GDS Gabriel : Un rapport commandé par Paris et Berlin sur l’elargissement de l’UE préconise des réformes substantielles de l’Union, avant de pouvoir accueillir de nouveaux entrants, à l’heure où l’Ukraine et la Moldavie frappent à la porte… Le retour de l’éternel débat ? Clefs de lecture…
Les pays candidats sont trop nombreux et dispersés dans leur avancement pour rendre crédible une date-limite commune d’entrée en bloc dans l’UE. Une adhésion graduelle éviterait la cristallisation du débat autour d’une date-butoir et permettrait d’opérer progressivement un élargissement auquel l’UE doit aussi se préparer et engager l’opinion
Les dernières élections européennes, en 2019, s’étaient déroulées dans un contexte post-Brexit, où plus aucune formation politique n’osait plaider en faveur d’une sortie de l’Union. Aux prochaines élections de 2024, c’est au contraire l’élargissement de l’UE qui risque d’être source de clivage. Charles Michel a raison de lancer un débat sur ce thème stratégique au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, lors d’un sommet informel prévu le 6 octobre à Grenade. Mais le président du Conseil européen ne devrait pas l’aborder par la question étroite et politiquement glissante de la date d’adhésion. « Être prêts à élargir pour 2030 », comme il l’a proposé dans son intervention au forum de Bled (Slovénie) le 28 août dernier, apparaît inadapté aux circonstances du présent processus.
Certes, les pays candidats souhaitent que les Vingt-Sept s’engagent sur une échéance claire. Dans une déclaration commune le 11 septembre à Skopje (Macédoine du Nord), les dirigeants des Balkans occidentaux ont demandé à ce que l’UE retienne avec eux l’objectif d’un élargissement « pas plus tard que 2030 ».
Fixer une date d’échéance présente d’indéniables vertus d’entraînement. Jacques Delors y a eu recours pour la relance du marché unique (« Europe 92 ») puis pour la création de la monnaie unique, traçant ainsi un horizon mobilisateur et un agenda serré pour y parvenir. Les Vingt-Sept sont actuellement engagés par un objectif de neutralité carbone pour 2050, qui a permis de décliner d’autres dates-butoirs intermédiaires légalement contraignantes. Mais ces cibles ont davantage servi des thèmes d’approfondissement de l’UE que d’élargissement.
Celui à venir ne se prête pas mieux à ce type d’indication temporelle. Un même horizon a du sens lorsqu’il vise un nombre restreint de pays dans des états comparables de préparation – il est alors bienvenu. Cette fois, l’élargissement concerne pas moins de neuf pays (six des Balkans, Ukraine, Moldavie et éventuellement Géorgie), avec une large hétérogénéité dans leur avancement, sans compter le cas controversé et quasi-abandonné de la candidature turque. Au sein même des Balkans occidentaux, les situations demeurent contrastées, tout comme diffèrent les dates de demandes d’adhésion. La candidature du Monténégro émerge comme la plus avancée de la région (33 chapitres ouverts sur 35, à ce jour – mais très peu de clos). A l’opposé, la fragile Bosnie-Herzégovine voisine, fraîchement reconnue candidate, attend encore l’ouverture des négociations d’adhésion tandis que le Kosovo, dont les relations avec Belgrade restent tendues, ne jouit pas encore du statut officiel de candidat, ni même de celui d’Etat reconnu pour cinq Etats membres de l’UE. La proximité géographique ne doit donc pas masquer une forte disparité « étatique ». Par ailleurs, l’Ukraine, en raison de ses dimensions, donc de son futur poids dans l’UE, et de la guerre avec la Russie toujours lourde d’incertitudes, se trouve dans une situation incomparable par rapport aux autres pays candidats. Il ne peut donc y avoir de one-date-fits-all[1] et d’entrée en bloc.
