US/UE -Acte 4 : L’UE face à Trump, la capitulation malgré d’autres possibles ?

Grain de sel : Quand la peur du clash écrase toute ambition stratégique

Donald Trump n’a jamais caché ses intentions : utiliser les tarifs comme arme de coercition économique. De retour à la Maison-Blanche, il impose sa logique : le rapport de force.

Face à lui, alors même que d’autres tentent de résister (Canada) ou ont entamé une lutte sans fard et « à mort » (Chine), l’Union européenne qui dispose pourtant de plusieurs atouts vient de plier. En acceptant un « accord » ( pseudo deal encore non écrit et dont les contours sont bien flous) asymétrique: 15 % de droits au global (mais le diable est dans les détails) arraché sous la menace du couperet d’un taux de 30 %, Bruxelles présente la « négociation » comme plutôt favorable, alors qu’elle a manifestement troqué toute marge de manœuvre contre un répit temporaire, pire hasardeux.

Le deal consacre un déséquilibre profond, entérinant une relation transatlantique pilotée depuis Washington, selon les intérêts électoraux d’un président, au demeurant imprévisible. Ce compromis précipité risque d’installer durablement notre continent dans un rôle de partenaire docile, de « vassal » dont les décisions seront dictées par le souci d’éviter la « foudre de Zeus » que d’élaborer et défendre sa propre cohérence stratégique.

L’Union européenne, plus exactement la Commission en charge des négociations, semble hélas avoir été menée en bateau à plus d’un titre : croire en une promesse de 15% au global,,taxe déjà inacceptable, mais qui sera complétée dixit Trump quelques jours après par des taxes importants dans des secteurs qu’il considère comme stratégiques (cf. acier, aluminum, médicaments) ; accepter un package flou ou se mêlent des promesses d’investissement (cf. ci-après) aux US, des achats d’arme pour l’Ukraine mais aussi de manière plus elliptique des engagements de limiter l’application de notre régulation numérique (DMA et DSA) , de continuer le « nettoyage » des ambitions du Green Deal.

Bref « tout ça pour ça ! Le « ça » n’étant guère clarifié à ce stade. Une seule chose permet de résumer ces incertitudes: l’Europe, modèle dans lequel sans doute de plus petits Etats soumis à la pression des US pouvaient espérer aux cotés d’autres comme le Canada a choisi l’humiliation. Nous n’en mesurons pas encore les diverses conséquences . Les divers thèmes de l’article ci-après s’inspirent ou citent directement quelques réactions publiées par des experts pour tenter d’expliquer et de projeter.

1. La croisade de Trump : manœuvres juridiques au nom d’un nationalisme économique a tout crin

Dès son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a relancé une guerre des tarifs. Déterminé à corriger ce qu’il perçoit (ou présente ) comme des injustices commerciales, il a contourné les institutions invoquant une prétendue urgence économique nationale pour imposer des hausses de droits de douane sans passer par le Congrès. Cette manœuvre juridique — déjà utilisée lors de son premier mandat — est très controversée et fait l’objet de batailles judiciaires. Fin mai, des tribunaux américains ont jugé illégal cet usage détourné des pouvoirs d’urgence, estimant que ni les déficits commerciaux ni d’autres prétextes (comme l’importation de fentanyl) ne constituaient une « urgence » autorisant des tarifs punitifs. Malgré tout, les droits de douane concernés restent appliqués en attendant qu’une décision finale tombe, possiblement devant la Cour suprême dans les mois à venir.

Peu lui importe d’ailleurs le verdict, Trump n’abandonnera pas son arme tarifaire, quitte à puiser dans d’autres justifications légales — sécurité nationale, mesures anti-“pratiques déloyales”, etc. Son obsession pour les déficits commerciaux et son discours du “fair trade” à sens unique annoncent que la croisade protectionniste continuera, avec ou sans feu vert juridique.

