Elargissements de l’Union européenne : comment ça marche ?

Agnès Faure

Comment l’Union européenne est-elle passée de 6 à 28 membres ? Puis 27 membres ? Qui sont aujourd’hui les candidats à l’adhésion ? La Turquie intègrera-t-elle un jour l’Union européenne ? L’essentiel sur l’élargissement de l’Union européenne.

Travailler ensemble pour éviter la guerre

« L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait« . Le 9 mai 1950, le ministre des Affaires étrangères français, Robert Schuman, annonçait ainsi sa proposition de « placer l’ensemble de la production franco-allemande du charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune« . Ce discours, devenu célèbre sous le nom de Déclaration Schuman, a marqué le début de l’aventure européenne : la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) avec ses six pays fondateurs constitue en effet le noyau autour duquel l’Europe s’est ensuite rassemblée.

L’objectif du projet européen – et donc de ses futurs élargissements – y était aussi défini : la gestion commune des ressources par plusieurs États afin d’écarter l’éventualité d’un conflit. Une idée que Schuman résuma ainsi cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale : « la solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l’Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible« . Ce même principe, valable en 1950 pour les deux États divisés par une « opposition séculaire« , s’est depuis étendu aux autres pays européens.

Discours de Robert Schuman sur la création de la CECA

De 6 à 28

A la déclaration du 9 mai 1950 succède un an plus tard la naissance de la CECA. Les États qui acceptent de mettre en commun leur production de charbon et d’acier sont alors six : la France, la République fédérale d’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, pays fondateurs de l’Union européenne.

Ce sont en effet les mêmes qui signent en 1957 les Traités de Rome, établissant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) et, surtout, la Communauté économique européenne (CEE). L’élargissement y est déjà prévu à l’article 237.

En 1973, le premier élargissement porte à 9 le nombre d’États membres de la CEE (ainsi que ceux de la CECA et d’Euratom) : le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni rejoignent le groupe des six fondateurs. Longtemps désintéressée des ambitions communes de ses « voisins continentaux » durant les années 1950, Londres demande, dès les années 1960, à pouvoir rejoindre le club européen, mais se heurte deux fois au refus de Paris avant d’être finalement acceptée en 1973. Cependant, son adhésion aux Communautés européennes ne tardera pas à produire les premières frictions.

Durant les années 1970, la fin de la dictature militaire en Grèce (1967-1974) met fin à l’isolement diplomatique dans lequel s’était retrouvé le pays. Athènes dépose sa candidature auprès des Communautés européennes (CE) en 1975 et, en 1981, devient le dixième État membre.

Une histoire similaire marque l’élargissement suivant. Les régimes dictatoriaux au Portugal et en Espagne se terminent respectivement en 1974, avec la révolution des Œillets, et en 1975, avec la mort de Francisco Franco. Après les premières élections libres et l’adoption de nouvelles constitutions, Portugal et Espagne rejoignent le projet européen en 1986. L’ »espace de paix » né après la fin de la Seconde guerre mondiale devient aussi une garantie de démocratie.

Le début des années 1990 marque la fin des régimes communistes, la réunification de l’Allemagne et, pour les Communautés européennes, la signature du Traité de Maastricht. Les trois CE laissent ainsi leur place à l’Union européenne qui devient formellement un projet politique et non seulement économique. En 1995, les États membres de l’UE passent de 12 à 15, avec l’intégration de l’Autriche, de la Suède et de la Finlande. La Norvège et la Suisse, qui adhèrent déjà à l’AELE (Association européenne de libre-échange) et qui avaient pourtant déposé leur candidature auprès de l’Union, finissent par rejeter l’adhésion par référendum.

Les trois dernières vagues d’élargissements, à partir des années 2000, portent l’UE à treize nouveaux États membres. En 2004, dix pays y accèdent : Chypre, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie. Trois ans plus tard, en 2007, c’est au tour de la Roumanie et de la Bulgarie, tandis qu’en 2013 la Croatie devient le 28ème pays membre.

L’année suivante, le président de la Commission européenne tout juste élu, Jean-Claude Juncker, annonce que durant son mandat, c’est-à-dire jusqu’en 2020, « il n’y aura pas de nouveaux élargissements de l’Union européenne« . L’Islande, qui avait posé sa candidature en 2009, la retire en 2015. 

