« Les États membres du Conseil de l’Europe devraient veiller à ce que toute activité de coopération menée à l’avenir avec la Tunisie dans le domaine des migrations soit entourée de garanties claires en matière de droits humains », a déclaré aujourd’hui Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à l’occasion de la conclusion d’un Mémorandum d’entente entre l’Union européenne et la Tunisie qui prévoit, notamment, une coopération plus étroite sur les questions de migration.

« Toute activité de coopération dans le domaine des migrations entre des États membres du Conseil de l’Europe et des pays tiers, y compris la Tunisie, doit être subordonnée à des garanties complètes en matière de droits humains. Il s’agit de veiller à ce que le soutien apporté n’entraîne pas, directement ou indirectement, des violations des droits humains de la part de ces pays tiers. Les graves violations des droits humains commises récemment contre des réfugiés et des migrants en Tunisie rendent plus impérieuse encore la mise en place de ces garanties.

Le texte du Mémorandum d’entente entre l’UE et la Tunisie relatif à la migration ne traite la question des droits humains qu’en termes très généraux et ne contient aucune indication concrète sur la mise en place de garanties ou sur leur nature. J’appelle donc les États membres du Conseil de l’Europe qui sont également membres de l’UE à demander instamment que soient immédiatement clarifiées les garanties en matière de droits humains qui seront mises en place et à insister pour que le volet migratoire de l’accord ne soit pas mis en œuvre tant que les garanties nécessaires n’auront pas été adoptées. Celles-ci devraient comprendre, au minimum, la publication d’une évaluation complète des risques en matière de droits humains, une transparence totale dans l’octroi des financements, la mise en place de mécanismes de suivi indépendants pour évaluer l’impact sur les droits humains d’activités spécifiques menées au titre de l’accord, et la possibilité de suspendre toute activité ayant une incidence négative sur les droits humains des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants.

En l’absence de garanties claires et concrètes en matière de coopération dans le domaine des migrations, la tendance inquiétante des États européens à sacrifier les droits humains en cherchant à externaliser leurs responsabilités ne fera que s’accentuer ».

Jeudi 9 juin, les ministres européens de l’Intérieur sont parvenus à débloquer dans la soirée le projet de Pacte sur l’asile et les migrations en discussion depuis près de trois ans. Le Conseil doit désormais concilier sa position sur le contrôle des frontières avec celle du Parlement européen, le tout assez rapidement.

Dans la soirée, la commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson (à gauche) et la ministre de l'Immigration suédoise Maria Malmer Stenergardont (à droite) ont donné les contours de l'accord
Dans la soirée, la commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson (à gauche) et la ministre suédoise de l’Immigration Maria Malmer Stenergardont (à droite) ont donné les contours de l’accord – Crédits : Conseil de l’UE

Une douzaine d’heures auront été nécessaires aux Vingt-Sept pour sortir de l’impasse l’un des dossiers les plus épineux de ces dernières années. Jeudi 8 juin dans la soirée, les ministres européens de l’Intérieur sont tombés d’accord sur les textes les plus difficiles du Pacte européen sur la migration et l’asile présenté en septembre 2020.

Un compromis qualifié d’ “historique” par la ministre allemande Nancy Faeser tant les négociations patinaient depuis près de trois ans.

Le texte était la priorité affichée de la présidence suédoise du Conseil qui se termine à la fin du mois. En 2022, 966 000 demandes d’asile ont été enregistrées dans l’Union européenne ainsi qu’en Suisse et en Norvège. Un record depuis 2016. Cette situation n’avait pas apaisé les tensions entre les pays en première ligne (Grèce et Italie) et les autres, dont la France.

Renforcement des frontières extérieures

Les ministres européens entendent y répondre par un durcissement des procédures aux frontières de l’Union européenne. Ainsi ces derniers ont-ils opté pour la mise en place d’une “procédure à la frontière” plus rapide, appliquée aux ressortissants des pays qui ont peu de chance d’obtenir le statut de .

Concrètement, le demandeur sera concerné s’il provient d’un Etat dont moins de 20 % des demandes aboutissent, parmi lesquels le Maroc, la Tunisie, le Sénégal ou encore le Bangladesh.