Bien entendu, l’horizon 2030 avancé ne se voudrait à ce stade qu’indicatif. Charles Michel a rappelé à Bled que le processus d’élargissement restait fondé sur le seul mérite, autrement dit sur la trajectoire d’adhésion individuelle propre à chaque candidat. L’expérience des précédents élargissements montre que les durées de préparation sont variables selon les pays. Mais si 2030 parvenait, au fil des années et à force d’être repris et martelé, à s’imposer comme une date politiquement indépassable, engageant de fait l’Union, il deviendrait tout aussi politiquement intenable, du moins très délicat, d’écarter certains pays moins préparés que leurs voisins à cette échéance. Le fondement d’adhésion sur le mérite en serait érodé. Le précédent de 2004, qui a vu l’UE s’élargir de 15 à 25 Etats membres en une seule vague et non deux comme initialement envisagé, a montré la difficulté de résister à une telle pression politique régionale, même sans date-cible préalable retenue. Seules les entrées de la Bulgarie et de la Roumanie avaient alors été repoussées à 2007 tandis que d’autres adhésions, qui auraient pu se produire avant 2004, n’ont pas eu lieu pour privilégier une entrée en bloc.
A l’inverse, ne pas tenir la promesse de 2030, si elle était engagée, serait tout aussi politiquement désastreux. Pour les Balkans, la perspective d’adhésion est ouverte depuis le sommet de Thessalonique de 2003 (!) L’enlisement du processus, jusqu’à sa relance à la suite de la guerre en Ukraine, a entraîné frustrations dans les opinions publiques et découragements à réformer parmi les pays de la région. Dans ces conditions de défiance à l’égard des promesses européennes, un endossement par les Vingt-Sept d’un horizon pour 2030, donné à titre indicatif, serait soit accueilli avec scepticisme dans la région, soit pris au mot et instrumentalisé par les candidats en engagement politique ferme de l’UE, au risque de faire de l’adhésion un dû à cette échéance et de cette dernière, un piège.
A ce stade, il apparaît loin d’être acquis que la réunion informelle du Conseil européen à Grenade retienne la visée de 2030, soutenue par le tout récent rapport du groupe franco-allemand d’experts indépendants[2]. Cette même date-cible avait déjà été proposée, en vain, par la présidence slovène il y a exactement deux ans, le 6 octobre 2021 à Brdo, lors d’un sommet UE-Balkans occidentaux. « Je ne crois pas à un délai qui ne ferait que nous mettre sous pression, que les conditions soient remplies ou non », avait alors justifié Angela Merkel. Dans son discours sur l’état de l’Union, le 13 septembre dernier, Ursula von der Leyen n’a pas non plus repris l’échéance de 2030, ni toute autre date-limite.
Le refus d’une date ne devrait pas pour autant être synonyme de relâchement dans la préparation à un élargissement, dont la guerre a fait un impératif géopolitique pour l’UE. Charles Michel et d’autres dirigeants européens plaident à raison le besoin pour les Vingt-Sept de s’y atteler. Il s’agit d’abord d’intensifier les négociations d’adhésion avec les pays candidats. L’idée du groupe franco-allemand d’experts de progresser dans les chapitres sectoriels à négocier à la majorité qualifiée et non plus à l’unanimité, source inévitable de blocages, est bienvenue.
La préparation de l’UE couvre bien sûr plus globalement son organisation et fonctionnement. Dans cette perspective, la présidente de la Commission a annoncé des pré-examens des politiques publiques européennes en vue d’une Union à « 30+ » membres. La tâche est immense et marquera assurément la prochaine mandature européenne. Une date d’échéance des travaux préparatoires à l’élargissement que retiendraient les Vingt-Sept aurait ici du sens.
A cet égard, si 2030 offre la clarté d’une date ronde aisément identifiable, elle se situe au-delà du prochain cycle institutionnel européen qu’ouvre la législature 2024-2029. Les Vingt-Sept devraient s’engager à avoir réformé les institutions de l’UE avant le terme de ce nouveau cycle et sans que cela n’exige un nouveau traité au destin trop incertain devant cette échéance. La conception et la négociation du prochain cadre financier pluriannuel post-2027 devront aussi anticiper l’élargissement.
