Présidentielle américaine : ce que l’élection de Joe Biden change pour l’Europe

Le style diplomatique de Joe Biden devrait tout d’abord trancher avec celui, très atypique, de son prédécesseur – Crédits : Gage Skidmore / Flickr CC BY-SA 2.0

Boran Tobelem

Avec l’arrivée en janvier 2021 de Joe Biden à la Maison Blanche, l’Union européenne pousse un soupir de soulagement. Mais que peut-elle concrètement espérer de cette élection ? A l’évidence, une diplomatie plus apaisée. Mais l’ensemble des divergences d’intérêts et des contentieux de l’ère Trump ne disparaîtront pas pour autant.

Sans conteste, le mandat de Donald Trump a mis à mal les relations transatlantiques. Les Européens ont fait les frais du mépris affiché du président sortant pour le multilatéralisme et les institutions internationales. Entre le retrait de l’accord de Paris sur le climat, la guerre commerciale initiée contre l’Union européenne, la menace d’un désengagement de l’OTAN ou encore l’abandon du traité sur le nucléaire iranien, les Etats-Unis n’ont cessé de saboter des réalisations de la diplomatie internationale auxquelles ils avaient eux-mêmes contribué.

Le futur locataire de la Maison Blanche fait donc espérer à beaucoup d’Européens la fin de ce travail de sape. A de nombreux niveaux, la politique américaine à l’égard de l’UE devrait effectivement être plus constructive et certains dossiers cruciaux, le climat notamment, en mesure d’avancer. Mais les Européens ne pourront s’appuyer sur un Joe Biden totalement acquis à leur cause. Les confrontations entre les intérêts américains et européens ne prendront pas fin avec la victoire du camp démocrate.

Retour du multilatéralisme

Le style diplomatique de Joe Biden devrait tout d’abord trancher avec celui, très atypique, de son prédécesseur. Difficile d’imaginer le nouveau président américain régler ses différends à coups de tweets vengeurs. Sa manière de s’entretenir avec l’Europe, comme avec le reste du monde, sera celle d’une diplomatie bien plus classique, polie et respectueuse. A l’image de la pratique de Barack Obama, dont il était le vice-président. Par ailleurs, « Joe Biden est entouré de beaucoup de conseillers qui faisaient partie de son administration« , souligne Jeff Hawkins, ancien diplomate américain et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). « Le multilatéralisme fait partie de son A.D.N« , indique-t-il.

Car au-delà d’un style plus policé, le président élu signe le retour d’un dialogue multilatéral avec les autres nations, notamment via les grandes organisations internationales, dénigrées au profit de relations bilatérales par Donald Trump. « Il y a clairement une volonté de retour sur la scène internationale et d’une diplomatie active sous Joe Biden« , analyse Célia Belin, politologue invitée à la Brookings Institution à Washington et spécialiste de la politique étrangère américaine. Ce retour s’effectuera probablement en premier lieu par celui dans l’accord de Paris sur le climat, dont les Etats-Unis se sont officiellement retirés le 4 novembre sous l’impulsion de Donald Trump. Une décision sur laquelle Joe Biden a affirmé qu’il reviendrait dès le début de son mandat. De quoi faire progresser le traitement de la question climatique, très importante aux yeux de l’Union européenne, et à ce titre améliorer les relations transatlantiques.

Sur la lutte contre le Covid-19 également, priorité du futur président américain, « on devrait assister à un Joe Biden agissant de concert avec ses alliés et ne faisant pas cavalier seul comme Donald Trump« , estime Jeff Hawkins. Le nouvel arrivant à la Maison Blanche a promis durant sa campagne de revenir dans l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont son prédécesseur avait annoncé le retrait américain en mai dernier et qui doit prendre effet le 6 juillet 2021. L’Union européenne peut ainsi avoir l’espoir de mieux coordonner ses efforts contre la pandémie avec son partenaire outre-Atlantique.

