Denrées alimentaires : UE et Inde s’affrontent sur le libre-échange – EURACTIV.fr

Le gouvernement indien a dénoncé les pressions exercées par l’Union européenne et d’autres membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en faveur du maintien du libre-échange mondial des denrées alimentaires pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine, soutenant le droit des pays à constituer des stocks pour nourrir leurs propres citoyens.

La 12e conférence ministérielle de l’OMC (CM12) s’est réunie à Genève du 12 au 15 juin pour convenir, entre autres, d’une réponse à apporter à la crise alimentaire mondiale provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Ensemble, les deux puissances agricoles fournissent plus d’un tiers du blé et de l’orge, 52 % du maïs et plus de 50 % de l’huile et des graines de tournesol dans le monde.

Pour combler le déficit commercial résultant de la guerre, l’UE et d’autres pays occidentaux insistent sur la nécessité de maintenir à tout prix les flux commerciaux, tandis que d’autres défendent le droit des pays à préserver les stocks alimentaires pour leur propre population. Depuis le début de la guerre le 24 février dernier, quelque 27 pays, dont l’Inde, ont mis en place des restrictions commerciales.

Pour le ministre indien chargé de l’Alimentation et de la Distribution publique, Shri Piyush Goyal, les États ont parfaitement le droit de le faire.

Selon une déclaration publiée après la réunion, le ministre a reproché aux discussions sur les règles d’un accord de l’OMC d’être « largement adaptées aux pays développés, qui travaillent pour leur propre situation socio-économique ».

Shri Piyush Goyal a déclaré qu’il « se bat au nom de tous les pays en développement » pour leur capacité à se développer et à assurer la prospérité de leur population, soulignant par ailleurs que l’Inde a déjà fait l’expérience de la transition d’une nation souffrant de pénuries alimentaires à une nation largement autosuffisante sur le plan alimentaire.

Ses commentaires portent spécifiquement sur le droit de pratiquer le « stockage public », un instrument politique utilisé par les gouvernements pour se procurer, stocker et distribuer de la nourriture en cas de besoin, plutôt que de permettre le libre-échange de celle-ci sur les marchés mondiaux.

Cette pratique a fait l’objet de vives critiques tant au niveau de l’OMC que de l’UE.

Selon une déclaration publiée par le Conseil européen le 12 juin, les dirigeants de l’UE sont favorables à des « résultats équilibrés dans le domaine de l’agriculture », ce qui implique d’« éviter les restrictions à l’exportation de produits agricoles ».

Entre-temps, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a exhorté les États à ne pas imposer de restrictions commerciales.

« L’Union européenne maintient ses exportations de produits alimentaires, et tout le monde devrait en faire autant », a-t-elle déclaré à l’issue d’une réunion des dirigeants européens le 9 juin.

Pour le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovksis, qui a rencontré M. Piyush Goyal ce lundi 13 juin, l’OMC « a clairement un rôle important à jouer » pour faire face à la crise de la sécurité alimentaire.

« Rien n’est plus important que la nourriture. L’OMC doit contribuer à lutter contre les restrictions imposées à cette denrée des plus précieuses », a-t-il souligné dans un message publié sur Twitter.

Cet accrochage intervient dans un contexte de discussions croissantes sur un accord de libre-échange entre l’UE et l’Inde, dont les pourparlers seront relancés à la mi-juin afin de renforcer leurs liens dans le cadre des efforts déployés pour faire face à une Chine et une Russie plus affirmées.

Toutefois, l’agriculture, qui est une question importante pour l’Inde, devrait constituer un sujet de discorde particulier lors des négociations.

C’est ce que révèle un projet de rapport adopté jeudi (16 juin) par les députés de la commission du commerce de la Commission. Le rapport souligne que l’agriculture, qui représente 41 % de l’emploi en Inde, est une « question sensible ».

L’OMC critiquée par les petits agriculteurs sur les denrées alimentaires

La réunion de l’OMC a également été vivement critiquée par les petits agriculteurs, qui se sont réunis à Genève pour protester contre le rôle de l’organisation dans l’agriculture.

La Via Campesina, le mouvement paysan mondial qui représente les voix de plus de 200 millions de petits paysans d’Asie, d’Afrique, d’Europe et des Amériques, s’est mobilisée tout au long de la réunion de l’OMC.

Ils ont critiqué la position de l’OMC, affirmant qu’elle alimente la faim et ne donne pas la priorité aux pays les plus pauvres et à faible revenu.

Yudhvir Singh, de la Bhartiya Kisan Union, l’un des syndicats à l’origine de la mobilisation historique des paysans indiens en 2021, a déclaré dans un communiqué que les paysans ont besoin de politiques publiques fortes, comme des prix minimums et des stocks publics, pour « continuer à gagner décemment leur vie en produisant de la nourriture ».

« Les attaques de l’OMC contre notre modèle de régulation des marchés sont extrêmement dangereuses. Le G33 doit continuer à résister et à construire sur la base des aspirations et des espoirs des petits producteurs », a-t-il conclu.

Pendant ce temps, Morgan Ody, un petit agriculteur français et coordinateur général de La Via Campesina, a qualifié l’OMC de « projet raté ».

« [Nous] appelons tous les États, en particulier ceux du Sud, à quitter l’OMC immédiatement. Nous devons créer un nouveau cadre international pour l’agriculture et le commerce basé sur la souveraineté alimentaire. Ce n’est qu’alors que nous pourrons défendre les intérêts des petits producteurs alimentaires. »

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