Climat : l’UE réforme son marché du carbone

Eurodéputés et Etats membres sont parvenus à un accord dimanche 18 décembre pour réformer le système d’échange de quotas, destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Un « fonds social pour le climat » verra également le jour, afin d’aider les ménages et les entreprises les plus vulnérables face à la transition énergétique.

« Historique, ambitieux, totalement insuffisant », énumère Le Soir. Selon le quotidien belge, « les adjectifs ne manquent pas » pour qualifier l’accord trouvé ce week-end sur une réforme du marché carbone européen. Conclu dans la nuit de samedi 17 à dimanche 18 décembre par les équipes de négociations du Parlement et du Conseil, « sa mesure phare consiste à supprimer les droits gratuits à polluer et à les remplacer par une taxe carbone aux frontières de l’UE dont le principe, une première mondiale, a été adopté il y a quelques jours » [Les Echos].

Il s’agit « d’un pas crucial » [Ouest-France] pour espérer atteindre les objectifs européens : la neutralité climatique en 2050, après avoir réduit de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990.

Réduction des droits à polluer

Comme le détaille Le Soir, « actuellement et depuis 2005, 10 000 entreprises européennes, à l’origine de 40 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l’Union, doivent acheter ou vendre des quotas d’émissions […], à raison de 80 à 100 euros (montants observés ces derniers mois) la tonne d’équivalent de CO2 ». D’où son nom officiel : le système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (SEQE).

Or le compromis adopté ce week-end « relève […] l’ambition du marché carbone européen », fait savoir Le Monde. « Afin de mettre le marché sous tension, le nombre de droits à polluer sera progressivement réduit » [Le Monde]. « De sorte que les secteurs couverts par le marché carbone devront diminuer leurs émissions de 62 % d’ici à 2030 par rapport à 2005, contre un objectif précédent de – 43 % », poursuit le journal du soir.

Fin progressive des quotas gratuits

Jusqu’ici, les entreprises bénéficiaient par ailleurs, au sein de ces droits à polluer, de quotas gratuits afin d’éviter les délocalisations. « L’un des points polémiques résidait dans le calendrier d’extinction de ces fameux quotas […] accordés aux industriels pour mieux affronter la concurrence extra-européenne » [Les Echos]. Ils « seront totalement supprimés d’ici à 2034, mais progressivement, à partir de 2026 », explique le quotidien spécialiste des questions économiques.

En parallèle, un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » sera mis en place. Le dispositif est comparable à une « ‘taxe carbone’ aux frontières, qui appliquera le prix du CO2 de l’UE aux produits importés de certains secteurs, afin de permettre aux entreprises européennes de rivaliser autant que possible à armes égales avec celles des pays où les politiques climatiques sont moins strictes » [Il Sole 24 Ore]. Un accord sur ce mécanisme avait été trouvé le 13 décembre, mais encore fallait-il « former un cadre cohérent » avec les textes négociés ce week-end, note le journal italien.

En outre, le périmètre du marché carbone « sera aussi étendu, tout d’abord au transport maritime, après des demandes insistantes du Parlement européen, puis aux installations d’incinération des déchets en 2028 » [La Tribune].

Deuxième marché carbone et Fonds social pour le climat

Un nouveau marché carbone sera également créé pour couvrir « le chauffage des bâtiments et les carburants routiers » [Le Figaro]. « Les fournisseurs de carburants, de gaz et de fioul de chauffage devront ainsi acheter des quotas pour couvrir leurs émissions, un surcoût qu’ils pourraient répercuter sur la facture des ménages » [Le Monde].

Ainsi, « les consommateurs et les petits acteurs économiques européens sont eux aussi concernés par l’accord climatique tout frais », rapporte Le Soir. « Le prix à payer […] à partir de 2027 sera [toutefois] plafonné à 45 euros par tonne au moins jusqu’en 2030, avec une possibilité de report de la mesure à 2028 si les prix de l’énergie devaient s’établir aux niveaux stratosphériques actuels », détaillent Les Echos.

« Face à l’impact social d’un tel mécanisme » [La Tribune], l’Union européenne va créer « un Fonds social pour le climat doté de plus de 86 milliards d’euros » [Il Sole 24 Ore]. Considéré comme une « innovation sans précédent » par le quotidien italien, ce nouveau fonds doit « aider les entreprises et les ménages vulnérables à s’équiper, isoler leurs logements ou rouler moins polluant », liste Ouest-France.

