Agnès Faure
Mardi 21 juillet 2020, les Vingt-Sept se sont mis d’accord sur un plan de relance ainsi que sur le budget européen de l’Union européenne pour la période 2021-2027. Première réunion physique depuis le début de la pandémie de Covid-19, le sommet aura duré quatre jours et quatre nuits – l’un des plus longs de l’histoire européenne. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette rencontre intense.
Renforcement du couple franco-allemand…
Opposée il y a quelques mois et encore au début de la crise à toute idée de mutualisation de la dette des pays européens, même partielle, Angela Merkel a changé de discours durant la crise. La proposition de plan de relance présentée par la France et l’Allemagne le 18 mai dernier a permis de relancer la coopération entre les deux partenaires. Ceux-ci se sont ensuite fait les principaux défenseurs du plan présenté par la Commission européenne le 27 mai, largement inspirée de l’initiative franco-allemande.
Le couple sort ainsi renforcé du Conseil européen entre les dirigeants de l’UE, dédié à l’adoption de ce plan de relance. Au cours de celui-ci, les deux dirigeants ont fait cause commune, allant même jusqu’à quitter ensemble la salle du Conseil européen le samedi soir, pour marquer leur opposition au compromis en cours de discussion avec les Etats frugaux. Et symbole de cette unité, les deux dirigeants ont tenu une conférence de presse commune à l’issue du Sommet. Néanmoins, malgré son unité sans faille au cours de cette négociation, le couple franco-allemand doit faire face à l’émergence d’une autre alliance aux convictions radicalement opposées : celle des pays autoproclamés frugaux.
Qui sont les pays dits frugaux ?
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… mais aussi de l’alliance des pays frugaux
Longtemps alignés avec le Royaume-Uni sur les questions économiques, et tout aussi opposés à une intégration plus politique de la zone euro, les pays frugaux (Danemark, Pays-Bas, Autriche, Suède), rejoints sur ce sujet par la Finlande, se sont montrés particulièrement durs dans les négociations sur le plan de relance. Malgré l’absence du Royaume-Uni, leur allié le plus inflexible, la coalition d’Etats dirigée par le Premier ministre néerlandais a su faire entendre ses revendications, et monnayer chèrement son soutien au projet.
S’ils n’ont pas réussi à empêcher la création d’une dette commune, contractée par la Commission européenne et remboursée collectivement par les Etats membres, les frugaux ont réussi à réduire la part consacrée aux subventions à 390 milliards d’euros (contre 500 milliards proposés) au profit de celle réservée aux emprunts (360 milliards contre 250 milliards d’euros initialement). Par ailleurs, les Pays-Bas, la Suède et l’Autriche ont même réussi à réduire le montant de leur participation au budget de l’UE, en augmentant la taille des rabais budgétaires qui leurs sont déjà attribués et qu’une majorité d’Etats avait à cœur de supprimer suite au Brexit.
Plan de relance et budget pluriannuel : que contient l’accord trouvé au Conseil européen ?
Au final, si « une appréciation claire de leur petite taille et de leur poids dans le monde ainsi que de leur profonde intégration économique avec le reste de l’UE les découragerait probablement de suivre le Royaume-Uni hors de l’Union« , les tensions qui se sont manifestées au cours du sommet témoignent de « la difficulté d’une intégration plus poussée entre des pays ayant des visions très différentes de l’avenir de l’UE« , analyse Pepijn Bergsen, chercheur membre du programme Europe de Chatham House sur le blog de la London School of Economics.
Par ailleurs, la difficulté des négociations au sein du Conseil européen, qui devait se prononcer à l’unanimité, expose les limites de ce mode de prise de décision, comme l’estime le directeur délégué de la rédaction des Echos Dominique Seux dans les colonnes de son journal : « la règle de la nécessaire unanimité, qui donne le même poids à la Finlande (5,5 millions d’habitants) qu’à l’Allemagne (83 millions), montre ses limites« . Un point de vue partagé par l’eurodéputé centriste Sandro Gozi.
