Que penser du Mécanisme de transition proposé par la Commission européenne ?

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Résumé: La Commission européenne a présenté le 14 janvier 2020 une proposition de règlement visant à créer un « Fonds de transition juste » placé au sein d’un Mécanisme du même nom. Ce dispositif, qui repose sur trois piliers mêlant financements publics européens, nationaux, locaux et privés, aura pour but, d’une part de garantir la reconversion professionnelle de personnes directement concernées par l’extinction prévisible d’activités fortement émettrices en carbone, d’autre part de permettre la revitalisation économique et la réhabilitation foncière des territoires situés sur l’ensemble du continent, principalement en Europe centrale et orientale. L’initiative peut certes être critiquée au titre d’arguments politiques et techniques que la présente note relaie, discute et complète. Au total, il apparaît cependant que le « Mécanisme de transition juste » a pour principal mérite d’ancrer une dynamique positive initiée par les pouvoirs publics européens pour réussir une transition solidaire de tous les territoires. Il est donc nécessaire de le soutenir, comme auront peut-être l’occasion de le faire les chefs d’État et de gouvernement lors du prochain Conseil européen des 17 et 18 juillet, consacré au plan de relance.

Composante méconnue du « Plan d’investissement européen soutenable » et, à ce titre, partie intégrante du « Pacte vert » européen, le « Mécanisme de transition juste » (MTJ) a pour objet de concilier l’exceptionnelle ambition climatique de l’Union et la justice sociale. Par le biais de subventions et de programmes d’investissements, il vise à assurer la transition professionnelle de personnes amenées à perdre leur emploi, à revitaliser et à diversifier les économies locales, et à restaurer les terres. L’enjeu est essentiel : accompagner les territoires et les populations les plus directement touchés par la nécessaire extinction des activités les plus polluantes permet à la fois d’améliorer le sort des plus démunis, et ainsi de démontrer que l’Europe peut apporter une valeur ajoutée à ces citoyens et, plus fondamentalement, de renforcer la légitimité politique de la transition climatique, à l’heure où l’Union s’est fixé l’objectif ambitieux d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

L’initiative de la Commission, comme le « Pacte vert », est aussi méconnue que critiquée. D’aucuns, prompts à entrevoir ses limites politiques, pointent la modestie de ses moyens financiers, les tensions diplomatiques à venir pour s’en répartir la manne, ou une gouvernance complexe et trop éloignée des acteurs locaux. D’autres s’attardent, plus spécifiquement, sur ses vices de construction techniques, tels que la clé de répartition des pré-allocations ou l’association au nouveau « Fonds de transition » envisagé de certains fonds de cohésion. Le « Mécanisme de transition juste » européen mérite-il pour autant d’être entouré, avant même son lancement, d’un scepticisme susceptible d’obérer sa nécessaire appropriation par les parties prenantes et ainsi de porter atteinte à son succès ? Cette note, explicitant le dispositif, énumérant plusieurs raisons de le soutenir et revenant sur les critiques dont il fait déjà, ou peut encore à l’avenir faire l’objet, répond par la négative.

1. Le « Mécanisme de transition juste » est une initiative essentielle au succès de la transition climatique européenne

1.1. La « transition climatique juste » : un concept ancien

Le concept de « transition juste » est aussi ancien que la construction européenne : dès 1951, au sein de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), avait en effet été créé un « Fonds pour la formation et la réaffectation des travailleurs » touchés par la modernisation d’un certain nombre de secteurs économiques. Ce qui constituait alors une première ébauche de politique sociale et régionale fut versé, en 1957, dans le Fonds social européen (FSE). Dès son lancement, l’Europe fut donc le précurseur d’un paradigme essentiel à la réalisation d’une ambition environnementale alors modeste mais amenée à prendre de l’ampleur.