Les négociations auront été « tendues », selon le journal régional. Entre les eurodéputés et les Etats membres, « la poire n’a pas exactement été coupée en deux », estime ainsi Contexte. Le média fait savoir que « le Conseil a réussi à imposer son calendrier pour l’extension du marché du carbone à la route et aux bâtiments […], la fin très progressive des quotas gratuits et le Fonds social pour le climat hors du budget européen ». « L’accord trouvé dimanche […] doit encore être confirmé par un vote du Conseil en décembre et des eurodéputés en janvier ou février 2023 », précise Le Monde.

Environnement : pacte vert, biodiversité, énergie, climat, actions de l’Union européenne – Touteleurope.eu

Compléments :

Ce week-end, un autre accord majeur a été finalisé au sein des instances européennes : celui qui concerne la réforme du marché carbone, véritable pilier de la politique climatique de l’Union européenne. Fin des « droits à polluer » gratuits des industriels, taxation des émissions liées au chauffage et aux voitures, fonds social pour la transition… À l’issue d’âpres pourparlers, les négociateurs du Parlement européen et des États membres de l’UE se sont entendus pour relever les ambitions et étendre le champ de son marché carbone.

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L’un des dispositifs phares de la réforme du marché carbone européen est la création d’une taxe carbone aux frontières qui s’appliquera aux importations industrielles.
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Instauration d’une taxe carbone aux frontières   

Si les négociateurs européens avaient adopté dès mardi 13 décembre le principe d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe – un dispositif totalement inédit – les détails de son application avaient été laissés pour l’ultime round de pourparlers vendredi 16 et samedi 17 décembre. Il s’agit de faire payer à certaines importations industrielles (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité, hydrogène) les émissions liées à leur production, pour éviter la délocalisation de nos industriels hors d’Europe et, dans le même temps, encourager le reste du monde à adopter les standards européens.

Une période-test commencera dès octobre 2023, durant laquelle les entreprises importatrices devront simplement rapporter leurs obligations. Mais pour que la mesure soit pleinement effective, l’Union européenne doit supprimer les quotas d’émission gratuits alloués aux industriels européens. Finalement, c’est la date de 2034 qui a été retenue pour leur disparition totale, contre celle de 2032 défendue par les eurodéputés. Pour qu’ils ne soient pas désavantagés, les industriels européens exportant vers des pays hors UE sans tarification carbone comparable bénéficieront en outre d’un mécanisme dédié d’ici 2025. « Cet accord permettra aux gros pollueurs de continuer à recevoir des milliards d’euros de quotas gratuits pendant une décennie », regrette le Climate action network (CAN). 

Extension du marché carbone au chauffage et aux voitures 

C’était l’autre point le plus controversé des négociations, celui de l’extension du marché carbone européen au chauffage des bâtiments et aux carburants routiers (ET2) en 2027. Jusqu’ici, seuls les producteurs d’électricité et les industries énergivores (sidérurgie, ciment…) étaient concernés, soit environ 10 000 entreprises, représentant 40% des émissions du continent. Désormais, les particuliers eux-aussi sont visés. Face à la crainte d’un nouvel épisode des Gilets jaunes, en pleine crise énergétique et inflationniste, les eurodéputés plaidaient pour réserver d’abord cette mesure aux immeubles de bureaux et poids lourds.

Au final, les ménages paieront bien un prix du carbone sur le carburant et le chauffage à partir de 2027, mais ce prix sera plafonné à 45 euros/tonne au moins jusqu’en 2030. Si la flambée actuelle des prix énergétiques se poursuivait, l’entrée en application sera repoussée à 2028. « Les conditions strictes que nous avons posées rendent l’extension aux ménages politiquement acceptable », a jugé Pascal Canfin, eurodéputé Renew et président de la Commission environnement au Parlement européen.

Le secteur maritime et l’aviation entrent aussi dans le marché carbone

Autre décision inédite, le marché carbone s’étendra également au secteur maritime, obligeant pour la première fois les exploitants de navires à payer pour leurs émissions de carbone. Les émissions du secteur aérien seront aussi soumises au marché carbone, mais seuls les vols intra-européens sont concernés. Or, si les long-courriers représentent environ 6% des vols dans l’espace économique européen, ils produisent environ la moitié des émissions de CO2 et de NOx (oxydes d’azote). À partir de 2028, les sites d’incinération de déchets pourraient aussi être tenus d’acheter des droits à polluer, sous réserve d’une étude favorable rendue par Bruxelles.

