Table of Contents
L’Allemagne voit désormais dans la Chine un « rival systémique ». La coalition au pouvoir a adopté en juillet dernier un document programmatique pour lutter contre le risque économique chinois.
Le 13 juillet 2023, les autorités allemandes ont publié leur toute première stratégie dédiée à la Chine (1). Ce document programmatique est le fruit d’un travail collectif de plus de deux années. Fin 2021, dans le cadre des pourparlers sur la formation du futur gouvernement, les trois partis de la coalition au pouvoir – les sociaux-démocrates du SPD, les Verts et les libéraux du FDP – avaient en effet convenu, de formuler une telle stratégie. Cependant, des luttes intestines au sein de la coalition et des débats entre experts ont considérablement retardé le processus (2).
Cette stratégie, qui reconnaît que la Chine devient de plus en plus un « rival systémique » en mobilisant tous les moyens à sa disposition pour refaçonner le monde à son image (3) et en renforçant ses liens, déjà étroits, avec la Russie, fait largement écho à celle de sécurité nationale que Berlin a publié en juin 2023 (4). Cette dernière décrit la Chine comme un « partenaire, un concurrent et un rival systémique », reprenant partiellement la formule énoncée en 2019 par Federica Mogherini, Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, lorsqu’elle présenta la stratégie de l’Union européenne pour la Chine (5). La stratégie de sécurité nationale allemande note également que la concurrence que Pékin impose à Berlin s’est singulièrement intensifiée ces dernières années via des manœuvres multiples et variées destinées à mobiliser sa puissance économique à des fins politiques. L’espionnage scientifique et économique est l’un des nombreux outils que le Bundesamt für Verfassungsschutz (BfV), les services de sécurité intérieure allemands, mettent en avant pour illustrer la stratégie orchestrée par le Parti-État chinois pour réaliser ses ambitions, dans son dernier rapport annuel publié en juin 2023 (6).
Ne plus se confronter au risque économique chinois
La stratégie chinoise de l’Allemagne est construite autour d’un objectif, celui d’une « réduction des risques ». Cette vision est partagée pour l’Union européenne qui, dans son projet de stratégie de sécurité économique dévoilé par la Commission le 20 juin 2023 (7), met elle aussi en avant ce concept dans le traitement des relations économiques que les Européens devraient entretenir avec le reste du monde, en particulier les puissances mondiales et certaines puissances régionales perçues comme offensives. L’objectif est de restreindre les exportations et les investissements, si nécessaire, vers des États considérés comme des adversaires. Bien qu’elle ne soit pas explicitement désignée, la Chine continentale, à l’instar de la Russie, est, selon de nombreux analystes, directement visée, mettant en évidence les risques liés à une dépendance trop forte vis-à-vis d’un seul pays, en particulier lorsque ses valeurs, son modèle de société et ses intérêts divergent systématiquement de ceux de l’Allemagne et, plus globalement, de ceux de l’Union européenne et de ses membres.
Pour répondre à ce défi, le document programmatique allemand envisage une approche en trois temps. Le premier, pivot de cette stratégie, consiste à diversifier les relations commerciales et économique de l’Allemagne, afin de réduire sa dépendance à l’égard de la Chine, aussi bien en termes de destination d’exportations et d’investissements, que d’approvisionnement (importations) en matières premières critiques, telles que les terres rares ou le lithium. C’est la logique du découplage. Le deuxième axe, centré sur des considérations intérieures, propose de réduire significativement la présence d’entreprises chinoises dans les projets d’infrastructures critiques nationaux. Le réseau 5G allemand, ainsi que le rôle et la place de Huawei dans celui-ci, sont l’une des facettes de ce volet. C’est la logique de la protection de la souveraineté économique et de l’indépendance nationale. Le troisième, d’essence européenne, promet de répondre aux appels de l’Union afin de réduire les transferts de technologies sensibles vers la Chine, susceptible de renforcer ses capacités militaires et de renseignement, en particulier. C’est la logique de la solidarité européenne. Cette approche fait, là aussi, écho à la proposition de stratégie de sécurité économique de la Commission évoquée supra.
