Décrit comme départ nouveau pour réformer la politique d’accueil européenne, le projet de pacte migratoire fait l’objet d’intenses négociations depuis plus de trois ans.

Comment expliquer les échecs répétés de la réglementation actuelle ?

Le droit européen de l’immigration et de l’asile fait face à une problématique récurrente : comment répondre à une problématique asymétrique à travers des outils communs ? La réglementation actuelle est basée sur les principes « de Dublin », qui prévoient que l’État membre responsable du traitement de la demande d’asile est celui de première entrée, ce qui a fait peser une charge déraisonnable sur les États du sud de l’Europe. Cette asymétrie a été mise en lumière lors de la crise de l’été 2015, suite à laquelle des « quotas » de répartition ont été mis en place, matérialisant une forme de solidarité obligatoire qui n’est toujours pas unanimement acceptée. En 2020, la Commission européenne a proposé un nouveau pacte pour la migration et l’asile pour rétablir la confiance dans la capacité de l’UE à gérer la migration. Son but est la mise en place d’un système de gestion de la migration prévisible et fiable, qui vise à renforcer la solidarité et les coopérations externes.

Qu’est-ce qui distingue ce nouveau pacte migratoire de la réglementation en vigueur ?

Il prévoit d’abord une procédure accélérée d’examen des demandes via un système de « filtrage » aux frontières, qui consisterait à identifier les ressortissants de pays tiers à leur arrivée pour procéder aux vérifications sanitaires et sécuritaires et enregistrer leurs empreintes. Il s’agit selon le Conseil d’identifier la procédure applicable aux ressortissants d’États tiers entrant dans l’Union sans remplir les conditions requise (cinq jours maximum) avant d’enclencher la procédure qui leur est applicable. Cette nouveauté constitue une extension de la logique des « hotspots » expérimentée depuis 2015. Le pacte prévoit aussi de déroger aux garanties des procédures de retour en vue de lutter contre l’« instrumentalisation » du phénomène de l’asile par certains Etats tiers.

Il renforce ensuite la solidarité avec les Etats de première entrée, comme la possibilité pour les demandeurs de voir leurs demandes traitées dans un État où sont présents des membres de leur famille, ou dans lesquels ils ont obtenu un diplôme. De même, le pacte prévoit un système obligatoire de solidarité pour soulager des Etats qui rencontreraient une pression migratoire inhabituelle ou affronteraient une crise. Chaque État membre devra contribuer à la solidarité commune à travers la relocalisation de demandeurs ou une contribution, qui pourra prendre une forme financière (environ 20 000 euros par demandeur d’asile) ou matérielle (fourniture de matériel et d’équipements). Cet élément est une avancée majeure, même si la solidarité reste activée dans la perspective d’une crise et qu’il est difficile de mettre sur le même plan contribution matérielle et accueil de demandeurs d’asile. Il renouvelle enfin les relations avec les pays tiers, sans changer l’approche déployée précédemment. En revanche, il préconise l’utilisation d’un éventail élargi d’instruments ainsi que le conditionnement de la coopération avec les pays tiers dans un grand nombre de domaine à la coopération de ces derniers en matière de réadmission, pour améliorer l’effectivité des retours.

Quelle était la position de la France depuis le départ sur ce texte ?

La position française a peu varié. Elle se situe entre les Etats de première entrée sceptiques quant à la plus-value pratique du pacte, et les Etats du groupe de Visegrad, hostile à tout solidarité européenne sur la question. La France s’est dite prête à défendre le mécanisme de solidarité à condition d’obtenir des gages sur le renforcement de la surveillance de frontières extérieures et la lutte contre le mouvement secondaire des demandeurs d’asile dans l’Union. Pendant sa présidence du Conseil de l’Union, la France a par ailleurs défendu un mécanisme parallèle de « solidarité volontaire », au succès limité.

Quand peut-on espérer voir ce nouveau pacte adopté ?

Difficile d’apporter une réponse, mais les choses se précisent. Plusieurs points ont retardé l’adoption du pacte, notamment l’intransigeance du Parlement sur l’adoption « globale » du pacte. Les négociations au Conseil ont longtemps bloqué en raison des oppositions polonaises et hongroises au mécanisme de solidarité obligatoire. Ces deux États ont critiqué le recours à la majorité qualifiée pour dépasser leur opposition alors, que selon eux, le sujet ne pouvait réglé qu’à l’unanimité. Les négociations bloquaient encore à la fin de l’été 2023 sur le règlement dit « situations de crise ». En octobre, le Conseil a finalement trouvé une position commune sur le sujet. Chacun des co-législateur dispose désormais d’une position commune sur l’ensemble du pacte, et la présidence espagnole du Conseil de l’Union a indiqué à plusieurs reprises vouloir faire aboutir les négociations sur le sujet au plus vite. Dans tous les cas, on peut raisonnablement envisager une adoption avant les élections européennes de mai 2024.