PRÉSIDENT JEAN-CLAUDE JUNCKER – Discours sur l’état de l’Union 2017*Bruxelles, le 13 septembre 2017
INTRODUCTION – DES VENTS FAVORABLES M. le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Parlement européen, Lorsque je me suis présenté devant vous l’an dernier à la même période, ma tâche était, d’une certaine façon, plus facile. Il était clair pour tout le monde que l’état de notre Union était pour le moins préoccupant. L’Europe comptait ses blessures et ses égratignures, après une année qui l’avait ébranlée jusque dans ses fondements. Nous n’avions le choix qu’entre deux possibilités. Soit se rassembler autour d’un programme européen positif, soit se replier chacun sur soi en ignorant les autres. Face à ce choix, j’ai plaidé pour l’unité. J’ai proposé un programme positif pour, comme je l’ai dit l’année dernière, contribuer à créer une Europe qui protège, une Europe qui donne les moyens d’agir, une Europe qui défend. Au cours des douze derniers mois, le Parlement européen a contribué à donner vie à ce programme. Chaque jour qui passe, nous continuons à faire des progrès. Pas plus tard qu’hier soir, vous avez encore travaillé à un accord sur les instruments de défense commerciale et le doublement de notre capacité d’investissement européenne. Et vous y êtes parvenus. Je vous en remercie. Je voudrais aussi remercier les 27 dirigeants de nos États membres. Quelques jours après mon discours de l’an dernier, ils ont approuvé mon programme lors de leur sommet de Bratislava. Ils ont ainsi choisi l’unité. Ils ont choisi de se rassembler autour de nos intérêts communs. Ensemble, nous avons montré que l’Europe peut obtenir des résultats concrets pour ses citoyens, quand et là où c’est nécessaire. Depuis lors, nous avons réussi des avancées parfois lentes mais irréversibles. L’amélioration des perspectives économiques a joué en notre faveur. Nous entrons à présent dans la cinquième année d’une reprise économique qui se fait réellement sentir dans chacun des États membres. Ces deux dernières années, la croissance a été plus forte dans l’Union européenne qu’aux États-Unis. Elle se chiffre maintenant à plus de 2 % pour toute l’Union et à 2,2 % pour la zone monétaire. Le chômage est au plus bas depuis neuf ans. Depuis le début de notre mandat, près de 8 millions d’emplois ont été créés. Et le taux d’emploi dans l’Union européenne est plus élevé qu’il ne le fut jamais. Nous avons 235 millions de personnes qui ont un travail. La Commission européenne ne peut pas s’en attribuer seule tout le mérite. Cela dit, je suis sûr que, si 8 millions d’emplois avaient été détruits, pour beaucoup c’eût été notre faute. En réalité les institutions de l’Europe ont joué leur rôle en contribuant à faire en sorte que le vent tourne. Nous pouvons nous attribuer le mérite de notre plan d’investissement pour l’Europe, qui a généré jusqu’à présent 225 milliards d’euros d’investissements. Il a accordé des prêts à 450 000 petites entreprises et à plus de 270 projets d’infrastructure. Nous pouvons nous attribuer le mérite d’une action déterminée, grâce à laquelle les banques européennes ont de nouveau la force de frappe financière nécessaire pour prêter aux entreprises et leur permettre de croître et de créer des emplois. Et nous avons eu le mérite d’avoir contribué à la baisse des déficits publics, qui sont passés d’un niveau de 6,6 % à un niveau de 1,6 %. Nous le devons à une application intelligente du Pacte de stabilité et de croissance. Nous exigeons une discipline budgétaire mais nous veillons à ce qu’elle ne nuise pas à la croissance. Cela fonctionne en fait très bien dans toute l’Union européenne – en dépit des critiques. Dix ans après le déclenchement de la crise, l’Europe connaît enfin un rebond économique. Et avec lui, un regain de confiance. Nos 27 dirigeants, le Parlement et la Commission sont en train de remettre le projet européen au cœur de notre Union. L’an dernier, à Rome, nous avons vu les 27 dirigeants gravir un à un la colline du Capitole pour renouveler leurs vœux d’engagement mutuel et envers l’Union. Tout cela m’incite à y croire: l’Europe a de nouveau le vent en poupe. De nouvelles opportunités s’ouvrent à nous, mais elles ne resteront pas ouvertes éternellement. Mettons cet élan à profit, profitons de ces vents favorables. Et pour cela nous devons faire deux choses: Premièrement, nous devons tenir le cap fixé l’an dernier. Il nous reste encore 16 mois durant lesquels le Parlement, le Conseil et la Commission peuvent accomplir de véritables progrès. Nous devons profiter de cette période pour terminer ce que nous avons commencé à Bratislava, et mettre en œuvre notre propre programme constructif. Deuxièmement, nous devons nous fixer un objectif ambitieux pour l’avenir. Comme l’a écrit Mark Twain (je cite), quand les années auront passé, nous serons plus déçus par les choses que nous n’aurons pas faites que par celles que nous aurons faites. Le moment est venu de bâtir une Europe plus unie, plus forte, plus démocratique d’ici à 2025. TENIR LE CAP Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, Alors que nous regardons vers l’avenir, nous ne pouvons pas nous laisser dévier de notre cap. Ensemble, nous nous sommes fixés comme objectif de parachever une union de l’énergie, une union de la sécurité, une union des marchés des capitaux, une union bancaire et un marché unique numérique. Ensemble, nous avons déjà fait bien du chemin. Comme l’a confirmé le Parlement, la Commission a déjà présenté 80% des propositions promises en début de mandat. Nous devons maintenant travailler ensemble pour que ces propositions deviennent des