Toutefois, cette stratégie ne revêt pas qu’un volet économique. La dimension politique n’est pas absente, dès lors que l’Allemagne, première puissance commerciale de l’Europe et demain, fort probablement, première puissance militaire, s’engage à poursuivre le renforcement de sa présence militaire et ses coopérations avec ses partenaires de l’Indopacifique. Ainsi sur le dossier taïwanais, si Berlin réaffirme son adhésion à la politique de « la Chine unique », elle réitère également son intention de renforcer ses relations avec Taipei et rappelle sa position : toute modification dans le statu quo autour de l’île ne serait acceptable qu’à la condition d’un consentement mutuel et opéré par des biais pacifiques.
Vers un changement d’époque
Cette stratégie laisse entrevoir la volonté berlinoise d’abandonner son ancienne politique d’engagement, centrée sur l’économique, avec les principales puissances autocratiques mondiales, la Chine communiste et la Russie en particulier. Elle marque une inflexion, à défaut d’une rupture, avec la politique conduite au cours de presque deux décennies par l’ancienne chancelière, Angela Merkel. Cette dernière se structurait autour d’un « engagement constructif » avec la Chine, dont le principe directeur était le changement par le commerce. Cette politique s’est révélée être une réussite économique, uniquement. Toutefois, si elle a soutenu l’expansion industrielle allemande au cours des vingt dernières années, elle s’avère désormais de plus en plus risquée au regard des mutations du paysage géopolitique mondial.
A l’instar de la politique d’« engagement constructif » initiée par les États-Unis en direction de l’Afrique du Sud sous apartheid, par l’ANSEA vers la Birmanie ou par la Corée du Sud vers la Corée du Nord, qui s’est appuyée sur l’hypothèse, le mythe, d’un relâchement de la pression économique ou d’un affermissement des relations commerciales comme facteurs de développement économique et d’amélioration du bien-être social susceptibles d’amener le pays tiers visé à une ouverture de son système politique, point d’entrée d’une évolution vers la démocratie aux normes occidentales, l’Allemagne d’Angela Merkel a longtemps espéré pouvoir convertir la Chine populaire, et ses autres partenaires autocratiques, au libéralisme économique et à la démocratie en échange d’une densification de relations commerciales mutuellement bénéfiques ; une logique « gagnant-gagnant » aux caractéristiques allemandes.
Conséquence logique de cette politique, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Allemagne, une source clé pour ses importations de matières premières et de technologies critiques pour sa transition énergétiques, un marché crucial pour son industrie dans des secteurs tels que l’automobile, la haute technologie ou la chimie. Toutefois, la démocratie telle que les Occidentaux la conçoivent, n’a pas franchi la Muraille de Chine. Au contraire, l’autoritarisme de Pékin, les violations répétées des droits de l’homme contre les minorités ethniques et religieuses (8), contre toutes les formes intérieures et extérieures de contestation du Parti (9), une posture toujours plus offensive et agressive dans les mers de Chine (10) et vis-à-vis de Taïwan, sans parler de l’intimité toujours plus affirmée des relations avec Moscou, associés à des préoccupations de longue date à propos du manque de protection et du traitement considéré comme injuste imposé aux entreprises allemandes opérant en Chine continentale, ont eu raison des « douces ambitions » berlinoises à l’égard de Pékin.
Aussi, une révision de fond en comble de la politique chinoise de l’Allemagne et, par extension de celle de l’Union européenne, était devenu un impératif. D’autant que l’invasion russe de l’Ukraine, à partir de février 2022, et les crises énergétique et économique qui l’ont suivie, ont souligné les risques associés à la forte dépendance de Berlin au gaz russe et, plus globalement, l’urgente nécessité de réduire la dépendance économique allemande à l’égard de ses partenaires autocratiques à la posture géopolitique de plus en plus hostile. Alors que Berlin a su habilement manœuvrer pour rapidement s’extraire de sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, son économie reste fortement dépendante de la Chine. Le document programmatique de juillet 2023 explore les risques liés et dévoile la stratégie de Berlin pour en atténuer les effets.
