Contexte : Après la crise sanitaire qui a bousculé les institutions européennes, le Parlement s’est trouvé sous le feu médiatique après le QatarGate. Les inquiétudes sur les ingérences sont venues s’ajouter aux habituelles critiques sur le lobbying à Bruxelles. Dès lors, le Parlement tente de sortir de cette mauvaise passe : comment faire évoluer l’institution ?
I – Le lobbying au Parlement européen
Jusqu’à récemment, les règles de transparence encadrant les relations entre députés européens et lobbies étaient vagues. Et de fait, les eurodéputés n’étaient pas tenus de déclarer leurs relations avec les groupes d’intérêts. Mais depuis un vote du 31 janvier 2019, les obligations des parlementaires européens à ce propos ont été renforcées dans le règlement intérieur de leur institution.
Les eurodéputés nommés aux postes clés dans l’examen d’un texte législatif européen – les rapporteurs, rapporteurs fictifs ainsi que les présidents de commissions parlementaires – sont maintenant tenus de faire connaître, sur le site internet de l’institution notamment, leurs rendez-vous avec les lobbies.
Ces derniers sont au nombre de 11 000 à être inscrits au registre de transparence, créé en 2011 et passage obligé pour pouvoir accéder au Parlement et à la Commission, pour un total de 80 000 personnes employées.
Bruxelles est “au nombre de lobbyistes au mètre carré […] ex æquo avec Washington” , estime Karia Delli, eurodéputé française Europe Ecologie-Les Verts. Pour la parlementaire, les nouvelles obligations quant aux lobbies représentent “une grande victoire de la transparence au niveau européen” .
Cependant, si le vote sur la disposition relative à la publicité des rendez-vous avec les groupes d’intérêt – qui a eu lieu à bulletins secrets à l’initiative du Parti populaire européen (PPE, droite) constitue une avancée en termes de transparence, elle est timorée. Bien que le Parlement européen rejoigne la Commission européenne, qui oblige depuis 2014 les commissaires et les chefs de cabinet à publier leurs rencontres avec les lobbies, dans son effort de transparence, son initiative n’a qu’une portée limitée.
Car les députés, qui ne sont ni rapporteur, ni rapporteur fictif, ni présidents de commissions parlementaires, n’ont toujours pas à faire état de leur rendez-vous avec les groupes d’intérêt, même ceux qui ont un lien avec la loi votée. Qui plus est, ces nouvelles dispositions ne s’appliquent pas aux rencontres ayant lieu en dehors du Parlement européen, que ce soit pour les rapporteurs et présidents de commission ou les simples parlementaires.
Les parlementaires européens ont aussi modifié leur code de conduite au cours du même vote. Dorénavant, si les eurodéputés ne s’engagent pas par écrit à ne pas avoir un “comportement inapproprié” , ce qui comprend notamment le harcèlement moral ou sexuel, et à ne pas “recourir à un langage offensant” , ils ne pourront plus obtenir de postes de président ou de rapporteur ainsi que représenter le Parlement face aux autres institutions ou à l’étranger.
Dans une résolution adoptée par 365 voix pour, 270 voix contre et 20 abstentions, le Parlement estime que le projet d’accord sur un organisme d’éthique est « insatisfaisant et pas suffisamment ambitieux, en deçà d’un véritable organisme éthique », tel qu’envisagé par le Parlement il y a déjà deux ans.
Points litigieux
Le Parlement regrette également que la Commission ne propose que cinq experts indépendants pour faire partie de l’organisme (un par institution de l’UE) et uniquement en tant qu’observateurs, plutôt qu’un organisme de neuf personnes composé d’experts indépendants en éthique comme initialement demandé. Les députés insistent pour que l’organisme d’éthique puisse enquêter sur les violations présumées des règles éthiques, et pour qu’il ait également le pouvoir de solliciter des documents administratifs (dans le respect de l’immunité et de la liberté de mandat des députés). Il devrait être habilité à enquêter de sa propre initiative sur les violations présumées des règles d’éthique, et à traiter des cas individuels si une institution participante ou l’un de ses membres le demande, ajoutent-ils. Les députés soulignent également que l’organisme devrait être en mesure d’émettre des recommandations de sanctions, pouvant être rendues publiques avec la décision prise par l’institution concernée ou passé un certain délai.