Il faut rappeler que ces hausses tarifaires touchent directement les consommateurs américains. Bien que les importateurs soient légalement responsables du paiement des droits de douane à l’arrivée des marchandises, ce coût est généralement répercuté dans le prix final. Une étude récente montre que, jusqu’ici, les importateurs ont absorbé près de 95 % du surcoût… mais cette stratégie n’est pas tenable à long terme. Le récit selon lequel les “pays étrangers” paieraient pour ces droits ne résiste pas à l’examen économique : ce sont bien les foyers américains qui en subissent les conséquences.

Parallèlement, Trump a renforcé un autre levier de pression : les tarifs justifié par raisons de sécurité nationale. Il a ainsi doublé les droits sur l’acier et l’aluminium importés, passant de 25 % à 50 % le 4 juin. Selon lui, la mesure est indispensable pour “ajuster les importations” et garantir que l’industrie américaine ne soit pas affaiblie par une concurrence étrangère à bas coût. Il estime que la précédente surtaxe n’a pas suffi à relancer les capacités nationales et veut désormais “frapper plus fort”. Sans surprise, cette escalade protectionniste a provoqué des réactions vives. La Commission européenne a quant à elle, exprimé son “profond regret” et dénoncé des mesures contraires aux engagements de l’OMC, mais jusqu’ici pas d’indice de tentative d’action collective d’autres acteurs du monde aux côtés de l’UE?

La séquence: annonce, revirements, annonce contradictoire liés à des calculs électoraux internes mais sans doute aussi un stratégie d déstabilisation généralisée lui permettant de diviser pour régner— est devenu une marque de fabrique.

Ainsi, à mesure que le 1er août approchait, la pression s’est intensifiée avec cette menace d’un tarif global de 30 % sur toutes les exportations européennes si aucun accord n’était signé. C’est dans ce contexte que le compromis à 15 % a été arraché.

2. L’UE quelle préparation ?

Face aux assauts de Trump, l’Union européenne a avancé depuis des mois sur une ligne de crête étroite : montrer les muscles pour dissuader Washington d’aller plus loin (mais quelle crédibilité désormais?), maintenir le dialogue afin d’éviter une escalade incontrôlable. Cette posture d’équilibriste difficile semble être devenue intenable dans le contexte politique interne à l’UE où la présidente est isolée, les députés s’affrontent, les Etats jouent leur propre jeu?

Pourant, la Commission avait dûment travaillé en mobilisant les grands groupes industriels, en documentant les investissements européens aux États-Unis, en esquissant une stratégie de négociation structurée inclus des mesures de rétorsion précises et ciblées qui …ne feraient pas « trop de mal » à l’économie européenne tout en touchant l’économie US

La préparation de ripostes :

Un questionnaire a ainsi été envoyé, dès le 27 mai, via BusinessEurope et l’European Round Table for Industry aux fleurons industriels du continent. Les entreprises – de l’automobile à la tech – étaient invitées à détailler leurs plans d’investissement aux États-Unis sur cinq ans. En parallèle, la Commission a formulé une offre de compromis : aller vers 0 % de tarifs douaniers réciproques sur les biens industriels, et accroître les achats de produits sensibles pour Trump comme le GNL ou certains matériels de défense.

L’incertitude grandissante autour de la stratégie américaine a néanmoins ralenti les investissements européens. Une enquête a montré que près d’un tiers des entreprises allemandes envisageaient de réduire leurs projets aux États-Unis. C’est inévitable : l’imprévisibilité devient un poison lent et les entreprises aussi pratiquent la stratégie de dérisking .

Dés lors, l’autre option était l’activation de l’instrument anti-coercition et la mise en place de contre-mesures tarifaires ciblées plus le recours aux instruments internationaux avec la plainte à l’OMC déposée.

L’objectif « montrer les muscles » inclus en intégrant dans des mesures européennes la question d’une taxe du numérique qui viserait ls GAFAM ou l’exclusion des entreprises US de certains marches publics était atteignable.