Toutefois, cette politique d’engagement centrée sur l’économie et le commerce avec la Chine a ses détracteurs. Ces derniers soutiennent qu’elle a permis à l’Allemagne de profiter de l’essor économique chinois tout en ignorant, certains diront simplement en reportant, les discussions sur les vrais sujets, ceux ayant trait à la politique : la démocratie et les droits de l’homme, notamment. Les liens commerciaux noués par Berlin avec Pékin et Moscou ont contribué de manière significative à la réussite économique allemande et sont considérés, parfois, comme un modèle de mondialisation. En effet, l’accès au marché chinois, en croissance constante à partir de 2001 et l’adhésion de Pékin à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), jusqu’à la crise de la Covid-19 (2020-2021), a permis à l’Allemagne de surmonter sans grands dégâts la crise financière mondiale (2008-2009) puis celle de la zone euro (2010-2011) ; celui-ci représentant une destination vitale pour l’industrie allemande. La dépendance de l’Allemagne à l’égard de la Chine n’a, dès lors, cessé de croitre ; le volume des échanges bilatéraux atteignant, en 2022, un niveau record de près de 300 milliards d’euros.
Les enjeux du recalibrage des relations économiques sino-allemandes
Cependant, alors que la nouvelle doctrine stratégique allemande confirme l’intention de Berlin de recalibrer ses relations avec Pékin, l’Allemagne ne cherche pas à rompre ses liens commerciaux et économiques avec la Chine. Cette dernière reste un marché et un fournisseur crucial pour certaines des plus grandes sociétés allemandes, du fabricant de produits chimiques BASF au géant de l’électronique Siemens, en passant par les constructeurs automobiles Volkswagen, BMW et Mercedes. Une rupture pourrait s’avérer économiquement désastreuse. Le Sachverständigenrat zur Begutachtung der gesamtwirtschaftlichen Entwicklung, le Comité allemand des experts économiques, dans son dernier rapports annuel, publié en novembre 2022, classe le Parti-État chinois au premier rang des pays dont l’Allemagne dépend pour ses importations critiques (45,10%) (11). Dans le même ordre d’idées, le Kiel Institut für Weltwirtschaft montre dans un rapport publié en février 2023 comment la Chine monopolise les approvisionnements mondiaux et allemands de terres rares et, plus globalement, de matières premières indispensables à la production de technologies considérées comme critique par l’Union européenne, mais également d’un certain nombre de produits, en particulier électroniques ; concluant que la Chine, en tant que principal fournisseur, ne pourra être remplacé à court terme (12).
Face à cette perspective, les autorités allemandes pourraient être amenées à déléguer une grande partie de la responsabilité en termes de réduction des risques avec la Chine à leurs entreprises déjà implantées ou aspirant à se déployer en territoire chinois ; la perspective de profits ne semblant plus un motif suffisamment légitime pour bénéficier du soutien diplomatique, politique et financier de Berlin. En effet, la stratégie chinoise de l’Allemagne exhorte plus que jamais les sociétés germaniques les plus exposées en Chine à prendre en considération le risque géopolitique dans leur prise de décision, sans toutefois mentionner de mesures politiques concrètes pour s’assurer que de tels avertissements soient entendus et mis en œuvre par l’intelligentsia industrielle allemande.
Les entreprises allemandes face au risque économique chinois
Traditionnellement, l’Allemagne n’adosse pas de mesures politiques et règlementaires concrètes à ses stratégies de réduction des risques. Ce qui, par le passé, a permis aux sociétés allemandes de se déployer et d’investir sans entraves nationales en Chine continentale. La stratégie énoncée en juillet 2023 semble sonner la fin de la récréation, semble marquer l’entrée de l’Allemagne dans une nouvelle ère où, si l’économique conserve une place prédominante dans l’action politique, la composante géopolitique pourrait jouer un rôle tout aussi crucial, favorisant une évolution majeure de la posture de Berlin.
En effet, si l’Allemagne place la réduction du risque au cœur de sa stratégie pour la Chine, pour l’heure, elle n’énonce pas explicitement les mesures politiques envisagées. Mais, le futur cadre réglementaire qui devrait y être associé pourrait exposer les entreprises allemandes à des risques à la fois opérationnels, de réputation et financiers croissants. Dans une étude publiée en juillet 2021, le Kiel Institut für Weltwirtschaft estimait qu’une rupture des relations commerciales de l’Allemagne avec la Chine pourrait coûter à la puissance germanique environ 1,4 % de son PIB, soit de l’ordre de 48 milliards d’euros. Cette étude considérait, par ailleurs, que ce découplage sino-allemand coûterait à l’Union européenne 1 % de son PIB (13). Néanmoins, il est probable que le cadre d’action allemand s’articule autour des trois axes suivants.