Des ambitions relevées

Selon l’accord trouvé, le rythme de réduction des quotas proposés sur le marché carbone va s’accélérer, avec d’ici 2030 une baisse de 62% par rapport à 2005 (contre un objectif précédent de 43%, mais 70% réclamé par les ONG). Ce qui signifie que d’ici là, les industriels concernés devront automatiquement diminuer d’autant leurs émissions. « Il existe jusqu’en 2026 une marge de manœuvre pour investir dans des énergies décarbonées et gagner en efficacité énergétique. Après, c’est l’heure de vérité : il faudra réduire ses émissions ou payer très cher », résume l’eurodéputé Peter Liese (PPE, droite).

Création d’un fonds social pour accompagner les ménages vulnérables

Les recettes du nouveau marché carbone (ET2) devront intégralement financer la transition. Elles viendront notamment alimenter un « Fonds social pour le climat », doté de 86,7 milliards d’euros, créé pour aider les ménages et entreprises vulnérables. « Ce Fonds ne sera pas un chèque en blanc pour les États. Il aidera les ménages vulnérables dans leur transition énergétique, par exemple avec des subventions pour l’isolation ou pour des transports plus écologiques », a assuré l’eurodéputée Esther de Lange (PPE, droite). De plus, le « Fonds d’innovation » qui accompagne financièrement les entreprises gonflera à environ 50 milliards d’euros.

Concepcion Alvarez @conce1 avec AFP© 2022 Novethic – Tous droits réservés https://www.novethic.fr/

LES TAXES CARBONE POURRAIENT COÛTER 10% DU CHIFFRE D’AFFAIRES DES ENTREPRISES EN 2030 SELON ECOACT

De plus en plus d’États mettent en place des mécanismes de tarification du carbone réglementaires, reposant sur le principe du pollueur payeur. Ces évolutions ont déjà des répercussions sur les entreprises et les conséquences vont être de plus en plus lourdes jusqu’à peser plus de 10% du chiffre d’affaires de certains groupes, estime Ecoact. 

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Les mécanismes de tarification du carbone réglementaire évoluent rapidement.
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Après avoir été longtemps mal-aimé, le marché du carbone devient un outil majeur dans les négociations actuelles sur le climat. Ce système de « droit à polluer » initialement mis en place par l’Union européenne, et dont la réforme vient de faire l’objet d’un accord entre le Parlement et le Conseil européens, se développe partout dans le monde. « Les mécanismes de tarification du carbone réglementaire évoluent rapidement », constate une étude d’Ecoact intitulée « prix du carbone réglementaire : quel impact pour les entreprises ? ». 

La Chine est notamment en passe d’unifier son système d’échange de quotas et l’Union européenne vient de mettre en place une taxe carbone aux frontières ainsi que d’étendre la couverture de son système d’échange de quotas (EU ETS) aux secteurs du transport et du bâtiment. Les prix du carbone ont également battu un nouveau record en Europe atteignant 97 euros/téqCO2 en février 2022, soit une croissance de 200% par rapport à février 2021.

Prix carbone autour de 220 dollars en 2030

Ces évolutions ont déjà des répercussions pour les entreprises et les conséquences vont être de plus en plus lourdes. En effet, « selon notre scénario construit pour s’approcher d’un monde à 1,5°C, le poids économique du prix du carbone pour les secteurs les plus dépendants des énergies fossiles pourrait atteindre plus de 10% de leur chiffre d’affaires en 2030 », estime Ecoact. Le cabinet de conseil construit cette projection sur les hypothèses du Giec qui cible un prix carbone autour de 220 (170-290) dollars américains par tonne équivalent carbone (téqCO2) en 2030 et 630 (430-990) dollars par téqCO2 en 2050 afin d’amener les entreprises à suivre une trajectoire de 1,5°C.

Ainsi, en 2030, les « surcoûts liés au carbone devraient atteindre près de 360 milliards d’euros aux États-Unis et plusieurs dizaines de milliards d’euros dans la plupart des pays développés », conclut l’étude. Sans surprise, les entreprises de la cimenterie, de la métallurgie, des utilities, du transport et de la production d’énergie seront les plus concernées. « Des investissements rapides devraient donc être effectués par ces secteurs pour décarboner l’ensemble de ces activités », recommande ainsi l’étude. Les entreprises des secteurs concernés risquent sinon de « perdre une partie de leurs marges et de leur compétitivité face aux entreprises concurrentes moins émissives ».

Les États ont un rôle à jouer

Les répercussions se ressentiront ensuite sur l’ensemble du tissu économique, prévoit Ecoact. « Même les secteurs peu émissifs en termes d’émissions directes (tertiaires par exemple) sont fortement dépendants des secteurs les plus émissifs : les transports, la métallurgie, la pétrochimie et la production d’énergie », explique ainsi le cabinet de conseil. Il cite la distribution, le textile ou encore l’alimentation ou l’électronique qui « pourraient voir l’impact indirect du prix carbone dépasser les 5% de leur chiffre d’affaires en 2030 ».

