Pologne : la coalisation de Tusk l’emporte

Les Polonais ont doublement surpris lors de leurs élections législatives, par le niveau de leur participation (près de 73%) et par leur choix clairement pro-européen. La coalition civique emmenée par Donald Tusk a remporté un franc succès faisant mentir les sondages et mettant fin à la domination totale du PiS, le parti Droit et Justice qui s’était affranchi de nombreuses règles européennes. Le scrutin s’est joué sur les droits des femmes et des minorités LGBTQIA+ mais les enjeux environnementaux, en particulier autour de l’exploitation minière, ont été tout aussi cruciaux.

Donald tusk pologne JANEK SKARZYNSKI AFP
L’opposition centriste pro-européenne menée par Donald Tusk revendique la victoire aux élections législatives en Pologne.
JANEK SKARZYNSKI / AFP

La Pologne, comme l’Espagne cet été, a fait mentir les sondages. Ceux-ci annonçaient une domination du parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS), qui devait s’appuyer sur l’extrême droite en pleine progression pour l’emporter. Or si le scrutin, qui a enregistré la participation la plus élevée depuis 1989, date des premières « élections libres » du pays, donne effectivement la victoire au PiS en nombre de voix (200 sièges), ce n’est pas suffisant pour gouverner, y compris si on y ajoute les douze sièges remportés par l’extrême-droite.

En face, la Coalition civique qui rassemble trois formations, celle de Donald Tusk, des chrétiens-démocrates de la Troisième voie et de la Gauche revendique 248 sièges. Les jeunes et les femmes ont particulièrement soutenu ce retour vers les valeurs de l’Union Européenne qui devrait permettre de libéraliser le droit à l’avortement, respecter ceux des minorités LGBTQIA+, retrouver un État de droit et une liberté de la presse… De quoi débloquer les 35 milliards d’euros de relance post-Covid, retenus par l’UE. C’était l’un des principaux objectifs de Donald Tusk, ancien leader européen et ex-Premier ministre polonais qui a lancé sa « coalition civique » pour ramener son pays dans le giron européen. 

Avancées pour les femmes et les minorités LGBTQIA+

La coalition rassemble plusieurs formations qui n’ont pas toutes les mêmes opinions mais ont réussi à se mettre d’accord sur un programme orienté à gauche, basé sur le respect des droits des femmes et des minorités LGBTQIA+, particulièrement discriminées en Pologne où l’avortement est devenu quasiment illégal. Son parti, au départ plutôt catholique et conservateur, propose maintenant de libéraliser le droit à l’avortement, de rendre gratuite la médecine prénatale et la fécondation in vitro tout en créant une sorte d’équivalent du Pacs (Pacte civil de solidarité). Il envisage même la séparation financière de l’Église et de l’État. 

Ancien leader étudiant de la grande époque Solidarnosc, né à Gdansk, Donald Tusk avait réussi un premier coup de force début octobre avec la manifestation contre le gouvernement conservateur. Elle avait rassemblé un million de personnes dans les rues de Varsovie.  

Sortie du charbon : pas encore de date

Sur le plan environnemental, les principaux enjeux portent sur l’exploitation des mines de charbon, en particulier celle de Turow et sur la dépollution du fleuve Oder. La mine de lignite à ciel ouvert de Turow devait fermer en 2020 mais une décision du gouvernement actuel vise à prolonger son exploitation jusqu’en 2044. Elle a été attaquée devant la Cour de Justice Européenne qui a condamné le pays à une astreinte de 50 000 euros par jour pour non-respect des procédures européennes en particulier les études d’impact environnemental. Les mines de charbon, dont celle-ci qui alimente 7% de l’électricité polonaise, sont un des sujets que la coalition de Donald Tusk va devoir traiter pour tenir ses engagements climat et énergie.

Ces derniers ont été analysés par Greenpeace Pologne qui a publié une étude comparative des programmes environnementaux des principaux candidats. Pour l’ONG, les orientations sont bonnes puisque les objectifs affichés sont d’atteindre 68% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique de la Pologne d’ici 2030 et de réduire de 75% les émissions de gaz à effet de serre à la même date. En revanche aucune date de sortie des énergies fossiles n’est intégrée au programme, ce qui inquiète Greenpeace puisque c’est un des seuls pays européens à ne pas avoir ce type d’engagement. 

Il faudra encore quelques semaines pour que la Coalition prenne effectivement le pouvoir et change la culture gouvernementale polonaise, ce qui ne se fera pas sans résistance. Mais ce score inattendu renverse les rapports de force à l’est de l’Europe où le pouvoir est dominé par des formations tout aussi hostiles au Green Deal qu’au « wokisme ». C’est de bon augure pour les Pays-Bas qui organisent eux aussi des législatives en novembre, et notamment pour la coalition équivalente à celle de Donald Tusk, emmenée par Frans Timmermans, l’ancien Commissaire européen qui portait le Green Deal. Si elle gagne aussi, cela montrera que les citoyens européens ne sont pas prêts à l’enterrer malgré ce que semblent croire les partis conservateurs prêts à s’allier à l’extrême droite pour le diluer, autant que faire se peut.   

Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic

Les Polonais défendent les valeurs européennes en votant pour la coalition de Donald Tusk (novethic.fr)

Complément : La situation économique de la Pologne, un miracle ?

Les réactions de la presse : les ultraconservateurs défaits aux législatives, un soulagement pour l’Union européenne

L’opposition pro-européenne a remporté les élections législatives polonaises ce dimanche, aux dépens des ultraconservateurs, au pouvoir depuis huit ans. Un tournant qui devrait permettre de rétablir de bonnes relations entre Bruxelles et Varsovie, se réjouit la presse européenne.