La capacité du président démocrate à agir de façon multilatérale dépendra cependant de facteurs politiques internes, et notamment de la couleur de la majorité au Sénat. Car cette dernière se jouera lors d’une double élection partielle en Géorgie le 5 janvier, avec des républicains à une voix de l’obtenir. En cas de majorité d’opposition à la chambre haute du Congrès, Joe Biden aurait bien du mal à faire ratifier les traités qu’il défend. Encore une fois, comme sous Barack Obama, les Etats-Unis seraient « contraints dans leur capacité à s’engager de manière multilatérale« , pointe Célia Belin.

Des intérêts encore divergents

Et quand bien même l’arrivée de Joe Biden acte un certain retour vers le multilatéralisme, l’Europe et les Etats-Unis ont des intérêts entrant parfois en confrontation. En matière commerciale notamment. « Ce n’est pas parce que Joe Biden est élu que tous les contentieux sur le commerce vont disparaître du jour au lendemain« , prévient Jeff Hawkins. « Il existe des irritants commerciaux des deux côtés de l’Atlantique amenés à perdurer« , abonde en ce sens Célia Belin.

Ainsi, des sujets brûlants pourraient continuer de susciter des crispations dans les relations transatlantiques, telle que la rivalité entre les géants de l’aéronautique : l’américain Boeing et l’européen Airbus. Situation tendue également concernant la taxation du numérique, dont les principales entreprises sont américaines et payent très peu d’impôts en Europe, en comparaison de leur activité. Là encore, si les conflits ne devraient pas disparaître, c’est le style de Joe Biden qui tranchera avec celui de Donald Trump. « En ce qui concerne les différends entre Boeing et Airbus, est-ce que Biden sera sensiblement différent de Trump ? Dans son approche oui, il procédera de manière ordonnée, pas sur un coup de tête et n’agira pas de façon totalement unilatérale« , considère Jeff Hawkins. Quant à une reprise du projet de traité de libre-échange transatlantique tel qu’il était négocié sous Barack Obama, elle « n’est pas imaginable » pour Célia Belin, les peuples américain et européens s’étant « prononcés pour davantage de protectionnisme« . D’après la politologue, « il est plus probable qu’il y ait des négociations sectorielles et un rapprochement plus général établit sur l’idée que les Etats-Unis et l’Europe sont des compétiteurs, des rivaux, sur les questions commerciales mais pas des ennemis« .

En termes de défense aussi, les problématiques de burden sharing (partage du fardeau que représentent les dépenses militaires) demeureront au sein de l’OTAN, à laquelle 21 Etats membres de l’Union européenne sur 27 appartiennent. Donald Trump avait menacé de quitter l’Alliance atlantique, jugeant que l’effort financier des alliés des Etats-Unis en matière de défense était trop faible. Mais « la question du burden sharing existait déjà sous Barack Obama, elle n’a pas été inventée par Donald Trump« , relève Jeff Hawkins. Pour le spécialiste de la politique étrangère américaine, « la différence est que le président Biden ne remettra jamais en question l’alliance avec les partenaires européens« . « Il sera un partenaire qui aura ses intérêts, ses demandes, comme chaque partenaire, mais sur une base de respect« , précise-t-il.

L’accord sur le nucléaire iranien enfin, dossier de politique étrangère très sensible et de haute importance pour les institutions européennes, a peu de chances de voir une volte-face de la part des Etats-Unis, estime Célia Belin. Les Iraniens ne respectent plus les termes du plan d’action conjoint et dépassent largement la production d’uranium enrichi autorisée depuis que Donald Trump a annoncé en mai 2018 le retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne, signé en 2015 sous Barack Obama. Les dommages causés par cette décision changent la donne et éloignent la possibilité d’une réintégration américaine similaire à celle de l’accord de Paris sur le climat, et ce malgré la volonté de Joe Biden de reprendre les négociations avec l’Iran.

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