Durant la durée de la procédure, les personnes concernées devront rester sur place. Le texte prévoit même la possibilité de les placer dans des centres fermés. Un temps évoqué, l’exception pour les mineurs et leurs familles n’a pas été retenue par le Conseil.

Une situation que déplore le ministre luxembourgeois. “L’Europe est mesurée par l’humanité qu’elle montre envers les plus vulnérables et nous ne donnons pas une image humanitaire en détenant des enfants à nos frontières extérieures”, a ainsi souligné Jean Asselborn.

Prise en charge ou compensation financière

L’accord va refondre le règlement de Dublin actuellement en vigueur et qui fait l’unanimité contre lui. Ce système prévoit que le premier pays européen traversé par le  doit traiter sa demande d’asile. Dans les faits, il est peu respecté. Avec l’accord de jeudi, les ministres entendent relocaliser 30 000 demandes par an au sein de l’UE.

Ainsi, dans le cadre du “nouveau mécanisme de solidarité”, les autres Etats membres seraient tenus de prendre en charge certaines de ces demandes d’asile. Conscient du rejet catégorique par plusieurs pays de ce principe, le Conseil propose toutefois une certaine “flexibilité”.

S’ils refusent l’accueil, les Etats pourront alors verser une compensation financière d’un montant de 20 000 euros par . Cette somme sera collectée par la  puis redistribuée aux Etats les plus concernés. D’autres compensations comme l’envoi de personnel administratif pourrait également être considérées, selon le site du Conseil.

Un difficile équilibre

Le nouveau paquet ne fait cependant pas l’unanimité. La Pologne et la Hongrie ont ainsi voté contre, dénonçant la méthode de répartition des demandeurs d’asile. La Bulgarie, Malte, la Lituanie et la Slovaquie se sont de leur côté abstenues.

Si le texte ne nécessitait qu’une majorité qualifiée d’Etats membres (15 pays représentant au moins 65 % de la population de l’UE), le Conseil s’est assuré d’obtenir l’aval de l’Italie et des pays méditerranéens en première ligne.

Enfin, le dossier est encore loin d’être bouclé. Le Conseil va désormais devoir s’entendre avec le Parlement européen dont l’approche semble beaucoup moins restrictive. Ainsi, les eurodéputés veulent imposer une relocalisation obligatoire et réfutent l’idée d’une compensation financière.

Le calendrier s’annonce d’ailleurs serré. L’objectif affiché par les colégislateurs est de parvenir à un accord avant la fin de la mandature (2019-2024) et des élections européennes prévues dans un an.

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La situation en Europe

Sur 447 millions d’habitants, l’Union européenne à 27 comptait 23 millions de citoyens non européens en 2020, soit 5,1 % de sa population (tandis qu’aux Etats-Unis, près de 27 millions des 328 millions d’habitants n’avaient pas la nationalité américaine en 2019, selon les estimations du Bureau du recensement des États-Unis).

Une grande partie de ces non-nationaux (issus ou non d’un autre Etat membre) résidait en Allemagne (10,4 millions). L’Italie, la France et l’Espagne en enregistraient chacun entre 4,9 et 5,2 millions.

Au regard de la population nationale, la proportion la plus élevée de non-nationaux se trouvait néanmoins au Luxembourg : ils y représentaient 47,3 % de la population totale. La plus faible proportion se trouvait en Pologne et en Roumanie (0,7 %). En France, les étrangers représentaient 7,6 % de la population.

Chaque année, le nombre d’arrivées vers l’UE est plus important que le nombre de départs. Ainsi, en 2020, le solde migratoire, différence entre le nombre de personnes entrées et sorties au cours de l’année, était d’environ 827 000 personnes pour l’UE à 27. En conséquence, et alors que l’accroissement naturel (différence entre les naissances et les décès) est négatif, la population de l’UE a tout de même augmenté. Le solde migratoire est par ailleurs l’élément principal de la croissance démographique européenne depuis le début des années 1990.