Pourtant l’objectif a changé de nature : gagner du temps et éviter une guerre tarifaire ouverte, tenter un ultime compromis commercial parce que la partie se joue aussi en Ukraine et est de nature militaire.

3. Un accord à 15 % : pause stratégique ou soumission tarifaire ?

Breaking News : Voilà que Trump remet en cause les engagements de Turnberry, alors même que personne ne dispose du moindre texte.
Dans les dernières annonces, l’interprétation trumpienne des 600 milliards d’investissement, qui selon la Commission correspond à une anticipation rationnelle d’investissements privés d’acteurs européens aux US devient dans sa version un tribut (rançon) librement utilisable par son gouvernement, la somme étant à offrir en échange de la baisse du droit de 30 à 15%.
« Les 600 milliards ? Je peux en faire absolument n’importe quoi. »
Les misinterprétations et sujets de conflits ne vont donc pas manquer…

Selon Cecilia Malmström, ancienne commissaire européenne au commerce qui avaut dû durement négocier avec la première administration Trump, l’Union s’est engagée à Turnberry sur une voie particulièrement dangereuse,celle d’une logique de reddition . L’Europe a renoncé à faire levier sur sa puissance économique, à conditionner ses concessions. Quant à imposer ses priorités : climat, réciprocité, souveraineté industrielle, on en parle au passé ou ces mots ont disparu du langage de nos diplomates

Retrouvez l’intégralité de cet entretien éclairant du Grand Continent.

Breaking News : Alors qu’Ursula Von de Leyen défend son accord, le parlement européen pourrait faire de la résistance 

La présidente de la Commission européenne a défendu l’accord conclu avec Donald Trump, estimant qu’il s’agit d’une décision « délibérée » qui a permis d’éviter une guerre commerciale totale entre l’UE et les États-Unis.

Le projet de motion, que la Commission s’est engagée à présenter d’ici la fin du mois d’août, est nécessaire pour tenir la promesse de Washington de réduire les droits de douane sur les voitures de 27,5 % à 15 %, soit le taux appliqué à la plupart des autres produits de l’UE dans le cadre de l’accord-cadre récemment conclu entre l’UE et les États-Unis.
« Non, je ne suis pas sûr que le Parlement adoptera la proposition », a prévenu Bernd Lange. « Par exemple, je ne vois pas très bien pourquoi il est justifié que les produits fabriqués avec de l’acier et de l’aluminium allant de l’UE vers les États-Unis soient soumis à des droits de douane de 50 %, mais qu’ils ne soient soumis à aucun droit de douane lorsqu’ils viennent des États-Unis vers l’UE ».

Péripéties juridiques : la base légale utilisée par Trump pour imposer divers droits de douane dont les 15% aux produits européens contestée par les juges
Une cour d’appel américaine a jugé vendredi que nombre des tarifs douaniers imposés par Donald Trump étaient illégaux, estimant qu’il avait outrepassé ses pouvoirs en recourant aux lois d’urgence économique. Mais ces droits de douane restent provisoirement en vigueur jusqu’à mi-octobre, le temps que Trump saisisse la Cour suprême. Le président, qui en a fait un instrument central de sa politique économique, a promis de « se battre » devant la plus haute juridiction. Ce revers fragilise plusieurs accords commerciaux conclus avec des partenaires comme l’Union européenne et soulève la question du sort des milliards déjà collectés si la Cour suprême confirmait l’illégalité des mesures.

Au-delà de l’illégalité constatée par la cour d’appel, l’enjeu est désormais institutionnel : la Cour suprême devra trancher sur l’usage par Donald Trump de la loi IEEPA, conçue pour des situations d’urgence, mais jamais pensée comme base pour imposer des droits de douane généralisés. Un arrêt défavorable pourrait contraindre l’administration à rembourser les recettes perçues et, surtout, freiner l’expansion d’une « présidence unitaire » qui s’affranchit des contre-pouvoirs. Reste une interrogation cruciale : Trump respectera-t-il une décision qui limiterait son levier favori de coercition commerciale ?