actes législatifs, et que ces actes se concrétisent dans la pratique. Comme toujours, certaines concessions devront être faites. Les propositions présentées par la Commission pour réformer notre système d’asile commun ou pour établir de nouvelles règles plus solides sur le détachement des travailleurs sont des sujets, je le sais, controversés. Nous obtiendrons de bons résultats si chacun bâtit sa partie du pont pour que les positions puissent se rejoindre. Et je voudrais dire que la Commission sera ouverte au compromis, du moment que le résultat final est le bon pour l’Union et équitable pour tous ses États membres. Nous sommes maintenant prêts à soumettre les 20% d’initiatives restantes d’ici à mai 2018. Ce matin, j’ai adressé au Président du Parlement et au Premier ministre estonien, dont je voudrais ici saluer l’action forte qu’il est en train de déployer pour ce qui est de l’Europe, une lettre d’intention précisant les priorités pour l’année à venir. Je ne vais pas et je ne peux pas vous énumérer ici toutes ces propositions, mais permettez-moi d’en mentionner cinq qui sont particulièrement importantes. Premièrement, je voudrais que nous renforcions encore notre programme commercial européen. L’Europe est ouverte au commerce, oui. Mais réciprocité il doit y avoir. Il faudra que nous obtenions autant que ce que nous donnons. Le commerce n’est pas un concept abstrait. Le commerce, ce sont des emplois, ce sont de nouvelles opportunités pour les entreprises européennes, grandes ou petites. Chaque milliard d’exportations en plus représente 14 000 emplois supplémentaires en Europe. Le commerce, c’est l’exportation de nos normes sociales et environnementales, et de nos normes en matière de protection des données ou de sécurité alimentaire. L’Europe a toujours été un espace économique attirant. Mais depuis l’an dernier, j’observe que nos partenaires du monde entier se pressent à notre porte pour conclure des accords commerciaux avec nous. Grâce à l’aide de votre Parlement, nous venons de conclure avec le Canada un accord commercial qui s’appliquera de manière provisoire à compter de la semaine prochaine. Nous avons trouvé un accord politique avec le Japon sur un futur partenariat économique. Et, d’ici la fin de l’année, nous avons de bonnes chances de faire de même avec le Mexique et les pays d’Amérique du Sud. Aujourd’hui, nous proposons d’ouvrir des négociations commerciales avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Je voudrais que tous ces accords soient finalisés d’ici la fin de ce mandat. Et je tiens à ce qu’ils soient négociés dans la plus grande transparence. L’ouverture aux échanges doit aller de pair avec une transparence accrue de nos processus décisionnels. Le Parlement européen aura le dernier mot sur l’ensemble des accords commerciaux. Donc, ses membres tout comme les parlements nationaux et régionaux doivent être tenus parfaitement informés dès le premier jour des négociations. La Commission y veillera. Dorénavant, la Commission publiera l’intégralité des projets de mandats de négociation qu’elle présentera au Conseil. Les citoyens ont le droit de savoir ce que propose la Commission. Fini le manque de transparence, finis les rumeurs et les procès d’intention dont la Commission ne cesse de faire l’objet. J’invite le Conseil à faire de même. Je voudrais dire une fois pour toutes: nous ne sommes pas des partisans naïfs du libre-échange. L’Europe doit toujours défendre ses intérêts stratégiques. C’est la raison pour laquelle nous proposons aujourd’hui un nouveau cadre de l’UE sur l’examen des investissements – « investment screening » en anglais. Si une entreprise publique étrangère veut acquérir un port européen stratégique, une partie de notre infrastructure énergétique ou une de nos sociétés dans le domaine des technologies de défense, cela ne peut se faire que dans la transparence, à travers un examen approfondi et un débat. Il est de notre responsabilité politique de savoir ce qui se passe chez nous afin d’être en mesure, si besoin en était, de protéger notre sécurité collective. Deuxièmement, la Commission voudrait rendre notre industrie plus forte et plus compétitive. C’est en particulier vrai pour ce qui concerne notre base industrielle et les 32 millions de travailleurs qui en constituent la colonne vertébrale. Ce sont eux qui fabriquent les produits de toute première classe – nos voitures, par exemple – auxquels nous devons notre avance par rapport à d’autres. Je suis fier de notre industrie automobile. Mais je suis choqué quand clients et consommateurs sont sciemment et intentionnellement trompés. J’invite l’industrie automobile à faire amende honorable et à corriger le tir. Au lieu de chercher à tromper et à induire en erreur, les constructeurs devraient investir dans les voitures propres qui sont celles de demain. Nous présentons, Mesdames et Messieurs les députés, aujourd’hui même une nouvelle stratégie industrielle qui permettra à notre industrie de rester ou de devenir le numéro un en matière d’innovation, de numérisation et de décarbonisation.
Troisièmement, je voudrais que l’Europe soit à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique. L’année dernière, nous avons fixé des normes climatiques globales avec la ratification de l’accord de Paris ici même, dans cette assemblée. Face à l’affaissement des ambitions dont font preuve les États-Unis, l’Europe doit faire en sorte de rendre grande la planète, qui est la patrie indivisible de l’humanité toute entière. La Commission présentera sous peu une proposition de réduction des émissions de carbone dans le secteur des transports.
