La Russie perd des batailles mais rarement la guerre. Malgré des victoires, les Ukrainiens commencent à se poser la question de l’issue de la guerre. À mesure qu’elle s’éternise, les égoïsmes nationaux gagnent partout du terrain.
Questions ukrainiennes – POLITIS
Des familles en visite au Mur de la mémoire des défenseurs ukrainiens tombés au combat, le 1er octobre 2023.
© Anatolii STEPANOV / AFP.
Il faut lire Guerre et paix, le chef-d’œuvre de Tolstoï, pour s’en convaincre. La Russie perd des batailles, mais rarement la guerre. Même la Bérézina, qui n’a pourtant pas laissé ce souvenir dans notre histoire, fut une victoire napoléonienne ! Mais tellement coûteuse en hommes qu’elle ne changea rien à la débâcle qui était en cours. C’est affaire de géographie, de démographie, de rudesse du climat et, parfois, d’un patriotisme sacrificiel qu’une bonne propagande peut exalter.
C’est pourquoi, malgré des victoires nombreuses mais limitées, les Ukrainiens commencent à se poser la question de l’issue de leur guerre. Leurs avancées de quelques ares dans des champs de mines n’augurent en rien d’une victoire finale. Certes, les données sont différentes. La Russie n’est pas envahie par Napoléon ou par Hitler, elle est l’envahisseur. Poutine fait d’ailleurs tout pour transformer son agression en guerre défensive. D’où d’incessantes références à Stalingrad.
Il reste qu’une réalité têtue s’impose qui nous renvoie à l’histoire longue. La Russie de Poutine, comme celle de Staline, n’est pas avare en vies humaines. Elle a pour elle le nombre. Elle peut bien laisser derrière elle une génération entière sur le champ de bataille, comme elle a jadis brûlé sa capitale. On appellera ça héroïsme ou barbarie, selon les récits. Mais, cette fois, à la différence de Stalingrad, la cause est abominable – comme elle l’était en Tchétchénie et en Syrie.
Ce n’est d’ailleurs pas celle de la Russie, mais celle d’un dictateur, d’une mafia et d’une idéologie réactionnaire qui a des ramifications internationales. Ce qui est en jeu, on n’a pas cessé de le dire ici, ce n’est pas seulement une frontière, mais l’idée que l’on doit se faire d’une société humaine moderne.
La Russie de Poutine, comme celle de Staline, n’est pas avare en vies humaines. Elle a pour elle le nombre.
L’Ukraine doit-elle redevenir demain une dictature ? Et qu’est-ce que cela signifierait pour nos pays ? Après bien des illusions, tous les experts en conviennent : la guerre sera longue et son issue est incertaine. On apprend que des analystes ukrainiens, jusqu’au sommet de l’état-major militaire, ont envisagé l’hypothèse d’un abandon de bouts de territoire, à l’est, peut-être pour avoir quelque chose à négocier (1). Ils n’ont guère été suivis.
Ce serait encourager Poutine, qui veut tout. De façon significative, il n’a pas attaqué le Donbass, en février 2022, mais Kiyv. L’espoir est donc mince tant que la Russie est soumise au régime que cet homme incarne, et dont les Russes sont les premières victimes.
Mais gare à ne pas tomber, pour autant, dans le piège qui ferait de la chute de Poutine le but de guerre. On peut l’espérer, comme un supplément à sa défaite militaire, mais il ne faut pas déroger au seul discours qui vaille, celui du droit. Le but est le retour à l’intégrité territoriale du pays, et aux frontières de 1991. En attendant, c’est « 14-18 » dans les tranchées du Donbass, et à mesure que la guerre s’éternise, les égoïsmes nationaux gagnent du terrain.
Des égoïsmes exploités par les amis idéologiques de Poutine, qui vont de Trump, aux États-Unis, à Robert Fico, qui vient de remporter les élections en Slovaquie. Une extrême droite populiste qui partage les valeurs de l’autocrate de Moscou, et à laquelle notre pays n’échappe pas.
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Les guerres éclair sont rares. C’est pourtant ce qui vient d’arriver dans le Haut-Karabakh, cette enclave arménienne au cœur de l’Azerbaïdjan. Il en résulte une nouvelle tragédie de l’histoire, une épuration ethnique dont, une fois encore, des Arméniens sont les victimes. Cet entrelacs de populations a longtemps été masqué par la réalité politique de l’URSS.
Le démantèlement de l’empire soviétique a relancé un conflit en sommeil et fait ressurgir les tragédies du passé, à commencer par le génocide arménien de 1915 que Turcs et Azéris refusent toujours de reconnaître.
Mais les derniers événements sont aussi la conséquence indirecte de la guerre d’Ukraine. Poutine, qui se rêvait en protecteur de l’Arménie face à l’Azerbaïdjan, n’a pas même élevé la voix. Trop pris par sa guerre, et trop hostile à un régime arménien qui a fait sa révolution démocratique en 2018. Et les profiteurs ne manquent pas. La France achète le pétrole azéri, tandis qu’Israël, qui peut décidément prétendre au titre envié de pays le plus cynique du monde, arme Bakou, tout en refusant toujours de reconnaître le génocide arménien. Ainsi va le monde.