Alors que la Hongrie assure la présidence du Conseil de l’Union européenne, son Premier ministre était à Strasbourg pour décliner ses priorités lors de ce semestre. Il a trouvé un hémicycle partiellement vide en signe de protestation contre sa venue.
Rarement le discours d’un chef de gouvernement européen n’avait suscité autant de remous au Parlement européen. Reporté une première fois en juillet, puis une seconde en septembre en raison des inondations qui ont touché l’Europe centrale, l’intervention du Premier ministre hongrois Viktor Orbán était attendue de pied ferme par les eurodéputés à Strasbourg, mercredi 9 octobre.
Durant la matinée, le dirigeant nationaliste a donné les priorités de la Hongrie pour sa présidence du Conseil de l’Union européenne, débutée le 1er juillet dernier et qui se conclura en fin d’année. Et plus largement sa vision de l’Union européenne, avec laquelle il est engagé dans un véritable bras de fer depuis plusieurs années pour ses atteintes répétées à l’état de droit, à la liberté de la presse ou encore à l’indépendance de la justice.
De nombreux eurodéputés avaient exprimé leur opposition à sa venue au Parlement européen et multiplié les messages de protestation. “Dans cette maison de la démocratie, […] nous ne sommes pas toujours d’accord, néanmoins nous accordons beaucoup d’importance au partage d’avis respectueux”, a pour sa part lancé Roberta Metsola, présidente de l’institution. Avant que Viktor Orbán n’entame son discours et ne pointe du doigt ses cibles habituelles : les migrants, la politique environnementale ou encore la bureaucratie de l’UE.
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“Notre Union doit changer”
“Je suis venu pour sonner l’heure du réveil […] Notre Union doit changer”. Ce n’était une surprise pour personne. Au moment d’entamer son discours, Viktor Orbán a dressé un constat alarmiste de la situation du continent. “La situation de l’Europe est bien pire qu’en 2011″, date à laquelle la Hongrie avait assuré sa première présidence du Conseil de l’UE, avec à sa tête… un certain Viktor Orbán. Pour le dirigeant hongrois, les différents conflits (Ukraine, Proche-Orient, Afrique), ainsi que la crise migratoire qui pèse sur l’espace Schengen nécessitent “des décisions qui détermineront le sort de l’Europe”.
Comme la veille, lors d’une conférence de presse un peu plus mouvementée (voir plus bas), le leader nationaliste a fait de la compétitivité du continent européen sa priorité. Dans un premier temps, il a indiqué partager le diagnostic posé par le rapport de Mario Draghi publié début septembre et dans lequel l’ancien dirigeant de la Banque centrale européenne (BCE) brosse le portrait d’une Europe essoufflée sur le plan économique, notamment en matière d’investissement. Pour y répondre, Viktor Orbán a déclaré vouloir adopter dès le mois de novembre un pacte européen pour la compétitivité.
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“Mettons ce pacte au centre des activités institutionnelles pour les années à venir”, a-t-il déclaré, après avoir pointé du doigt le Pacte vert européen, responsable selon lui de cette situation. Pour le dirigeant hongrois, la stratégie européenne en faveur d’une “croissance verte” a conduit à une perte d’emploi et de compétitivité. Une critique directement adressée à Ursula von der Leyen, également présente dans l’hémicycle et qui en avait fait sa priorité en 2019 lors de sa prise de poste. La présidente de la Commission européenne lui a répondu dans la foulée : “Comment faire confiance à un gouvernement si on risque des inspections arbitraires, si on privilégie un petit groupe d’investisseurs ? Le tout alors que le PIB par habitant de la Hongrie est aujourd’hui dépassé par ses voisins”.
Les boucs-émissaires habituels
La politique environnementale est loin d’être l’unique obsession de Viktor Orbán qui n’a pas manqué d’évoquer son bouc-émissaire préféré : les migrants. “La migration irrégulière entraîne une augmentation de l’antisémitisme, des violences faites aux femmes et de l’homophobie”, a-t-il lancé, provoquant les réactions outrées d’une grande partie de l’hémicycle. Avant d’affirmer : “si les gens rentrent sur le territoire [de l’Union européenne], on n’arrivera pas à les renvoyer chez eux”.
Concrètement, le dirigeant d’extrême droite a plaidé pour des “aides substantielles” à destination des pays européens en première ligne situés aux frontières extérieures de l’UE. Aussi, il a proposé la tenue de sommets entre les pays de l’espace Schengen pour que les chefs d’Etat et de gouvernement puissent échanger sur le sujet, à l’image des sommets de la zone euro instaurés après la crise financière de 2008 et formalisés en 2011.