Et quatrièmement: je voudrais que nous protégions mieux les Européens à l’ère du numérique. Au cours des dernières années, nous avons fait des progrès notables dans la sécurisation de l’internet. De nouvelles règles, proposées par la Commission, protégeront nos droits de propriété intellectuelle, notre diversité culturelle et nos données à caractère personnel. Nous avons intensifié la lutte contre la propagande terroriste et la radicalisation en ligne. Mais l’Europe reste mal équipée face aux cyberattaques. Les cyberattaques sont parfois plus dangereuses pour la stabilité des démocraties et des économies que les fusils et les chars. Rien que l’année dernière, on a enregistré plus de 4 000 attaques par rançongiciel et 80% des entreprises européennes ont connu au moins un incident lié à la cybersécurité. Les cyberattaques ne connaissent pas de frontières; elles n’épargnent personne. C’est pourquoi la Commission propose aujourd’hui de nouveaux outils, et notamment une Agence européenne de cybersécurité, pour mieux nous défendre contre ces attaques. Cinquièmement: la migrationdoit rester sur notre radar. Même si les questions gravitant autour de la migration ont souvent suscité débats et polémiques, nous sommes parvenus à faire de réels progrès sur de nombreux plans. Aujourd’hui, nous protégeons nos frontières extérieures de façon plus efficace. Plus de 1 700 officiers du nouveau corps de garde-frontières et garde-côtes soutiennent maintenant les 100 000 garde-frontières nationaux des États membres et patrouillent notamment en Grèce, en Italie, en Bulgarie et en Espagne. Nous avons des frontières communes mais les Etats qui sont en première ligne du fait de leur situation géographique ne doivent pas être les seuls responsables de leur protection. Frontières communes et protection commune doivent aller ensemble. Nous sommes parvenus à endiguer les flux de migrants irréguliers, sources de grande inquiétude dans de nombreux pays. Nous avons réduit de 97% le nombre des arrivées irrégulières en Méditerranée orientale grâce à l’accord que nous avons conclu avec la Turquie. Et, cet été, nous avons réussi à mieux contrôler la route de la Méditerranée centrale: les arrivées y ont diminué de 81% en août par rapport au même mois de l’année dernière. De cette manière, nous avons considérablement réduit le nombre des vies humaines perdues en Méditerranée. Je ne peux pas parler de migration sans rendre un hommage appuyé à l’Italie pour sa persévérance et sa générosité. Pendant les mois d’été, la Commission a travaillé en toute harmonie avec le Premier ministre italien, mon ami Paolo Gentiloni, et son gouvernement. Nous l’avons fait et nous continuerons à le faire parce que, en Méditerranée, l’Italie sauve l’honneur de l’Europe. Nous devons aussi et de toute urgence améliorer les conditions de vie des réfugiés en Libye. Je suis atterré par les conditions inhumaines qui prévalent dans les centres de rétention ou d’accueil. Ici, l’Europe a une responsabilité, mais une responsabilité collective, et la Commission agira de concert avec les Nations unies pour mettre fin à cette situation scandaleuse qui ne peut durer. Même si cela m’attriste de voir que tous nos États membres ne montrent pas le même degré de solidarité, l’Europe prise dans son ensemble a continué à faire preuve de solidarité. Rien que l’année passée, nos États membres ont accordé l’asile à plus de 720 000 réfugiés, ou ont pourvu à leur réinstallation. C’est trois fois plus que l’Australie, le Canada et les États-Unis pris ensemble. L’Europe, contrairement à ce qui est dit, n’est pas une forteresse et ne doit jamais le devenir.L’Europe est et restera le continent de la solidarité où doivent pouvoir trouver refuge ceux qui sont poursuivis pour des raisons inacceptables. Je suis particulièrement fier des jeunes Européens qui se portent volontaires pour donner des cours de langue aux réfugiés syriens ou de tous ces jeunes qui, par milliers, se sont mis au service de notre nouveau corps européen de solidarité. Ces jeunes-là donnent vie et couleur à la solidarité européenne. Mais nous devons redoubler d’efforts. À la fin du mois, la Commission présentera une nouvelle série de propositions centrées sur les retours, la solidarité avec l’Afrique et l’ouverture de voies de migration légales. Concernant plus particulièrement les retours, je voudrais répéter que les personnes qui ne sont pas en droit de séjourner en Europe doivent regagner leur pays d’origine. Alors que seulement 36% des migrants en situation irrégulière sont renvoyés, il est évident que nous devons considérablement intensifier notre effort et notre action en la matière. C’est seulement de cette manière que l’Europe pourra faire preuve de solidarité à l’égard des réfugiés qui ont réellement besoin de protection. La solidarité ne peut pas être une affaire exclusivement intra-européenne. Il s’agit aussi de mettre en place une plus grande solidarité avec l’Afrique: Afrique, berceau de l’humanité, continent noble, continent jeune. Notre fonds fiduciaire pour l’Afrique, doté d’une enveloppe de 2,7 milliards d’euros, ouvre des possibilités d’emploi partout sur le continent africain. Mais, alors que le budget de l’UE a assumé le gros du financement, la contribution de tous nos États membres réunis ne s’élève qu’à 150 millions d’euros. Le fonds atteint maintenant ses limites. Nous connaissons ou nous devrions connaître les risques d’une pénurie de financement: en 2015, de nombreux migrants ont voulu rejoindre l’Europe quand et parce que les fonds du Programme alimentaire mondial de l’ONU se sont épuisés. J’invite donc les États membres à joindre le geste à la parole et à veiller à ce que le fonds fiduciaire pour l’Afrique ne connaisse pas le même sort. Le risque est grand. Nous allons aussi travailler à l’ouverture de voies de migration légales. La migration irrégulière ne s’arrêtera que lorsque les migrants auront une autre option que d’entreprendre un voyage périlleux. Nous sommes sur le point de réinstaller 22 000 réfugiés venant de Turquie, de Jordanie et du Liban et je m’associe à l’appel lancé par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés pour réinstaller 40 000 autres réfugiés originaires de Libye et des pays voisins. Pour le reste, l’Europe est un continent qui vieillit, raison de plus pour le doter d’un système de migration légale qui est une nécessité incontournable. C’est la raison pour laquelle la Commission a fait des propositions pour faciliter l’accès des migrants à la carte bleue européenne, et je vous remercie le Parlement de son soutien à cet égard.