Ecoact recommande donc aux entreprises d’anticiper et d’agir. Quant aux États, ils ont également un rôle à jouer « en redirigeant les revenus du prix du carbone vers des investissements bas-carbone », ajoute Ecoact. C’est déjà le cas avec des plans comme l’Inflation Reduction Act aux États-Unis, le paquet européen « Fit for 55 » en Europe ou encore le Japan’s Green Transformation. Ces mesures devraient contribuer à faire grimper les investissements dans les énergies propres à 2000 milliards de dollars par an dans le monde à l’horizon 2030, soit 50% de plus qu’aujourd’hui, selon un rapport de l’AIE publié jeudi 27 octobre 2022.

Mais cela reste insuffisant : pour atteindre l’objectif de la neutralité carbone en 2050 et ainsi stabiliser la hausse des températures à 1,5°C, l’AIE estime qu’il faudrait des investissements de 4000 milliards de dollars annuels dans les énergies propres.

Les taxes carbone pourraient coûter 10% du chiffre d’affaires des entreprises en 2030 selon Ecoact (novethic.fr)

L’analyse du Club des Juristes :

L’adoption du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières par l’Union européenne : l’arsenal européen de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre se renforce au prix d’incertitudes persistantes – Par Sabrina Robert

Par Sabrina ROBERT – Professeur à Le Mans Université

Le 13 décembre 2022, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à un accord politique sur l’adoption et la mise en œuvre prochaine du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (MACF). Après l’avoir annoncé en décembre 2019 dans sa présentation du Green Deal (ou Pacte vert pour l’Europe)la Commission européenne en avait détaillé les modalités de fonctionnement dans une proposition de règlement dévoilée en juillet 2021. S’agissant d’une mesure très technique, dont l’objectif est de renforcer l’arsenal juridique européen de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, la mise en œuvre effective du MACF est encore sujette à quelques inconnues.

Quel est l’objectif du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ?

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) est l’une des pièces maîtresses du renforcement de l’arsenal juridique européen pour lutter contre le réchauffement climatique. Il fait partie du paquet législatif « Ajustement à l’objectif 55 (fit for 55) » qui doit permettre à l’UE et aux États membres d’atteindre leurs objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES), conformément à la Loi européenne sur le climat de 2021 et à l’Accord de Paris sur le climat de 2015. Mais si l’objectif du MACF est « environnemental », dans sa conceptualisation, il s’agit d’abord d’une mesure de défense commerciale.

Le MACF est en effet conçu pour compléter le système d’échange de quotas d’émission de GES (SEQE). Pour rappel, le SEQE constitue le plus vaste marché du carbone au monde. Il s’applique à trente pays (les membres de l’UE plus la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande) et concerne plus de 11000 sites industriels dans les secteurs de la production d’énergie et de chaleur, de la raffinerie de pétrole, de l’aciérie et de la production de fer, de l’aluminium, des métaux, du ciment, de la chaux, du verre, de la céramique, de la pâte à papier, du papier, du carton, des acides et des produits chimiques organiques en vrac. Les entreprises soumises au SEQE ont l’obligation d’acquérir un nombre de quotas d’émission de GES correspondant à la quantité réelle de leurs rejets des CO2 ou de gaz équivalents. Le coût du quota carbone est ainsi soumis aux lois du marché, avec l’aléa de l’offre et de la demande, d’autant plus que le nombre de quotas mis en circulation par la Commission européenne diminue progressivement (on parle ici de dispositif Cap and Trade).

Les industriels européens soumis au SEQE supportent un coût – celui de leur pollution – qui peut les désavantager sur le marché européen. La concurrence peut alors n’être plus « saine ». D’une part, leurs produits peuvent être exposés à la concurrence de produits comparables importés qui, s’ils n’ont pas été eux-mêmes « taxés » en raison de leur empreinte carbone, peuvent être moins chers et donc plus compétitifs. D’autre part, les industriels européens peuvent être tentés de délocaliser leur production à l’étranger, pour échapper à l’obligation d’acheter des quotas carbone (pour l’heure, le SEQE répond à cette problématique en octroyant des quotas gratuits aux entreprises les plus exposées aux « fuites de carbone », soit les entreprises les plus polluantes). Le MACF vise à rétablir le rapport de concurrence des produits locaux et des produits importés sur le marché intérieur, de sorte qu’il ne soit plus avantageux de produire une marchandise dans un État qui pratique une réglementation climatique en-deçà des exigences européennes. Autrement dit, le MACF vise à protéger les entreprises européennes soumises au SEQE contre le « dumping environnemental ».