Voir : En rétablissant l’État de droit, l’opposition polonaise débloquerait les fonds de relance de l’UE – EURACTIV.fr

Premier ministre de Pologne de 2007 à 2014, Donald Tusk a également été président du Conseil européen de 2014 à 2019 - Crédits : Conseil européen

Premier ministre de Pologne de 2007 à 2014, Donald Tusk a également été président du Conseil européen de 2014 à 2019 – Crédits : Conseil européen »

C’est une victoire qui sera accueillie avec joie et soulagement dans la plupart des capitales européennes, si elle est confirmée » [Les Echos]. D’après les sondages à la sortie des urnes et le dépouillement de la moitié des bulletins de vote, les partis d’opposition pro-européens ont remporté les élections législatives polonaises dimanche 15 octobre 2023. »Selon ces projections, les trois partis d’opposition centriste que sont la Coalition citoyenne (KO) de Donald Tusk, les chrétiens-démocrates de Troisième Voie et la Gauche, ont remporté ensemble 248 sièges dans le Parlement de 460 députés, contre 212 sièges pour le PiS et la Confédération« , détaille Le Monde.

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Participation historique »Bien que le parti Droit et Justice [PiS] soit arrivé premier en termes de votes, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus puisque les trois principaux partis d’opposition obtiendraient la majorité des sièges« , explique Politico. Mené par le Premier ministre sortant Mateusz Morawiecki, le parti ultraconservateur aurait en effet recueilli 36,6 % des suffrages, contre 31 % pour la KO de Donald Tusk. Mais les bons scores de Troisième voie (13,5 %) et de la Gauche (8,6 %) placent l’opposition polonaise en bonne posture pour former une nouvelle coalition gouvernementale. »Je n’ai jamais été aussi heureux dans ma vie d’obtenir une deuxième place. La Pologne a gagné, la démocratie a gagné, nous les avons écartés du pouvoir« , a ainsi lancé Donald Tusk hier soir devant ses partisans [Le Figaro].

Signe de l’importance du scrutin, « la participation fut inédite à l’échelle du pays, du jamais vu depuis 1989 : 72 %, toujours selon l’étude de sortie des urnes« , note Libération. »La Pologne revient au bercail« C’est à la fois « une surprise » et « un sacré tournant » pour Le Temps, après huit années de pouvoir pour le PiS. « Le vent du changement souffle en Pologne« , abonde Le Figaro. « Si ces résultats se confirment, ils marqueront un changement radical tant en Pologne que dans l’Union européenne, alors que le gouvernement actuel du PiS est en conflit depuis huit ans avec Bruxelles, qui l’accuse de déroger aux règles démocratiques de l’UE« , complète Politico. »Chère Europe, le 15 octobre, la Pologne revient au bercail« , a ainsi déclaré l’eurodéputé Robert Biedroń, membre de la gauche polonaise [Libération].

Pour Les Echos, « la victoire de l’opposition pro-européenne en Pologne marque un coup d’arrêt à la montée des partis populistes eurosceptiques en Europe centrale, quelques jours après l’arrivée au pouvoir de Robert Fico dans la Slovaquie voisine« .À LIRE AUSSIEtat de droit : chronologie du conflit entre l’Union européenne et la PologneDonald Tusk, qui fut Premier ministre polonais de 2007 à 2014 puis président du Conseil européen jusqu’en 2019, « s’est engagé pendant la campagne à repositionner Varsovie sur une voie résolument pro-européenne, à restaurer l’indépendance des juges et à débloquer les milliards d’euros de fonds européens gelés par la Commission européenne en raison des différends avec le gouvernement du PiS au sujet des réformes judiciaires« , rappelle le Financial Times.

Ce qui faisait de ce scrutin « l’élection la plus importante de l’année pour l’UE, car elle pourrait redéfinir les relations entre Bruxelles et le plus grand Etat membre d’Europe centrale et orientale, après des années de conflits« , poursuit le quotidien britannique.Une période d’instabilité à venirLa question de « l’après » se pose désormais. « Pour former un gouvernement de coalition, il faut que la KO, Troisième Voie et la Gauche arrivent à s’entendre, mais leurs responsables ont d’ores et déjà déclaré leur bonne volonté. ‘Nous attendrons probablement les résultats officiels une douzaine d’heures […], nous allons nous asseoir ensuite pour discuter et nous parviendrons certainement à un accord’, a assuré Donald Tusk » [Le Monde].

« Une fois le décompte des voix terminé, la prochaine étape reviendra au président Andrzej Duda [membre du PiS], qui a déclaré que les présidents choisissent traditionnellement un membre du parti le plus important pour le nommer Premier ministre et qu’il ait la première chance de former un gouvernement« , explique Politico. Le candidat désigné par M. Duda aura alors 14 jours pour constituer son gouvernement et tenter d’obtenir la confiance du Parlement lors d’un vote. En cas d’échec, ce sera au tour du Parlement de nommer un Premier ministre. Ce qui fait dire à Libération que « l’instabilité marquera certainement la scène politique [polonaise] dans les semaines à venir« .

Articles antérieurs à l’élection : quelle coalition majoritaire le 15 octobre ?

Le 8 août dernier, le président de la République, Andrzej Duda (PiS), annonçait que les prochaines élections parlementaires en Pologne se tiendraient le 15 octobre. Les Polonais sont appelés à renouveler les 460 membres de la Diète (Sejm), chambre basse du Parlement, et les 100 membres du Sénat (Senate), chambre haute.

La Pologne est dirigée depuis 2015 par le parti Droit et justice (PiS). Mateusz Morawiecki occupe les fonctions de Premier ministre depuis 2017. Jaroslaw Kaczynski, membre de la Diète, qui est considéré comme le vrai dirigeant du pays, est récemment revenu au gouvernement, en raison, selon le politologue Kazimierz Kik, des divisions et des tensions existant dans son camp.

Le PiS a créé en 2015 avec Pologne souveraine du ministre de la Justice sortant, Zbigniew Ziobro, et quelques personnalités indépendantes, la coalition « Droite unie » qui est en lice pour les élections du 15 octobre. Il espère obtenir un troisième mandat à la tête du pays, ce qui serait une première dans l’histoire de la Pologne démocratique. 
Le PiS peut s’appuyer sur une base électorale solide, notamment dans les villes moyennes et les villages du sud-est et du centre du pays. 