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Autre coupable idéal dans la bouche de Viktor Orbán, la bureaucratie européenne. Toujours selon lui, l’empilement de normes serait responsable d’une perte de la compétitivité de l’agriculture européenne et de la mise en danger des paysans européens. Il appelle à une réforme en profondeur des priorités de la politique agricole commune (PAC) dont une nouvelle version verra le jour après 2027.
Dans son discours, le dirigeant hongrois a enfin abordé la question de l’élargissement, une autre priorité de la présidence hongroise. “Nous sommes convaincus qu’il faut accélérer l’adhésion des pays des Balkans occidentaux, plus particulièrement la Serbie”, a-t-il ainsi résumé, tout en évitant de mentionner l’Ukraine. Sur le plan diplomatique, Budapest est un allié de Belgrade, elle-même très proche de Moscou.
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Une attitude moins provoquante que la veille
La veille, lors d’une intervention devant des journalistes, Viktor Orbán était revenu plus longuement sur le conflit entre l’Ukraine et la Russie. Accusé de jouer un double jeu en conservant des liens avec Vladimir Poutine, il avait défendu cette stratégie. “Il est impossible de gagner une guerre sans communication et aujourd’hui il n’y a pas de communication avec la Russie. C’est une erreur, ce que nous faisons n’est pas rationnel”, expliquait-il.
Ce mercredi, Ursula von der Leyen a vivement critiqué cette attitude, déplorant que Viktor Orbán joue le jeu de ceux qui affirment que “la guerre est la faute non de l’envahisseur, mais de l’envahi”. “Reprocheraient-ils aux Hongrois l’invasion soviétique de 1956 ? Ou les Tchèques et les Slovaques pour la répression soviétique de 1968 ?”, a-t-elle avancé, en référence aux invasions de ces pays par les troupes de l’URSS. “Votre voyage [à Moscou] n’a jamais été une mission de paix. C’était un grand spectacle de propagande pour les autocrates”, a pour sa part fustigé le chef du groupe Parti populaire européen (PPE), Manfred Weber.
Durant sa conférence de presse de mardi – très brièvement interrompue par un conseiller municipal d’opposition et militant hongrois qui a jeté une liasse de billets de banque dans la salle -, Viktor Orbán a également adressé quelques encouragements à son ami Donald Trump, qui lorgne sur un retour à la Maison Blanche à l’issue de la présidentielle américaine début novembre. En cas de victoire du candidat républicain, le Premier ministre hongrois affirme qu’il ouvrira “plusieurs bouteilles de champagne”.
Pas le bienvenu
La venue au Parlement européen du dirigeant dont le pays assure la présidence du Conseil de l’UE est une tradition. Mais jamais celle-ci n’avait autant fait parler. Dès le début de la session plénière lundi, les groupes de gauche avaient multiplié les critiques à l’égard du gouvernement hongrois et regretté sa présence. “Démocrates contre autocrates”, pouvait-on ainsi lire sur des pancartes brandies par les sociaux-démocrates. Les eurodéputés du groupe de la Gauche avançaient pour leur part le slogan “pas d’argent pour les corrompus”, en référence aux fonds européens destinés à la Hongrie mais partiellement gelés en raison des atteintes à l’état de droit.
Après la conclusion du discours de Viktor Orbán, les députés de gauche radicale ont chanté l’hymne résistant et antifasciste “Bella ciao”, soulignant l’importance du combat contre l’extrême droite en Europe. “Face à la menace brune qui progresse partout en Europe, le combat antifasciste est essentiel”, a ainsi affirmé Manon Aubry, co-présidente du groupe de la Gauche.
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Enfin, la passe d’armes avec les députés européens a donné lieu à un échange entre Viktor Orbán et Peter Magyar, principal opposant hongrois dont la formation politique est arrivée en deuxième position lors des élections européennes en juin dernier. A l’image de plusieurs de ses homologues, l’eurodéputé membre du PPE a eu 5 minutes pour s’exprimer face à son rival. “Au moins ici, je peux poser des questions ouvertes”, a déclaré ce dernier. Quelques heures plus tôt, il avait dressé son constat de la situation politique de son pays. “Comme leader de l’opposition hongroise, je n’ai pas eu l’autorisation de m’exprimer à la télévision publique pendant plus de 210 jours. […] C’est ça la démocratie du Premier ministre Orbán”, a-t-il dénoncé. Une vision que le Premier ministre hongrois veut tenter de reproduire à l’échelle européenne.