Tandis que les Vingt-Sept prépareront l’Union à nouvelle échelle et à une nouvelle page de son histoire, le prochain cycle institutionnel européen ne devrait pas se dérouler sans quelque(s) nouvelle(s) adhésion(s). La dernière entrée, la Croatie en 2013, remonte à plus de dix ans. Les deux précédentes législatures (2014-2019, et 2019-2024) n’ont connu aucune adhésion. Une troisième législature sans adhésion risquerait de décrédibiliser le nouvel élan donné à l’élargissement depuis la guerre. Prévenir d’emblée qu’aucune entrée ne se produira tant que les Vingt-Sept n’ont pas achevé leurs réformes internes institutionnelles découragerait les pays-candidats[3]. Au contraire, l’entrée durant la prochaine législature d’un, deux voire trois nouveaux Etats-membres (regatta) apporterait la preuve que de nouvelles adhésions sont pleinement possibles et reposent sur le mérite. Si l’entrée de la Croatie n’a pas pu jouer ce rôle, de nouvelles entrées dans le contexte actuel de regain géostratégique pour l’élargissement entraîneraient une émulation entre candidats qui serait moins assurée par une échéance indicative d’entrée en bloc, avec sa part d’arbitraire. Et leur échelonnement éviterait de faire de l’élargissement un deuxième ‘Big Bang’ désarçonnant pour les opinions dans les Etats membres, comme celui de 2004 le fût en France.
Le débat sur une date-limite d’entrée devrait surtout laisser la place à celui sur une autre approche de l’élargissement qu’est l’adhésion graduelle. Cette dernière, qui prévoit une entrée politique, financière et institutionnelle progressive d’un pays candidat au sein de l’UE, par étapes successives[4], engage autant et immédiatement toutes les parties au processus, Etats membres et candidats. Elle fait sortir l’élargissement d’une logique binaire du « tout ou rien », à laquelle obéit encore le concept de date-limite commune d’entrée en bloc. L’adhésion graduelle permet justement de sortir de questions inutilement passionnées de date-butoir, comme Kiev en soulève trop souvent sur la place publique et à laquelle 2030 paraît d’abord répondre.
A ce sujet, écarter une date d’entrée en bloc ne doit pas conduire les chefs d’Etat et de gouvernement à évacuer tout débat public sur l’élargissement, d’en assumer ouvertement la nécessité géopolitique. L’adhésion, même graduelle, ne saurait se faire a catimini. Alors que les Vingt-Sept devront se prononcer en décembre prochain sur l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie, l’élargissement s’annonce comme un thème incontournable –et redoutable- de la campagne des élections européennes, durant laquelle surviendra cette décision. Il sera indissociable d’un débat sur le fonctionnement de l’UE et de son approfondissement par de nouveaux formats d’intégration. Des adhésions à petits pas maîtrisés seront sans doute mieux comprises et admises qu’un nouveau Big Bang pour dans sept ans.
Maillard, S. 2023. « Élargissement : 2030 n’est pas la question », Blogpost, Paris : Institut Jacques Delors, septembre.
Élargissement : 2030 n’est pas la question – Institut Jacques Delors (institutdelors.eu)
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Elargissement : quand l’Union européenne pourra-t-elle accueillir de nouveaux Etats membres ?
Ukraine, Moldavie, Balkans, Turquie… Les prétendants à l’intégration européenne ne manquent pas. Mais beaucoup estiment que l’UE ne pourra compter de nouveaux Etats membres sans réformer son fonctionnement.
Ils sont nombreux à frapper à sa porte. Mais quand l’Union européenne pourra-t-elle l’ouvrir ? La question se pose avec insistance car huit pays ont le statut de candidat à l’adhésion. Et d’importantes échéances approchent. En décembre, les Vingt-Sept pourraient notamment décider s’ils ouvrent ou non les négociations d’adhésion à l’Ukraine et à la Moldavie, officiellement candidates à l’UE depuis juin 2022. Mais beaucoup au sein des Etats membres considèrent que pour être en mesure d’accueillir de nouveaux pays, l’Union doit se réformer, sous peine de s’affaiblir voire d’être paralysée.
Une question géopolitique
L’élargissement revêt une forte dimension géopolitique. Le 28 février 2022, quatre jours seulement après avoir été envahie par la Russie, l’Ukraine dépose sa candidature à l’UE, marquant son souhait de s’arrimer durablement à Bruxelles et non à Moscou. Elle est suivie quelques jours plus tard, le 3 mars 2022, par la Moldavie et la Géorgie, également désireuses de se détacher de l’influence russe. Preuve de l’importance du sujet pour les Etats membres, ces derniers ne mettent que quelques mois à accorder le statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie, le 23 juin 2022. Un délai particulièrement rapide. Quant à la Géorgie, il lui est demandé de fournir des efforts supplémentaires.