Comment fonctionne le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ? À quels secteurs s’applique-t-il ?

Le MACF est une mesure très technique. Contrairement à ce qui est fréquemment dit, il ne s’agit pas d’une « taxe carbone » qui serait prélevée au moment du dédouanement des marchandises. Il s’agit d’une contrainte réglementaire. Cette distinction est d’importance, que ce soit en termes de compétences entre l’UE et les États membres (l’UE n’a que des compétences limitées en matière fiscale) ou en termes de compatibilité avec les règles du commerce international. Les importateurs de produits étrangers auront l’obligation d’acquérir des « certificats MACF » à hauteur des émissions de GES générées par la production des marchandises concernées. Cette obligation est ainsi une sorte de « mesure miroir » à l’obligation d’acheter des quotas carbone qui pèse sur les installations européennes. Avec ce dispositif, les producteurs étrangers n’ont en réalité aucune contrainte supplémentaire. Le coût de l’achat des certificats MACF ne devrait pas peser directement sur eux, mais sur l’opérateur qui importe les marchandises sur le marché intérieur. Pour autant, la mécanique du marché devrait, si elle fonctionne correctement, rendre ces produits moins compétitifs et donc inciter les opérateurs et les pays étrangers à renforcer leurs propres dispositifs de réduction des GES. Il est d’ailleurs prévu que les produits importés peuvent bénéficier d’une réduction du nombre de certificats MACF à restituer s’il est prouvé que dans le pays d’origine, un « prix du carbone », sous quelque forme que ce soit (taxe carbone, marché de quotas…), s’applique.

Pour l’heure, le Parlement européen et le Conseil se sont entendus pour que le MACF s’applique aux secteurs du ciment, de l’acier, du fer, de l’aluminium, aux engrais, à l’électricité et à l’hydrogène. Son champ d’application ne sera donc pas identique à celui du SEQE. Mais le MACF est une mesure qui doit être mise en œuvre de manière progressive, prévisible et proportionnée. Le nombre de secteurs couverts devrait donc, peu à peu, s’étendre comme au demeurant celui du SEQE qui devrait prochainement s’appliquer au secteur du transport maritime et au traitement des déchets (proposition de la Commission européenne en cours de discussion). Le MACF diverge du SEQE sur d’autres points. D’une part, le prix du certificat MACF sera indexé sur celui du quota carbone mais ne sera pas nécessairement identique. D’autre part, le MACF ne s’inscrit pas dans une logique Cap and Trade : il n’est pas question d’imposer, à terme, un plafond d’émissions de GES importés au sein de l’UE. Enfin, le MACF ne s’applique pas, pour le moment, aux produits transformés. La Commission européenne semble toutefois l’envisager à court terme.

Quel est le calendrier d’entrée en vigueur de ce mécanisme ? Comment sera-t-il mis en œuvre ?

Il est prévu que le MACF entre en vigueur, pour une première phase transitionnelle, à partir du 1er octobre 2023. À cette date, les importateurs de produits concernés par le MACF auront l’obligation de rendre compte des émissions de GES générés par leurs importations (obligation de déclaration sur les émissions directes). Cette phase est cruciale car elle doit permettre à l’UE et à ses partenaires commerciaux de développer des canaux d’échanges d’informations, non seulement pour connaître les émissions de GES émises par chaque production, mais aussi pour pouvoir mettre en comparaison les dispositifs de tarification du carbone existants. Outre de possibles tensions politiques entre les États, on imagine aisément les difficultés techniques qui devront être surmontées pour parvenir à établir un dispositif de comptabilité carbone approprié.

La durée de cette phase de transition est encore incertaine. Elle dépendra principalement de la suppression de l’allocation des quotas gratuits pour les entreprises européennes exposées aux fuites de carbone. Avec le MACF, cette dérogation au SEQE, qui revient à en annihiler totalement l’intérêt, perd sa raison d’être. Mais la suppression ne sera que très progressive et ne devrait totalement disparaître qu’en 2034 (la suppression progressive devrait débuter en 2026 mais seulement pour 2,5 % des quotas gratuit ; en 2030, cette proportion devrait atteindre 48,5 %). Il faut donc s’attendre à ce que les marchandises les plus polluantes importées en Europe ne soient effectivement concernées par l’obligation d’acheter des certificats MACF que dans quelques années.

