tracés avant même les résultats des élections

La sécurité est au cœur des politiques menées par le Premier ministre Donald Tusk (Plateforme civique, Parti populaire européen) depuis son retour au pouvoir en décembre 2023. Le pays a porté ses dépenses de défense nationales à plus de 4,1 % du PIB en 2024, bien au-delà de la règle des 2 % fixée par les membres de l’OTAN, et prévoit de les augmenter à 4,7 % en 2025. Lors de la présentation des priorités de la présidence polonaise aux parlementaires européens à Strasbourg le 22 janvier, Donald Tusk a insisté sur l’urgence d’augmenter les dépenses de défense en Europe, répondant ainsi à l’appel de Donald Trump à atteindre 5 % du PIB : « Ne demandez pas aux États-Unis ce qu’ils peuvent faire pour notre sécurité, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour notre sécurité. »

Pour financer l’ambition, la Pologne propose des pistes vers de nouvelles ressources pour alimenter une politique de défense structurelle qui n’est aujourd’hui pas assez dotée.

Donald Tusk plaide pour des investissements significatifs, soutenant des propositions d’emprunts communs pour financer des projets conjoints en armement, sur le modèle du plan de relance européen post-Covid. Ursula von der Leyen estime que l’Union européenne devra consacrer 500 milliards d’euros supplémentaires aux dépenses militaires au cours des dix prochaines années. Toutefois, les fonds européens disponibles restent très insuffisants. À titre d’exemple, le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP) ne dispose que de 1,5 milliard d’euros jusqu’au prochain cadre financier pluriannuel.

Pour surmonter ces limites, Varsovie soutient activement l’idée de fonds communs, qui pourraient être contractés par une coalition de pays volontaires avec des responsabilités de remboursement individuelles. Ce mécanisme permettrait de contourner l’opposition de certains États membres, tout en intégrant potentiellement des partenaires externes comme le Royaume-Uni et la Norvège.

Inquiète, la Pologne a les yeux rivés vers l’est et comme le souligne la chercheuse Louise Souverbie, reste préoccupée par la protection de la frontière orientale de l’UE. En effet, Varsovie promeut le projet du « Bouclier de l’Est », qui inclut des infrastructures militaires et des systèmes anti-drones pour protéger la frontière orientale de l’UE, notamment contre la Russie et la Biélorussie. Un investissement de 2,31 milliards d’euros, financé par la Banque européenne d’investissement, est déjà prévu pour renforcer ces défenses. Ce complexe défensif serait prolongé par la “Baltic Defence Line” entre l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.

Par ailleurs, Varsovie et Athènes proposent la création d’un « Dôme de fer européen », un système de défense antimissile reconnu comme un bien public européen. Cette initiative dépasse le projet de bouclier aérien soutenu par l’Allemagne, en intégrant un financement européen commun et en visant à protéger contre les missiles, drones et autres menaces aériennes.

La Pologne privilégie l’acquisition rapide d’armements disponibles, indépendamment de leur origine géographique, en collaborant notamment avec les États-Unis et la Corée du Sud. À l’inverse, des pays comme la France et l’Italie insistent sur une priorité donnée à l’industrie européenne, estimant que les dépenses de défense doivent renforcer les capacités à long terme de l’UE. Cependant, l’industrie polonaise de la défense reste un acteur secondaire, nécessitant des réformes structurelles pour devenir compétitive.

Pour Varsovie, la sécurité européenne doit être abordée dans une perspective globale. Donald Tusk insiste sur l’urgence de combler les lacunes en matière d’armement pour préparer l’Europe à toute éventualité. Cette priorité se reflète également dans le Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne, attendu sous l’égide du commissaire Andrius Kubilius.

En parallèle, la Pologne s’oppose à des initiatives telles que l’envoi de troupes européennes en Ukraine, préférant concentrer les efforts sur le soutien matériel et financier à Kyiv. Avec le retour de Donald Trump et son appel à la cessation des hostilités, l’Union européenne devra redéfinir son rôle, et la Pologne est prête à assumer une position de leadership dans cette transition stratégique.