HISSONS LES VOILES Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Mesdames et Messieurs les députés, Je n’ai mentionné que quelques-unes des initiatives que nous souhaitons et devons mettre en place au cours des seize prochains mois. Mais cela ne suffira pas pour regagner le cœur et l’esprit des Européens. Nous devons maintenant fixer un cap pour l’avenir. En mars, la Commission a présenté son Livre blanc sur l’avenir de l’Europe, qui décline en cinq scénarii le visage que pourrait prendre l’Europe d’ici à 2025. Ces scénarii ont été débattus, parfois de manière superficielle, parfois avec virulence. Ils ont été analysés et même parfois complètement décortiqués. Je m’en félicite car c’était exactement le but recherché. J’ai voulu lancer ainsi un processus qui permette aux Européens de déterminer eux-mêmes leur propre voie pour l’avenir. L’avenir de l’Europe ne peut pas être dicté par ses seuls dirigeants. Il ne peut être que l’aboutissement d’un débat démocratique débouchant sur un large consensus. Cette assemblée y a activement contribué avec ses trois ambitieuses résolutions sur l’avenir de l’Europe, dont je remercie tout particulièrement les rapporteurs. Mes remerciements vont également à tous les collègues qui ont participé aux plus de 2 000 événements publics que la Commission a organisés depuis mars un peu partout en Europe. Le moment est venu de tirer les premières conclusions de ce débat. Le moment est venu d’aborder la prochaine étape: passer de la réflexion à l’action, du débat à la décision. Je voudrais aujourd’hui vous présenter ma vision des choses: mon «sixième scénario» personnel, si vous voulez. Ce scénario est le fruit de dizaines d’années d’expérience personnelle. Toute ma vie, j’ai vécu, lutté et travaillé pour le projet européen. J’ai été témoin et acteur de bons et de mauvais moments. J’ai occupé bon nombre de sièges autour de la table de négociation: en tant que ministre, Premier ministre, président de l’Eurogroupe, et maintenant président de la Commission. J’étais là, à Maastricht, Amsterdam, Nice et Lisbonne, quand notre Union évoluait et s’élargissait. Je me suis toujours battu pour l’Europe. J’ai parfois souffert à cause de l’Europe. Et même désespéré de l’Europe. Avec l’Union européenne, j’ai aussi traversé des hauts et des bas, mais je n’ai jamais perdu cet amour de l’Europe. Car, c’est bien connu, il n’y pas d’amour sans déconvenue, en tout cas très rarement. Alors il faut aimer l’Europe, parce que dans ce monde troublé, l’Europe et l’Union européenne ont réussi une performance unique, imposer la paix à l’intérieur et la paix à l’extérieur de ses frontières. Et la prospérité si ce n’est pour tous, en tout cas pour un grand nombre. Nous devrions méditer sur cela à l’occasion de l’Année européenne du patrimoine culturel qui doit célébrer en 2018 notre diversité culturelle.
UNE UNION DE VALEURS Être attaché aux mêmes valeurs, nous apporte un sentiment d’appartenance. Pour moi, l’Europe est un projet plus vaste que le marché unique, que la monnaie, que l’euro. Elle a toujours été une question de valeurs. C’est pourquoi mon sixième scénario repose sur trois piliers, trois principes inébranlables: la liberté, l’égalité et l’état de droit.
L’Europe est d’abord une union de la liberté. De la liberté face à l’oppression et à la dictature que notre continent, surtout les pays d’Europe centrale et orientale, ont hélas trop bien connus. Je veux dire la liberté de faire entendre sa voix, en tant que citoyen et en tant que journaliste, cette liberté dont nous pensons bien trop souvent qu’elle relève de l’évidence. Ce sont des valeurs sur lesquelles s’est construite notre Union. Mais la liberté ne tombe pas du ciel. Nous devons nous battre pour qu’elle triomphe. En Europe et dans le monde.