Au fil des décennies, la « transition juste » a connu des succès mitigés. Il n’était pas rare, malgré la prégnance de l’enjeu social dans des régions en déclin, de voir les autorités publiques caler devant la diversité des obstacles à franchir afin de garantir la reconversion de travailleurs, d’engager la diversification économique de territoires, et de restaurer la vitalité de terres éprouvées. La dynamique politique soutenant la « justice climatique » rebondit dans les années 1990, lorsque les syndicats américains firent de la justice sociale une condition essentielle à la mise en œuvre de politiques environnementales plus strictes, notamment dans la région des Appalaches.

Le débat mondial bénéficia de ce momentum : la Confédération internationale des syndicats (CIS), de même que l’Organisation internationale du travail (OIT) en 2015, s’en préoccupèrent. Les Conventions climat de l’ONU reprirent le concept de « transition juste » à leur compte, notamment lors de l’Accord de Paris de 2015. Concomitamment, l’Union européenne renforçait ses propres dispositifs, dans l’Union de l’énergie lancée en 2014 puis avec la mise en place, en 2017, d’une « Plateforme des régions charbonnières en transition ». L’idée spécifique de créer un « Fonds de transition juste » fut émise par le Parlement européen en 2016 et en 2018 puis avalisée par le Conseil européen en décembre 2019, en même temps que fut adopté le « Pacte vert ».

1.2. Le Mécanisme de transition juste (MTJ) : un triptyque financier

Le « Mécanisme de transition juste »est bien plus que le simple fonds auquel il est parfois réduit. Logé au sein du « Plan d’investissement européen soutenable » qui visait, avant la proposition de plan de relance, à catalyser, essentiellement par le biais du budget pluriannuel et du programme « InvestEU », 1.000 milliards € de financements dans l’économie verte à l’horizon 2029, il a pour objet d’amorcer des politiques de transition, climatiques et sociales, dans les régions les plus affectées par la disparition prévisible d’activités fortement émettrices en carbone, situées dans l’Est de l’Allemagne et en Europe centrale et orientale (Pologne, Roumanie, République tchèque, Bulgarie,) mais aussi au Sud (France, Italie, Espagne, Grèce).

Carte 1 : localisation des régions  » à risque  » (en besoin de  » transition juste « )

Source : Rapports pays du Semestre européen, carte présentée dans l’étude du Parlement européen

Les secteurs économiques concernés regroupent l’extraction de charbon, de pétrole, de gaz naturel, de tourbe, de schiste bitumineux ou de lignite. Le fonctionnement de base du Mécanisme consiste à faire approuver par la Commission des « Plans territoriaux de transition juste » élaborés par les États membres en conformité avec les « Plans nationaux énergie-climat », qui fixent les ambitions en la matière pour 2030, afin de débloquer, sur la durée du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) toujours en négociation, des financements issus de trois sources principales. Relativement limitées au départ, chacune de ces sources a fait l’objet de propositions de financements additionnels dans le cadre du plan de relance européen « Next Generation EU » proposé par la Commission fin mai, et dont l’ambition écologique est nette:

– Un Fonds de transition juste (FTJ), initialement doté de 7,5 milliards €, puis rehaussé à hauteur de 40 milliards (c’est-à-dire quintuplé) dans le cadre du plan de relance européen, devrait générer, avec le levier de co-financements nationaux et l’utilisation, partiellement obligatoire, des fonds de cohésion FEDER et FSE +, entre 160 et 260 milliards € d’investissements[7] ;

– Le volet « infrastructures soutenables » du programme « InvestEU » de soutien à l’investissement : ce volet, renforcé pour atteindre un total de 20 milliards € (au lieu de 10 prévu initialement), devrait permettre la réalisation de quelque 90 milliards € d’investissements ; 

– Une « Facilité de prêt au secteur public » placée sous l’égide de la Banque européenne d’investissement (BEI) et bénéficiant marginalement de financements communautaires, viserait à financer des autorités publiques locales mettant en œuvre des projets à hauteur de 25-30 milliards €.