Il reste par ailleurs de nombreuses interrogations en suspens. Parmi celles-ci, on peut mentionner la question de la destination des ressources générées par la vente des certificats MACF. Elles pourraient venir abonder le Fonds social pour le climat pour la transition énergétique dont la création a été actée lors du trilogue du 18 décembre 2022. Une telle solution contribuerait à mettre le dispositif en phase avec son objectif ultime de protection du climat. Se pose également la question de savoir comment protéger la compétitivité des produits européens lorsqu’ils sont exportés dans un pays où la réglementation climatique est en-deçà des standards européens. Il semble que soit envisagée la possibilité d’allouer à ces produits dédiés à l’exportation des quotas d’émissions de GES à titre gratuit. On comprend la logique commerciale (encore qu’il pourrait s’agir là de « subventions à l’exportation » qui sont strictement interdites par le droit de l’OMC). En revanche, du point de vue climatique, une telle mesure reviendrait au même travers que les quotas gratuits pour les entreprises européennes exposées aux fuites de carbone. Cette logique de cercle vicieux met en évidence les limites de la mesure européenne, en tant qu’elle est une réponse unilatérale à une problématique mondiale.

Finalement, même si la mesure européenne a été conçue pour se couler, le mieux possible, dans les exigences du droit de l’OMC, l’UE n’est pas à l’abri de contestations, voire d’un contentieux, avec certains de ses partenaires commerciaux. Depuis qu’il est annoncé, le MACF a suscité de nombreuses inquiétudes et tensions avec certains pays. Une fois mis en œuvre, il pourrait être attaqué, à l’OMC ou dans le cadre d’un autre accord de libre-échange auquel est partie l’UE, en tant qu’il constitue une mesure discriminatoire, une atteinte aux règles sur les subventions ou encore une restriction déguisée. Indépendamment de l’issue d’une telle plainte, qui reste hypothétique, cette possibilité ajoute aux incertitudes entourant l’entrée en vigueur complète et définitive du MACF.

L’adoption du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières par l’Union européenne : l’arsenal européen de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre se renforce au prix d’incertitudes persistantes – Par Sabrina Robert – Le Club des Juristes

Environnement : comment fonctionne le marché du carbone européen ?

Le prix de la tonne de CO2 a augmenté depuis l'instauration du marché carbone européen
Le prix de la tonne de CO2 a augmenté depuis l’instauration du marché carbone européen – Crédits : Petmal / iStock

L’Union européenne a pour objectif d’atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050. A cette date, un équilibre devra avoir été trouvé entre les émissions de gaz à effet de serre émises et leur absorption dans des puits de carbone naturels (sols, océans…) ou artificiels. Ce qui suppose de réduire l’empreinte carbone des activités économiques.

Un des outils principaux de cette politique au niveau européen consiste en la mise en place, dès 2005, d’un système européen d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SEQE). Le principe ? Fixer un prix du carbone suffisamment haut pour inciter les plus grandes entreprises à en émettre moins.

En quoi consiste le marché du carbone ?

Chaque année, les entreprises ont un plafond d’émissions de gaz à effet de serre. Un certain nombre de “droits à polluer” gratuits leur sont par ailleurs alloués. Si les entreprises dépassent le plafond prévu, elles doivent acheter des quotas supplémentaires, soit aux enchères sur des plateformes qui opèrent pour le compte des Etats, soit auprès d’autres sociétés, celles qui auraient suffisamment réduit leurs émissions. Ces dernières peuvent aussi décider de conserver ces quotas supplémentaires pour l’année suivante.

Le prix des quotas est déterminé par la loi de l’offre et de la demande. Il augmente ainsi quand ces droits sont fortement demandés, ou lorsque l’UE réduit le plafond. Cette dernière baisse en effet à échéances régulières le nombre de quotas disponibles sur le marché pour diminuer l’offre, et par conséquent faire grimper le prix de la tonne de carbone. De quoi toujours plus inciter les entreprises à réduire leurs émissions. Les sociétés qui n’auraient pas acquis assez de quotas par rapport au niveau de leurs émissions de gaz à effet de serre encourent une amende dans l’Etat participant au SEQE, d’un montant de 100 euros par tonne de CO2 excédentaire.

A ce stade, le marché du carbone européen couvre environ 36 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Ces règles s’appliquent au dioxyde de carbone (CO2) émis par les centrales produisant de l’électricité et de la chaleur et par les principales industries (sidérurgie, verre, raffineries de pétrole, chimie, cimenteries…) d’une puissance supérieure à 20 mégawatts (MW). Cela représente environ 10 400 usines ou centrales. Elles concernent également l’aviation commerciale pour les vols intra-européens. Plus de 350 exploitants aériens sont ainsi régis par le SEQE. Dans une moindre mesure, le protoxyde d’azote (N2O) émis dans la production d’acides et les perfluorocarbures provenant de la production d’aluminium sont également couverts.