Les élargissements de l’Union européenne, de 6 à 27 Etats membres

Le Brexit : de 28 à 27

La possibilité de sortir de l’Union européenne a été introduite seulement en 2007, avec le traité de Lisbonne entré en vigueur deux ans plus tard. Encadrée par l’article 50 du traité sur l’Union européenne (TUE), cette éventualité théorique est devenue un scénario concret, à la suite du référendum britannique du 23 juin 2016.

La victoire du « leave » (« sortir ») a en effet pour la première fois abouti à mise en  œuvre de la procédure permettant à un État membre de quitter l’UE. Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni déclenche l’article 50 du TUE, qui devait aboutir à leur sortie de l’UE deux ans plus tard, le 29 mars 2019. Mais l’accord de sortie négocié avec les Européens par la Première ministre britannique Theresa May et conclu en novembre 2018 est rejeté trois fois par les députés du Royaume-Uni. Ce qui conduit à trois reports du Brexit (12 avril 2019, 31 octobre 2019 et enfin au 31 janvier 2020) afin d’éviter un no deal, une sortie sans accord du pays de l’UE. Cette dernière aurait notamment pu avoir de graves conséquences économiques.

Boris Johnson, le successeur de Theresa May, réussit quant à lui à conclure avec Bruxelles en octobre 2019 un nouvel accord de sortie, qu’il réussit à faire approuver par les parlementaires britanniques. En conséquence, son pays quitte l’UE le 31 janvier 2020, fait inédit dans l’histoire de la construction européenne.

Une fois le Royaume-Uni sorti de l’UE, une période de transition, pendant laquelle le pays continue d’appliquer les politiques européennes sans avoir voix au chapitre, s’ouvre jusqu’au 31 décembre 2020. Celle-ci doit permettre aux deux parties de négocier leur nouvelle relation.

Les candidats à l’élargissement des Balkans

L’Union fait face entre temps à d’autres pays qui demandent, quant à eux, à intégrer le projet commun. Dans le sud-est européen, sept pays attendent en effet aux portes de l’UE. Cinq sont officiellement candidats à l’adhésion (Albanie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Turquie) et deux sont des « candidats potentiels » (Bosnie-Herzégovine et Kosovo). Pour les Balkans, frappés par une longue guerre fratricide durant les années 1990, l’intégration européenne signifierait avant tout la fin des tensions bilatérales. Elle rendrait le conflit « non seulement impensable, mais matériellement impossible« , pour utiliser les mots de Robert Schuman. Pour l’UE, intégrer cette région signifierait une victoire géopolitique face à d’autres acteurs (notamment la Russie) et donc davantage de sécurité.

Lors du Conseil européen d’octobre 2019, plusieurs pays refusent d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord : la France et les Pays-Bas pour les deux candidats et le Danemark et l’Espagne pour le premier seulement. La majeure partie des Etats membres, notamment à l’Est, considèrent cela comme une erreur géopolitique, étant donné le risque d’influence d’autres pays dans la région. Mais pour Paris et d’autres capitales, réformer la méthode de négociation est un préalable à l’élargissement.

En février 2020, la Commission européenne formule une proposition de réforme du processus d’adhésion à l’UE. Celle-ci vise à le simplifier en regroupant en six groupes thématiques la trentaine de chapitres de négociations : « fondamentaux » (état de droit notamment), marché intérieur, compétitivité et croissance inclusive, programme environnemental et connectivité durable, ressources, agriculture et cohésion, relations extérieures. L’exécutif européen propose également aux Etats membres d’être davantage associés au processus, en participant plus systématiquement à son suivi et à son examen. Enfin, la Commission suggère que les négociations puissent être suspendues dans certains domaines par les pays de l’UE, voire totalement arrêtées dans les cas les plus graves. De même, la proposition avance la possibilité de rouvrir des chapitres de négociations déjà clos en cas de manquements de la part des Etats candidats les concernant.

Suite à cette proposition de réforme, les ministres des Affaires étrangères se prononcent en faveur de l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord le 24 mars 2020. Cette décision est confirmée quelques jours plus tard par les dirigeants européens lors d’un Conseil européen. La Commission a alors travaillé sur un cadre de négociation qu’elle a présenté aux Etats membres en juillet 2020.