La Plateforme civique (PO), principal parti d’opposition conduit par l’ancien Premier ministre (2007-2014) et ancien président du Conseil européen (2014-2019) Donald Tusk, séduit les électeurs des grandes villes et les personnes fatiguées de l’intransigeance du PiS, notamment sur le plan sociétal, et inquiètes de l’isolement de la Pologne sur la scène internationale. 

Selon l’enquête d’opinion réalisée par l’institut IBRIS/Onet le 13 septembre, la coalition Droite unie devrait arriver en tête des élections avec 33,3% des suffrages et devancerait la Coalition citoyenne, organisée autour de la Plateforme civique et de 3 autres partis – Moderne, Les Verts (Z), Initiative polonaise (iPL), – qui recueillerait 26,4% des voix. 
La Gauche, qui regroupe plusieurs partis, prendrait la 3e  place avec 11,1%. La coalition de la Troisième voie (Trzecia Droga) qui rassemble 2 partis centristes (Pologne 2050 et la Coalition polonaise) obtiendrait 10,2%, juste devant la Confédération liberté et indépendance, parti ultra-nationaliste et libéral, qui recueillerait 11,1%.
A priori, ni la coalition Droite unie ni la Coalition citoyenne ne seraient en mesure d’obtenir la majorité absolue à la Diète. Le risque est bel et bien réel que le scrutin parlementaire débouche sur un « parlement suspendu » comme après le scrutin du 25 octobre 2015 qui avait conduit à l’organisation de nouvelles élections parlementaires, en 2017. 

L’inflation et le coût de la vie constituent le premier enjeu du scrutin pour la majorité des Polonais (35%), suivis par les questions de sécurité nationale (22%).

Le PiS en route vers un troisième mandat inédit ?

« Le gouvernement offre une vision de solidarité qui s’inspire de l’héritage du mouvement Solidarnosc et qui est guidé par les grands principes de la solidarité sociale. C’est notre vision de la Pologne. C’est cette vision que nous voulons continuer à produire » a déclaré le Premier ministre sortant Mateusz Morawiecki.
Durant ses 8 ans au pouvoir, le PiS a mené une politique qui mêle redistribution sociale et conservatisme. Il a en effet déployé un vaste et généreux programme d’aides sociales. Il a notamment mis en place une allocation mensuelle de 500 zlotys (124 €), appelée 500 + (Rodzina 500 +), versée aux familles pour chaque nouvel enfant. Le Parlement vient de décider l’augmentation, applicable en janvier prochain, à 800 zlotys (198 €) de l’allocation mensuelle. Il a également voté la gratuité des médicaments d’ici le 1er janvier 2024 pour les personnes âgées de plus de 65 ans et de moins de 18 ans.
Le PiS a baissé l’âge de la retraite et a alloué un 14e mois de pension aux retraités, il a baissé le taux de l’impôt sur le revenu de 18% à 12%. Des mesures particulièrement appréciées dans un pays où le système de sécurité sociale n’est pas aussi développé que dans la partie occidentale de l’Europe. Jaroslaw Kaczynski affirme d’ailleurs qu’il veut construire la « version polonaise de l’État-providence ». 

On constate d’ailleurs que le recul du parti dans les enquêtes d’opinion s’explique davantage par les difficultés économiques des électeurs et par leur inquiétude quant à la restriction de la généreuse politique sociale du PiS que par des raisons idéologiques.
Le PiS peut mettre en avant des résultats économiques honorables : la forte croissance du PIB (5,1% en 2022) et la faiblesse du taux de chômage (2,8% en 2022). Le PIB par habitant à parité de pouvoir d’achat est de 40% plus élevé qu’il y a 8 ans et le pays occupe le 40e rang mondial sur ce critère, devançant le Portugal. Le budget du pays est resté à l’équilibre tout au moins jusqu’à la pandémie de Covid-19. L’inflation est cependant élevée : 10,8% en juillet 2023.
Les sanctions décidées contre la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes ont conduit à une augmentation du prix des carburants et de l’énergie et ont généré des inquiétudes sur la sécurité énergétique de la Pologne. Si la hausse des taux d’intérêt a limité la marge de manœuvre du PiS en matière de dépenses sociales, le parti a néanmoins subventionné l’accès aux carburants et au chauffage.
Autre conséquence négative de la guerre sur l’économie polonaise : l’importation de produits ukrainiens, notamment agricoles, qui a créé une surabondance de l’offre, responsable d’une baisse des prix du marché qui a fortement mécontenté les agriculteurs. Le 15 avril dernier, le gouvernement, très conscient de l’importance du vote des zones rurales du pays, a donc décidé d’interdire l’importation de 4 céréales (blé, maïs, colza et tournesol) en provenance d’Ukraine. Le 12 septembre, il a demandé à Bruxelles de prolonger l’interdiction de l’importation de ces céréales, ce que celle-ci n’a pas fait.  « Je tiens à assurer à tous les agriculteurs, à toute la campagne polonaise, que nous défendrons les intérêts des agriculteurs polonais » a déclaré Mateusz Morawiecki. « Les Polonais souhaitent aider l’Ukraine mais dans le même temps, nous ne devons pas oublier nos concitoyens » a affirmé Jaroslaw Kaczynski.

La Pologne s’est engagée très activement en faveur de l’Ukraine, ce qui a redoré la réputation du pays qui a gagné une nouvelle respectabilité sur la scène internationale. Varsovie a également annoncé son intention d’augmenter ses dépenses militaires jusqu’à 4% du PIB (137 milliards de zlotys, soit 34 milliards €) et de doubler le nombre de ses soldats (300 000 actuellement), décisions qui renforcent sa position en Europe. Jaroslaw Kaczynski veut faire de l’armée polonaise la première du Vieux continent. Environ un million d’Ukrainiens ont fui leur pays pour se réfugier en Pologne depuis le 24 février 2022.