Le Parlement européen pourrait contrer la proposition de Bruxelles de réduire les taxes sur les exportations américaines – Euractiv FR
« Un choix délibéré » qui a permis d’éviter une guerre commerciale : Ursula von der Leyen défend son accord avec Donald Trump – Euractiv FR
US appeals court finds Trump’s global tariffs illegal – Euractiv
Les droits de douane de Trump jugés « illégaux » : le monde entier a les yeux rivés sur la Cour Suprême – Le Club des Juristes

Breaknews – Le Parlement européen freine le “deal” Trump–von der Leyen
Le 23 octobre 2025, la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, présidée par Bernd Lange, a demandé des modifications majeures au prétendu « accord » commercial conclu entre Donald Trump et Ursula von der Leyen.
Loin de valider le texte, les eurodéputés réclament des clauses de sauvegarde, de suspension et de réciprocité sur l’acier, insistant sur le respect des règles de l’OMC et le caractère temporaire de toute concession.
Lange résume sa position en cinq mots : Steel, Standstill, Suspension, Safeguard, Sunset — les « 5 S » de la prudence européenne.

Rappel sur le rôle du Parlement européen : En matière commerciale, la Commission négocie, mais c’est le Parlement européen qui dispose du pouvoir final de validation de tout accord international (article 218 TFUE). Sans l’aval des eurodéputés, aucun « deal » ne peut entrer en vigueur — même lorsqu’il est politiquement présenté comme acquis.

Parliament seeks to ‘improve’ US deal, holds fire on rejection ‘bazooka’ | Euractiv

Que vaut cet accord au delà de quelques chiffres ?

Le 27 juillet, Ursula von der Leyen et Donald Trump ont donc annoncé un accord commercial qui a évité l’entrée en vigueur, le 1er août, d’un tarif punitif de 30 % sur les exportations européennes. Les États-Unis appliqueront un tarif unifié de 15 % sur environ 70 % des biens européens, notamment dans l’automobile, les semi-conducteurs et la pharmacie. L’UE, de son côté, s’engage à abaisser à zéro certains droits de douane sur des produits américains et à effectuer des achats massifs : 750 milliards de dollars d’énergie américaine (autrement dit de GNL nous y revenons ci-après), 600 milliards d’investissements supplémentaires outre-Atlantique, et une commande de matériel militaire à grande échelle.

Mais comment estimer ces élments ?

D’abord, un tarif moyen de 15 %, contre seulement 4,5 % l’année dernière, marque un retour aux niveaux tarifaires des années 1930. Certes, quelques exemptions ont été négociées (aéronautique, matières premières critiques, certains produits chimiques et agricoles)

Ensuite l’acier/aluminium restent soumis à un régime de quotas. Enfin la liste exacte des produits exemptés reste floue, il y a notamment déjà des tergiversations à propos ds médicaments.

Les misinterprétations et sujets de conflits ne vont donc pas manquer..

L’Union a plié, faute de stratégie industrielle concertée et de marges de manœuvre budgétaires. Les promesses d’achats d’énergie ou d’investissements défensifs ne sont même pas juridiquement contraignantes, et certains engagements relèvent d’une compétence partagée avec les États membres. Quant aux discussions internes sur une éventuelle compensation européenne via un assouplissement des aides d’État ou une mutualisation des pertes sectorielles, elles butent sur les contraintes du Pacte de stabilité et le manque de consensus politique.

En somme, cet accord ne règle rien. Il entérine un déséquilibre profond entre les deux blocs, dans lequel l’Europe joue sur la défensive, divisée, tandis que les États-Unis imposent leur tempo. Un débat de fond ressurgit : faut-il rouvrir la perspective d’un grand accord commercial transatlantique — un TTIP repensé — pour sortir de cette logique de crise permanente ? Faute de courage politique, l’alternative est connue : subir.