À Strasbourg, confrontation entre Ursula von der Leyen et Viktor Orbán
Viktor Orbán présentait le programme de la présidence hongroise du Conseil de l’Union européenne (UE) lors de la plénière du Parlement européen à Strasbourg, mercredi 9 octobre, mais l’évènement a tourné à la confrontation avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Après un premier report, le Premier ministre hongrois a finalement présenté les priorités de la présidence hongroise du Conseil à la plénière du Parlement européen ce mercredi matin. Toutefois, l’atmosphère s’est rapidement détériorée dans l’hémicycle.
Pendant une grande partie de son discours, Viktor Orbán a repris les priorités qu’il avait déjà présentées la veille lors d’une conférence de presse. Ce qui avait commencé comme un plaidoyer pour des solutions en faveur de contrôles plus stricts de l’immigration et de l’amélioration de la compétitivité de l’Europe a ensuite rapidement tourné court.
Le dossier migratoire
Prenant la parole après lui, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a critiqué les propos du dirigeant hongrois concernant la protection de l’Europe contre l’immigration clandestine. Elle a directement remis en question l’approche de Budapest en matière de « protection de ses frontières ».
« Vous avez déclaré que la Hongrie “protégeait ses frontières” et qu’en Hongrie, “on enfermait les criminels” ». Pourtant, « l’an dernier, les autorités de votre pays ont libéré de prison des passeurs et des trafiquants avant qu’ils n’aient terminé de purger leur peine », a rappelé la présidente de la Commission.
« Ceci n’est pas protéger notre Union, c’est se défausser d’un problème sur son voisin », a-t-elle ajouté.

La Hongrie souhaite déroger aux règles de l’UE sur l’asile
La Hongrie a informé en début de semaine Bruxelles de son souhait de pouvoir déroger aux règles de l’Union européenne sur l’asile, une procédure ayant cependant peu de chances d’aboutir.
Aide à l’Ukraine et proximité avec le Kremlin
Ursula von der Leyen a également fortement insisté sur l’importance du soutien financier et militaire de l’Europe à l’Ukraine.
Elle s’est ainsi directement opposée à l’appel au cessez-le-feu lancé par le Premier ministre hongrois et à sa déclaration controversée selon laquelle « l’Ukraine ne peut pas gagner sur le champ de bataille ».
« Certains rejettent encore la responsabilité de cette guerre non pas sur l’envahisseur, mais sur le peuple envahi », a insisté l’Allemande. « Est-ce qu’ils reprocheraient aux Hongrois l’invasion soviétique de 1956 ? Reprocheraient-ils aux Tchèques et aux Slovaques la répression soviétique de 1968 ? Reprocheraient-ils aux Lituaniens la répression soviétique de 1991 ? »
Viktor Orbán a rejeté cette comparaison historique, la qualifiant d’« erreur totale ».
Il a ensuite appelé à un changement de stratégie au niveau de l’UE. « L’Union européenne dispose d’une stratégie erronée », a-t-il déclaré, ajoutant que si cette approche n’était pas modifiée, « nous serons tous perdants ».
La cheffe de l’exécutif européen a également critiqué la proximité entre Budapest et Moscou, notamment en matière de dépendance énergétique.
« Au lieu de diversifier ses sources d’énergie comme convenu à Versailles, la Hongrie a cherché d’autres moyens d’acheter des combustibles fossiles à la Russie », a déploré Ursula von der Leyen.
« En 2023, vous, les pays occidentaux, avez acheté 44 % de plus de pétrole brut à la Russie qu’avant. Les recettes fiscales de ces entreprises sont allées dans les caisses russes. Et ensuite, vous nous accusez d’amitié avec la Russie », s’est défendu le Premier ministre hongrois.
Outre l’immigration et la question ukrainienne, la présidente de la Commission a aussi attaqué la gestion économique du gouvernement Orbán et le régime de visas accordé aux Russes par le pays — un régime qui permettrait à des derniers d’entrer facilement dans l’Union européenne.
La Commission doit rester neutre
De manière plus générale, Viktor Orbán a critiqué les remarques d’Ursula von der Leyen, lui rappelant le véritable objectif de sa venue à Strasbourg.