Dans les Balkans occidentaux, où six pays – Macédoine du Nord, Serbie, Monténégro, Albanie, Bosnie-Herzégovine et Kosovo – ont déposé leur candidature à l’UE, l’élargissement est aussi une question éminemment géopolitique. Car là aussi des luttes d’influence se jouent et impliquent encore une fois, entre autres, la Russie. Dans la région, les candidatures sont souvent plus anciennes. La Macédoine du Nord a par exemple obtenu le statut de candidat dès 2005. Certains de ces pays attendent ainsi dans l’antichambre de l’UE depuis des années.
Conscients de cette situation, et ne souhaitant pas que les Balkans occidentaux s’éloignent vers d’autres partenaires, les Vingt-Sept ont multiplié les signes d’ouverture depuis 2022. Le 19 juillet 2022, ils ont entamé les négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie. Les deux pays attendaient cette décision depuis qu’ils avaient obtenu le statut de candidat, il y a respectivement 17 et 8 ans. Le 15 décembre 2022, les Etats membres ont accordé ce même statut à la Bosnie-Herzégovine, qui avait fait acte de candidature en 2016.
Parmi les prétendants à l’intégration européenne, la Turquie est un Etat à part. Le pays est officiellement candidat à l’UE depuis 1999 et les négociations d’adhésion ont débuté en 2005. Mais celles-ci ont été considérées “au point mort” par le Conseil de l’UE en 2019. L’état de droit joue un rôle important dans ce gel des négociations. Recep Tayyip Erdoğan, à la tête de l’Etat turc depuis 2003, s’est notamment construit un pouvoir personnel et de plus en plus autoritaire, contraire aux standards démocratiques de l’UE.
Indispensables réformes ?
Le contexte ne permet pas à l’UE d’attendre et la somme d’apporter des réponses aux Etats candidats. C’est en tout cas que ce qu’estime le président du Conseil européen Charles Michel, qui a considéré fin août que les Vingt-Sept devaient être prêts à accueillir de nouveaux membres d’ici à 2030. “Si nous voulons être crédibles, nous devons parler de calendrier”, a-t-il affirmé. Mais pour lui, comme pour la France et l’Allemagne, l’élargissement demande de réformer l’UE au préalable ou concomitamment. Une position défendue par un rapport d’experts franco-allemands sur le sujet, remis aux ministres des Affaires européennes le 19 septembre dernier.
Intitulé “Naviguer en haute mer : réformer et élargir l’Union européenne”, ce document est le fruit du travail de 12 politologues, sous la direction du Français Olivier Costa et de l’Allemande Daniela Schwarzer. Pour eux, l’UE n’est pas prête à accueillir de nouveaux Etats membres avec son fonctionnement actuel. Ils proposent ainsi des pistes pour l’améliorer. Des préconisations qui, précisent-ils, valent même sans élargissement.
Au menu figure notamment une révision de la règle de l’unanimité au Conseil, qui serait limitée aux questions de politique étrangère, de sécurité et de défense. Car aujourd’hui, un pays peut à lui seul bloquer certaines décisions européennes avec son droit de veto. A l’image de la Hongrie, épinglée pour ses dérives en matière d’état de droit, qui en use régulièrement pour faire pression sur les autres Etats membres. Un risque qui serait démultiplié avec l’arrivée d’autres pays dans l’UE.
Les auteurs du rapport préconisent aussi une révision de la règle de la majorité qualifiée, qui remplacerait l’unanimité, pour donner plus de poids aux petits Etats. Concernant l’état de droit, des procédures simplifiées pour le faire respecter sont proposées. Certains pays comme la Hongrie et la Pologne le mettant à mal depuis des années et les mécanismes engagés à leur égard ont des effets limités. Là encore, le but est de mieux lutter contre de telles dérives et d’éviter que cette situation ne se reproduise avec de futurs Etats membres.