Le mécanisme s’applique non seulement sur le territoire de tous les Etats membres de l’Union européenne, mais également en Islande, au Liechtenstein et en Norvège.

Combien coûte une tonne de CO2 ?

Le prix moyen d’un quota – correspondant à une tonne de CO2 ou d’équivalent CO2 pour les autres gaz – est passé de 37,45 euros en février 2021 à près de 80 euros en décembre 2022. Dans le secteur de l’aviation, qui nécessite des quotas différents, la facture est moins élevée : un peu plus de 60 euros en novembre 2021. Conformément aux objectifs du marché du carbone, ce coût a fortement augmenté sur le long terme : en janvier 2014, un acquéreur pouvait acheter un quota de CO2 pour moins de 5 euros en moyenne.

Au total, les revenus cumulés des enchères s’élèvent à 83,5 milliards d’euros entre 2012 et mi-2021, dont 19 milliards en 2020, selon un rapport de la Commission européenne. Une hausse progressive des recettes du marché du carbone liées à l’évolution du prix des quotas. En 2021, la France a perçu chaque mois entre 83 millions d’euros (août) et 168 millions (juin). Les Etats membres qui touchent ces revenus doivent utiliser au moins 50 % des montants à des mesures liées au climat et à l’énergie (100 % pour les quotas liés à l’aviation).

Après la crise économique de 2008 et la baisse de la production, la demande de quotas a chuté et le plafond annuel s’est trouvé trop élevé pour réduire suffisamment les émissions, en conduisant à un prix faible de la tonne de CO2. Une situation qui ne permettait pas d’inciter les entreprises à investir dans des technologies moins polluantes. Pour faire monter ces prix, l’Union européenne a donc décidé de retirer du marché les quotas excédentaires : une réserve de stabilité du marché (MSR pour Market Stability Reserve), lancée en janvier 2019, a permis de retirer 354 millions de quotas sur près d’1,7 milliard en 2020. Entre septembre 2021 et août 2022, près de 380 millions de quotas sont placés dans cette réserve.

Lancé en 2005, le marché du carbone européen a connu plusieurs évolutions.

Tous les ans, le plafond annuel de quotas est diminué afin d’atteindre les objectifs environnementaux européens. Il était d’environ 2 300 mégatonnes (Mt) par an entre 2005 et 2007 puis de 2 100 Mt entre 2008 et 2013.

Quelles évolutions va connaître le marché du carbone européen ?

Après de longues discussions, les équipes de négociations du Parlement et du Conseil ont trouvé un accord dans la nuit du 17 au 18 décembre 2022 pour réformer ce marché du carbone. Il porte l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre des secteurs du SEQE à 62 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Il y aurait donc deux diminutions du nombre total de quotas : – 90 millions en 2024 et – 27 millions en 2026.

Le texte doit maintenant être formellement adopté par les eurodéputés et les Etats membres (Conseil de l’UE). Une fois le texte adopté, les installations d’incinération des déchets municipaux seront couverts par le marché carbone à partir de 2028. Tout comme le transport maritime, avec une période de transition entre 2025 et 2027 (incluant les émissions de méthane et de protoxyde d’azote dès 2026). 

En parallèle, l’Union européenne pourrait créer un deuxième marché du carbone, spécifique au chauffage des bâtiments et au transport routier. Le prix sur ce second système, lancé en 2027, ne pourra toutefois pas dépasser les 45 euros par tonne de CO2 au moins jusqu’en 2030. Un nouveau Fonds social pour le climat, doté de 86,7 milliards d’euros, doit aider les entreprises et les ménages vulnérables à isoler leurs logements ou encore à se déplacer en polluant moins.

La mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (ou “taxe carbone”) est l’autre grande nouveauté qui découle de l’accord entre les eurodéputés et les Etats membres de mi-décembre. A travers cet instrument, l’UE veut lutter contre les “fuites de carbone”, c’est-à-dire la pollution exportée (avec les délocalisations) puis importée sur le territoire européen. Elle entend faire payer un surcoût pour les importations, vers l’Union, de biens dont la production émet des gaz à effet de serre. Or cette future “taxe carbone” aux frontières du marché européen serait alors liée au prix du carbone fixé en son sein. L’UE souhaite donc que les quotas gratuits portant sur les secteurs concernés disparaissent progressivement de son marché intérieur, notamment pour éviter que les entreprises européennes opèrent une concurrence déloyale envers celles produisant hors du Vieux Continent. Ces quotas gratuits devraient finalement être supprimés très progressivement à partir de 2026, jusqu’à totalement disparaître en 2034.