S’agissant des demandeurs d’asile, en 2021, 630 630 demandes ont été déposées, dont 535 045 sont faites par des primo-demandeurs. L’année précédente, 41 % des décisions de première instance de l’UE en matière d’asile ont abouti à des résultats positifs : ce sont ainsi 193 681 personnes qui ont obtenu une protection en Europe. La grande majorité de ces premières demandes d’asile ont été faites en Allemagne, en Espagne, en France, en Italie, en Grèce ou en Autriche en 2020 et en 2021. C’est aussi l’Allemagne qui a rendu le plus décisions positives.

La plupart de ces personnes viennent de Syrie (comme depuis 2013) ou d’Afghanistan. Mais contrairement à 2020, où beaucoup de demandeurs d’asile provenaient du Venezuela et de Colombie, ils ont été plus nombreux à arriver d’Irak, du Pakistan, de Turquie ou du Bangladesh en 2021.

L’Europe a toujours été une terre d’immigration. Sa relative prospérité économique et sa stabilité politique semblent en effet avoir un effet d’attraction important. Elle a connu plusieurs grandes vagues d’immigration au XXe siècle, dont les plus importantes sont l’arrivée de 500 000 républicains espagnols en France en 1939, d’1 million de pieds-noirs, juifs et musulmans d’Algérie en 1962, ou encore de 700 000 Yougoslaves en Europe de l’Ouest en 1992.

Plus récemment, des centaines de milliers de Syriens, d’Irakiens, d’Érythréens, d’Afghans ou de Somaliens ont fui leur pays pour rejoindre l’Europe. La majorité de ces populations n’est toutefois pas accueillie par les pays européens mais par les pays frontaliers, en particulier dans les zones de guerre au Moyen-Orient.

Pandémie de Covid-19 oblige, les flux migratoires ont largement diminué en 2020. Les demandes d’asile ont chuté d’un tiers, tandis que les arrivées ont reculé de 13 %, selon une étude du Bureau européen en matière d’asile et un rapport d’Eurostat.

Avec le ralentissement de la circulation du virus, les mouvements de population ont repris un rythme normal en 2021.

En 2022, des millions d’Ukrainiens ont été forcés de quitter leur foyer depuis le début de l’invasion russe le 24 février. Une grande partie d’entre eux s’est réfugiée au sein de l’Union européenne, notamment en Pologne.

La politique européenne d’immigration et d’asile

La politique européenne d’immigration et d’asile est véritablement née dans les années 1990.

En 1995, c’est l’espace Schengen qui entre en application (la convention ayant été signée 10 ans plus tôt), en abolissant les contrôles aux frontières entre ses États membres et en renforçant ce contrôle à leurs frontières extérieures.

Carte de l'espace Schengen

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D’autre part, le traité d’Amsterdam, signé en 1997, donne pour la première fois une compétence à l’UE dans les domaines de l’immigration et de l’asile.

L’Union peut ainsi :

  • définir les conditions d’entrée et de séjour des immigrants légaux ;
  • encourager les États membres à prendre des mesures d’intégration ;
  • prévenir et réduire l’immigration irrégulière, notamment par une politique de retour des migrants clandestins et la signature d’accords de “réadmission” avec les pays tiers.

En revanche, il appartient à chaque État de fixer, s’il le souhaite, le nombre de ressortissants de pays tiers qui entrent sur son territoire dans le but de rechercher un emploi.

Chaque État membre a également la possibilité de rétablir temporairement les contrôles aux frontières nationales en cas de menace pour l’ordre public ou la sécurité. La France l’a fait depuis 2015, à la suite des attentats terroristes survenus à Paris.

Depuis 2004, l’agence Frontex coordonne la surveillance de ces frontières pour les États membres de l’UE et ceux de l’espace Schengen. Celle-ci a constaté, pour les deux premiers mois de 2021, l’entrée irrégulière de 12 000 personnes aux frontières extérieures de l’UE, confirmant une très forte tendance à la baisse depuis la crise migratoire 2015, tendance encore renforcée par la pandémie de Covid-19.