Le cas de la Turquie est particulier. Ankara a présenté sa candidature il y a 30 ans, en 1987, mais son processus d’adhésion à l’UE a très peu progressé. Sa candidature a bien été acceptée par l’UE (à la différence de celle du Maroc, rejetée en 1985), mais la perspective d’intégrer ce grand pays, majoritairement musulman et situé aux frontières de l’Europe « géographique », suscite de nombreux débats.

La question de Chypre, dont la partie nord est occupée depuis 1974 par l’armée turque, bloque également toute avancée dans les négociations. Mais c’est surtout la répression qui a suivi les manifestations de Gezi en 2013 et plus encore celle après le coup d’État manqué en 2016, qui ont éloigné Bruxelles et Ankara. Les tensions autour de la souveraineté de Chypre ont par ailleurs repris en 2019, avec des forages illégaux de gisements gaziers effectués par la Turquie dans les eaux chypriotes.

Adhésion de la Turquie à l’Union européenne : où en est-on ?

Les règles de l’élargissement

Maroc, Turquie, Balkans… Les différentes réponses données par les institutions européennes aux demandes d’intégration montrent bien que la politique d’élargissement suit des règles précises. L’article 49 du TUE discipline cette matière en statuant que « tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union« . Le pays candidat doit donc être « un État européen » et se fonder sur « les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités« .

Ensuite, sa demande d’adhésion doit être approuvée « à l’unanimité » par le Conseil de l’Union européenne, « après avoir consulté la Commission et après approbation du Parlement européen« . C’est à ce moment qu’un dialogue officiel s’instaure entre Bruxelles et l’État candidat, afin d’établir si ce dernier est en mesure de remplir « les conditions économiques et politiques requises » et de « souscrire aux objectifs de l’Union politique, économique et monétaire« , comme précisé en 1993 par le Conseil européen de Copenhague. Durant ce processus, les pays candidats (et même les « candidats potentiels ») peuvent bénéficier de l’Instrument d’aide de préadhésion (IAP) établi pour faciliter l’implémentation de « l’acquis communautaire ».

Plusieurs années sont alors nécessaires pour comparer la législation de l’Union, divisée en une trentaine de chapitres, aux dispositions en vigueur dans le pays candidat, dans le but de vérifier si l’État qui souhaite intégrer l’UE assure les mêmes standards européens en termes d’État de droit, de système judiciaire, d’économie, d’environnement… Une fois ces chapitres « clos », le Conseil européen rend sa décision à l’unanimité. Un traité d’adhésion est alors signé avec le pays candidat et est ensuite soumis à l’approbation du Parlement et à l’accord unanime du Conseil. Lorsqu’il est enfin ratifié par tous les États membres, l’Union européenne peut fêter un nouvel élargissement !

Les étapes d’adhésion à l’Union européenne

Débats et perspectives

L’élargissement permet à l’Union européenne d’agrandir son territoire, sa population, peut l’aider à s’imposer sur l’échiquier géopolitique face aux autres acteurs majeurs mondiaux, mais rend inévitablement le processus décisionnel au sein de ses institutions plus complexe. Au fur et à mesure de l’élargissement de l’UE, le nombre de participants aux réunions du Conseil a aussi augmenté, tout comme la liste des commissaires européens et des eurodéputés siégeant dans l’hémicycle de Strasbourg. Deux positions s’affrontent alors : faut-il accélérer l’adhésion de nouveaux États membres ou approfondir l’union déjà créée ?

L’agrandissement constant de l’UE, soutiennent ses détracteurs, produit dans l’Union trop de différences économiques, sociales et politiques, sans laisser le temps pour qu’une véritable cohésion s’établisse entre les Etats membres. De l’autre côté, les partisans de l’élargissement expliquent que le gel de cette politique, voulue par Jean-Claude Juncker au cours de son mandat (2014-2019), a provoqué un sentiment de frustration dans les Balkans, contribuant à déstabiliser la région et, indirectement, à rendre plus attrayantes les promesses de la Russie aux yeux de certains pays candidats, notamment la Serbie. Comment faut-il alors gérer l’élargissement et jusqu’où vont les frontières de l’UE ? Les réponses à ces questions définissent le sens même du projet européen. 

Article initial rédigé par Giovanni Vale

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