Pour gagner en efficacité, les 12 politologues français et allemands suggèrent une “différenciation”, équivalant à une “Europe à plusieurs vitesses”, avec quatre niveaux d’intégration. Le premier correspondrait aux pays qui participent aux politiques les plus intégrées de l’UE, comme la zone euro ou l’espace Schengen. Le second à l’ensemble des Etats membres. Le troisième aux pays qui ne participent qu’au marché unique sans appartenir à l’UE. Enfin, d’autres coopérations pourraient s’exercer dans le cadre de la Communauté politique européenne. Lancée en octobre 2022, celle-ci rassemble 47 pays de l’Europe géographique.
Des échéances clés
L’élargissement et ses conditions devraient occuper pour partie les discussions des chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept, qui se réuniront vendredi 6 octobre pour un Conseil européen informel à Grenade, en Espagne. Les débats promettent de ne pas manquer de relief, les positions des pays de l’UE étant loin d’être unanimes.
Si la France et l’Allemagne considèrent que l’élargissement doit aller de pair avec la réforme, les pays du Nord et d’Europe centrale et orientale se sont souvent montrés plus souples vis-à-vis de l’extension géographique de l’UE. Ils pourraient donc défendre une accession des Etats candidats plus rapide et moins liée à des changements structurels.
Annoncé pour fin octobre ou début novembre, le rapport annuel de la Commission européenne sur l’élargissement est très attendu. L’exécutif devrait notamment faire savoir s’il recommande l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Ukraine et à la Moldavie. C’est sur cette base que les Vingt-Sept pourraient décider de les entamer, lors du Conseil européen des 14 et 15 décembre prochains à Bruxelles.
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Élargir et réformer l’Union : la feuille de route du « Groupe des Douze »
Dans Guerre et Paix, Tolstoï s’interroge sur les ressorts de l’Histoire. Est-elle le produit des décisions de quelques individus, placés dans des positions-clefs, ou d’un mouvement irrésistible, qui emporterait tout sur son passage ? Au fil du roman, il déploie une vision fataliste du destin de l’humanité, où le libre-arbitre tient peu de place, et où les acteurs ne sont que les jouets de processus forgés par un déterminisme inéluctable. Aujourd’hui encore, pareille interrogation irrigue les débats académiques, entre les partisans d’une approche individualiste des phénomènes sociaux, politiques et historiques, et les tenants d’une lecture plus structuraliste.
Qu’elle soit le fait d’un homme seul ou le résultat de logiques profondes et anciennes, la décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine a changé le destin de l’Union européenne. Il y a 18 mois encore, la perspective de son élargissement et de sa réforme semblait lointaine et ne préoccupait qu’une poignée de responsables politiques. Aujourd’hui, ces enjeux figurent tout en haut de l’agenda européen, et la Présidence espagnole du Conseil de l’Union entend bien, lors du sommet informel de Grenade le 6 octobre prochain, faire avancer les débats. Si les responsables nationaux affichent un enthousiasme variable face à la perspective d’accueillir de nouveaux États membres et défendent des visions contrastées quant à la nécessité ou à la manière de réformer l’Union, la discussion est désormais ouverte.
[Lire plus : le rapport du «Groupe des Douze» en français et en anglais]
Un contexte géopolitique bouleversé
Avec la guerre d’agression russe en Ukraine, des questions fondamentales sont en effet de nouveau à l’ordre du jour en Europe : l’Union repense sa géographie, ses institutions, ses compétences et son financement. L’accroissement des tensions régionales ou transrégionales et l’affaiblissement des structures de l’ordre international ont fait voler en éclats les certitudes sur lesquelles l’intégration européenne avait été conçue. Le débat sur la capacité d’action et sur la souveraineté de l’Union s’est intensifié. L’Ukraine et la Moldavie ont récemment rejoint le groupe des pays candidats à l’entrée dans l’Union (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie et Turquie (négociations suspendues), auxquels pourraient s’ajouter la Géorgie et le Kosovo.