Le premier consiste à adopter des réglementations plus dures en matière de commerce extérieur afin de bloquer ou de réduire les possibilités d’acquisitions pour des entités chinoises d’entreprises allemandes dans des secteurs considérés comme d’importance vitale pour l’économie germanique ou, plus largement, européenne. Le deuxième conduit Berlin à interdire aux opérateurs d’infrastructures critiques de contracter avec des fournisseurs chinois et à leur interdire d’utiliser des équipements chinois pour des motifs de sécurité nationale. Le traitement du dossier du réseau 5G et les mesures visant à interdire certains composants chinois devraient donner une indication sur le niveau d’intention des autorités allemandes à atteindre cet objectif, un signal fort en direction de la Chine, mais également de ses partenaires européens. En effet, Strand Consult, une société danoise spécialisée dans le conseil en télécommunication, a publié en décembre 2022 un rapport dans lequel elle démontre que les entreprises chinoises Huawei et ZTE représentent près de 59 % de l’infrastructure 5G allemande, alors même que Bruxelles les considère comme des fournisseurs à risque (14). Certes, Berlin a adopté en 2021 différentes mesures lui permettant d’interdire ou de rappeler certains composants de son infrastructure de télécommunication dans l’hypothèse de risque de sécurité identifiés, mais aucune ne semble véritablement avoir déjà été mise en œuvre. Le troisième et dernier axe incite les autorités allemandes à interrompre ou à imposer des plafonds aux garanties pour les investissements de ses sociétés en Chine continentale, à l’instar de ceux mis en place pour les marchés émergents afin de protéger les investissements contre le risque politique.
Ainsi, les entreprises allemandes pourraient, à terme, être confrontées à une pression gouvernementale accrue afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine, de diversifier leurs chaines d’approvisionnement et de production, mais aussi leurs marchés d’exportation, voire de créer des plans d’urgence pour se retirer de Chine en cas de crise géopolitique majeure. Les entreprises ne s’engageant pas dans ce processus pourraient courir le risque de perdre leur accès aux régimes de protection des investissements, de réduire leur solvabilité ainsi que leur valorisation sur les marchés financiers, dès lors que la perception du risque géopolitique associée à leurs investissements serait élevée. Cependant, si les efforts de Berlin pour réduire les risques venaient à s’intensifier, Pékin pourrait être amené à répondre en adoptant des mesures ciblées plus strictes à l’encontre des entreprises allemandes opérant sur en territoire chinois, voire en limitant les exportations de matières première critiques à destination de l’Allemagne, et de l’Europe plus largement. L’objectif serait alors de marquer son mécontentement tout en limitant les risques associés ; Pékin étant parfaitement conscient de la forte dépendance mutuelle entre la Chine et l’Occident, au-delà de l’Allemagne, et des coûts économiques associés particulièrement lourds en cas de très fortes tensions (15).
Laurent Amelot, directeur de recherche à l’Institut Thomas More
Les réactions de la presse internationale
En visite en Chine du 23 au 26 septembre, le commissaire européen Valdis Dombrovskis a fustigé les pratiques commerciales déloyales de Pékin. La presse revient sur les réponses de l’Union à cette situation, notamment son enquête antisubventions sur les véhicules électriques chinois.
“L’UE hausse le ton face aux pratiques commerciales chinoises”, entament Les Echos. Après avoir visité Shanghai et Suzhou ce week-end, le commissaire européen Valdis Dombrovskis, en charge des questions économiques et commerciales, est à Pékin ce lundi 25 septembre “pour une étape très surveillée de son voyage de quatre jours à travers la Chine” [Politico].
Cité par Les Echos, le vice-président de l’exécutif européen a dénoncé un “environnement commercial plus politisé” en Chine. Selon Valdis Dombrovskis, s’exprimant devant les étudiants de l’université Tsinghua à Pékin, cela se traduit par “une moindre transparence, un accès inégal aux marchés publics, des discriminations sur les normes et exigences en matière de sécurité, ainsi que des exigences en matière de localisation et de transfert de données”.
Ce déplacement intervient alors que le “déficit commercial record de 396 milliards d’euros de l’UE avec la Chine a conduit Bruxelles à se rapprocher de la position plus dure des Etats-Unis, qui cherchent à freiner la croissance économique et militaire” de la Chine [Financial Times].
Bras de fer commercial ?