Un risque fort de dépendance aux énergies fossiles américaines, aux antipodes de notre trajectoire de décarbonation 

À trop vouloir éviter la guerre tarifaire, l’Union européenne semble avoir fait une croix sur une partie de sa souveraineté climatique. En échange d’un sursis douanier, Bruxelles s’engage à importer pour 750 milliards de dollars d’hydrocarbures américains. Un choix qui, derrière les apparences d’un compromis commercial, marque un net rétropédalage du Green Deal.

Ce n’est pas seulement la cohérence climatique de l’Union qui vacille, mais sa stratégie de long terme : alors même que la demande de gaz recule, et que les effets du dérèglement climatique se font chaque jour plus violents, l’UE lie son avenir énergétique à une source fossile importée — plus émettrice que le charbon sur l’ensemble de son cycle de vie.

Autrement dit, pour éviter 15 % de droits de douane, l’Europe s’apprête à brader 30 ans d’ambition climatique.

A lire aussi pour approfondir la question de la dépendance européennes aux énergies fossiles et les scénarios pour s’en sortir : Pour maitriser son destin, l’Europe ne devrait-elle pas inventer un modèle de puissance globale libérée des fossiles ?

Deux récits pour un même accord : l’art du flou stratégique

Des deux côtés de l’Atlantique, la mise en récit de l’accord diverge radicalement : dans la communication américaine, il s’agit d’un succès « historique » qui verrouille 15 % de droits de douane « pour tout » et arrime durablement l’Europe à des achats massifs d’énergie, d’armement et de produits industriels américains ; côté européen, on insiste sur les exemptions, sur le maintien de régimes spécifiques (comme l’acier et l’aluminium), et sur des engagements conditionnels ou non contraignants. Le diable est ici dans les détails, et plus encore dans les non-dits : liste exacte des produits concernés, modalités réelles des promesses d’achat, marges de manœuvre laissées aux États membres… Autant de zones grises qui alimenteront inévitablement tensions et divergences d’interprétation. Or une clarification rapide serait indispensable pour éviter que ces ambiguïtés ne se transforment en contentieux ouverts ; mais Donald Trump a tout intérêt à entretenir ce flou, qui lui permet de capitaliser politiquement sur un « deal » dont chacun, de part et d’autre, croit détenir sa propre version.

4. Vers un front commun international ? La cohésion inédite des partenaires de l’Amérique

Si l’objectif initial de Washington était de diviser pour mieux régner, les résultats, pour l’instant, sont plutôt inverses : rarement la coordination internationale n’a été aussi forte face aux hausses tarifaires américaines.

Au niveau multilatéral, les actions unilatérales de Trump ont relancé le débat sur la défense de l’ordre commercial mondial. Les règles de l’OMC, de plus en plus impuissantes à encadrer les dérapages tarifaires américains, sont ouvertement remises en question. Plusieurs voix appellent désormais les puissances intermédiaires à faire bloc pour préserver les principes du libre-échange. La directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, a récemment souligné que ces pays, bien que ne pesant chacun qu’entre 1 et 4 % du commerce mondial, pourraient ensemble former un contrepoids crédible. L’Union européenne en fait partie, tout comme plusieurs États d’Asie-Pacifique, d’Amérique latine ou d’Afrique. L’idée qui émerge : coaliser ces acteurs autour de propositions concrètes de réforme ou d’actions juridiques coordonnées contre les mesures abusives. Rassembler une telle diversité d’intérêts est un défi, mais la pression actuelle crée un terrain d’entente inédit : celui de la stabilité des règles et de la défense d’un commerce ouvert.

Même en Asie du Sud-Est, où les rivalités économiques sont souvent vives, une forme de solidarité s’installe. Les dix pays de l’ASEAN, dont plusieurs sont directement touchés par les surtaxes américaines, ont pris une position commune début juin à Kuala Lumpur : aucun accord bilatéral ne sera conclu avec Washington si cela se fait au détriment des autres membres. Une unité rare, résumée par le Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim : « Nous devons protéger le terrain de nos 660 millions d’habitants. » Face à la perspective de taxes entre 32 % et 49 % sur certaines exportations vers les États-Unis, ils privilégient un dialogue collectif, allant jusqu’à demander une réunion officielle ASEAN–États-Unis sur les tarifs.