En l’état actuel de la proposition, non encore approuvée par les co-législateurs, le Fonds de transition juste soutiendrait une série de mesures regroupées en trois grands objectifs : le soutien social (formation, politiques d’emploi, soutien aux revenus, etc.), la reconversion économique, et la restauration des terres. Les deux facilités d’investissement soutiendraient particulièrement le renouvellement des tissus productifs locaux en finançant des projets d’efficacité énergétique, d’infrastructures d’énergie et de transports pour désenclaver ces territoires, ou de décarbonation. L’ensemble du dispositif serait accompagné d’une « Plateforme de transition juste » et d’une « Plateforme dédiée de conseil » regroupant les dispositifs existants d’aide à l’élaboration de politiques publiques et de montages de projets.

1.3. Les caractéristiques d’une transition juste efficace

Le « Mécanisme de transition juste » représente donc la première tentative holistique de l’Union européenne d’assurer la reconversion économique, sociale et foncière de territoires dûment ciblés qui seraient directement affectés par la transition climatique. Avant même de revoir les critiques dont l’initiative peut faire l’objet, on ne peut nier qu’elle créée un précédent et provoque une dynamique d’émulation de l’ensemble des parties concernées, aux plans locaux, nationaux et européens, par la transition climatique. Constater cette caractéristique essentielle du dispositif est fondamental pour son appropriation collective et, partant, pour son succès sur la durée.

On peut également relever que, dans sa conception formelle, le dispositif européen s’inspire des meilleures pratiques recensées dans le monde sur une longue échéance. D’après l’étude du Parlement européen, quatre critères d’une « transition juste » réussie se dégagent : conduire celle-ci à l’échelle locale ; inclure des politiques ciblées de travail et de bien-être ; s’insérer dans une stratégie économique et de décarbonation à long-terme ; et permettre des évaluations régulières de son efficacité, à même de déboucher sur des modifications en cours d’exercice, notamment en vue de lui accorder plus de moyens.

On observe en effet dans le Mécanisme que les « Plans territoriaux de transition juste » devront être préparés par les États membres en concertation avec l’ensemble des parties prenantes locales (syndicats, entreprises, ONG, collectivités locales); que le « Fonds de transition juste » prévoit explicitement un soutien social aux travailleurs ; et que les deux volets d’investissement ont pour but d’engager une redynamisation des territoires financés par des fonds publics et privés. Les « plans nationaux énergie-climat », qui encadreront les plans de transition locaux, devraient garantir la mise en œuvre des engagements des pays bénéficiaires. Enfin, la révision du Mécanisme est possible même si elle n’est pas garantie. Le « Mécanisme de transition juste » peut globalement, malgré quelques limites politiques, être apprécié positivement

2. Le « Mécanisme de transition juste » peut globalement, malgré quelques limites politiques, être apprécié positivement

2.1. Plusieurs raisons politiques de soutenir le dispositif se dégagent

Avant de recenser les limites de l’initiative, il n’est pas inutile de pointer ses mérites politiques.

En premier lieu, on peut noter que le dispositif européen de « transition juste » conforte les objectifs stratégiques de l’Union en matière climatique. En se souciant des citoyens et des territoires les plus affectés par l’enjeu de la transition climatique, les dirigeants européens confirment vouloir contenir les émissions les plus importantes à leur source et réaliser des mutations profondes en capitalisant sur des exemples concrets. Partant, ces réalisations peuvent asseoir l’exemplarité de l’ambition européenne au plan international. C’est essentiel si l’Europe veut espérer contrer le momentum actuel de relâchement des efforts des principaux pays émetteurs sur fond de dégradation de la coopération multilatérale.

Le « Mécanisme de transition juste » permet, surtout, l’acceptabilité sociale et le succès politique de la transition climatique. Pour assurer sa réussite, il est évident que la lutte contre le changement climatique doit reposer sur une appropriation généralisée parmi l’ensemble des parties prenantes et des catégories sociales, de ses objectifs et de ses enjeux et, donc, sur des efforts équitables et synergiques de celles-ci. Or, tous les territoires ne sont pas au même point dans la transition énergétique. À cette aune, il est essentiel que les citoyens et les territoires à qui l’on demande le plus d’efforts bénéficient, en contrepartie, des aides les plus importantes. L’objectif particulier de la justice sociale légitime ainsi l’ensemble de la stratégie climatique européenne. 