3. Un agenda chargé par ailleurs

Frontieres et immigration

Sans surprise, la protection des frontières constitue une deuxième priorité centrale du programme élaboré par le gouvernement polonais. Depuis 2021, la Pologne connaît un important afflux de réfugiés en provenance du Moyen-Orient à sa frontière avec la Biélorussie. Le régime d’Alexandre Loukachenko est accusé par les Européens d’avoir fourni des visas à ces personnes et de les avoir acheminées à ses frontières, en représailles aux mesures restrictives imposées par l’UE. La Pologne est aussi le premier pays d’accueil des réfugiés ukrainiens depuis le début de l’invasion russe, en février 2022.

Hasard de calendrier, le 14 juin 2025 marquera le 40e anniversaire de l’accord de Schengen, “l’occasion de donner la priorité au fonctionnement de l’espace Schengen et de le gérer en conséquence”, peut-on lire dans le programme de la présidence. Le gouvernement polonais plaide depuis des mois pour faciliter le transfert de demandeurs d’asile vers des pays tiers. Et réviser la liste des pays considérés comme “sûrs”. Le gouvernement de Tusk conserve en effet une position très ferme sur la question migratoire, en continuité avec la politique menée par le parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS, Conservateurs et réformistes européens) entre 2015 et 2023. En décembre 2024, l’ONG Human Rights Watch alertait la Commission européenne sur les refoulements illégaux de demandeurs d’asile à la frontière polono-biélorusse.

Et tous les autres sujets

La Pologne cherchera aussi à promouvoir la transition énergétique et à réduire la dépendance aux énergies fossiles, notamment en provenance de Russie. “L’un des enjeux pour la Pologne est […] de diversifier les sources d’énergie afin de faire baisser les prix, dans un contexte de réduction des importations de pétrole et de gaz russes”, analyse Karolina Boronska-Hryniewiecka dans une interview publiée par l’Institut Montaigne. Du point de vue polonais, le nucléaire devrait être considéré comme une “énergie verte” contrairement au pétrole et au gaz, afin d’assurer cette indépendance énergétique.

Pour Varsovie, la sécurité passe également par un environnement économique sûr, l’une des priorités de la nouvelle Commission européenne. La présidence polonaise fera avancer les travaux sur de nombreux dossiers, et surtout le budget de l’UE pour 2026. Le Parlement européen et la Commission européenne fraîchement installés entament en effet des négociations cruciales sur le budget de l’UE post-2027 et la Pologne a la lourde charge d’initier ces premières discussions budgétaires.

La Pologne devra aussi faire face au retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Traditionnellement atlantiste, elle cherchera à maintenir le dialogue avec le pays de l’Oncle Sam. “Bien que nous nous attendions à un certain nombre de turbulences […], l’Europe et la Pologne devraient veiller à ce que les relations transatlantiques restent les meilleures possibles”, affirmait le Premier ministre Donald Tusk lors du sommet européen des 7 et 8 novembre 2024, au lendemain de l’élection de l’homme d’affaires américain.

Grand pays agricole et 5e bénéficiaire de la politique agricole commune (PAC), la Pologne est soucieuse de maintenir la compétitivité de l’agriculture européenne et sa capacité à résister aux crises. Ce cinquième volet comprend de nouvelles mesures pour soutenir le monde agricole et le préparer aux conséquences du changement climatique. Des débats sur l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation viendront enrichir les discussions autour de la future PAC 2027-2032. Quant à la dimension externe, c’est l’accord commercial avec le Mercosur auquel la Pologne s’ oppose et exigeant une évaluation complète des conséquences de l’accord dans des filières sensibles, en particulier l’élevage.

Parmi les autres priorités énoncées : la sécurité sanitaire, à travers le soutien aux infrastructures de santé et la préparation de l’UE pour réagir efficacement en cas de crise sanitaire.

Enfin, la présidence polonaise met l’accent sur la sécurité informationnelle. Autrement dit : la lutte contre la désinformation et l’ingérence étrangère. Un objectif crucial au vu des opérations d’influence qui ont perturbé l’élection présidentielle roumaine, en novembre 2024, poussant la Cour constitutionnelle à annuler le premier tour de l’élection présidentielle.