“Les pommes de discorde commerciales se sont multipliées entre Bruxelles et Pékin, ces derniers mois”, rapporte en effet Le Monde. Valdis Dombrovskis ne devrait pas manquer, par exemple, “d’évoquer les restrictions annoncées en juillet par la Chine sur ses exportations de gallium et de germanium : deux matériaux identifiés comme stratégiques par l’Union européenne” [L’Echo].
Jusqu’ici, “l’approche douce de Bruxelles dans ses négociations avec Pékin a échoué”, estime ainsi Politico.“Les entreprises européennes continuent de prendre du retard et les concurrents chinois s’emparent de leurs marchés”, résume le média.
“Ces dernières années, les Européens se sont dotés de multiples instruments qui visent officieusement la Chine”, rappelle Le Monde. Le journal du soir cite pêle-mêle “le règlement anticoercition pour aider l’UE à lutter contre le chantage économique” de pays tiers, ou encore “la taxe carbone aux frontières”, un instrument destiné à faire payer aux entreprises le coût écologique des marchandises qu’elles importent dans l’Union.
Les voitures électriques à la loupe
Mais “pour la Chine, l’enquête antisubventions sur les voitures électriques est le sujet numéro un”, concède un haut fonctionnaire européen dans les colonnes du Monde. A l’occasion de son discours sur l’état de l’Union le 13 septembre, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait en effet annoncé l’ouverture d’une enquête sur les aides accordées par Pékin à la production de véhicules électriques sur son sol. Si la Commission conclut que le secteur a bénéficié d’un soutien déloyal, “cela pourrait avoir comme conséquence une hausse des droits de douane sur leur importation en Europe” [Le Monde].
“On imagine mal que l’annonce de cette enquête, juste avant la visite de M. Dombrovskis, puisse être une coïncidence”, fait savoir L’Echo. Le journal belge parle de “coup de pression” venant de l’UE : “ça aide, parce que ça rallonge le bras de levier des Européens sur les discussions, et ça augmente l’intérêt de la partie chinoise à en parler”, poursuit le journal belge.
“Que se passera-t-il si le chef du commerce de l’UE n’obtient rien au cours de sa visite ?”, s’interroge toutefois Politico. Le média rapporte que “Bruxelles envisagerait de lancer une nouvelle enquête sur le secteur médical de la Chine, arguant que le marché public du pays était fermé”. Des fonctionnaires ont aussi déclaré auprès de Politico que le secteur ferroviaire pourrait également faire l’objet d’une enquête car, là-aussi, “les pays de l’UE ont été plus ouverts aux trains chinois que l’inverse”.
L’Allemagne réticente ?
Reste à convaincre les Etats membres du bien fondé d’éventuelles mesures concernant les importations chinoises. L’industrie allemande est “nerveuse” sur la question, selon Politico. Outre-Rhin, le ministre des Transports Volker Wissing (FDP, libéral) s’est opposé à des droits de douane sur les voitures électriques chinoises [Die Zeit]. “Par principe, je ne crois pas beaucoup à la mise en place de barrières de marché”, a-t-il déclaré.
“La première puissance européenne est résolument portée par l’automobile et s’est largement tournée vers la Chine pour vendre ses modèles”, rappelait en effet La Tribune la semaine dernière. “La filière est le premier secteur industriel dans le pays et sa part dans le PIB représente environ 13 %”.
Valdis Dombrovskis a toutefois rappelé que Bruxelles et Pékin avaient tout intérêt à s’entendre. “L’UE et la Chine ont toutes deux énormément bénéficié de leur ouverture au monde. C’est pourquoi je continuerai de défendre l’ouverture comme une stratégie gagnante sur le long terme” [Les Echos].
Le dialogue sino-européen se poursuit néanmoins
Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission européenne, et He Lifeng, vice-premier ministre du Conseil des affaires de l’État, ont coprésidé aujourd’hui le dixième dialogue économique et commercial de haut niveau UE-Chine. Le dialogue de haut niveau est la principale plateforme permettant à l’UE et à la Chine de discuter de questions économiques et financières, ainsi que de la coopération en matière de commerce et d’investissement.