Tableau 1 : allocation des financements du  » Fonds de transition juste  » (millions €)

Source : Commission européenne

L’initiative de la Commission constitue, en troisième lieu, un levier politique utile pour garantir le soutien des pays d’Europe centrale et orientale au processus de transition. En raison de préférences nationales différentes influencées par l’histoire, l’état de l’économie et la perception de l’urgence climatique parmi les citoyens, les gouvernements de ces États membres ne placent pas le défi climatique en haut de leur agenda politique. Ce problème a été manifeste lorsque la Pologne fut le seul État à ne pas approuver le « Pacte vert » en décembre 2019. En soutenant particulièrement les pays les moins allants, l’Union européenne veut les aider à s’approprier un enjeu fondamental, particulièrement pour les générations futures.

Enfin, la « transition juste », de même que le « Pacte vert », contribue à la stratégie de croissance européenne. Loin de consacrer le concept de « décroissance », l’Union européenne pointe, dans sa stratégie climatique, la diversité d’emplois et d’activités nouvelles qui découleront de la transition énergétique et climatique. Cette perspective peut paraître naïve au regard des coûts sociaux importants induits par la transition, le risque existe de voir des milliers d’emplois disparaître plus vite que d’autres ne seront créés. À ce problème s’ajoute la différence globale de compétences entre les emplois crées et ceux qui seront abandonnés. Toutefois, le dynamisme économique et technologique issu de la mutation reste un horizon mobilisateur.

2.2. Des raisons de douter du succès de l’initiative existent

Ces éléments positifs posés, les critiques générales du « Mécanisme de transition juste » peuvent être explicitées. Elles sont de plusieurs ordres.

Les premières sont financières : selon plusieurs observateurs, le volume total de l’initiative serait trop limité au regard des besoins d’investissements liés à la transition juste. Ceci était particulièrement le cas avec l’enveloppe initiale (100 milliards € sur sept ans, 160 milliards € sur dix ans), et cela le resterait même avec les sommes renforcées dans le cadre du plan de relance, qui vise un volume d’investissements estimé dans un étiage de 275 à 380 milliards € (sur sept ans). De la même façon, les règles budgétaires de l’Union limiteraient, en particulier au sein de la zone euro, les cofinancements nationaux prévus pour appuyer les financements du Fonds de transition.

Les obstacles politiques sont importants : le « Fonds de transition juste » fera l’objet d’une négociation difficile pour son financement. Un accord global sur l’ambition de 40 milliards n’est pas garanti au regard des difficultés des États à s’accorder sur le CFP et le plan de relance. Surtout, les financements seront sans doute ponctionnés sur les enveloppes de fonds structurels de pays qui en reçoivent le plus au titre de leur niveau de développement (Italie, Espagne, Portugal, Hongrie, notamment) au bénéfice d’autres (Pologne, Allemagne, République tchèque, Bulgarie). Enfin, au sein des régions bénéficiaires du Fonds, l’allocation des fonds de cohésion sera sujette à des intérêts divergents.

La gouvernance peut aussi poser question : le « Mécanisme de transition juste » impliquera que les autorités nationales soumettent à la Commission, dans le cadre du Semestre européen, leurs « Plans territoriaux de transition juste » afin que celle-ci en approuve l’ambition globale et le contenu spécifique et atteste de leur conformité aux « Plans nationaux énergie-climat » pour 2030. Selon certains, cet exercice serait à la fois trop contraignant, peu démocratique, et trop lointain pour s’assurer de la nécessaire implication des partenaires sociaux et des autres parties prenantes directement concernées.

Il est notable que ces critiques politiques ne sont pas fondamentalement différentes de celles portant sur le « Pacte vert » européen. Parmi celles-ci figurent le manque d’ambition de l’action climatique européenne au regard du relâchement généralisé des efforts des grands pays pollueurs ; le manque de crédibilité des dispositifs européens en vue d’atteindre les propres objectifs de l’Union ; ou encore la sous-estimation des coûts (économiques, sociaux, environnementaux) induits par la transition climatique. Le même climat de scepticisme entourant le « Pacte vert » se déporte ainsi, en quelque sorte, sur son volet social, à rebours de la mobilisation politique recherchée.