Les deux principaux partis du pays – le PiS et la PO – partagent les mêmes opinions quant au conflit qui fait rage à leur frontière. Le PiS reproche néanmoins à la PO d’avoir, lorsqu’elle était au pouvoir (2007-2015), importé de l’énergie de Russie comme elle affirme que Donald Tusk veut redéfinir la relation de l’Union européenne avec Moscou. 

Le référendum

Le 15 octobre, un référendum sera organisé le même jour que les élections. Cette décision a été votée par le Parlement par 234 voix (210 contre et 7 abstentions). 
4 questions seront soumises aux Polonais : 
– Êtes-vous favorable à la vente bradée des actifs de l’État à des entités étrangères ?
– Êtes-vous favorable à la hausse de l’âge de la retraite à 67 ans pour les hommes et les femmes ?
– Êtes-vous favorable à la suppression de la barrière construite entre la Pologne et la Biélorussie[1] ?
– Êtes-vous favorable à l’admission de milliers de migrants illégaux en Pologne conformément au mécanisme de relocalisation forcée imposé par l’Union européenne[2] ?

« Pour nous, l’opinion des Polonais ordinaires est toujours ce qui doit l’emporter » a déclaré Jaroslaw Kaczynski, qui affirme également que l’organisation du vote populaire le même jour que les élections permet de réduire les dépenses. 
L’homme est néanmoins un fin stratège politique et il sait très bien que ce référendum va renforcer le clivage existant entre les Polonais, ce qui ne peut qu’être profitable à son parti. En outre, le référendum permet au PiS de reprendre la main sur l’agenda politique et d’augmenter ses dépenses de campagne, les dépenses pour le référendum n’étant soumises à aucune limite contrairement à celles engagées pour les élections. 

« Le PiS reprend le thème qui avait été payant pour lui aux élections du 25 octobre 2015 quand il avait exploité la peur de l’étranger » a indiqué Stanislaw Mocek politologue et président de l’université Collegium Civitas. « Les arguments anti-allemands bénéficient au PiS. Ils mobilisent son électorat le plus fidèle et l’encouragent à se rendre aux urnes », a précisé Marcin Zaborowski, politologue de l’université Lazarski de Varsovie, ajoutant « il ne s’agira plus d’un simple choix entre le PiS et l’opposition mais cela portera sur la vision générale, du monde, sur les questions économiques, de migration ». 
« La rhétorique anti-allemande (présente dans la première question) est en fait une rhétorique anti-européenne dissimulée » a souligné Anna Materska-Sosnowska, politologue de l’université de Varsovie. Jaroslaw Kaczynski, a d’ailleurs affirmé que le référendum avait été mis sur pied pour empêcher la PO de Donald Tusk de vendre des sociétés nationales polonaises à l’Allemagne et à d’autres investisseurs étrangers. « Les Allemands veulent que Donald Tusk arrive au pouvoir en Pologne afin de pouvoir acheter nos biens » n’a-t-il pas hésité à déclarer. 

Les forces d’opposition ont annoncé leur volonté de boycotter le référendum afin que la participation soit inférieure à 50%, seuil obligatoire pour que le vote soit déclaré valide. La manœuvre est cependant difficile. « Faire campagne en faveur d’une participation aux élections, car chaque voix compte, tout en appelant à boycotter le référendum n’est pas chose aisée » a déclaré Ewa Marciniak, politologue de l’université de Varsovie.

Autre action conçue pour tenter de disqualifier Donald Tusk et faire de ses partisans non seulement des adversaires politiques mais des ennemis de la Pologne : en mai dernier, les parlementaires ont voté une loi établissant la création d’une commission d’enquête sur l’influence russe dans la vie politique polonaise entre 2007 et 2022, habilitée à enquêter sur les agissements des dirigeants du pays durant cette période. Les sanctions encourues pour un homme politique accusé d’avoir agi sous l’influence de la Russie et contre les intérêts de la Pologne peuvent aller jusqu’à une interdiction d’exercer toute fonction publique pendant une période de 10 ans. 

L’Union européenne et les Etats-Unis se sont élevés contre cette mesure et le président de la République, Andrzej Duda, a dû faire marche arrière. 
A la fin du mois de juillet, la Diète a voté un nouveau texte sur cette commission d’enquête. Celle-ci sera désormais composée d’experts et non de parlementaires. Les personnes accusées d’avoir été sous influence russe pourront contester la décision devant la Cour d’Appel de Pologne et non plus devant le tribunal administratif. Enfin, la sanction de 10 ans d’inéligibilité est supprimée. 
Les 9 membres de la Commission ont été élus à la fin du mois d’août, l’ensemble des partis d’opposition ont refusé de participer au vote. Restent des questions sans réponse : qu’est-ce qu’un comportement ou un agissement prorusse ? Comment sanctionner quelqu’un pour une chose qui n’était pas condamnable à l’époque où la personne a agi ? 

L’opposition peut-elle s’imposer ?

Le dirigeant de l’opposition, Donald Tusk, tente de rassembler tous les Polonais opposés au PiS. 
Le 4 juin dernier, une date symbolique – puisqu’elle célèbre l’anniversaire des premières élections semi-libres de 1989 en Pologne qui ont marqué l’ouverture démocratique du pays après plus de 40 ans de communisme –  un demi-million de personnes, là encore un nombre jamais atteint depuis 1989, et tous les partis d’opposition ont défilé dans les rues du pays pour protester contre la vie chère, l’escroquerie et le mensonge, contre le PiS, en faveur de la démocratie, des élections libres et de l’Union européenne. Cet événement avait été organisé à l’initiative de Donald Tusk. « Je veux faire un vœu solennel. Nous allons à ces élections pour gagner, pour demander des comptes aux coupables, pour redresser les torts et (…) pour réconcilier les familles polonaises » a-t-il déclaré.