Pour aller plus loin : Lire le programme de la presidence

4. Une présidence en pleine campagne électorale interne

Comme la France en 2022, la Pologne est amenée à élire un nouveau président de la République durant sa présidence du Conseil de l’UE, les 18 mai et 1er juin 2025. Le maire de Varsovie Rafał Trzaskowski, candidat de la Plateforme civique désigné par Donald Tusk, est en lice face à Karol Nawrocki, candidat du PIS parti de l’actuel président ultra-conservateur Andrzej Duda (PiS, CRE). L’enjeu de cette élection est de taille. Bien que les libéraux pro européens détiennent aujourd’hui une partie du pouvoir exécutif, le PiS continue de peser sur la vie politique du pays. Une victoire de Rafał Trzaskowski donnerait une plus grande marge de manœuvre au Premier ministre Donald Tusk pour adopter des mesures progressistes.

Le défi d’une présidence influente se situe donc dans ce contexte de rivalités internes

La présidence polonaise insiste sur son engagement en faveur du respect de l’Etat de droit et s’engage à le promouvoir. Elle a d’ailleurs choisi le père du symbole de Solidarność, mouvement syndical opposé au régime communiste, pour esquisser le logo de la présidence.

En conflit avec Bruxelles depuis 2015 pour cause d’atteintes à l’Etat de droit, le pays slave a renoué avec les institutions depuis le retour au pouvoir des libéraux en décembre 2023. “La Pologne compte utiliser sa présidence pour réaffirmer qu’elle [fait partie] des cinq Etats membres les plus importants au sein de l’UE. Elle peut se prévaloir de son influence politique majeure sur la question de l’Ukraine et de la Russie, de son poids économique et de ses ambitions en matière de défense”, selon la chercheuse Karolina Borońska-Hryniewiecka.

António Costa, n’a pas manqué de le souligner lors de la cérémonie de lancement de la présidence polonaise à Varsovie, le 3 janvier 2025. “La Pologne prend la tête de l’Union européenne au meilleur moment possible, alors que l’autoritarisme et le populisme représentent une menace croissante pour nos valeurs […] et que les influences étrangères menacent l’intégrité de notre démocratie”. Le portugais a réitéré sa confiance en Donald Tusk, lui-même ancien président du Conseil européen entre 2014 et 2019.

Le contrôle des frontières de Pologne, enjeu de politique interne

Les règles sur l’asile et le contrôle renforcé des frontières de la Pologne correspondent à un challenge interne, lié à un problème de sécurité, mais aussi à un enjeu avec le parti d’opposition.

Extraits libres de : Donald Tusk nouvelles règles en matière de droit d’asile et un contrôle renforcé des frontières – Aleksandra Krzysztoszek | EURACTIV Pologne | traduit par Marine Béguin

18 décembre, ensemble de projets de lois sur l’immigration et l’asile, y compris la possibilité de suspendre temporairement les droits d’asile car depuis 2021, la Pologne est confrontée à une pression migratoire accrue. La stratégie approuvée par la Commission européenne est critiquée par une partie de la coalition au pouvoir et par des ONG*. Donald Tusk relève que le droit d’asile est utilisé par la Biélorussie et la Russie comme un outil de guerre hybride contre la Pologne et l’UE.

Voir la conférence conjointe de préparation de la présidence avec la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, début décembre,  Propos sur la politique migratoire

* Human Rights Watch (HRW) a demandé à la Commission européenne de prendre des mesures immédiates contre la Pologne pour avoir forcé les demandeurs d’asile à retourner en Biélorussie, et de s’assurer que la protection des êtres humains et de leurs droits soit au cœur de la réponse de la Pologne aux défis migratoires car la  « suspension temporaire du droit d’asile » pour des raisons de sécurité nationale viole a Charte des droits fondamentaux de l’UE & le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile.

A lire aussi : Immigration « régulée » européenne en accéléré ou débandade entre Etats ?

Pour le candidat à la présidentielle polonaise du PiS, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE n’est pas envisageable

VARSOVIE — Karol Nawrocki, la tête de liste du parti d’opposition Droit et Justice (PiS, Conservateurs et Réformistes européens) à la présidence polonaise, a déclaré qu’il partageait l’avis du président américain Donald Trump selon lequel l’Ukraine ne devrait pas adhérer à l’OTAN dans un avenir proche.

Il a également déclaré ne pas voir d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne (UE) à l’horizon.

Les propos de Karol Nawrocki font écho à ceux du secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth. Ce dernier a affirmé mercredi lors d’une réunion du Groupe de contact sur la défense de l’Ukraine à Bruxelles que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN était « irréaliste », tout comme un retour aux frontières d’avant 2014.