Deuxièmement, l’Europe doit être une union de l’égalité et une union entre égaux. Cela veut dire l’égalité entre ses membres, grands ou petits, de l’Est ou de l’Ouest, du Nord ou du Sud. L’Europe s’étend de Vigo à Varna, de l’Espagne à la Bulgarie. L’Europe doit respirer avec ses deux poumons, avec celui de l’est et avec celui de l’ouest.Sinon notre continent s’essouffle. Dans une Union où tous sont égaux, il ne peut y avoir de citoyens de seconde classe. Il est inacceptable qu’en 2017, des enfants meurent encore de maladies qui auraient dû être éradiquées depuis longtemps en Europe. Les enfants de Roumanie ou d’Italie doivent avoir le même accès aux vaccins contre la rougeole que les enfants d’autres pays européens. Pas de si, ni de mais qui tiennent. C’est la raison pour laquelle nous travaillons avec tous les États membres pour soutenir leurs efforts de vaccination sur le plan national. En Europe on ne peut pas accepter des morts quand elles peuvent être évitées. Dans une Union où tous sont égaux, il ne peut y avoir de travailleurs de seconde classe. Ceux qui font le même travail, sur un même lieu, doivent toucher le même salaire. Les propositions de la Commission sur le détachement des travailleurs visent à assurer cet objectif. Nous devrions faire en sorte que toutes les règles de l’UE en matière de mobilité des travailleurs soient mises en œuvre de manière juste, simple et efficace par un nouvel organisme européen d’inspection et d’application des règles. Il est absurde de disposer d’une Autorité bancaire pour faire appliquer les normes bancaires, mais pas d’une Autorité commune du travail pour veiller au respect de l’équité dans notre marché unique. Nous allons créer une telle autorité. Dans une Union où tous sont égaux, il ne peut pas non plus y avoir de consommateurs de seconde classe. Je ne peux accepter que dans certaines régions d’Europe, en Europe centrale et orientale, les gens se voient proposer des produits alimentaires de moindre qualité que dans d’autres pays, sous des marques et des emballages pourtant identiques. Les Slovaques ne méritent pas d’avoir moins de poisson dans leurs poissons panés, les Hongrois moins de viande dans leurs repas, ou les Tchèques moins de cacao dans leur chocolat. La réglementation de l’UE interdit déjà ce genre de pratiques. Il nous reste à renforcer les moyens dont disposent les autorités nationales pour réprimer ces pratiques illégales partout où elles sont constatées.
Troisièmement : En Europe, la force du droit a remplacé la règle du plus fort. Cela signifie que l’autorité de la loi est garantie par un pouvoir judiciaire indépendant. Appartenir à une Union fondée sur l’état de droit, cela veut dire qu’il faut savoir accepter et respecter un jugement. Nos États membres ont accordé à la Cour de justice de l’Union européenne la compétence pour statuer en dernier ressort. Les jugements de la Cour de justice européenne doivent donc être respectés dans tous les cas. Ne pas le faire ou saper l’indépendance des juridictions nationales, revient à déposséder les citoyens de leurs droits fondamentaux. L’état de droit n’est pas une option dans l’Union européenne. C’est une obligation. Notre Union n’est pas un État mais elle doit être une communauté de droit. UNE UNION PLUS UNIE Ces trois principes, – liberté, égalité et état de droit – doivent rester les fondations sur lesquelles nous construirons une Union plus forte, plus unie et plus démocratique. Quand nous parlons de l’avenir, je sais d’expérience que de nouveaux traités et de nouvelles institutions ne sont pas les réponses attendues. Ce ne sont là que des moyens de parvenir à une fin – ni plus, ni moins. De nouveaux traités, de nouvelles institutions, cela nous parle, à nous, ici; à Strasbourg ou à Bruxelles. Ailleurs, ils ne veulent pas dire grand-chose. Les réformes institutionnelles ne m’intéressent que si elles contribuent à rendre notre Union européenne plus efficace. Au lieu de se lancer tête baissée dans de futurs changements de traités, qui devront venir un jour ou l’autre, nous devrions tout d’abord nous défaire de l’idée qui voudrait qu’on ne puisse gagner que si d’autres perdent. La démocratie est une question de compromis. Et avec de bons compromis, tout le monde est gagnant à long terme. Dans l’Union européenne les compromis ne sont ni négatifs, ni diffamants, ils permettent, au contraire, de combler et de réconcilier les différences. Celui qui n’est pas capable de faire des compromis n’est pas mûr pour la démocratie ni pour l’Europe. Pour renforcer son unité, l’Union européenne doit aussi devenir plus inclusive. Si nous voulons protéger nos frontières extérieures et, à juste titre, les renforcer encore davantage, nous devons laisser la Bulgarie et la Roumanie rejoindre immédiatement l’espace Schengen.Nous devrions aussi permettre à la Croatie d’en devenir membre à part entière, une fois que tous les critères seront remplis. Si nous voulons que l’euro unisse notre continent plutôt que de le diviser, il faut qu’il soit plus que la monnaie de quelques. L’euro a vocation à devenir la monnaie unique de toute l’Union européenne. Tous nos États membres, sauf deux, ont le droit et l’obligation d’adopter l’euro dès qu’ils rempliront les conditions. Les Etats membres qui veulent intégrer la zone euro doivent aussi avoir la capacité de le faire. C’est la raison pour la laquelle je propose la création d’un instrument d’adhésion à l’euro, offrant une assistance de pré-adhésion technique et parfois financière. Si nous