La Coalition citoyenne, organisée depuis 2018 autour de la PO et de 3 autres partis (Moderne, Les Verts, Initiative polonaise), se veut la représentante de la raison et de la modération sur la scène politique polonaise. Elle a pour ambition de restaurer la position du pays sur la scène internationale et de renforcer la coopération avec ses partenaires européens. Elle se positionne au centre-droit sur l’échiquier politique. Fondée sur le libéralisme économique, la coalition défend désormais certaines mesures sociales-démocrates comme la hausse des dépenses de santé. Elle surenchérit parfois sur les propositions d’aide sociale du PiS, elle promet dans tous les cas de ne pas abandonner ou de ne pas amender les différentes mesures sociales prises par le pouvoir en place au cours des 8 dernières années. Conséquence : les électeurs se montrent peu convaincus de la nécessité, dans ce contexte, de changer de gouvernants tant le PiS demeure plus crédible sur le terrain social que ses adversaires.

L’opposition peine donc à convaincre qu’elle constitue une réelle option contre le PiS, notamment en matière économique. Son message anti-parti au pouvoir risque de nouveau de se révéler insuffisant. On a pu observer dans le passé combien le mépris que pouvaient manifester certains membres de l’opposition à l’égard du PiS ne faisait que consolider l’assise de ce dernier au sein de son électorat.

Donald Tusk veut redorer l’image de la Pologne à l’international. Il est ainsi fermement opposé à la réforme judiciaire votée par le pouvoir sortant qui a conduit au blocage par l’Union européenne du versement à Varsovie de 35 milliards €, soit sa part du Fonds de relance voté par Bruxelles à l’issue de la pandémie de Covid-19. Le dirigeant de l’opposition a d’ailleurs déclaré qu’il « débloquerait les fonds issus du plan de relance européen le lendemain de son élection ».
La Coalition citoyenne est favorable à l’interruption volontaire de grossesse, que le PiS a rendu très difficile en Pologne, à la demande de la femme et après discussion avec un médecin et au cours des 12 premières semaines de grossesse. Elle défend également l’institution d’un partenariat civil entre deux personnes du même sexe. 

Une question se pose : la Coalition citoyenne est-elle capable de gouverner seule ? Donald Tusk a tenté de rassembler l’ensemble des forces d’opposition au PiS, les partis de gauche comme les autres partis du centre. En vain. Par ailleurs, Donald Tusk figure parmi les politiques qui inspirent la plus faible confiance aux Polonais. L’homme compte de nombreux opposants ; il est considéré comme manquant d’empathie pour les plus nécessiteux. Beaucoup de Polonais se souviennent de celui qui a gouverné la Pologne entre 2007 et 2014 comme d’un Premier ministre éloigné de leurs préoccupations. 

2 partis centristes, Pologne 2050 et la Coalition polonaise, ont décliné l’offre d’alliance du leader de l’opposition et se sont unis dans la perspective des élections au sein de la coalition Troisième voie (Trzecia Droga). Polska 2050, conduit par Szymon Holownia, est un parti libéral, pro-européen et écologiste. La Coalition polonaise regroupe plusieurs partis dominés par le Parti du peuple, anciennement appelé Parti paysan.
La coalition Troisième voie espère attirer les électeurs mécontents des 2 principaux partis. Si les deux partis se réclament du centre-droit, leurs programmes sont toutefois très différents, ce qui interroge sur la cohérence de leur union. 

Enfin, à la droite du PiS, on trouve la Confédération liberté et indépendance, parti ultra-nationaliste et libéral, voire libertarien. La Confédération défend un programme libéral : réduction des impôts et limitation de l’intervention de l’État dans l’économie. Créée en 2019, la Confédération a changé de dirigeant en 2011 : Slawomir Mentzen a remplacé Janusz Korwin-Mikke, et son parti KORWiN a changé de nom pour se rebaptiser Nouvel Espoir (NN). Slawomir Mentzen est une personnalité clivante qui a tenu des propos xénophobes et antisémites, il se présente comme un ultralibéral, ce qui, selon Ewa Marciniak, politologue de l’université de Varsovie, lui permet de faire oublier ses positions précédentes. « C’est exactement ce que veut Slawomir Mentzen, qui sait qu’aucun parti en Pologne n’attirera les électeurs avec des slogans ouvertement antisémites et anti-Union européenne » a-t-elle déclaré.
La Confédération séduit des proches de la PO qui reprochent à leur parti d’avoir abandonné son libéralisme, elle attire également des sympathisants du PiS qui apprécie son nationalisme. Elle plaît également aux plus jeunes des électeurs en raison de la jeunesse de ses propres dirigeants et de sa forte présence sur les réseaux sociaux.

Si l’on en croit les enquêtes d’opinion, il sera difficile à Droite unie comme à la Coalition citoyenne de former un gouvernement sans l’appui de la Confédération. Pour l’heure, celle-ci, qui se pose comme une entité antisystème, refuse toute perspective d’alliance avec le PiS dont elle critique les généreuses mesures sociales et qu’elle espère bousculer sur la partie droite de l’échiquier politique.

Le système politique polonais

Le Parlement polonais est bicaméral : la Diète (Sejm), chambre basse, comprend 460 députés, et le Sénat (Senate), chambre haute, compte 100 sénateurs. Les deux chambres se réunissent en Assemblée nationale (Zgromadzenie Narodowe) à trois occasions seulement : lors de la prestation de serment du président de la République, dans le cas d’une mise en accusation de celui-ci devant le tribunal de l’État ou lorsque le chef de l’État se retrouve dans l’incapacité d’exercer ses pouvoirs en raison de son état de santé.

Les élections parlementaires sont organisées en Pologne tous les 4 ans. A l’exception des listes représentant les minorités nationales, tout parti politique doit recueillir au moins 5% des suffrages exprimés pour être représenté à la Diète (8% pour une coalition).