Parmi les autres points clés soulevés dans la résolution figurent la nécessité pour les experts indépendants traitant de cas individuels de collaborer avec le membre de l’organisme représentant l’institution concernée, la capacité de l’organisme à recevoir et à évaluer les déclarations d’intérêts et les avoirs, et son rôle de sensibilisation et d’orientation.
Les députés regrettent également que la proposition ne couvre pas le personnel des institutions, qui sont déjà soumis à des obligations communes, et soulignent la nécessité pour l’organisme de protéger les lanceurs d’alerte, en particulier les fonctionnaires européens.
Révisions des règles du Parlement
En ce qui concerne les efforts du Parlement pour accroître la transparence, l’intégrité et l’obligation de rendre des comptes, les députés soulignent que le Parlement réexamine actuellement son cadre en vue de renforcer les procédures de lutte contre les infractions aux règles (en particulier le Code de conduite), de mieux définir son mécanisme de sanctions et de réformer structurellement le comité consultatif compétent. Ils estiment que lors des récentes allégations de corruption, les ONG semblent avoir été utilisées comme vecteurs d’ingérence étrangère, et appellent à une révision urgente des réglementations existantes dans le but de rendre les ONG plus transparentes et plus responsables. Une vérification financière préalable complète devra être exigée pour que les entités soient inscrites dans le registre de transparence de l’UE, les pratiques de « pantouflage » impliquant des ONG devront être étudiées de manière plus approfondie en termes de conflits d’intérêts, et les futurs membres de l’organisme d’éthique devront se récuser des dossiers relatifs au travail des ONG dont ils ont reçu une rémunération, soulignent les députés.
Prochaines étapes
Le Parlement participera aux négociations avec le Conseil et la Commission sous la conduite de la Présidente Roberta Metsola, en vue de les conclure d’ici la fin de 2023 et en utilisant sa résolution de 2021 comme base de la position de négociation du Parlement.
II – Les ingérences étrangères
Dans un rapport adopté jeudi, le Parlement demande des systèmes de contrôle et de surveillance efficaces pour détecter les ingérences étrangères dans son activité.
Les tentatives d’ingérence dans la démocratie sont un « phénomène largement répandu qui doit être combattu aussi vigoureusement que possible », avertissent les députés dans leurs recommandations sur la réforme des règles du Parlement en matière de transparence, d’intégrité, de responsabilité et de lutte contre la corruption. Les députés rappellent « être profondément choqués et condamner les allégations de corruption, de blanchiment d’argent et de participation à une organisation criminelle » concernant trois députés, un ancien député et un assistant parlementaire. Ils demandent des mesures qui renforceraient les institutions européennes face aux tentatives d’ingérence étrangère. Ils mettent en évidence les « nombreuses lacunes dans les règles du Parlement en matière d’intégrité et de transparence » et demandent que la proposition en 14 points de la Présidente Roberta Metsola visant à réformer les règles du Parlement se concrétise dès que possible.
Protéger plus efficacement les lanceurs d’alerte et clarifier les règles relatives aux conflits d’intérêts
Dans un rapport adopté jeudi par 441 voix pour, 70 contre et 71 abstentions, les députés demandent une révision rapide du Code de conduite des députés, y compris de l’efficacité des sanctions. Le Code devrait protéger plus efficacement les lanceurs d’alerte et renforcer les règles relatives aux conflits d’intérêts, aux déclarations de patrimoine et aux déclarations de revenus annexes, ainsi que l’interdiction du travail d’appoint rémunéré pour les entités couvertes par le registre de transparence.