voulons que les banques soient soumises aux mêmes règles et à la même surveillance sur l’ensemble de notre continent, nous devons encourager tous les États membres à rejoindre l’union bancaire. Pour cela, il nous faut réduire les risques qui existent encore dans les systèmes bancaires de certains de nos États membres. L’union bancaire ne peut fonctionner que si la réduction et le partage de ces risques vont de pair. Pour y parvenir, comme chacun le sait, certaines conditions préalables doivent être remplies, comme la Commission l’a proposé en novembre 2015. Il ne pourra y avoir de garantie des dépôts commune qu’à partir du moment où chacun se sera mis en ordre sur le plan national. Et si nous voulons mettre fin à la fragmentation et au dumping social en Europe, les Etats membres devront se mettre d’accord sur le socle européen des droits sociaux aussi rapidement que possible, et au plus tard lors du sommet de Göteborg en novembre. Les systèmes sociaux nationaux resteront encore pour longtemps divers et distincts. Mais nous devrions au minimum nous mettre d’accord sur une union européenne des normes sociales, pour déterminer ensemble ce qui est juste et injuste dans notre marché intérieur. J’en reste convaincu: si l’Europe veut réussir, elle ne peut pas délaisser ses travailleurs. Mesdames et Messieurs, si nous voulons plus de stabilité dans notre voisinage, nous devons aussi offrir des perspectives d’élargissement crédibles aux Balkans occidentaux. Il n’y aura pas de nouveaux pays membres durant le mandat de cette Commission et de ce Parlement, parce que les critères d’adhésion ne sont pas remplis. Mais dans les années qui viennent l’Union européenne comptera plus de 27 membres. Pour tous les pays candidats à l’adhésion, une priorité absolue doit être donnée, dans les négociations, au respect de l’état de droit, de la justice et des droits fondamentaux. Cela exclut une adhésion de la Turquie à l’UE dans un avenir proche. Depuis un certain temps, la Turquie s’éloigne à pas de géants de l’Union européenne. La place des journalistes est dans les rédactions, là où règne la liberté d’expression. Leur place n’est pas dans les prisons. J’en appelle aux autorités turques: libérez les journalistes, et pas seulement les nôtres. Arrêtez d’insulter nos États membres et nos chefs d’état et de gouvernement en les traitant de fascistes ou de nazis. L’Europe est un continent composé de démocraties mûres. Mais celui qui offense délibérément se ferme la route vers notre Union. J’ai parfois le sentiment que la Turquie cherche à fermer ce chemin pour rendre ensuite l’Union européenne responsable d’un échec des négociations d’adhésion. De notre côté, nous garderons toujours la main tendue en direction du grand peuple turc et de tous ceux qui sont disposés à coopérer avec nous sur la base de nos valeurs.
UNE UNION PLUS FORTE Mesdames et Messieurs, Je veux que notre Union soit plus forte, ce qui suppose un marché intérieur plus fort. Je voudrais que sur les questions importantes concernant ce marché les décisions puissent être plus souvent et plus facilement prises au Conseil à la majorité qualifiée avec une participation égale du Parlement européen. Il n’est pas nécessaire de modifier les traités pour cela. Il existe des clauses dites « passerelles » dans les traités actuels qui nous permettent de passer au vote à la majorité qualifiée au lieu de l’unanimité dans certains cas, à condition que le Conseil européen le décide à l’unanimité. Je suis d’avis que nous devrions introduire le vote à la majorité qualifiée sur les décisions concernant l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, la TVA, une fiscalité juste pour l’industrie numérique et la taxe sur les transactions financières.
L’Europe doit être capable de décider plus rapidement et plus efficacement, et cela vaut aussi pour l’Union économique et monétaire. La zone euro est aujourd’hui plus robuste qu’elle ne l’a jamais été. Nous avons notamment créé un mécanisme européen de stabilité (MES). Je pense que le MES devrait maintenant évoluer progressivement vers un Fonds monétaire européen, qui doit toutefois être fermement ancré dans les règles et les compétences de l’Union européenne. La Commission fera des propositions concrètes en ce sens en décembre. Il nous faut un ministre européen de l’économie et des finances, qui encourage et accompagne les réformes structurelles dans nos États membres. Il pourra s’appuyer sur le travail mené par la Commission depuis 2015 dans le cadre de son service d’appui à la réforme structurelle. Ce ministre européen de l’économie et des finances devrait coordonner l’ensemble des instruments financiers de l’UE si un État membre entre en récession ou est frappé par une crise menaçant son économie. Je ne plaide pas pour la création d’une nouvelle fonction. Pour des raisons d’efficacité, je plaide pour que cette tâche soit confiée au commissaire européen en charge de l’économie et des finances – idéalement vice-président de la Commission européenne – et président de l’Eurogroupe. Ce ministre européen de l’économie et des finances sera bien évidemment responsable devant ce Parlement européen. Nous n’avons pas besoin de structures parallèles. Par conséquent, nous n’avons pas besoin d’un budget de l’euro distinct, mais d’une ligne budgétaire conséquente dédiée à l’euro zone dans le cadre de notre budget de l’UE. Je n’ai pas de sympathie pour l’idée d’un Parlement spécifique de la zone euro. Le Parlement de la zone euro est le Parlement européen.