Plus précisément, les deux parties ont discuté de la situation macroéconomique dans l’UE, en Chine et dans le monde. Le vice-président exécutif Dombrovskis a insisté en particulier sur l’incidence de l’attaque non provoquée de la Russie contre l’Ukraine sur les perspectives de croissance économique mondiale, ainsi que sur la sécurité alimentaire et énergétique. Les deux parties ont abordé des questions relatives à l’accès au marché et à la chaîne d’approvisionnement, et le vice-président exécutif Dombrovskis a demandé que des réponses soient apportées aux préoccupations de l’UE en matière d’accès au marché chinois, que les relations économiques et commerciales entre l’UE et la Chine soient rééquilibrées de manière transparente, prévisible et réciproque, et que des possibilités de renforcer la coopération multilatérale soient examinées.
Grandes questions abordées
En ce qui concerne les échanges commerciaux et les investissements, l’UE a réitéré ses préoccupations quant à l’environnement macroéconomique dans lequel les exportateurs et les investisseurs de l’UE doivent opérer en Chine. Le vice-président exécutif Dombrovskis a notamment soulevé la question de l’accès des entreprises européennes au marché chinois, notamment dans les domaines des exportations agroalimentaires, des dispositifs médicaux, des cosmétiques et des préparations pour nourrissons. L’UE et la Chine se sont également engagées à relancer les discussions sur les exportations de boissons alcoolisées. Les deux parties ont confirmé leur accord sur l’échange d’informations sur les contrôles à l’exportation au niveau technique, afin de constituer une plateforme permettant de clarifier les mesures prises par l’autre partie.
L’UE se félicite en particulier de l’accord conclu le 18 septembre 2023 à Pékin par Mme Věra Jourová, vice-présidente de la Commission, et Zhang Guoqing, vice-premier ministre du Conseil des affaires de l’État, afin de faciliter les flux transfrontières de données à caractère non personnel. Dans le domaine des droits de propriété intellectuelle, les progrès satisfaisants accomplis dans la mise en œuvre de l’accord sur les indications géographiques ont été considérés comme une avancée positive.
L’importance de chaînes d’approvisionnement transparentes et prévisibles a également été examinée, en particulier pour les matières premières critiques. Les deux parties sont convenues de poursuivre les discussions sur un éventuel mécanisme de transparence des chaînes d’approvisionnement en matières premières entre l’UE et la Chine. Dans un contexte plus large, l’UE a expliqué sa stratégie de réduction des risques et a souligné qu’il importait de s’abstenir d’instrumentaliser les chaînes d’approvisionnement. L’UE ne veut pas se dissocier de la Chine. L’UE défend un commerce ouvert et équitable, fondé sur des règles commerciales mondiales, des conditions de concurrence équitables et une concurrence loyale, et elle rejette le protectionnisme.
Les deux parties ont déjà abordé un certain nombre de questions sectorielles spécifiques, telles que l’assouplissement des agréments pour les fabricants de produits cosmétiques de l’UE. Les fabricants de produits cosmétiques de l’UE ont été confrontés à des accords d’étiquetage et de licence de plus en plus contraignants et l’UE se félicite de la création d’un nouveau groupe de travail chargé d’aplanir ces difficultés. L’UE espère également poursuivre les discussions sur l’amélioration de l’accès au marché pour les dispositifs médicaux européens. L’élimination des entraves est une question d’intérêt mutuel; elle améliorerait aussi directement le bien-être des citoyens chinois, en leur donnant accès aux meilleures technologies de santé. Les autorités chinoises se sont engagées à résorber l’arriéré des demandes de licences pour les préparations pour nourrissons, ce dont l’UE se félicite.
Au cours des discussions sur les perspectives économiques mondiales et les politiques macroéconomiques, l’UE a encouragé la Chine à entreprendre des réformes structurelles axées sur le marché afin de rééquilibrer son économie en la plaçant sur un chemin menant à une croissance économique à long terme plus durable. Un rééquilibrage profiterait non seulement à l’économie chinoise en réduisant ses déséquilibres et ses inégalités internes, mais aussi à l’UE et à l’économie mondiale dans son ensemble, car il contribuerait à une croissance mondiale plus résiliente, équilibrée et durable. À cet égard, l’UE attend avec intérêt la reprise des dialogues macroéconomiques, économiques et financiers dans les mois à venir.