Une Commission freinée dans ses ambitions…
Le compromis trouvé entre les chefs d’Etats et de gouvernement s’est également fait au prix d’un certain nombre de programmes dont les financements ont été réduits, pour pallier les rabais accordés aux frugaux. L’eurodéputé Les Républicains Arnaud Danjean, coordinateur de la sous-commission sécurité et défense au Parlement européen, a ainsi déploré « le quasi-abandon des ambitions en sécurité/défense« , dont le fonds européen de défense, initialement doté de 13 milliards d’euros qui a été réduit de près de moitié pour atteindre 7 milliards d’euros sur cinq ans.
D’autres programmes ont également été revus à la baisse, comme le programme de recherche « HorizonEU » doté de 81 milliards d’euros contre les 100 milliards prévus. « Le signal ne colle pas avec les ambitions affichées par l’Europe dans la course à la 5G et à l’intelligence artificielle« , soulignent Les Echos. Quant au fonds destiné à créer une Europe de la santé, EU4Health, initialement doté de 9 milliards d’euros, a quant à lui été complètement supprimé. « C’est incompréhensible en période de crise sanitaire« , a réagi l’eurodéputée libérale Sophie in’t Veld.
Des coupes budgétaires qui se font au détriment des ambitions géopolitiques et d’innovation portés par la Commission européenne, ce qu’a regretté sa présidente Ursula von der Leyen en conférence de presse : « Dans leur recherche de compromis les dirigeants ont réalisé des ajustements de grande envergure (…) par exemple dans les domaines de la santé, des migrations, de l’action extérieure, d’InvestEU, et n’ont pas repris l’instrument de solvabilité. C’est regrettable« .
… mais une Union solidaire envers ses membres
Néanmoins, l’accord trouvé par les chefs d’Etat ne conditionne pas l’attribution des fonds à l’approbation unanime des plans de relance nationaux par les 27. Cette exigence, portée par le Premier ministre néerlandais Mark Rutte – et dans une moindre mesure les autres pays frugaux -, visait à s’assurer que les pays d’Europe du Sud les plus touchés par la crise (Italie, Espagne) emploient cet argent à la mise en place de réformes spécifiques de leur économie. Une mise sous tutelle à laquelle se refusaient l’Italie et l’Espagne, qui redoutaient de se retrouver dans la même situation que la Grèce, lors de la crise de la zone euro. Les dirigeants n’ont pas retenu cette demande des frugaux : les plans de relance nationaux devront bien être validés par la Commission européenne et les Etats membres, mais sur la base d’un vote à la majorité qualifiée.
La répartition des fonds aux Etats vise par ailleurs les pays les plus fragiles : l’Italie et l’Espagne, parmi les plus touchés par la pandémie, seront parmi les premiers bénéficiaires des subventions accordées dans le cadre du plan de relance, une marque de solidarité à leur égard, alors que les deux pays sont déjà surendettés. La répartition de 70 % des prêts et subventions tient en effet compte des capacités de résilience des pays, et notamment de leur taux de chômage, tandis que le reste des fonds sera alloué en fonction de la chute de PIB causée par la crise.
Conditionnalité limitée des fonds au respect de l’Etat de droit
Dernier enseignement de ce sommet, l’attribution des financements européens du plan de relance est désormais conditionnée au respect de l’Etat de droit dans les Etats membres. Une première, dans l’Union européenne, même si le fonctionnement de la procédure reste assez obscur. En cas de manquement aux valeurs européennes constaté dans un pays européen, l’accord prévoit que la Commission européenne puisse proposer des mesures, sur lesquelles le Conseil devra statuer à la majorité qualifiée. Mais alors que l’ambition initiale de la Commission européenne et d’une majorité des Etats membres était d’établir un régime de sanctions en cas de manquements, le texte adopté est sur ce point beaucoup moins précis.
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https://www.touteleurope.eu/actualite/les-5-lecons-a-tirer-du-conseil-europeen.html