Alors que le dialogue entre les représentants de groupes d’intérêts et les décideurs reste un « élément essentiel de la démocratie européenne », les députés soulignent que les moyens d’influence inappropriés, la corruption et d’autres infractions pénales sont inacceptables.
L’ingérence étrangère ne doit pas rester sans conséquences
Les députés font remarquer que des pays comme le « Qatar, le Maroc, mais également la Chine, la Russie, les Émirats arabes unis, la Serbie et la Turquie ont investi massivement dans des efforts de lobbying à Bruxelles ». Ils soulignent que l’ingérence étrangère ne devra pas rester impunie et demandent la suspension de toutes les propositions législatives et non législatives sur la coopération avec les autorités d’États qui tentent de pratiquer l’ingérence, ainsi que la suspension des financements européens envers ces Etats. Le financement des organisations de la société civile et des médias indépendants ainsi que de l’aide humanitaire devront être préservés.
Le périmètre d’application et le contrôle du registre de transparence devront être étendus et tous les députés devront déclarer les réunions organisées avec les représentants d’intérêts, y compris celles avec les représentants diplomatiques de pays tiers.
Contrôle des activités des anciens députés
Le nouvel organisme européen chargé des questions d’éthique devra vérifier que les anciens députés respectent le délai de réflexion de six mois. Leur accès au Parlement devra être révoqué s’ils pratiquent des activités de lobbying pour le compte de pays à haut risque. Les députés regrettent également que la Commission ait mis autant de temps à présenter sa proposition et qu’elle manque d’ambition pour la mise en place d’un organisme d’éthique européen indépendant.
Citations
À l’issue du vote, la Présidente du Parlement Roberta Metsola a déclaré : « Les propositions de réforme adoptées aujourd’hui offriront des solutions à long terme pour renforcer notre capacité à empêcher les acteurs extérieurs d’interférer dans notre travail. Elles constitueront notre ligne de défense contre les pays tiers autocratiques qui tentent de dominer le processus décisionnel européen et nous aideront à protéger nos sociétés ouvertes et libres. Elles compléteront toutes les mesures immédiates déjà mises en place pour renforcer l’intégrité. »
Le corapporteur Vladimír Bilčík (PPE, SK ) a déclaré: « Le Parlement doit rester une institution ouverte tout en se défendant contre la corruption et l’ingérence étrangère malveillante. Afin d’y parvenir, nous proposons que les membres du personnel chargés de questions sensibles obtiennent une habilitation de sécurité. Toutes les réunions avec des tiers devront être rendues publiques et les relations politiques avec des pays tiers devront être entretenues uniquement par l’intermédiaire de canaux parlementaires. »
La corapporteure Nathalie Loiseau (Renew, FR) a ajouté: « Le vote d’aujourd’hui envoie un message fort. Nos recommandations montrent la détermination du Parlement à améliorer sa transparence, à lutter contre la corruption et à mieux combattre les ingérences étrangères malveillantes. Il rappelle également ses positions antérieures en faveur d’un organisme européen d’éthique fort qui améliorerait à la fois la transparence et la responsabilité envers nos citoyens ».
Contexte
La commission spéciale du Parlement sur l’ingérence étrangère, la transparence et la responsabilité au Parlement européen a été chargée de rédiger un rapport à la suite de la résolution adoptée en plénière le 15 décembre 2022. Ce rapport complète l’ensemble de mesures prises et préparées par les autres organes du Parlement européen.
III – Préparer l’Europe aux crises de demain : une feuille de route pour mieux se préparer aux futures crises sanitaires
Communiqué de presse
- Évaluation de l’efficacité des mesures européennes et nationales
- Recommandations pour améliorer la gestion des crises et la préparation de l’UE à de futures urgences sanitaires
- Renforcement du contrôle parlementaire des mesures, de la coordination et de la solidarité

Les députés veulent renforcer l’Union européenne de la santé et la résilience des systèmes de santé nationaux face aux défis à venir.