2.3. Ces critiques peuvent néanmoins être relativisées

Si les critiques d’ordre général adressées au « Mécanisme de transition juste » ont du poids, il est possible de relativiser chacune d’entre elles.

Les critiques d’ordre financier sont quelque peu dépassées par la perspective de voir allouer au « Fonds de transition juste » et au programme « InvestEU » des moyens bien plus conséquents qu’initialement envisagé. Avec une cible de financements de l’ordre de 275 à 380 milliards € dédiée à la transition juste sur sept ans, l’Union restera peut-être loin du compte, mais aura tout de même mis sur la table pour la première fois une somme substantielle. Par ailleurs, l’argument des contraintes budgétaires des États dans la perspective de réaliser des co-financements nationaux ne semble pas s’appliquer dans un contexte post-crise de relâchement généralisé des règles du Pacte de stabilité et de croissance, encore moins en Europe centrale et orientale où les niveaux de dettes sont bien moins élevés. 

Les critiques d’ordre politique pointant les difficultés d’accord sur la répartition des fonds sont pertinentes. Les moyens du Fonds de transition juste sont sans précédent, mais on ne peut croire qu’ils seront véritablement dissociés de la négociation budgétaire. Il est aussi difficile d’imaginer les États bénéficiant de la politique de cohésion (pays du Sud et d’Europe centrale) accepter une baisse de leurs dotations. Une façon de sortir de ce dilemme est bien d’augmenter les enveloppes budgétaires, ce qui demeure possible. Le fléchage vers les projets « climat » d’une part significative des fonds de cohésion au sein des régions bénéficiaires sera certes plus ardu.

Pour ce qui est de la gouvernance, l’argument de la contrainte induite sur l’exercice de coordination des politiques dans le cadre du Semestre européen est à relativiser. Si le dialogue entre les autorités nationales et la Commission peut restreindre les souverainetés nationales, voire être désagréable parce que pointilleux, il faut rappeler que celui-ci est la conséquence logique, et nécessaire, des engagements pris en commun par les États membres. Et si les syndicats en sont effectivement éloignés, de même qu’ils le seraient dans la gouvernance propre aux fonds de cohésion, cela ne dit rien des modalités de leur implication aux processus d’élaboration des politiques climatiques aux plans nationaux et locaux.

3. Au regard de ses limites plus techniques, le Mécanisme de transition juste peut encore être amendé pour être pleinement efficace


3.1 Plusieurs vices de construction du mécanisme sont identifiés

Ayant relativisé les limites politiques du « Mécanisme de transition juste », il convient de passer en revue ses vices de construction techniques. Une telle analyse est utile dans la phase actuelle de négociations, liée aux discussions sur le futur CFP 2021-2027, afin d’élaborer un dispositif efficace. La plupart des critiques techniques recensées ont été initialement adressées au seul « Fonds de transition juste », alors même que l’ensemble du Mécanisme, incluant ses trois piliers, devrait être considéré, dans le souci d’assurer une complémentarité et une synergie effectives des financements souhaités.

La première critique technique du « Fonds de transition juste » pointe le risque de saupoudrage de fonds limités induit par la diversité des objectifs poursuivis. En ne considérant que les 40 milliards € du fonds, le risque existe de n’allouer que trop peu de financements à chacun des objectifs visés (sociaux, économiques, et de restauration des terres) et, en particulier, à celui de la reconversion professionnelle. Des politiques sociales trop peu financées, focalisées sur des soutiens de revenus, pourraient par exemple ne pas être suffisamment efficaces dès lors que ne leur seraient pas adjoints des offres de formation et de nouveaux emplois. Pour cette raison, l’étude du Parlement préconise de miser la majorité des financements du « Fonds de transition juste » sur le volet social.