Pour la Diète, la Pologne est divisée en 41 circonscriptions qui élisent chacune entre 7 et 20 députés. Les partis et les groupes comprenant au moins 15 citoyens sont autorisés à présenter des listes aux élections. Celles-ci doivent recueillir le soutien d’au moins 5 000 électeurs dans les circonscriptions où elles se présentent. La loi électorale oblige chaque liste à présenter au moins 35% de candidates. La loi électorale a été modifiée en janvier 2023 : le nombre de bureaux de vote a été augmenté dans les zones rurales et les collectivités locales ont désormais l’obligation de conduire gratuitement les personnes âgées et handicapées sur leur lieu de vote. 

Les sénateurs sont élus au suffrage universel direct au scrutin uninominal majoritaire à un tour selon le système du First past the post. Chaque circonscription du pays élit un sénateur. Les candidats à un poste de sénateur doivent recueillir le soutien d’au moins 3 000 électeurs de leur circonscription.
L’âge minimal est de 21 ans pour être élu député et de 30 ans pour devenir sénateur. Les candidats ne sont pas autorisés à concourir à la fois pour la Diète et pour le Sénat.

5 partis politiques ont obtenu des sièges à la Diète en 2019 :
– la Coalition droite unie, emmenée par Droit et justice (PiS), parti conservateur du Premier ministre sortant Mateusz Morawiecki et dirigé par Jaroslaw Kaczynski, compte 235 députés et 48 sénateurs ;
– la Coalition citoyenne, conduite par la Plateforme civique (PO) de Donald Tusk, possède 134 sièges à la Diète et 43 au Sénat ;
– La Gauche, qui rassemble l’Alliance de la gauche démocratique (SLD), Ensemble (R) et Printemps (W), compte 49 députés et 2 sénateurs ;
– la Coalition polonaise, qui regroupe Kukiz’15, parti populiste dirigé par Pavel Kukiz, chanteur de rock, acteur et le Parti populaire (PSL), parti centriste et agrarien, présidé par Wladyslaw Kosiniak-Kamysz, possède 30 sièges à la Diète et 3 au Sénat ;
– la Confédération, coalition d’extrême droite, compte 11 députés.
La minorité allemande possède 1 député ; 4 sénateurs sont indépendants.

Les Polonais élisent également leur président de la République au suffrage universel direct tous les 5 ans. Andrzej Duda a été réélu à ce poste le 12 juillet 2020 avec 51,22% des suffrages, devant Rafal Trzaskowski, maire de Varsovie et candidat de la Plateforme civique (48,78%).

Rappel du résultat des élections parlementaires du 13 octobre 1019 en Pologne
Diète

Participation : 61,74%

Source : https://sejmsenat2019.pkw.gov.pl/sejmsenat2019/pl/wyniki/sejm/pl

Sénat

Participation : 61,74%

Source : https://sejmsenat2019.pkw.gov.pl/sejmsenat2019/pl/wyniki/senat/pl


[1] Varsovie a construit entre janvier et juin 2022 à la frontière biélorusse un mur d’une hauteur de 5,50 mètres et d’une longueur de 186 km pour empêcher l’arrivée en Pologne via la Biélorussie de migrants venus d’Afrique ou du Moyen-Orient.


[2] En juin 2023, l’Union européenne a voté un accord sur l’arrivée des migrants qui prévoit une répartition plus équitable des demandeurs d’asile au sein des Etats membres et qui impose une compensation financière de 20 000 euros par personne refusée. 

Directeur de la publication : Pascale Joannin

Pologne : peut-on jamais sortir de l’illibéralisme ?

Perspectives sur l’actualité La Pologne avant les élections

La victoire du PiS n’est pas du tout assurée. Pour autant, même en cas de défaite, la Pologne restera profondément transformée par les huit années que le parti de Kaczyński aura passé au pouvoir. Selon Jarosław Kuisz et Karolina Wigura, on ne se remet pas facilement d’une expérience politique aussi radicale : la multiplication des attaques contre les fondements de la démocratie ont épuisé le pays.

Lors d’une douce soirée d’octobre 2015, un homme politique d’un certain âge monta sur une scène. Vêtu d’un costume noir et d’une cravate de deuil, il se présenta devant les membres de son parti, Droit et Justice (PiS), qui célébrait une victoire électorale quelque peu inattendue. C’était Jarosław Kaczyński. Son visage ne reflétait pas l’épuisement joyeux d’un vainqueur. « Il n’y aura pas de vengeance », déclara-t-il mystérieusement, faisant allusion au gouvernement précédent.

Vengeance ou pas, huit ans plus tard, le gouvernement du PiS a considérablement transformé la Pologne. Ses détracteurs pointent notamment les politiques qui ont fait basculer cette ancienne démocratie libérale vers un système hybride. Cela comprend l’attaque, sans précédent dans la Troisième République, qui fut instaurée après 1989, contre le pouvoir judiciaire et les médias indépendants, la discrimination à l’encontre des minorités, par exemple les personnes LGBTQ+, et la limitation des droits des femmes.

Kaczyński, bien qu’omnipotent, n’a presque jamais fait partie du gouvernement pendant que le PiS était au pouvoir. En 2018, il révélait qu’il souhaitait au moins trois mandats parlementaires pour changer la Pologne. Il n’est donc pas surprenant qu’aujourd’hui, après deux mandats, les deux partis qui se disputent le pouvoir en Pologne, le PiS et la Plateforme civique, s’accordent sur un point : les élections parlementaires qui se profilent dans une quinzaine de jours seront décisives. Pour le « zèbre » polonais, qui a alterné au cours de la dernière décennie entre l’autoritarisme et des vestiges démcoratiques, deux scénarios sont possibles : soit la Pologne bascule définitivement dans une ère autoritaire ; soit la reconstruction du système politique commence.

Les miroirs turc et hongrois 

Que faut-il exactement attendre du vote du 15 octobre ? Avant de répondre en détail, rappelons-nous deux élections dans des pays politiquement proches de la Pologne.