Toutefois, l’Union n’est pas prête à accueillir de nouveaux membres. Ses institutions et ses mécanismes de décision n’ont pas été conçus pour un tel nombre de pays. En outre, certains États membres remettant ouvertement en question l’État de droit, la primauté du droit européen et les valeurs communes consacrées dans le traité, une contagion est à craindre. Dans ce contexte, les gouvernements français et allemand ont chargé, le 23 janvier 2023, douze experts indépendants1 de former un groupe de travail sur les réformes institutionnelles de l’Union. Nous avions pour mandat de réfléchir aux moyens de maintenir sa capacité d’action, de protéger ses valeurs fondamentales, de renforcer sa résilience et de la rapprocher des citoyens européens, dans la perspective d’un élargissement et dans le prolongement de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
L’objectif premier du Groupe n’était pas l’originalité : la plupart des questions qui ont guidé nos travaux sont anciennes, et beaucoup des solutions que nous avançons ont déjà été discutées par ailleurs. Notre ambition était toutefois de reconsidérer ces questions et solutions à la lumière de la situation nouvelle créée par l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. Notre rapport a essayé de trouver un équilibre entre le scepticisme des éditorialistes – prompts à souligner les clivages nationaux et institutionnels, et à affirmer l’impossibilité d’un accord – et les utopies de certains fédéralistes – promoteurs d’idées peu susceptibles d’être considérées par les instances compétentes. Notre réflexion, qui se veut concrète à court et moyen terme, découle de l’idée qu’il y a une urgence absolue à lancer le processus d’élargissement et de réforme de l’Union.
La situation politique actuelle est complexe, et la tâche ne sera pas aisée. Il faut toutefois rappeler que, depuis le début des années 1990, l’intégration européenne a progressé au fil de quatre réformes majeures des traités (Maastricht, Amsterdam, Nice et Lisbonne) et de quatre vagues d’adhésion, représentant un total de 15 nouveaux États membres. Ces évolutions n’ont pas été faciles, mais elles ont été permises par des accords globaux, conciliant les différents intérêts politiques et nationaux en présence. La situation est sans doute plus délicate encore aujourd’hui, mais nous pensons qu’un accord reste possible. Il faut pour cela recourir à une réforme et à un processus d’élargissement flexibles, afin qu’aucun État ne soit contraint d’appartenir à une UE qui ne lui conviendrait pas, ou plus, et que les États les plus désireux de coopérer n’en soient pas empêché par la frilosité d’autres.
Les principes d’une réforme de l’Union
Au fil des multiples crises qui ont jalonné les années 2000, l’Union a montré que son cadre juridique et institutionnel permettait de prendre les décisions nécessaires à la sauvegarde des intérêts des citoyens européens et des États membres. Le rapport du Groupe des Douze ne prétend donc pas repenser in extenso l’intégration européenne, mais plutôt proposer des ajustements de la structure existante aux nouvelles réalités, tant en matière d’approfondissement que de flexibilité. Il part aussi du principe que les réformes institutionnelles doivent être cohérentes avec ce qu’est l’Union aujourd’hui. Si des clarifications seraient utiles, il faut prendre acte de la nature « hybride » de ce système politique. Il repose sur le rôle central de la Commission européenne et de la « méthode communautaire » (pour la gestion des politiques les plus intégrées), tempéré par une logique intergouvernementale d’une part (pour les décisions fondamentales et la conduite des politiques les plus sensibles), et par une logique parlementaire d’autre part (pour trancher les débats de société et les grandes orientations politiques). Cet équilibre fait l’efficacité de l’Union et sa capacité à susciter des consensus, et ne doit pas être remis en cause.
Nous estimons que l’Union doit atteindre trois objectifs. D’abord, renforcer sa capacité à prendre et à mettre en œuvre des décisions dans ses domaines de compétence. Ensuite, mieux protéger l’État de droit et les valeurs fondamentales, et accroître sa légitimité démocratique. Enfin, préparer ses institutions à l’élargissement. Nous considérons que ces trois objectifs doivent être poursuivis simultanément et que seule une démarche coordonnée peut permettre de contenter les différentes parties à la négociation. Le Rapport du Groupe des Douze comprend une cinquantaine de recommandations, sur les sujets les plus divers : État de droit, réforme institutionnelle, prise de décision, ressources budgétaires, modalités de réforme des traités, conduite de l’élargissement… On se focalisera ici sur trois enjeux fondamentaux : la protection de l’État de droit, le dépassement de l’unanimité et la formalisation de l’intégration différenciée.