Autre problème : la clé de pré-allocation des fonds. En l’état actuel, la formule de la Commission repose sur deux séries de critères : l’intensité carbone, c’est-à-dire les émissions de gaz à effet de serre constatées à l’aide de données dites « NUTS 2 », et un ensemble de données sur l’emploi et la production de secteurs industriels, dont les secteurs menacés (pétrole, gaz, lignite, tourbe, schiste bitumineux). Or, les données seraient instables et très corrélées. Il résulterait donc du mode de calcul que les fonds in fine alloués aux régions ne correspondraient pas à leurs besoins réels (carte 2). Dès lors, la formule devrait être recentrée sur l’intensité carbone et inclure un échéancier contraignant de réduction de gaz à effet de serre.

L’association obligatoire, mais partielle, des fonds de cohésion FEDER et FSE + aux financements du « Fonds de transition juste » poserait un nouveau type de difficulté. Les fonds de cohésion pourraient financer des projets émetteurs en carbone, en contradiction avec l’objectif de transition poursuivi. Il ne serait pas garanti que les fonds de cohésion soient complémentaires des financements du Fonds, ce qui ferait resurgir la problématique du risque de saupoudrage. Selon l’étude du Parlement, il conviendrait alors de dissocier les fonds de cohésion des financements du Fonds de façon à garantir leur complémentarité, tout en garantissant le fléchage des fonds de cohésion vers des projets « verts ».

Carte 2 : besoins de financements des régions polluantes du  » Fonds de transition juste  » selon le type de données usitées ( » NUTS 2  » /  » NUTS 3 « )

Note de lecture :la carte de droite indique les petites régions  » NUTS 3  » fortement émettrices et qui auraient besoin de financements, mais qui ne seraient peut-être pas prises en compte dans l’allocation prévue car elles font partie d’une plus grande région  » NUTS 2  » qui n’est pas considérée comme émettrice.
Source : Parlement européen & Bruegel, sur la base de données de la Commission

Un dernier problème, d’ordre technique, concernerait l’usage de données de type « NUTS 2 » dans le calcul des émissions de gaz à effet de serre régionales, alors même que des données reflétant avec plus de précision les situations locales (régions, provinces et villes), de type « NUTS 3 » seraient employées dans les « Plans territoriaux de transition juste ». La difficulté réside dans le fait que les données « NUTS 2″ peuvent conduire à une mauvaise répartition des fonds octroyés par le FTJ, mais aussi par les co-financements nationaux et issus des fonds de cohésion, puisque ceux-ci sont  » liés à l’approbation des plans locaux de transition. Il conviendrait donc de généraliser l’usage des données « NUTS 3 ».

3.2 Ces critiques semblent devoir être partiellement reprises

Le risque de saupoudrage des financements induit par la diversité des objectifs de la transition peut être minimisé si l’on appréhende l’ensemble des composantes du « Mécanisme de transition juste » et à plus forte raison leur cible d’investissements totale comprise entre 275 et 380 milliards €. En effet, le problème du saupoudrage peut se poser avec les « Fonds de transition juste » en tant que tel, même porté à 40 milliards €, voire en considérant celui-ci et les co-financements nationaux et des fonds de cohésion. Mais, puisque les deux volets d’investissement ont vocation à financer d’abord des projets de revitalisation économique, on peut imaginer une complémentarité pratique entre les trois piliers.

Dès lors, il apparaît que le risque de saupoudrage peut être contourné en concentrant la grande majorité, voire la totalité, des financements du FTJ sur le volet social et en incitant les autorités publiques locales à utiliser une partie significative de leurs co-financements nationaux et de leurs fonds de cohésion pour amorcer les projets d’investissement utiles à la diversification des tissus productifs locaux. Ces derniers seraient ensuite financés par les fonds de banques publiques, dont la BEI, et les fonds privés. Les actions de revitalisation des terres peuvent être partiellement financées au titre du FTJ et des autres financements des régions.

En imaginant que cette préconisation soit suivie, on peut penser, du même coup, qu’il est inutile de dissocier formellement les fonds de cohésion des financements du FTJ. Certes, le Parlement le préconise et la Commission s’y est partiellement résolue en ne demandant, dans sa nouvelle mouture du règlement tenant compte des besoins de la relance, qu’une association sur 10 des 40 milliards € prévus pour le FTJ. Toutefois, cette décision semble plutôt découler de la « contrainte régionale » que représente le « fléchage » spécifique des fonds de cohésion vers les projets d’investissements « verts » alors que ces fonds sont utiles à d’autres projets dans une région donnée.