D’autres alliés traditionnels des États-Unis cherchent à éviter l’isolement. Le Canada et le Mexique, partenaires dans l’USMCA, coordonnent leurs réponses pour éviter que Washington ne joue un partenaire contre l’autre. Le Canada, ciblé par le doublement des tarifs sur les métaux, a mis en place des contre-mesures ciblées tout en restant dans le cadre de l’accord nord-américain. Le Mexique, de son côté, négocie des exemptions temporaires, souvent en tandem avec Ottawa.

En Europe, malgré les divergences d’approche, aucun État membre n’a cherché (enfin réussi car il y a bien quelques voyages récents de divers chefs d gouvernement) à passer un deal séparé avec Trump — heureusement que le cadre de droit communautaire impose l’unité. Même le Royaume-Uni post-Brexit, à la recherche de nouveaux accords, n’a jusqu’ici obtenu de Washington qu’un arrangement partiel, laissant la question des droits de douane largement en suspens.

Ironie de l’histoire : l’unilatéralisme américain semble raviver le multilatéralisme. Tandis que Washington mise sur la confrontation, des coalitions se reforment pour proposer des alternatives : la relance du CPTPP en Asie-Pacifique (sans les États-Unis), l’intensification des accords de libre-échange européens (avec l’Inde, le Mercosur…), ou encore la tentative de créer des mécanismes compensatoires communs par secteurs stratégiques. L’objectif n’est pas de tourner le dos aux États-Unis, mais de contenir leurs décisions erratiques, tout en diversifiant les partenariats et en réaffirmant certaines valeurs communes — réciprocité, arbitrage, stabilité.

Pour autant, l’économie mondiale reste suspendue aux choix de Washington : un nouveau tweet, une annonce brutale, et c’est toute une chaîne de valeur qui vacille. La solidarité internationale, aussi stratégique soit-elle, ne suffira pas à annuler tous les effets de cette confrontation commerciale. Mais le protectionnisme de Trump catalyse une dynamique de résistance structurée — fragile, certes, mais bien réelle.

En définitive, ce deuxième acte de la politique tarifaire de Trump ouvre un chapitre d’incertitude et de polarisation. L’Union européenne, en coordination avec d’autres partenaires, tente de naviguer dans cette zone grise entre confrontation ouverte et résilience coopérative.

5. Et si le vrai prix du compromis était ailleurs ? Federico Fubini, le grand continent

Au-delà des droits de douane, une lecture plus systémique de la stratégie trumpiste soulève un autre front d’inquiétude pour l’Europe.

Dans un entretien récemment publié par Le Grand Continent, plusieurs experts alertent sur un mécanisme plus silencieux, mais potentiellement plus corrosif pour l’économie européenne : l’absorption massive, et contrainte, de la dette américaine.

Depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche, les pays qui ont signé avec lui des accords commerciaux asymétriques – comme l’Union européenne – ont parallèlement augmenté leurs achats de dette publique américaine, à hauteur de 400 milliards de dollars supplémentaires depuis janvier. Derrière cette tendance, une logique de vassalisation économique semble se dessiner. Selon certains analystes, le conseiller économique de Trump, Stephen Miran, mise sur une forme de tribut impérial déguisé : plutôt que d’imposer une discipline budgétaire intérieure, Washington cherche à financer son déficit abyssal en transférant le fardeau à ses alliés.

L’enjeu dépasse les relations commerciales. Les États-Unis doivent chaque année refinancer une part croissante de leur dette – pour moitié désormais via des bons du Trésor à très court terme, un schéma typique des économies fragilisées. Or l’Europe, premier créancier mondial du Trésor américain, reste fortement exposée : plus de 2 000 milliards de dollars de créances, rien que dans la zone euro. À cela s’ajoute une perte de valeur de ces investissements, liée à la dépréciation du dollar, et une incertitude croissante si la Réserve fédérale – prochaine cible de Trump – devait perdre son autonomie.