« Dès le début, j’ai dit que l’Ukraine ne pouvait bien sûr pas adhérer à l’OTAN tant qu’elle était en guerre, car, en vertu de l’article 5, cela signifierait que tous les pays de l’OTAN sont en guerre », a expliqué le responsable politique polonais. Il en va de même pour l’adhésion à l’UE, qui « ne devrait pas être inconditionnelle ».

Cependant, Karol Nawrocki a souligné qu’« il ne lui appartient pas de commenter les propos du secrétaire américain à la Défense », car l’Amérique « mène sa propre politique ».

Il n’a pas manqué l’occasion de critiquer le gouvernement actuel dirigé par le Premier ministre Donald Tusk (Plateforme civique, Parti populaire européen). Il a regretté que le gouvernement polonais « ne soit pas suffisamment reconnu sur la scène internationale pour participer aux négociations » entre la Russie et l’Ukraine.

« C’est triste pour moi en tant que Polonais. […] Le gouvernement actuel, qui parle tant de ses relations internationales, ne participe à aucun accord de négociation », a-t-il confié. Selon lui, « le futur président de la Pologne aura la lourde tâche de reconstruire les relations avec les États-Unis et de ramener la Pologne à la table des négociations sur les questions concernant notre frontière immédiate ».

Ce n’est pas la première fois que Karol Nawrocki exprime son scepticisme quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à l’UE. En janvier, il avait affirmé qu’il ne pouvait « voir l’Ukraine dans aucune structure, ni dans l’Union européenne ni dans l’OTAN, avant la résolution de questions civilisationnelles aussi cruciales pour les Polonais », faisant référence à la demande polonaise d’exhumation des victimes du massacre de Volhynie, perpétré par l’Armée insurrectionnelle ukrainienne pendant la Seconde Guerre mondiale, et qui, encore aujourd’hui, divise Polonais et Ukrainiens.

La place de l’Ukraine « n’est pas entre les mains de Vladimir Poutine »

Le commentaire du responsable politique du PiS a suscité de vives réactions de la part de son rival dans la course à la présidence, le maire de Varsovie Rafał Trzaskowski, tête de liste du parti Plateforme civique de Donald Tusk.

« Jusqu’à présent, nous avions un consensus politique au-delà des divisions sur le fait que la place de l’Ukraine est en Europe, et cet accord n’était pas remis en question. Seul mon adversaire a commencé à le remettre en question. Nous devons expliquer à tout le monde que la place de l’Ukraine est dans l’OTAN, pas entre les mains de [Vladimir] Poutine », a-t-il déclaré.

Il a poursuivi en disant que l’Europe ne devait pas permettre que cette guerre se termine sans la participation de l’Ukraine et sans que l’Ukraine accepte toutes ces conditions, ajoutant qu’il était dans l’intérêt de l’Europe « que [Vladimir] Poutine comprenne que nous sommes fermes et déterminés jusqu’au bout ».

Selon le sondage d’IBRiS pour le journal Rzeczpospolita, publié en janvier, seuls 24,8 % des Polonais estiment que l’Ukraine devrait adhérer sans condition à l’OTAN et à l’UE, tandis que la moitié d’entre eux considèrent l’exhumation des victimes de Volhynie comme une condition nécessaire à l’adhésion.

Rafał Trzaskowski arrive en tête du dernier sondage présidentiel réalisé par un institut de sondage pour le tabloïd Super Express, avec 35 % des personnes interrogées prêtes à voter pour lui lors des élections de mai. Karol Nawrocki arrive en deuxième position, avec 10 points d’écart avec son principal rival.

5. Retour sur la dimension internationale du projet polonais

La Pologne mise sur des outils de soft power pour renforcer son influence en Europe centrale, notamment à travers l’Initiative des Trois Mers et le Triangle de Lublin. Ces projets visent à développer des infrastructures stratégiques et à coordonner les actions de sécurité en réponse à la menace russe, tout en s’appuyant sur une symbolique historique forte. Elle propose notamment un fonds européen pour restaurer la compétitivité de l’UE. Malgré ses ambitions, la Pologne reste dépendante des subventions européennes, limitant son indépendance économique. De plus, la polarisation politique entre centristes et conservateurs, bien qu’unie sur certaines priorités comme la sécurité, constitue une faiblesse structurelle.