L’Union européenne doit aussi être plus forte en matière de lutte contre le terrorisme. Ces trois dernières années, nous avons fait des progrès mais nous ne réagissons pas assez rapidement en cas de menaces terroristes transfrontalières. Je plaide pour la création d’une cellule européenne de renseignement chargée de veiller à ce que les données relatives aux terroristes et aux combattants étrangers soient automatiquement échangées entre les services de renseignement et la police. De même, il me paraît tout à fait indiqué de charger le nouveau parquet européen de poursuivre les auteurs d’infractions terroristes transfrontalières.
L’Union européenne doit avoir aussi plus de poids sur la scène internationale. Et pour ce faire, elle doit être capable de prendre plus rapidement des décisions de politique étrangère. Je voudrais que les États membres examinent quelles sont les décisions de politique extérieure qui pourraient être adoptées non plus à l’unanimité, mais à la majorité qualifiée. Le traité le permet, si Conseil européen le décide à l’unanimité.Pour travailler efficacement, nous avons besoin de décisions prises à la majorité qualifiée dans le domaine de la politique extérieure. En matière de défense, des efforts supplémentaires sont nécessaires. La création d’un Fonds européen de la défense est à l’ordre du jour. La coopération structurée permanente dans le domaine de la défense est en bonne voie. D’ici à 2025, nous devrions disposer d’une union européenne de la défense opérationnelle. Nous en avons besoin. Et l’OTAN y est favorable.
Enfin, et dans la droite ligne des efforts menés par la Commission ces dernières années, je voudrais que notre Union se concentre davantage sur ce qui compte réellement. Nous ne devons pas agacer les citoyens européens avec des règlements qui régissent les moindres détails de leurs vies. Nous devrions être visibles sur les grands enjeux. Nous ne devons pas proposer sans cesse de nouvelles initiatives ou chercher à assumer des compétences toujours plus vastes. Nous devrions rétrocéder des compétences aux États membres dans des domaines où cela fait du sens. C’est la raison pour laquelle cette Commission s’est efforcée d’être plus ambitieuse sur les grands enjeux, et plus discrète sur les dossiers de moindre importance. Elle a ainsi proposé moins de 25 initiatives nouvelles par an, alors que les Commissions précédentes en présentaient bien plus de 100. Afin de mener à bon terme le travail que nous avons entamé, nous allons créer d’ici la fin du mois une task force «Subsidiarité et proportionnalité» pour regarder de plus près toutes nos politiques, afin que l’Europe n’agisse que là où elle a une vraie valeur ajoutée. Le premier vice-président, mon ami Frans Timmermans, qui a déjà mis toute son énergie dans le «mieux légiférer», présidera à cette task-force. Cette task-force Timmermans devrait comprendre des membres du Parlement européen ainsi que des parlements nationaux. Elle devrait présenter un rapport de ses travaux dans un an.
UNE UNION PLUS DÉMOCRATIQUE Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Notre Union a besoin d’un saut démocratique. Je souhaiterais que les partis politiques européens lancent leurs campagnes pour les prochaines élections européennes plus tôt que par le passé. Trop souvent, les campagnes électorales européennes ont été réduites à une simple addition des propositions électorales nationales. La démocratie européenne mérite mieux. Aujourd’hui, la Commission propose de nouvelles règles sur le financement des partis et des fondations politiques. Il s’agit de ne pas renflouer les caisses des extrémistes qui sont contre l’Europe. Il s’agit de permettre aux partis européens de mieux pouvoir s’articuler. Je n’ignore pas que l’idée est contestée par plus que quelques-uns, mais je dois vous dire que j’ai de la sympathie pour présenter des listes transnationales aux élections européennes. Et j’essaierai de convaincre le président de mon groupe parlementaire de me suivre dans cette ambition, qui ajoute de la démocratie et de la clarté à l’Europe. Je pense également qu’au cours des prochains mois, nous devrions associer les parlements nationaux et la société civile au niveau national, régional et local aux travaux sur l’avenir de l’Europe. Au cours des trois dernières années, comme nous l’avions promis, les membres de la Commission ont rendu visite aux parlements nationaux à plus de 650 reprises. Ils ont participé à plus de 300 dialogues avec les citoyens dans plus de 80 villes dans 27 États membres. C’est pourquoi je soutiens l’idée du président Macron d’organiser des conventions démocratiques dans toute l’Europe en 2018. À mesure que le débat se développera, j’accorderai une attention particulière à l’Estonie, à la Lettonie, à la Lituanie et à la Roumanie. 2018 est l’année où ces quatre pays célébreront leur 100eanniversaire. Ceux qui ont pour ambition de façonner l’avenir de notre continent doivent connaître et honorer notre histoire commune et donc l’histoire des quatre pays mentionnés, pays sans lesquels l’Union européenne ne serait pas complète. Le besoin de renforcer la démocratie et la transparence a également des conséquences pour la Commission européenne. Aujourd’hui, je transmets au Parlement européen un nouveau code de conduite des commissaires. Tout d’abord, ce nouveau code précise que les commissaires peuvent se présenter dans des conditions normales comme candidats aux élections européennes. Il est évident que le nouveau code renforcera les obligations des commissaires en matière d’intégrité, pendant et après leur mandat. Qui veut renforcer la démocratie européenne ne peut pas accepter que le petit progrès démocratique que constitua l’innovation des têtes de liste – « Spitzenkandidaten » – ne soit pas renouvelé. Je voudrais que l’expérience soit poursuivie. Plus de démocratie veut dire plus d’efficacité. L’efficacité européenne gagnerait en force si nous pouvions fusionner les présidences du Conseil européen et de la Commission européenne. Cette proposition ne vise en rien mon excellent ami Donald, avec qui je collabore harmonieusement et en intimité de complicité depuis le début de notre mandat. Cette proposition ne vise ni Donald ni moi-même. Le paysage européen serait tout simplement plus lisible et plus compréhensible si le navire européen était piloté par un seul capitaine. Le fait d’avoir un seul président refléterait mieux la véritable nature de notre Union européenne, à la fois comme Union des États et comme Union des citoyens.