Au final, la négociation tarifaire entre l’UE et Washington n’était peut-être que l’écume visible d’un rapport de force plus profond. Derrière les 15 % de droits de douane acceptés par Bruxelles, c’est une dynamique d’alignement financier, et non seulement commercial, qui semble s’installer. Et là encore, la réponse européenne reste fragmentée, sans pilotage stratégique coordonné. Dans cette configuration, l’accord avec Trump, loin de refermer la crise, pourrait bien en ouvrir une autre, plus structurelle, plus longue — et plus coûteuse.

Conclusion: jour sur les services numériques?!

À force de courir derrière des accords commerciaux déséquilibrés, l’Union européenne semble oublier qu’elle dispose déjà d’une arme massive, presque jamais utilisée : la fiscalité numérique.

Tandis que Donald Trump impose unilatéralement 15 % de droits de douane sur les produits européens — au nom d’un déficit commercial dans les biens —, personne ne semble vouloir évoquer le trou noir dans la balance des services : près de 150 milliards d’euros de déficit… au profit des États-Unis. En cause ? La domination totale des plateformes numériques américaines — Google, Meta, Amazon — qui engrangent des milliards de revenus sur le sol européen sans y être réellement taxées.

Et si la riposte passait par là ? Pas par un tarif, mais par une taxe — plus précisément, par l’extension de la TVA aux services « gratuits » des plateformes, désormais monétisables à partir de leurs versions payantes. L’outil juridique existe, l’assiette fiscale est claire, la légitimité politique est totale. Ce qu’il manque ? Un choix. Une volonté. Un sursaut.

Plutôt que de subir la logique d’extorsion tarifaire de Washington, l’Europe pourrait enfin faire levier sur son propre marché intérieur. Exiger que les plateformes payent leur juste part. Restaurer un minimum de symétrie. Et envoyer un message simple : l’échange transatlantique ne peut plus être à sens unique. Car si l’Europe ne défend pas ses marges de souveraineté fiscale, elle accepte, en creux, une vassalisation progressive — commerciale, énergétique, financière. Derrière la tempête tarifaire, c’est un modèle de dépendance qui s’installe.

Il est encore temps d’inverser le rapport de force en intégrant dans dans une guerre commerciale moderne, le numérique

À lire aussi :

Sources :

  1. ReutersBrussels seeks companies’ US spending plans as Trump hails move toward talks (Victoria Waldersee et al., 27/05/2025)
  2. Hinrich FoundationCourting Chaos: Trump’s wide menu of legal options in the tariff war (Deborah Elms, 04/04/2025)
  3. Hinrich FoundationWhat’s in a middle power? Global trade’s future (Amitendu Palit, 03/06/2025)
  4. Toute l’EuropeDonald Trump double les droits de douane sur l’acier et l’aluminium pour des raisons de “sécurité nationale” (Florian Chaaban, 04/06/2025)
  5. Trump a le «Grand Honneur» de nous imposer 30% de tarifs non réciproques — il y a quelqu’un ? | Le Grand Continent
  6. Trump announces 30% tariff on EU goods from August, Brussels seeks talks – Euractiv
  7. Von der Leyen secures trade deal with Trump to avoid 30% US tariff on EU goods – Euractiv
  8. L’Union européenne cède à Trump : analyse à chaud du traité inégal qui impose 15 % de droits de douane à l’économie européenne | Le Grand Continent
  9. (24) The EU-US Trade Deal: A strategic step or a costly compromise? | LinkedIn
  10. Trump prépare-t-il la prochaine crise économique européenne ? | Le Grand Continent
  11. Contre Trump, l’Europe a une arme massive de décolonisation numérique : la TVA sur les plateformes | Le Grand Continent