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Le Parlement européen doit se prononcer sur le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union. Dans son rapport, voté ce mercredi, Isabelle Thomas (députée Génération.s) dénonce un budget « indécent ». Un article de notre partenaire, Ouest-France.
Décente ou pas ? La proposition de budget établie par la Commission européenne pour les années 2021-2017 est-elle satisfaisante ? Les 750 députés du Parlement doivent se prononcer ce mercredi midi, sur un rapport de leur commission budgets qui préconise de profonds changements. Leur vote donnera un mandat de négociation au Parlement, face au Conseil, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept.
Entretien avec Isabelle Thomas, eurodéputée Génération.s, membre de la Commission budgets au Parlement européen.
Le budget ébauché par la Commission est-il à la hauteur ?
Sa proposition est indécente. L’Europe ne peut pas tenir avec un budget pingre. Dans les années 1990, le budget de l’Union européenne représentait 1,24 % de la richesse de l’UE. Il n’a cessé de diminuer depuis. Aujourd’hui, il est à 1,1 % et si on suit la proposition de la Commission, il sera à 1,08 % (1 100 milliards d’euros).
La faute au départ des Britanniques ?
Il faut relativiser leur poids. Leur départ fera une différence de 10 milliards d’euros, ce n’est pas énorme. Il y a beaucoup d’hypocrisie derrière tout ça.
Quel poids a le vote du Parlement qui se tient ce mercredi midi ?
Ce vote donne un mandat de négociation au Parlement, face au Conseil. Cela nous confère la légitimité pour engager la bataille. Et cette bataille ne fait que commencer. Le cadre financier pluriannuel pourra être modifié, corrigé, amendé par le Conseil ; puis il passera devant le Parlement qui devra donner son consentement ou émettre son veto. Si rien ne change, le Parlement ne sera pas enclin à donner son consentement.
Parce que le budget diminue, alors que les compétences de l’Union augmentent ?
Oui. Il faut s’occuper des flux migratoires, de la défense, de la recherche…. On accumule les compétences, mais on réduit les moyens.
Au détriment de qui ?
On sacrifie les grands piliers du budget de l’Union : la Politique agricole commune (-16 %) et les politiques régionales (-10 %). C’est dramatique ; cela touche des projets d’investissements très structurants pour nos régions et nos villes, pour les universités, le numérique, la LGV en Bretagne, les projets scolaires, les équipements sportifs et culturels… Même chose pour le fonds de cohésion, destiné surtout aux pays plus pauvres d’Europe de l’Est, qui connaît une chute de 45 % !
Au risque de renoncer aux principes de solidarité ?
Ces projets permettent souvent de rééquilibrer la situation entre zones rurales et urbaines, entre régions riches et régions pauvres. C’est le pilier de l’harmonisation de l’Union européenne. On ne sera plus dans l’Union des solidarités, mais on risque de glisser à toute vitesse vers une Europe de la défense et de la sécurité.
Le Fonds social européen semble augmenter, si l’on regarde la proposition de la Commission : mais il diminue en réalité de 7 % car il intègre en fait de nouvelles dépenses comme la garantie pour la jeunesse (contre le chômage des jeunes). L’esprit de solidarité de l’Union est clairement mis à mal.
Quelle solution propose le Parlement européen ?
On veut garder les piliers, sans les augmenter. Cela n’empêche pas de les faire évoluer. Si on veut une agriculture plus durable, plus respectueuse de la santé, des sols, de l’eau et de l’air, il faut des fonds. Sinon, c’est le marché qui décidera.
On veut aussi, comme la Commission, augmenter quelques politiques phares : on triple les fonds du programme Erasmus + ; on augmente le budget de la recherche de 1,5 point, on double l’aide aux PME. Et on revoit le budget de Life + (aides à la biodiversité) à la hausse.
Le Parlement ajoute aussi deux nouveaux programmes…
Ils coûteront peu mais nous semblent essentiels. On veut créer la Child Guarantee, contre la pauvreté infantile, à hauteur de 5,5 milliards d’euros sur sept ans. La crise de 2008 et les politiques d’austérité, notamment sur les pays de Sud, ont fait croître la pauvreté infantile en Grèce, en Espagne, au Portugal et en Irlande. On assiste à de vrais drames humains. Y compris avec une augmentation de la mortalité infantile.
On veut aussi voir créé un Fonds d’accompagnement à la décarbonisation (4,8 milliards d’euros), pour accompagner la fin de l’utilisation du charbon, qui laisse encore des pays, comme la Pologne, dans une situation dramatique. Enfin, on veut aussi dédier 30 % des dépenses au climat ; vérifier que l’ensemble des dépenses de l’Union va dans le sens de l’égalité des genres, etc.
Qui va payer ?
Les citoyens et les États ne verseront pas un sou de plus. Aujourd’hui, près de 80 % du budget européen provient des contributions nationales. Nous voulons augmenter les ressources propres de l’UE.
En commençant, déjà, par taxer sur une même assiette et au même taux les multinationales qui font plus de 125 millions d’euros de chiffre d’affaires dans l’Union européenne. Ça touche les géants du numérique comme les Gafa, mais aussi les plateformes comme AirBnB, Uber, ou encore les groupes comme Starbucks, McDonald, Total… Cela représente au moins 400 milliards d’euros par an.
Et faire payer les produits importés peu respectueux de nos normes ?
Oui. On veut un ajustement carbone aux frontières : c’est-à-dire taxer le différentiel carbone de tout produit fabriqué à l’étranger avec des normes d’émissions de CO2 plus laxistes que les normes européennes. Et enfin, il faut taxer toutes les transactions financières ; il y a du travail à faire auprès des banques…
Faut-il aussi supprimer les fonds attribués aux États qui bafouent l’État de droit ?
Quelle erreur ! Il faut les sanctionner, voire leur infliger des amendes. Mais supprimer leurs aides serait désastreux : ce n’est pas l’État qui les touche, ce sont les paysans, les régions, les villes, les laboratoires de recherche, les étudiants… Faire peser sur eux ces sanctions serait aberrant. La Commission essaie de faire des économies comme ça… Cette méthode pourrait être dévastatrice et nourrir les votes populistes.