NOTRE FEUILLE DE ROUTE Mes chers collègues, La vision d’une Europe plus unie, plus forte et plus démocratique que je présente aujourd’hui associe des éléments de tous les scénarii que je vous ai exposés en mars dernier. Mais notre avenir ne peut pas rester un simple scénario, une esquisse, une idée parmi d’autres. C’est aujourd’hui que nous devons préparer l’Union de demain. J’ai envoyé ce matin au président Tajani, au président Tusk ainsi qu’aux futures présidences tournantes du Conseil d’ici à mars 2019, une feuille de route indiquant la direction que nous devrions suivre. Sont importantes à cet égard les propositions budgétaires que la Commission présentera en mai 2018. Là encore, nous avons le choix: soit nous cantonnons les ambitions de l’Union européenne dans le cadre stricte du budget actuel soit nous augmentons la capacité budgétaire de l’Union européenne pour qu’elle puisse mieux répondre à ses ambitions. Je suis pour la deuxième solution. Le 29 mars 2019, le Royaume-Uni quittera l’Union européenne. Ce sera à la fois un moment triste et tragique. Nous le regretterons toujours. Mais nous devons respecter la volonté du peuple britannique. Mais nous allons avancer, nous allons avancer parce que le Brexit n’est pas tout, parce que le Brexit ce n’est pas le futur de l’Europe. Le 30 mars 2019, nous serons une Union à 27. Je propose que nous nous y préparions bien. Les élections au Parlement européen auront lieu à peine quelques semaines plus tard, en mai 2019. Ce sera un rendez-vous important avec la démocratie européenne. Il faudra que les citoyens européens se rendent aux urnes en ayant une vision claire de la manière dont l’Union européenne évoluera dans les années à venir. C’est pourquoi j’en appelle au président Tusk et à la Roumanie, qui exercera la présidence au cours du premier semestre de 2019, d’organiser un sommet spécial en Roumanie, le 30 mars 2019. Mon vœu serait que ce sommet se tienne dans la belle ville de Sibiu, également connue sous le nom de Hermannstadt. Cela devrait être le moment de nous réunir pour prendre les décisions nécessaires à la construction d’une Europe plus unie, plus forte et plus démocratique. Mon espoir est que, le 30 mars 2019, les Européens se réveilleront dans une Union où nous défendons toutes nos valeurs. Où tous les États membres respecteront sans nuances l’état de droit. Où être un membre à part entière de la zone euro, de l’union bancaire, et de l’espace Schengen soit devenu la norme pour tout un chacun. Où nous aurons consolidé les fondements de notre Union économique et monétaire afin de pouvoir défendre notre monnaie unique dans toutes les circonstances, bonnes ou mauvaises, sans avoir à recourir à une aide extérieure. Où notre marché unique sera plus équitable pour les travailleurs de l’est comme de l’ouest. Je voudrais que les Européens puissent se réveiller dans une Europe où nous aurons réussi à nous mettre d’accord sur un solide socle de normes sociales. Où les bénéfices seront imposés là où ils sont réalisés. Où les terroristes ne trouveront aucune faille à exploiter. Et où nous nous serons mis d’accord sur la création d’une véritable union européenne de la défense. Où un président unique conduira à terme les travaux de la Commission et du Conseil européen, après avoir été élu à l’issue d’une campagne électorale pan-européenne démocratique. Monsieur le président, si, le 30 mars 2019, nos citoyens se réveillent dans cette Union-là, l’Union européenne sera une union qui aura répondu à leurs attentes justifiées.
CONCLUSION Mesdames et Messieurs les députés, Helmut Kohl et Jacques Delors, que j’ai eu l’honneur de côtoyer, m’ont appris que l’Europe n’avance que quand elle fait preuve d’audace. Le marché unique, l’espace Schengen, la monnaie unique: voilà des idées et des projets qui ont été considérés, lorsqu’ils furent nés, comme des simples vues d’esprit. Pourtant, aujourd’hui ces trois réalisations majeures font partie de notre quotidien. Maintenant que l’Europe va mieux, on me dit de ne pas surcharger la barque européenne. Mais il ne faut pas, à l’heure où nous sommes, pécher par excès de prudence. Nous sommes en train de réparer le toit de l’Europe. Mais, aujourd’hui et demain, nous devons patiemment, étage par étage, moment après moment, inspiration après inspiration, continuer à ajouter des nouveaux étages à la maison Europe. Il faut parachever la maison Europe, maintenant qu’il fait beau, et tant qu’il fait beau. Parce que, quand les nuages se formeront à l’horizon – et ils vont se former un jour – il aura été trop tard. Alors, larguons les amarres -« Leinen los », comme disent les Allemands -Mettons les voiles Et profitons des vents favorables.
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