Dans le cadre du Pacte vert, la Commission européenne avait fait sa proposition de réforme en juillet 2021.

Comment se sont déroulées les négociations sur la réforme du marché du carbone européen ?

L’initiative, présentée en juillet 2021 par la Commission européenne, avait reçu un accueil plutôt froid du côté des Etats membres et du Parlement européen. L’extension du marché carbone aux secteurs du transport routier et du chauffage devrait conduire à l’augmentation des prix à la pompe ou de la facture d’énergie des ménages. De quoi faire craindre un “effet Gilets jaunes” aux Vingt-Sept, même si l’exécutif européen avait aussi proposé en parallèle ce fameux Fonds social pour le climat afin d’aider les Européens les plus fragiles à encaisser le choc.

Les ministres de l’Environnement ont finalement réussi à trouver un compromis dans la nuit du 28 au 29 juin 2022. Ils visaient une réduction des émissions de 61 % d’ici 2030 par rapport à 2005 dans les secteurs couverts par le SEQE. Les Etats membres acceptaient en outre d’inclure le transport maritime dans le champ d’application du marché carbone et d’en créer un nouveau pour les bâtiments et le transport routier (avec un an de plus que ce que prévoyait la Commission, faisant démarrer les enchères en 2027).

Parmi les questions en débat figurait aussi celle de la disparition totale des quotas gratuits, dans le cadre du projet de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Lors d’un premier vote en session plénière au Parlement européen le 8 juin 2022, qui a donné lieu à une séance mouvementée, les eurodéputés ont désapprouvé la réforme du marché du carbone. D’un côté, un vote défavorable des Verts et de la gauche, pour lesquels le texte n’allait pas assez loin compte tenu de l’urgence climatique. La cause de ce mécontentement ? Les conservateurs du PPE avaient réussi à repousser la fin des quotas gratuits à fin 2034, là où la commission Environnement du Parlement tablait sur une disparition de ces droits en 2030. A l’autre bout de l’échiquier politique, les souverainistes et l’extrême droite ont également voté contre car ils jugeaient le projet trop ambitieux. Un texte de compromis est finalement repassé devant les eurodéputés le mercredi 22 juin 2022. Ces derniers ont approuvé une réforme comportant notamment un objectif de réduction des gaz à effet de serre de 63 % à l’horizon 2030 par rapport aux niveaux de 2005 (pour les secteurs couverts par le système) ainsi que la fin des quotas gratuits à l’horizon 2032.

Finalement (voir plus haut), les équipes de négociations du Parlement et du Conseil ont donc trouvé un accord sur un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre des secteurs du SEQE à 62 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005 et sur une diminution progressive des quotas gratuits jusqu’à totalement disparaître en 2034. 

Quels sont les autres marchés carbone dans le monde ?

Si l’Union européenne est la première à avoir mis en place un système d’échange de quotas d’émissions, elle n’est pas la seule. La Chine a par exemple lancé son propre système en 2021, couvrant ses centrales thermiques. Certains Etats des Etats-Unis, le Canada, la Corée du Sud ou encore l’Uruguay ont des marchés de ce type.

Selon l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), “l’ensemble des juridictions mettant en œuvre un prix du carbone représente environ 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES)”. Un chiffre qui intègre également les taxes sur les émissions, qui ne sont pas des marchés à proprement parler. Pour autant, en prenant en compte les exonérations en place dans ces différents pays, “seules 20 % des émissions anthropiques de GES sont couvertes par un prix du carbone”, précisent les chercheurs.

Le Brexit a également entraîné des conséquences sur le marché du carbone européen. Après son départ de l’UE, le Royaume-Uni s’est doté de son propre système en janvier 2021. Un certain nombre de dispositions ont toutefois été prises dans le cadre de l’accord de commerce et de coopération régissant les relations entre les deux parties, signé en décembre 2020. Ce compromis dispose par exemple que les vols au départ de l’Espace économique européen et à destination du Royaume-Uni doivent être inclus dans le marché du carbone de l’UE dans les deux ans suivant l’accord. Les installations situées en Irlande du Nord demeurent par ailleurs dans le SEQE européen. Enfin, l’accord de commerce et de coopération ouvre la voie à une association des deux systèmes. Cela ne serait pas une nouveauté : en janvier 2020, les marchés du carbone européen et suisse ont été reliés. Cela signifie que les quotas sont utilisables dans l’un ou l’autre de ces systèmes.