Une Europe loin d’être unie

On a eu un aperçu de ces fractures après la confiscation des élections en Géorgie par les forces pro-russes. Les 27 pays de l’Union européenne n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un communiqué commun et n’ont été que 13 à condamner le résultat du scrutin et Viktor Orban s’est précipité à Tbilissi pour féliciter les alliés de Moscou.

L’élection américaine révèle les fragilités et divisions européennes

Enfin, l’impact des relations avec les États-Unis, en particulier sous une administration Trump, pourrait influencer les capacités militaires et stratégiques de Varsovie. Dans un sursaut de dignité, le premier ministre polonais Donald Tusk appelle l’UE à dépasser l’ère de la « sous-traitance géopolitique », c’est-à-dire à prendre en charge notre propre sécurité. Les propos sur l’OTAN du président américain ont en effet réveillé les inquiétudes et les incertitudes stratégiques de l’UE.

A lire aussi : États-Unis : quel risque l’élection fait-elle peser sur l’Europe ?

Quid de l’OTAN?

Le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte tente de travailler de concert avec les dirigeants de l’UE et le Royaume-Uni. Avec la pression exercée par le futur président américain exigeant un budget à 5% du PIB, Mark Rutte coupait la poire en deux et estime que les 32 pays membres de l’OTAN doivent augmenter leur budget au-delà de 3% de leur PIB pour faire face aux enjeux actuels, et peuvent réduire la charge de ce budget en déduisant les achats communs et l’innovation en utilisant l’agence de l’OTAN, la NSPA. Rutte exhorte aussi les Européens à se préparer aux conflits. Sa déclaration au Parlement européen du 13 janvier 2025 est alarmiste. Il ne donne que 5 ans à l’Europe pour se réarmer : « Si vous ne le faites pas, ressortez vos cours de russe ou partez en Nouvelle-Zélande, ou décidez maintenant de dépenser ».

Soulignant le fait que les États-Unis représentent 60 % du budget de l’OTAN, il met en avant les faiblesses de l’Europe :

  • Face à l’économie de guerre Russe : la production russe en 3 mois équivaut celle de l’OTAN en 1 an ;
  • Concernant la guerre hybride menée par la Russie avec notamment les cyberattaques et le sabotage des câbles sous-marins ;
  • Son hésitation face à une coalition adverse conséquente avec la Chine, la Corée du Nord et l’Iran ;
  • Sur les divisions internes au Parlement européen ou dans les États membres, où des forces politiques continuent de privilégier d’autres priorités.

L’avertissement de Mark Rutte coïncide avec l’objectif du commissaire à la Défense Andrius Kubilius, qui malgré un retard sur le livre blanc de la défense, estime nécessaire une augmentation de ce budget et un plan industriel afin d’envisager une sécurité de l’Europe au long terme.

Candidature de l’Ukraine à l’UE : la Pologne, avocate ou rivale ?

La candidature de l’Ukraine à l’Union européenne, relancée par le statut de candidat et les mesures d’ouverture du marché européen, soulève des tensions, notamment avec la Pologne. Ce voisin, autrefois défenseur de l’intégration ukrainienne, a vu son image ternie par des différends commerciaux et de transport, notamment sur les exportations agricoles ukrainiennes. Ces tensions reflètent les défis d’intégration du marché ukrainien dans celui de l’UE, un processus essentiel mais politiquement sensible.

Sous la présidence polonaise du Conseil de l’UE, inaugurée par une déclaration commune entre Donald Tusk et Volodymyr Zelensky le 15 janvier 2025, un soutien renouvelé à l’adhésion ukrainienne a été exprimé. Cela marque une étape stratégique alors que les négociations sur des chapitres clés, comme l’État de droit, s’ouvrent. Cependant, les considérations politiques internes, notamment l’élection présidentielle polonaise à venir, limitent les ambitions à long terme.

La Pologne, en tant que présidente du Conseil, pourrait jouer un rôle clé dans l’accélération de l’adhésion de l’Ukraine, mais les tensions bilatérales et les défis d’élargissement risquent de compliquer ce processus.

Conclusion :

Sur le papier le projet ne manque pas de panache mais, attente d’un sursaut européen face à la montée des périls ; ceux de la menace russe, de l’incertitude américaine sur le soutien à l’Ukraine, ou du risque de décrochage du continent mis en évidence par le rapport Draghi devient difficile.