Le règlement Dublin III établit par ailleurs des règles pour les demandeurs d’asile afin de déterminer quel État membre de l’UE est responsable de l’examen d’une demande d’asile. Il permet d’éviter qu’un même individu dépose des demandes dans plusieurs pays simultanément. Le principe général est que le pays responsable de la demande d’asile est le pays d’entrée du demandeur d’asile dans l’UE. C’est donc en général le premier pays dans lequel le demandeur est arrivé.

En 2015, au plus fort de la crise migratoire, un mécanisme provisoire de relocalisation des demandeurs d’asile depuis l’Italie et la Grèce, à l’époque principales portes d’entrée en Europe pour les réfugiés, a été mis en place. Proposé par la Commission européenne et approuvé par la majeure partie des États membres en septembre 2015, il s’est poursuivi jusqu’en 2017. Mais le nombre de relocalisations a été bien plus faible que prévu.

Débats et perspectives

Les questions d’immigration et d’asile en Europe soulèvent leur lot de controverses.

Parmi eux, les questions relatives à l’accueil des demandeurs, dont le nombre a augmenté avec les printemps arabes de 2010 et connu un pic en 2015 et 2016, en raison de l’augmentation des conflits dont la guerre en Syrie. Plus de 5 000 personnes ont également péri en 2016 en tentant de rejoindre l’Europe via la Méditerranée, un record.

En réponse, l’UE a renforcé les moyens de l’agence Frontex et tenté d’inciter les pays de transit à mieux contrôler leurs frontières. Dans ce cadre, l’Union a conclu plusieurs accords controversés, notamment avec la Turquie en 2016 ou avec la Libye en 2017. Au cœur de ces partenariats, l’engagement des pays tiers à retenir, en échange d’une aide financière, les migrants et demandeurs d’asile avant qu’ils ne parviennent sur le continent européen. Une stratégie particulièrement critiquée par les organisations non gouvernementales, qui dénoncent les risques graves encourus dans ces pays par les personnes nécessitant une protection.

Après des menaces répétées de ne plus honorer l’accord conclu en 2016, la Turquie a pris la décision, le 28 février 2020, d’ouvrir temporairement ses frontières aux migrants souhaitant rejoindre l’Europe. Une pression politique contrecarrée par la pandémie de Covid-19, qui a conduit la plupart des pays à fermer leurs frontières, endiguant ainsi l’essentiel des flux migratoires.

Le 6 avril 2021, les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne ont validé la prolongation du programme de financement européen pour l’accueil des réfugiés syriens en Turquie, mais aussi en Jordanie et au Liban.

Des voix se sont aussi élevées pour demander à l’UE de faciliter les possibilités d’immigration légale, soulignant les bénéfices liés à l’accueil d’étrangers.

La répartition des demandeurs d’asile entre Etats membres est également source d’intenses débats entre ces derniers. Les objectifs non atteints du plan de relocalisation des demandeurs d’asile de 2015 en sont une illustration.

D’aucuns dénoncent une orientation historiquement sécuritaire de la politique européenne d’immigration et d’asile, qui accorderait plus de place à la lutte contre l’immigration illégale qu’à une gestion harmonisée des migrations légales et de l’asile, encore peu développée au sein de l’UE. Un débat complexe où s’entremêlent, avec parfois beaucoup d’amalgames, de nombreuses questions liées à la montée des populismes, à la recrudescence des attentats terroristes et à la place de l’islam en Europe. En témoigne à nouveau la vague de désinformation ayant frappé le pacte de Marrakech sur les migrations, signé fin 2018.

Au vu des divergences entre pays membres – et notamment de la frilosité du groupe de Visegrád– sur toutes ces questions, la réforme de la politique migratoire européenne voulue par la Commission européenne crée des remous. En témoignent les débats qui se sont tenus lors du Conseil européen du 24 juin 2021, au cours duquel les Vingt-Sept ne sont pas parvenus à trouver un terrain d’entente sur le mécanisme de solidarité à mettre en place au niveau du continent. Incapables de conclure un compromis sur ce sujet, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont contentés de rappeler l’importance de la coopération avec les pays tiers, notamment dans le cadre des retours volontaires, et d’entériner la future création d’une Agence européenne sur l’asile – qui a vu le jour le 19 janvier 2022. L’adoption de l’ensemble des mesures prévues dans le Pacte sur les migrations et l’asile n’est donc pas encore acquise, alors même que l’accalmie de l’épidémie de Covid-19 a coïncidé avec une hausse des flux de population en Méditerranée centrale et dans les Balkans.