Les deux parties sont convenues de mettre en place un nouveau groupe de travail UE-Chine sur la réglementation financière chargé de travailler sur des domaines clés, y compris l’ouverture mutuelle des possibilités d’investissement sur les marchés financiers pour les établissements financiers, la poursuite de la coopération dans le domaine de la finance durable et de la technologie financière, et l’amélioration des règles relatives aux infrastructures TIC pour le secteur financier, ce qui est essentiel pour que nos opérateurs garantissent la compatibilité. Le groupe de travail examinera la réglementation applicable aux établissements financiers étrangers, ainsi que la possibilité de partager des données financières par-delà les frontières.
Les parties ont également abordé la question de la coopération dans le contexte des défis mondiaux communs. La guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine a eu de graves répercussions sur l’économie mondiale, provoquant une crise humanitaire et aggravant les problèmes de sécurité alimentaire et énergétique. Dans ce contexte, le vice-président exécutif Dombrovskis a invité la Chine à jouer un rôle constructif pour assurer une paix durable et atténuer les conséquences économiques de la guerre. Il a remercié la Chine pour son action en matière de non-prolifération nucléaire.
Enfin, l’UE et la Chine ont examiné les possibilités de renforcer la coopération multilatérale, notamment en ce qui concerne les efforts d’allègement de la dette dans le cadre du G20 et la coordination au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les deux parties ont également échangé leurs vues sur la préparation de la treizième conférence ministérielle de l’OMC, qui aura lieu en février 2024, et sur les attentes nourries à l’égard de cette conférence.
Contexte
Le dialogue de haut niveau a fait suite à l’accord conclu par la présidente von der Leyen et le président Xi dans le but de réactiver les dialogues bilatéraux de haut niveau entre l’UE et la Chine. Il a eu lieu dans le cadre d’une visite plus large de quatre jours que le vice-président exécutif a effectuée en République populaire de Chine et qui englobait plusieurs réunions avec de hauts responsables chinois et des entreprises européennes consacrées aux questions macroéconomiques, financières, commerciales et d’investissement. Le dialogue est un forum important pour débattre de sujets géopolitiques plus larges ainsi que pour approfondir des sujets et des préoccupations spécifiques. En outre, le vice-président exécutif a prononcé des discours publics lors du sommet du Bund et à l’université de Tsinghua.
L’UE et la Chine sont d’importants partenaires commerciaux: en 2022, les échanges bilatéraux de marchandises ont progressé de 23 %, atteignant le montant record de 857 milliards €. Les exportations de l’UE vers la Chine ont augmenté de 3,1 % pour atteindre 230 milliards €, tandis que les importations de l’UE en provenance de Chine ont augmenté de 32 % pour atteindre 626 milliards €. Conséquence: le déficit bilatéral de l’UE a atteint le niveau record de 396 milliards €, ce qui représentait une augmentation de 58 % par rapport à 2021.
En 2022, la Chine était le deuxième partenaire commercial de l’UE pour les marchandises, derrière les États-Unis. Il s’agissait de la troisième destination des exportations de l’UE derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, représentant 9 % du total des exportations de l’UE. Avec 21 % des importations totales, la Chine était la principale source d’importations de l’UE, dépassant la part cumulée de la deuxième source, à savoir les États-Unis (12 %), et du Royaume-Uni (7 %).
Dixième dialogue économique et commercial de haut niveau UE-Chine (europa.eu)
Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite.
Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente.
Pour toute demande d’autorisation, contactez syndication@lemonde.fr.
En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ».
Rien de tel pour clore une querelle de famille que de se trouver un ennemi commun. L’Union européenne et les Etats-Unis seraient sur le point de le faire sur le dos de la Chine. Cela concerne les importations d’acier. Selon le quotidien britannique The Financial Times, l’Europe devrait annoncer d’ici à la fin du mois d’octobre le lancement d’une enquête antidumping contre l’acier chinois dans le cadre d’un accord avec Washington.
La brouille américano-européenne date de 2018, quand le président Donald Trump avait décidé de taxer de près de 25 % les importations d’acier et d’aluminium en provenance de Chine mais aussi d’Europe. Bruxelles avait répliqué en pénalisant les importations de bourbon et les motos Harley-Davidson. Pas précisément l’arme nucléaire, mais le début d’une longue dispute, même si ces mesures et rétorsions ont été gelées en 2021.
Pour sortir par le haut de cette situation, une initiative baptisée « accord global sur l’acier et l’aluminium responsable » a été mise sur pied. Un accord de principe doit être annoncé à l’occasion d’une réunion à Washington le 20 octobre.