« Je suis venu ici pour présenter le programme de la présidence hongroise […], mais vous avez décidé d’en faire un affrontement entre partis politiques », a réagi le Premier ministre.
Rejetant fermement ses déclarations, le dirigeant nationaliste a affirmé que la Commission devait agir en tant que gardienne des traités et maintenir sa neutralité.
Il a également déclaré qu’il n’était « pas juste » de se concentrer sur les différences entre la Hongrie et la Commission alors que son objectif était de discuter des priorités du Conseil, ajoutant que cela ne se serait pas produit dans le passé.
The Brief – Von der Leyen’s best speech?
Hungarian Prime Minister Viktor Orbán was caught by surprise by the fiery attack of Commission President Ursula von der Leyen on his domestic and international track record.
Speaking at a debate on Hungary’s EU presidency program with Orbán at the European Parliament in Strasbourg, von der Leyen delivered probably her best speech since she was first elected commission chief in 2019.
Ahead of the debate, it was easy to imagine what Orbán would say, as he spoke first, but the forceful rebuttal by von der Leyen came as a surprise.
The speech was “out of the box”: she largely ignored the nitty-gritty of the Hungarian Presidency agenda, and instead slammed the entire track record of the Hungarian prime minister since he took power in 2010.
Hungary is putting European security at risk, von der Leyen said, taking aim at Budapest’s reluctance to join EU partners in helping Ukraine against Russia’s invasion, and its decisions strengthening ties with Moscow and Beijing.
Orbán was looking down, pretending to take notes, as the Commission President said:
« The world has witnessed the atrocities of Russia’s war. And yet, there are still some who blame this war not on the invader but on the invaded. Not on Putin’s lust for power but on Ukraine’s thirst for freedom. So I want to ask them: Would they ever blame the Hungarians for the Soviet invasion of 1956? Would they ever blame the Czechs and Slovaks for the Soviet repression of 1968? Would they ever blame the Lithuanians for the Soviet crackdown of 1991? We Europeans may have different histories and different languages, but there is no European language in which peace is synonymous with surrender.”
Von der Leyen attacked him on a topic that he thought was his triumph because after criticising him, EU leaders were joining his main issue – immigration policy.
“I heard your words over the weekend. You said that Hungary is ‘protecting its borders’ and that ‘criminals are being locked up’ in Hungary. I just wonder how this statement fits with the fact that last year, your authorities released from prison-convicted smugglers and traffickers before they did their time. This is not fighting illegal migration in Europe. This is not protecting our Union. This is just throwing problems over your neighbour’s fence, » von der Leyen said.
“One government in our Union is heading in the exact opposite direction, drifting away from the Single Market,” the Commission President said
With this, she exposed the policy of Budapest of discriminating against European companies by taxing them more than others, imposing export restrictions overnight, targeting European companies with arbitrary inspections, by blocking their permits, while “public contracts mostly go to a small group of beneficiaries.”
Worse, she destroyed his domestic narrative that this policy was in the favour of Hungarians.
“Hungary’s GDP per capita has been overtaken by its Central European neighbours,” she hammered down.
Von der Leyen also pointed to Hungary’s continued reliance on Russian energy after many countries in the 27-member EU reduced their dependency in response to Russia’s invasion.
“Instead of looking for alternative sources, one member state in particular just looked for alternative ways to buy fossil fuels from Russia. Russia has proven time and again it is simply not a reliable supplier. There can be no more excuses,” she stated.
In his response, Orbán said he was « surprised » by von der Leyen’s speech, and he rejected any parallel between Hungary’s failed 1956 uprising against Soviet oppression and Ukraine’s fight to defend its territory.
He regretted the “lack of interest” in the work of the Hungarian presidency and further repeated his call for a ceasefire in Ukraine.
His body language could not conceal that he was thunderstruck.
Further, a majority of the flurry of MEPs who took the floor criticised him for turning Hungary into a hybrid regime, undermining Ukraine’s fight against Russian aggression, and collaborating with illiberal regimes in Moscow and Beijing.
One of them called him, to his face, a “useful idiot” at the service of Putin.
It seems likely that Von der Leyen’s speech will end up estranging Orbán even further from the European mainstream.
From here, there are two scenarios: Trump wins the US elections, and he gets his retribution. In such a hypothesis, the European mainstream may change in his favour.
And if Kamala Harris wins, Orbán will realise his politics is untenable. Or if he does not, the Hungarian people, whom von der Leyen addressed at the end of her speech, probably will.