Vers une réforme de la politique migratoire ?

Alors que le dossier était au point mort depuis plusieurs années, la Commission européenne a présenté un nouveau Pacte sur l’asile et les migrations le 23 septembre 2020.

Parmi ses grandes lignes figurent une nouvelle gouvernance de la politique migratoire, une réaffirmation des principes de solidarité (avec les pays européens les plus sollicités) et d’humanité (avec les migrants en difficulté en mer) et la clarification des conditions requises pour rester sur le sol européen. Il pourrait se concrétiser par une profonde réforme du système de Dublin.

Mais les divergences entre États membres bloquent les négociations. Seul aboutissement pour le moment : la mise en service d’une nouvelle “Agence de l’Union européenne pour l’asile” au début de l’année 2022.

Un pacte faustien ?

La migration et l’asile auront crispé les Européens jusqu’au bout. Les ministres de l’Intérieur avaient adopté, le 8 juin dernier, à la majorité qualifiée, une position commune relative à deux textes clés du « pacte sur la migration et l’asile ». Mais la Pologne et la Hongrie ont tenté, lors du sommet des dirigeants européens des 29 et 30 juin, de revenir sur cet accord, qu’ils abhorrent.

Il implique en effet une répartition de demandeurs d’asile entre Etats membres. Une obligation à laquelle les Etats pourront toutefois se soustraire, moyennant finances.

Cette tentative de dernière minute ayant échoué, le texte du 8 juin constitue désormais la position des Etats membres sur ce dossier très épineux, dans une Europe où les gouvernements de droite et d’extrême droite pèsent de tout leur poids.

C’est cette position qu’ils défendront dans leurs négociations avec le Parlement européen, qui pourraient durer encore plusieurs mois. Une fois adoptés et publiés au Journal officiel, les règlements seront directement transposables dans les Etats membres1.

Cet accord a été qualifié – un peu vite – « d’historique » par Maria Malmer Stenergard, ministre suédoise en charge des Questions migratoires, parce qu’il sort de l’impasse les Etats membres, bloqués depuis 2015 sur une réforme des règles d’asile et de migration.

L’idée de réviser la plupart des textes dans ce domaine, au travers d’un grand « pacte », est née au pic de l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés syriens en Europe.

En 2016, la Commission européenne proposait une série de règlements sur lesquels les Etats membres ont vite achoppé. L’exécutif bruxellois a relancé la machine en 2020, dégainant de nouvelles propositions, qui ont déclenché de nouveaux bras de fer entre gouvernements.

Trois groupes d’Etats aux intérêts divergents

Trois grands groupes d’Etats s’affrontent sur ce sujet depuis 2015. D’un côté, les pays méditerranéens – Italie, Espagne, Grèce, Chypre et Malte –, qui remettent en cause le règlement Dublin selon lequel le premier pays européen traversé par un demandeur d’asile est responsable de l’examen de sa demande. Vu leur position géographique, ce règlement fait peser sur leurs épaules l’accueil de nombreux exilés. En l’absence de réforme du règlement Dublin, ces Etats réclament un système de « solidarité » entre Etats, donc de répartition des aspirants au statut de réfugié.

Du côté des pays de l’Est, Pologne et Hongrie en tête, l’idée d’accueillir des demandeurs d’asile répartis depuis l’Italie ou la Grèce est une ligne rouge absolue.

Enfin, les pays du nord et de l’ouest de l’Europe, dont la France, la Belgique ou les Scandinaves, veulent à tout prix éviter les « mouvements secondaires », c’est-à-dire les flux de demandeurs d’asile qui quittent la Grèce, l’Italie, la Bulgarie, pour venir sur leur territoire. Ce groupe tient fermement au règlement Dublin, quitte à offrir quelques concessions en termes de « relocalisation », donc de répartition d’une partie des demandeurs d’asile.