Les critiques plus méthodologiques, concernant la formule de pré-allocation des fonds du FTJ, et l’utilisation des données « NUTS 2 », en opposition à celles dites « NUTS 3 », paraissent en revanche assez fondées. Dans l’un et/ou l’autre cas, des dispositions pourraient être prises pour garantir la bonne conformité des pré-allocations aux besoins réels des régions. Le ciblage efficace et la complémentarité des financements, de même que la rigueur dans le montage des projets et des dispositifs sociaux financés, est en effet important, quand bien même une synergie effective des politiques poursuivies ne sera sans doute pas immédiatement et partout garantie.

3.3 L’enjeu de l’assistance aux autorités publiques locales et aux porteurs de projets

Un enjeu sous-estimé par les critiques du « Mécanisme de transition juste » concerne la capacité administrative des autorités régionales et locales, dans les principaux pays bénéficiaires du FTJ, à structurer des politiques sociales, de restauration des terres ou de revitalisation économique. Ceci est particulièrement vrai des politiques sociales, qui doivent garantir l’effectivité de la reconversion des travailleurs, en particulier des plus jeunes, et des projets de revitalisation économique, qui forment en réalité le cœur de la transition juste. En d’autres termes, il est primordial de s’assurer que des projets d’investissement de qualité voient le jour. Cet enjeu se pose avant même celui de la complémentarité effective des politiques et des financements engagés.

Concernant les politiques sociales, l’étude du Parlement européen pointe la nécessité de bien collecter des données sur les emplois disponibles, de veiller à former spécifiquement les emplois créés ou susceptibles de l’être, de fournir des compléments de revenus pour les personnes devant être mises à la retraite anticipée, ou encore d’octroyer des aides à la mobilité géographique. Le point d’attention capital devrait concerner la formation, afin d’assurer une montée en compétence des personnes et se faire en anticipation de besoins qui ne seront pas toujours immédiats en raison du temps nécessaire à l’élaboration de nouveaux emplois.

Sur le volet des projets, qui doivent s’inscrire dans le cadre d’une politique de transition climatique et être économiquement viables, la qualité des offres de conseil de la plateforme dédiée au Mécanisme de transition juste et de « InvestEU » sera déterminante. En réalité, ce sont les banques promotionnelles, et d’abord la BEI, plus encore que la Commission, qui seront à même d’aider à la conception de politiques publiques et au montage de projets. L’efficacité des programmes JASPERS et ELENA conjoints à la Commission et à la BEI, qui appuient toute une série de politiques publiques et de projets, dont ceux relatifs à l’efficacité énergétique et aux transports, laisse augurer de la réussite de ces initiatives.

***

Le « Mécanisme de transition juste » comporte plusieurs limites politiques relatives à son volume financier, aux difficiles arbitrages budgétaires à effectuer pour affecter ses financements, ou à l’effectivité des politiques mises en œuvre pour assurer la « transition juste », particulièrement au plan social. Quelques défauts de conception techniques semblent fondés et justifier des évolutions du texte au cours de la procédure de négociations entre le Conseil et le Parlement en vue de garantir son plein succès. Au fil de cette note, nous avons tenté de relativiser ces motifs de scepticisme et souligné, au contraire, que le dispositif envisagé représente une avancée notable dans la stratégie climatique européenne. En effet, la dynamique que le « Mécanisme de transition juste » enclenchera, au fil du temps et des retours d’expériences, de partager des bonnes pratiques mettant en exergue la synergie des projets soutenus, l’usage efficient des ressources communautaire, nationales et privées, et l’appropriation progressive des enjeux par les différentes parties prenantes. Ce cercle vertueux sera d’autant plus net qu’il sera accompagné, comme prévu dans le cadre du prochain CFP 2021-2027 et du plan de relance européen, du verdissement généralisé des politiques publiques européennes et nationales.