La protection de l’État de droit, préalable à tout élargissement
L’État de droit n’est pas seulement l’une des valeurs fondamentales de l’Union. C’est un principe constitutionnel non négociable, indispensable à son fonctionnement, et ce pour plusieurs raisons : la plupart des politiques européennes se fondent sur le principe de l’indépendance des tribunaux nationaux ; l’utilisation des fonds européens présuppose que les administrations nationales ne soient pas corrompues ; et le respect de l’État de droit est une condition sine qua non du bon fonctionnement démocratique de l’Union. L’intégration européenne a beau être économique, c’est un projet fondamentalement politique qui repose avant tout sur du droit. L’application des principes de l’État de droit est donc une exigence pour les États membres de l’Union et une condition non-négociable pour les pays qui veulent la rejoindre.
Les instruments existants n’ont toutefois pas empêché le recul de l’État de droit dans plusieurs pays membres. L’article 7 du TUE, qui permet la suspension de certains des droits découlant de l’application des traités en cas de violation grave et persistante par un État membre des valeurs de l’Union, a été rédigé à une époque où l’on n’imaginait pas y recourir. Son emploi est de ce fait difficile. Les autres instruments dont l’Union dispose – comme le Cadre pour l’État de droit de la Commission européenne – n’ont eu que peu d’effets concrets. Enfin, les traités ne prévoient pas la possibilité d’exclure un État membre, et donc de faire pression sur lui de la sorte.
Ces dernières années, le recours à la conditionnalité budgétaire s’est avéré plus efficace. Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a permis aux États membres de se protéger contre les violations dont se rendent coupables d’autres États membres. Mais, il faut reconnaître qu’une fois qu’un État appartient à l’Union, il n’est plus possible de lui imposer le respect des critères que l’on applique aux pays candidats. Cela pose un problème de crédibilité vis-à-vis tant des États membres que des États candidats, et érode la capacité de l’Union à se présenter à ses citoyens et au reste du monde comme une championne du respect des droits. La situation géopolitique a beau justifier un élargissement rapide, l’Union doit pouvoir faire respecter l’État de droit à ses membres actuels et futurs.
Pour cela, il faut, en premier lieu, renforcer le règlement relatif à un régime général de conditionnalité budgétaire et en faire un instrument de sanction des violations de l’État de droit et des valeurs européennes. En supprimant la nécessité de prouver l’existence d’un lien direct avec le budget, on en décuplerait l’impact. Si cette réforme était impossible, faute d’unanimité, il faudrait au moins étendre la portée de la conditionnalité budgétaire à d’autres comportements nuisibles à la bonne gestion financière du budget européen, notamment le blanchiment de capitaux. Nous recommandons aussi que tous les fonds de l’Union, qu’ils s’inscrivent ou non dans le cadre financier pluriannuel, soient désormais soumis au régime de conditionnalité.
Il faut, en second lieu, réformer l’article 7 du TUE. Son inefficacité est due au seuil inutilement haut nécessaire à son activation (l’unanimité moins une voix) et au fait que le Conseil n’a aucune obligation d’agir, même si la procédure est lancée par le Parlement européen ou la Commission. Nous estimons nécessaire de remplacer le vote à l’unanimité moins une voix par un vote à la majorité des quatre cinquièmes. Il faut également renforcer le principe d’une réponse automatique en cas de violation grave et persistante, ou de risque de violation, des valeurs de l’Union par un État membre : le Conseil de l’Union et le Conseil européen devraient obligatoirement prendre position dans un délai de six mois. Enfin, l’article 7 du TUE devrait prévoir des sanctions automatiques cinq ans après la proposition d’activation de la procédure en cas d’inaction de la part du Conseil et si les violations persistent.
Dépasser la règle de l’unanimité
La Commission et le Parlement européen sont régis par une logique majoritaire qui facilite les décisions, mais le Conseil reste dans une situation hybride. S’il vote le plus souvent à la majorité qualifiée, notamment quand le Parlement européen est associé au processus législatif, il reste soumis à l’obtention de l’unanimité dans les domaines réputés sensibles : élargissement, État de droit, politique étrangère et de défense, politique budgétaire et fiscale… Dans ce cas, son action devient de plus en plus difficile, car certaines décisions sont bloquées par des vétos de principe ou liés à d’autres négociations. À chaque nouvel élargissement l’unanimité devient plus difficile à atteindre. Le recours à la majorité qualifiée a pourtant fait preuve de son efficacité, non pas parce que les États membres sont constamment mis en minorité, mais parce que ce mode de décision suscite une dynamique de négociations propice à l’obtention de compromis. Plus de 80 % des décisions prises au Conseil à la majorité qualifiée le sont ainsi par consensus, sans vote, et donc sans perdant.