Au cours de l’année écoulée, la commission spéciale du Parlement sur la pandémie de COVID-19 (COVI) a analysé les effets de la crise, évalué l’efficacité des mesures européennes et nationales et formulé des recommandations spécifiques pour remédier aux lacunes et aux faiblesses de leurs actions. Le Parlement a débattu du rapport mardi et a adopté le texte mercredi par 365 voix pour, 193 contre et 63 abstentions.
Les députés ont présenté une feuille de route claire pour des actions à venir dans quatre grands domaines : la santé, la démocratie et les droits fondamentaux, les aspects sociaux et économiques et la réponse mondiale à la pandémie.
Parmi les principales propositions figurent : l’amélioration de l’autonomie stratégique de l’UE en matière de médicaments, la transparence des activités liées aux passations conjointes de marchés et le renforcement du contrôle parlementaire sur la législation d’urgence au niveau de l’UE et au niveau national. Les députés demandent également à l’UE de maximiser l’utilisation des fonds de relance pour renforcer le marché unique. Ils souhaitent une meilleure coordination mondiale dans le cadre du prochain traité international sur la pandémie.
Les recommandations détaillées sont disponibles ici.
Citations
Kathleen Van Brempt, Présidente de la commission COVI (S&D, Belgique) , a déclaré: « Notre commission a procédé à une évaluation approfondie de l’évolution de la pandémie et de son impact sur l’UE. Il est apparu clairement que l’Europe n’avait pas seulement besoin des outils nécessaires pour élaborer des politiques à long terme, assorties d’objectifs et de feuilles de route clairs. Elle doit également être prête à agir rapidement, efficacement et dans l’intérêt de tous les Européens. En outre, l’UE doit évaluer de manière approfondie son rôle dans la réponse mondiale à la pandémie et s’engager plus que jamais en faveur de la coopération et de la solidarité internationales, en particulier avec les partenaires des pays du Sud. Il appartient maintenant à la Commission européenne de donner suite à nos recommandations et de mettre sur la table les propositions nécessaires pour façonner une UE plus résiliente face aux crises et prête pour l’avenir. »
Dolors Montserrat, rapporteure de la commission COVI (PPE, Espagne), a déclaré: « Le rapport de la commission COVI est le résultat d’un dialogue, d’un consensus et de rigueur. La réponse de l’UE à la pandémie a été exemplaire en ce qui concerne l’obtention de vaccins, les fonds de NextGenerationEU et la préparation aux futures urgences sanitaires. Nous devons renforcer davantage l’UE afin de protéger nos professionnels de la santé, de ne négliger aucune maladie et de venir en aide aux plus vulnérables. Nous devons encourager la recherche, lutter contre les fausses informations et les cyberattaques, et créer un secteur pharmaceutique compétitif qui renforce l’autonomie stratégique de l’UE en matière de santé. »
Contexte
En mars 2022, le Parlement a créé une « commission spéciale sur la pandémie de COVID-19 : leçons tirées et recommandations pour l’avenir » (COVI). La commission a étudié l’incidence de la pandémie sur les systèmes de santé et la campagne de vaccination, mais aussi les conséquences socio-économiques plus larges, les répercussions sur l’État de droit et la démocratie ainsi que la réponse internationale face à la pandémie. Elle a mené des consultations approfondies, lors d’auditions publiques, d’ateliers et de missions sur le terrain, qui ont donné lieu à des échanges de vue avec des experts, les décideurs politiques des institutions européennes et des organisations internationales, des épidémiologistes, des ministres de la santé, des entreprises pharmaceutiques, des professionnels de la santé et des chercheurs.
En adoptant ce rapport, le Parlement répond aux attentes des citoyens de renforcer la résilience de nos systèmes de santé et la compétitivité de l’UE, et de garantir l’égalité d’accès à la santé pour tous, comme l’expriment les propositions 8(3), 8(4), 8(6), 10(2) et 12(12) des conclusions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
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