Taxe carbone aux frontières
Au-delà de vider une méchante querelle, cette attention portée aux importations chinoises s’inscrit dans une perspective plus large d’inquiétude de l’Europe face à la coexistence difficile de ses ambitions climatiques et du maintien de son industrie. La fin imposée des moteurs thermiques des voitures panique les constructeurs européens, qui alertent sur une déferlante de voitures chinoises, tandis que la promotion des énergies renouvelables menace également de se traduire par une embellie des importations.
Les enquêtes au nom de la concurrence sont un mode de lutte qui a l’avantage d’être compatible avec les règles du commerce international. Le 13 septembre, Bruxelles a annoncé le lancement d’une procédure de ce type contre les voitures électriques, et le commissaire à la concurrence, Didier Reynders, a indiqué le 6 octobre qu’il pourrait faire de même avec les turbines d’éoliennes.
Lire aussi : L’Union européenne ouvre une enquête sur les subventions publiques chinoises aux automobiles électriques Ajouter à vos sélections
Ajouter à vos sélections
L’autre arme de Bruxelles est la taxe carbone aux frontières. Vieille demande des industriels de l’acier, elle est entrée le 1er octobre en phase de test et touchera, entre autres, les importations d’acier, d’aluminium, de ciment, les engrais, l’hydrogène, l’électricité. A partir de 2026, cette taxe carbone s’appliquera aux produits importés, au même titre que leurs équivalents européens. La forteresse se met en place avec une énorme incertitude : quelles seront les conséquences sur les secteurs en aval qui pourraient être tentés de s’installer ailleurs pour acheter leur acier moins cher ? La sortie de vingt ans de libre commerce ne se fera pas sans sacrifice.
Notes •
(1) Strategy on China, Government of the Federal Republic of Germany, 13 juillet 2023, disponible ici
(2) Holger Görg, Katrine Kamin, Rolf J. Langhammer, Wan-Hsin Liu, Germany’s Planned China Strategy Is the Wrong Approach, Kiel Focus, janvier 2023, Kiel Institute for World Economy, disponible ici
(3) Sophie Boisseau du Rocher, Emmanuel Dubois de Prisque, La Chine e(s)t le Monde Essai sur la sino-mondialisation, Odile Jacob, 2019
(4) Integrated Strategy for Germany, The Federal Government of Germany, juin 2023, disponible ici
(5) Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sur les relations UE-Chine – Une vision stratégique, Commission européenne et Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, 12 mars 2019, disponible ici
(6) Brief summary 2022 Report on Protection of the Constitution, juin 2023, disponible ici
(7) Une stratégie européenne pour renforcer la sécurité économique, Commission européenne et Haut Représentant de l’Union européenne, 20 juin 2023, disponible ici
(8) Sheena Chestnut Greitens, Myunghee Lee, Emir Yacizi, « Counterterrorism and Preventive Repression: China’s Changing Strategy in Xinjiang », International Security, vol. 44, n° 3, hiver 2019/2020
(9) Emmanuel Dubois de Prisque, La Chine et ses démons Aux sources du sino-totalitarisme, Odile Jacob, 2022
(10) Andrew Chubb, « PRC Assertivness in the South China Sea: Measuring Continuity and Change, 1970-2015 », International Security, vol. 45, n° 3, hiver 2020/2021
(11) Managing the energy crisis in solidarity, shaping the new reality, German Council of Economic Experts, 9 novembre 2022, disponible ici
(12) Alexander Sandkamp, Vincent Stamer, Falk Wendorff, Steffen Gans, Empty shelves made in China: When China block trading, Kiel Institute for World Economy, Kiel Policy Brief n°164, février 2023, disponible ici
(13) Gabriel Felbermayr, Steffen Gans, Hendrik Mahlkow, Alexander Sandkamp, Decoupling Europe, Kiel Institute for World Economy, Kiel Policy Brief n°153, juillet 2021, disponible ici
(14) The Market for 5G RAN in Europe: Share of Chinese and Non-Chinese Vendors in 31 European Countries, Strand Consult, décembre 2022, disponible ici
(15) Simon Gerards Iglesias, Jürgen Matthes, China’s dependence on the West for imports and technologies, German Economic Institute, IW-Reports n° 15, mars 2023, disponible ici
Commerce : en Chine, l’Union européenne passe à un discours plus offensif – Touteleurope.eu