Grain de sel GB : La crise migratoire qui tend les relations avec une Biélorussie accusée d’orchestrer l’afflux de migrants constitue un nouvel épisode d’une longue crise politique qui secoue le pays et, avec lui, l’Union européenne. En effet, les dix-huit derniers mois ont mis à l’épreuve une Union européenne obligée de tenir un discours ferme sur les dérives du Président Loukachenko . Retour avec la Fondation Robert Schuman sur la chronologie d’une crise qui permet d’analyser l’attitude européenne et les outils dont elle dispose pour défendre ses valeurs lorsqu’elles sont remises en cause par un État.
Synthèse et analyse : pour analyser cette crise politique inédite, il est utile de comparer deux chronologies : d’une part, celle des dérives du Président biélorusse et d’autre part, celle des réactions européennes qui témoignent d’une éclairante gradation.
Concernant le Président Alexandre Loukachenko, la crise commence le 9 août 2020 avec sa réélection à la tête du pays. Son score de 80,23% soulève immédiatement de nombreuses manifestations dans le pays puis provoque l’exil de sa principale opposante, Svetlana Tikhanovskaïa, candidate de l’opposition après l’emprisonnement de son mari, l’opposant Sergueï Tikhanovski. Au fil des mois, l’ampleur et la fréquence des manifestations s’accroissent tandis que le régime organise une vigoureuse répression par l’arrestation de ses opposants et de journalistes.
Ce cercle vicieux de la violence politique aboutit en mai 2021 au détournement d’un avion de la compagnie aérienne RyanAir pour arrêter le journaliste Roman Protassevitch. Le mois suivant, le Président biélorusse poursuit le durcissement législatif de la répression avec une loi qui prévoit de nouvelles peines contre les manifestants alors que le nombre de prisonniers politiques estimé par l’UE approche les 500. Enfin, le point culminant de la tension politique survient au début de l’automne avec ce que Josep Borrell appelle le « trafic de migrant d’État » organisé par la Biélorussie.
S’agissant des réactions de l’Union européenne à l’aggravation de la situation démocratique bulgare, elles commencent logiquement avec la réélection hégémonique du Président dont les ministres européens des affaires étrangères condamnent la falsification dès le 14 août 2020, appuyés le mois suivant par une résolution du Parlement. Le 21 octobre, le Parlement européenne affirme ne pas reconnaître Alexandre Loukachenko comme Président de la Biélorussie après la fin de son mandat le 5 novembre 2020. Ces premières condamnations seront renouvelées en réaction à chaque nouvel évènement (par exemple, qualification d’acte terroriste pour le détournement d’avion en mai et dénonciation de l’usage politique des migrants en octobre). Parallèlement, lorsque les premières sanctions européennes sont adoptées, elles visent d’abord les individus impliqués dans la répression. Leur liste s’allonge au fil de la crise. Par exemple, en juin, 78 nouveaux individus sont sanctionnés suite au détournement de l’avion tandis que de nouvelles mesures restrictives sont prises fin octobre « à l’encontre de personnes et d’entités » qui prennent part à « l’attaque hybride » lancée par le régime qui orchestre l’afflux de migrants.
Ensuite, à partir du mois de décembre, l’UE aborde la dimension économique de ses sanctions en annonçant le 11 décembre une aide de 24 millions d’euros à destination de la société civile en Biélorussie, par le biais d’une assistance aux médias indépendants et aux ONGs. Surtout, en mai, en réaction au détournement de l’avion RyanAir, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen expose un plan européen de soutien économique et d’investissement doté de 3 milliards d’euros. Ce dernier est conditionné à une transition démocratique effective de la Biélorussie. De même, l’UE porte la mise en œuvre de sanctions économiques et sectorielles contre la Biélorussie, telles que des restrictions (commerce des produits pétroliers, de potasse et des biens utilisés pour la production ou la fabrication de produits du tabac), des interdictions (vente et fourniture à la Biélorussie d’équipements à double usage civil et militaire et d’équipements de surveillance des communications) et privation de l’accès aux marchés des capitaux européens pour les entités biélorusses.
Ainsi, au fil de l’aggravation de la crise et du durcissement du régime biélorusse, l’Union européenne a déployé progressivement deux sortes de sanctions pour appuyer ses condamnations de la situation. D’une part, elle mobilise sa puissance économique et financière par des sanctions ciblées et le conditionnement d’une aide économique d’ampleur, pourvu que le régime se démocratise. D’autre part, l’UE cible par des mesures personnelles les acteurs des décisions du régime biélorusses. En cette fin d’année, la situation semble néanmoins figée et toujours aussi tendue.
Actualisation : Le 17 janvier 2022, l’Assemblée nationale a condamné à l’unanimité « le régime illégitime d’Alexandre Loukachenko » en Biélorussie, ainsi que les « actes de torture et de répression systématique » de ses opposants, en demandant « de nouvelles élections libres » dans le pays.
https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/divers/Chronologie_Bielorussie.pdf