Le jour des élections pourrait réserver une surprise, comme cela peut arriver dans toute démocratie fonctionnelle.JAROSŁAW KUISZ, KAROLINA WIGURA

Le 3 avril 2022, des élections se sont tenues en Hongrie. À l’époque, le Premier ministre Viktor Orbán briguait un cinquième mandat après avoir passé 12 ans au pouvoir sans interruption. Tout semblait indiquer que l’ère prolongée d’Orbán pourrait bientôt appartenir au passé. L’opposition avait formé une unique coalition et choisi un candidat commun. Les sondages étaient prometteurs, et nombreux étaient les Hongrois à espérer un changement profond dans leur pays… jusqu’au lendemain des élections, où il s’est avéré que le Fidesz dirigé par Orbán avait remporté 135 des 199 sièges au Parlement hongrois.

Il y a quelques mois, une histoire similaire s’était déroulée en Turquie. D’abord, l’opposition, portée par l’optimisme des sondages, a nourri de grandes espérances, avant de connaître une nouvelle défaite électorale : aujourd’hui,  le président Recep Tayyip Erdoğan exerce un nouveau mandat.

Un tel scénario pourrait-il se reproduire en Pologne ? En théorie, les deux principaux partis en lice pour l’élection — le PiS de Jarosław Kaczyński et la Plateforme civique de Donald Tusk — sont au coude à coude. La plupart des sondages donnent au PiS un soutien de 30 % ou plus. Cependant, l’écart entre le PiS et la Plateforme civique n’est que de quelques points de pourcentage, et il y a des sondages occasionnels où l’opposition est en tête. De plus, le nombre d’électeurs indécis ou refusant de répondre atteint jusqu’à 10 % dans certaines enquêtes, laissant supposer que la balance pourrait pencher d’un côté comme de l’autre. Le jour des élections pourrait réserver une surprise, comme cela peut arriver dans toute démocratie fonctionnelle.

Au lieu de recourir à des mécanismes de censure basés sur la restriction de l’information, les nationalistes populistes prospèrent grâce à l’excès d’information. JAROSŁAW KUISZ, KAROLINA WIGURA

Ce qui rend l’avenir si imprévisible, c’est que la révolution populiste du PiS a complètement changé la dynamique politique polonaise. L’un des grands théoriciens du changement révolutionnaire, Alexis de Tocqueville, parlait des « des ténèbres de l’avenir ». Dans le cas de la Pologne, cela va dans les deux sens : une victoire de la Plateforme civique signifierait aussi faire un premier pas vers un chemin inconnu.

Un déluge d’argent public 

Les mécanismes contemporains de régression démocratique réservent davantage de surprises que les régimes autoritaires d’antan. Tout d’abord, les populistes ne cherchent pas à truquer les élections ; ils préfèrent fausser la campagne électorale. Celle qui se déroule actuellement en Pologne n’est ni équitable ni fondée sur l’égalité des chances entre les partis. D’énormes sommes d’argent public sont dépensées pour la campagne électorale du parti au pouvoir. Des exemples ? La police et l’armée sont sollicitées lors de pique-niques organisés par le gouvernement dans le but de créer du contenu pour les réseaux sociaux. Lors d’un récent pique-nique à Sarnowa Góra, petite ville du centre de la Pologne, un hélicoptère Black Hawk de la police a été appelé pour faire une démonstration. L’appareil a survolé à plusieurs reprises les spectateurs avant de heurter une ligne électrique, provoquant une panique générale.

Les populistes ne cherchent pas à truquer les élections ; ils préfèrent fausser la campagne électorale.JAROSŁAW KUISZ, KAROLINA WIGURA

Ce n’est pas la seule manière dont le PiS utilise les fonds publics pour financer son éventuel succès. Le jour des élections, un référendum sera également organisé, imitant ce qui a été fait en Hongrie l’année précédente. C’est une astuce légale car elle permet de dépenser d’importantes sommes d’argent public afin de promouvoir ce vote, ce qui est au bénéfice du parti au pouvoir. Chacune des quatre questions, formulées de manière vague, donne l’impression d’un plébiscite sur l’efficacité de la propagande gouvernementale. Pour citer l’une d’entre elles : « Soutenez-vous l’admission de milliers d’immigrants illégaux en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique, conformément au mécanisme de relocalisation forcé qu’impose la bureaucratie européenne ? » Il va sans dire qu’une question posée de cette manière effraiera suffisamment de citoyens pour obtenir une réponse négative.

Le vacarme médiatique pour étouffer la campagne

Au lieu de recourir à des mécanismes de censure basés sur la restriction de l’information, les nationalistes populistes prospèrent grâce à l’excès d’information. Leur propre message est ainsi amplifié dans les médias nationaux et sur les réseaux sociaux. En ce qui concerne les médias traditionnels, ils sont devenus une plateforme permanente pour le parti au pouvoir, alors que les prises de parole de l’opposition ont été si réduites qu’elles sont littéralement invisibles pour une partie du public.

Le meilleur exemple des conséquences de cette situation est le scandale des visas qui a récemment été révélé : le gouvernement est accusé d’avoir vendu des centaines de milliers de visas à des visiteurs venant d’Asie et d’Afrique, dans un contexte de corruption colossale. Bien que le scandale soit de plus en plus relayé par les médias d’opposition, les médias favorables au gouvernement restent muets sur le sujet, préférant montrer sans cesse les images de la tragédie humanitaire à Lampedusa. 

La stratégie des populistes est d’encourager ces manifestations fréquentes, soit pour finalement les épuiser, soit pour les radicaliser, ce qui leur fournit en retour un matériau utile à leur propagande.JAROSŁAW KUISZ, KAROLINA WIGURA

Dans un autre registre, le PiS a  considérablement investi les réseaux sociaux, dépensant environ 1,5 million de zlotys (soit environ 325 000 €) pour une campagne en ligne. À titre de comparaison, le KO n’a dépensé qu’environ 70 000 zlotys (soit 15 000 €).