Une solidarité à la carte

Le 8 juin, les 27 ont en partie dépassé leurs divergences, à l’exception de la Pologne et de la Hongrie qui ont voté contre, et de Malte, de la Lituanie, de la Bulgarie et de la Slovaquie qui se sont abstenus.

« Certes, les Etats membres n’ont pas réformé le règlement Dublin, mais ils tentent de compenser la répartition inéquitable des demandeurs d’asile issue de ce règlement en instaurant un mécanisme de solidarité », explique Philippe De Bruycker, professeur à l’université libre de Bruxelles.

Selon ce mécanisme, au moins 30 000 demandeurs d’asile arrivés aux frontières de l’Europe seraient répartis dans les autres Etats membres chaque année.

Ces derniers pourront néanmoins refuser ces relocalisations, soit en « renforçant les capacités » des Etats de premier accueil – en envoyant du personnel, par exemple –, soit en s’acquittant de 20 000 euros par demandeur d’asile non accueilli. Voilà pour le côté « à la carte ».

Pour Sylvie Guillaume, députée européenne socialiste, « cette négociation de marchands de tapis où l’on met une valeur par être humain est philosophiquement choquante. Fondamentalement, l’équilibre entre solidarité et responsabilité n’est pas atteint ».

La multiplication des centres de détention

En réalité, si le pacte est historique, c’est aussi en raison de la généralisation inédite de « procédures frontières » visant à déterminer si une demande d’asile est recevable ou non, et pendant lesquelles le demandeur d’asile ne sera pas autorisé à pénétrer sur le territoire de l’Union.

De ce point de vue, avec l’accord du 8 juin, la « responsabilité » de l’accueil des demandeurs d’asile incombera en réalité encore plus aux pays méridionaux de l’Europe, par la multiplication de ces procédures. Express – douze semaines maximum –, elles « rendront plus difficile l’accès aux droits, par exemple à un conseil légal, ou à un recours suspensif », regrette Catherine Woollard, directrice de l’ONG ECRE (Conseil européen pour les réfugiés et exilés). Les familles avec enfants n’en seront pas exemptées.

Contrairement au Parlement européen, les Etats veulent instaurer ces « procédures frontières » et les rendre obligatoires dans une série de cas, par exemple lorsqu’un demandeur d’asile possède une nationalité dont le taux de reconnaissance du statut de réfugié est inférieur à 20 %.

Des procédures d’asile accélérées existent déjà en Europe, mais avec ces nouvelles mesures, elles se généralisent et se durcissent. « Cette procédure de seconde zone va s’accompagner d’un recours quasi-systématique à des détentions à la frontière, ajoute la directrice d’ECRE. Le système d’asile sera plus dur et va engendrer plus de souffrance. »

Ces procédures rapides dans des centres fermés seront la pierre angulaire de la nouvelle architecture de l’asile européen.

Fabienne Keller est rapporteure au nom du groupe Renew (libéraux et parti macroniste Renaissance) du texte « instaurant une procédure commune ». Selon elle, le nouveau régime commun d’asile sera « plus rapide et efficace, même s’il faut que sa mise en place s’accompagne de contre-pouvoirs, d’un contrôle du respect des droits fondamentaux tout au long de la procédure, notamment dans les lieux de détention ».

Les Etats membres se sont fixé un objectif chiffré : ils devront examiner 30 000 dossiers « frontières » au minimum, lors de l’entrée en vigueur du texte, jusqu’à atteindre, deux ans plus tard, le nombre de 120 000 procédures frontières par an.

« On se demande si les Etats du Sud vont mettre les moyens humains et matériels pour que cela fonctionne, analyse Philippe De Bruycker. Ces procédures sont la clé de voûte du système. Si cela ne fonctionne pas, rien ne va fonctionner dans le régime d’asile européen. »

Quant à Sylvie Guillaume, elle déplore « ce rabougrissement de l’Union européenne, ces textes qui vont encore accroître la dangerosité des mouvements migratoires ».

Le pacte faustien de l’Union européenne sur les migrations | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)