L’illibéralisme à la manière européenne

Les populistes ne voient pas non plus l’utilité de restreindre la liberté de rassemblement. Certes, les définitions classiques de l’autoritarisme, telles que celle de Juan Linz, évoquent une société civile minée par des arrestations, des attaques physiques contre les manifestants, des sanctions pénales, etc. Néanmoins, dans le populisme contemporain, les protestations sont bénéfiques pour les populistes car elles permettent d’évacuer une certaine frustration sociale. Ce fut le cas en Pologne ces dernières années, par exemple sur la question des droits reproductifs. Les Polonaises et Polonais ont manifesté en masse pour la première fois dès 2016, puis en 2020 et les années suivantes.

La stratégie des populistes est d’encourager ces manifestations fréquentes, soit pour finalement les épuiser, soit pour les radicaliser, ce qui leur fournit en retour un matériau utile à leur propagande. De plus, la liberté d’expression n’est théoriquement pas restreinte. Les autorités peuvent être critiquées à volonté, sauf dans un cas : lorsque quelqu’un dispose d’un puissant canal de communication étranger. C’est le cas de la réalisatrice Agnieszka Holland, qui a récemment été violemment attaquée par le ministre de la justice en exercice et par le Président, sans parler d’une campagne de trolls en ligne pour son film The Green Border, qui décrit la vie de réfugiés syriens à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Holland a été accusée d’être l’héritière des propagandistes nazis, et ses spectateurs ont été dénoncés comme des épigones des collaborateurs nazis en Pologne occupée pendant la Seconde Guerre mondiale. (Les auteurs de cet article ont vécu une expérience similaire, après avoir publié un essai dans le New York Times, qui critiquait le déficit d’état de droit en Pologne). 

Les limites de l’opposition démocratique 

Alors, est-il impossible pour l’opposition polonaise de remporter la victoire ? Pas nécessairement si l’on tient compte du pourcentage d’électeurs indécis, ainsi que des scandales entourant le PiS qui ont éclaté juste avant les élections. Cela reste un scénario possible. Il y a aussi le revirement soudain du gouvernement concernant l’Ukraine, qui a indigné de nombreux électeurs.

Le retour de Donald Tusk est aussi très important. L’ancien premier ministre et ancien président du Conseil européen est revenu en politique en 2021 dans le but d’affronter une nouvelle fois Jarosław Kaczyński. Cependant, son bilan après deux années sur la scène politique polonaise est mitigé. D’un côté, il ne fait aucun doute que Tusk a réussi à augmenter sensiblement le soutien pour son propre parti. Lorsque il est revenu à l’été 2021, la Plateforme civique stagnait à 16 % dans les sondages, et le groupe centriste de l’ancienne star de télévision Szymon Holownia faisait partie des outsiders potentiels aux élections. Actuellement, le groupe de Holownia, le Trzecia Droga (Troisième Voie), formé avec le Parti populaire polonais (PSL) de Władysław Kosiniak Kamysz, est à la quatrième place dans les sondages, tandis que la Plateforme civique se rapproche du PiS. Tusk est un excellent orateur. Il est habile sur les réseaux sociaux, et ces derniers mois, il a réussi à l’emporter sur certaines des principales figures du PiS. Cependant, même les observateurs bienveillants ont critiqué la stratégie politique de Tusk : c’est un politicien qui ne tolère pas la concurrence, que ce soit au sein de son propre parti ou sur la scène d’opposition plus large. De ce fait, il limite les activités et la popularité des autres figures de l’opposition, en concentrant tout le pouvoir entre ses mains.

Revenir aux fondements de la démocratie 

Que se passera-t-il après les élections ? Nombre d’observateurs estiment qu’en cas de victoire de l’opposition, la situation se normaliserait et que le système politique d’avant 2015 serait simplement réinstauré. Cela s’annonce pourtant plus complexe. Premièrement, il n’est pas certain que le parti victorieux sera celui qui constituera le gouvernement. Le PiS pourrait avoir besoin du soutien de la Confédération, un parti aux tendances fascistes, ce qui pousserait la Pologne dans une direction encore plus autoritaire. De son côté, la Plateforme civique pourrait connaître des désaccords avec Trzecia Droga, suite à divers malentendus durant la campagne et à l’humiliation du leader de ce parti plus modeste par Tusk. Deuxièmement, le PiS a modifié de manière anticonstitutionnelle la Cour suprême polonaise, la troisième institution de l’État, tandis que l’opposition souhaite la réformer conformément à la Constitution de 1997. Ce processus s’annonce laborieux. Il pourrait notamment être saboté par le président Andrzej Duda (PiS), en poste jusqu’en 2024, ainsi que par le Tribunal constitutionnel et la Cour suprême, qui sont également sous l’emprise du PiS.

Il n’est pas certain que le parti victorieux sera celui qui constituera le gouvernement.JAROSŁAW KUISZ, KAROLINA WIGURA

Dans leur nouvel ouvrage, Tyranny of the Minority, Steven Levitsky et Daniel Ziblatt avancent que les victoires populistes des dernières années participent d’un paradoxe étrange. Elles surviennent souvent au moment où une démocratie est à la veille d’une opportunité historique de devenir la meilleure, la plus efficace et la plus pluraliste de son histoire. C’est ce qu’ont noté les auteurs à propos de la victoire de Donald Trump aux États-Unis en 2016 et, ajouterons-nous, de la Pologne en 2015. 

Malheureusement, après les graves atteintes portées aux institutions et à l’étoffe fragile de la démocratie polonaise, sortir de cette impasse sera ardu et demandera de la créativité, de la patience et beaucoup de temps.

Quelle coalition majoritaire possible en Pologne à l’issue des élections parlementaires du 15 octobre ? (robert-schuman.eu)

Pologne : peut-on jamais sortir de l’illibéralisme ? | Le Grand Continent

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