Le Groupe des Douze recommande que tous les domaines de décision relevant encore de l’unanimité passent au vote à la majorité qualifiée avant le prochain élargissement. Par ailleurs, à l’exception de la Politique étrangère et de sécurité commune, ce processus devrait s’accompagner d’une totale codécision avec le Parlement européen. Seules les décisions constitutionnelles – telles que la modification des traités, l’acceptation de nouveaux membres ou l’adaptation des institutions de l’Union – devraient continuer à relever de l’unanimité. L’extension du vote à la majorité qualifiée pourrait faire l’objet d’une activation des clauses passerelle prévues dans les traités. Si une transition complète n’est pas possible, nous recommandons de créer trois « paquets » distincts, portant sur différents ensembles de politiques (élargissement et État de droit ; politique étrangère et défense ; politique budgétaire et fiscale), afin de trouver un équilibre entre les concessions auxquelles sont prêts les différents États membres.
Le passage à la majorité qualifiée est toutefois un instrument à manier avec parcimonie, notamment pour la Politique étrangère et de sécurité commune. Il convient également de tenir compte du désir des États de préserver certains intérêts nationaux jugés cruciaux. Ainsi, si le vote à la majorité qualifiée est étendu à de nouveaux domaines d’intervention, il faudrait instituer un « filet de sécurité pour la souveraineté ». Ce dispositif doit permettre à un État membre de déclarer officiellement qu’il considère que ses intérêts nationaux sont en péril et de demander le renvoi de la question devant le Conseil européen en vue d’un accord politique. La décision de renvoi serait prise à la majorité qualifiée par le Conseil. On trouverait ainsi un équilibre entre la possibilité pour un État de faire valoir ses intérêts nationaux vitaux et la nécessité d’accroître la capacité d’action de l’Union.
Si la réforme s’inscrit dans le cadre d’une modification plus large des traités, la répartition des droits de vote à la majorité qualifiée doit aussi être revue. Les petits et moyens États membres craignent en effet la domination des plus grands, plus à même d’organiser des minorités de blocage. Le système actuel de 55 % des États membres représentant 65 % de la population de l’Union pourrait, par exemple, passer à 60 % des États membres représentant 60 % de la population. S’agissant des décisions sur les questions les plus vitales pour la souveraineté, une « super-majorité », telle que l’unanimité moins un, pourrait être introduite. Seules les décisions d’ordre constitutionnel resteraient régies par la règle d’unanimité actuelle.
Enfin, les États membres devraient avoir la possibilité de bénéficier d’une exemption dans les domaines nouvellement soumis à la majorité qualifiée. Cela ne serait possible qu’en passant par une révision du traité et non en utilisant la clause passerelle. En outre, ces nouvelles exemptions devraient concerner une politique entière, et non des mesures individuelles.
Les clefs d’un monde cassé.
Du centre du globe à ses frontières les plus lointaines, la guerre est là. L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine nous a frappés, mais comprendre cet affrontement crucial n’est pas assez.
Notre ère est traversée par un phénomène occulte et structurant, nous proposons de l’appeler : guerre étendue.
Institutionnaliser et organiser l’intégration différenciée
Dans une Union comptant plus de 30 États membres, des instruments autorisant une certaine flexibilité seront indispensables au maintien et à l’accroissement de sa capacité d’action. L’intégration différenciée est déjà une réalité qu’il convient de formaliser et de clarifier pour éviter une « Europe à la carte », faite d’un empilement d’exemptions ad hoc, de situations particulières et d’initiatives isolées. En revanche, la différenciation ne peut servir à régler des désaccords à propos de la primauté du droit communautaire ou de questions liées à l’État de droit : tout pays désirant devenir membre de l’Union doit obligatoirement respecter les principes et les valeurs inscrits à l’article 2 du TUE.
L’intégration différenciée présente une double dimension, interne et externe. Sur le plan interne, plusieurs instruments permettent déjà aux États membres volontaires de mettre en œuvre des projets conjoints, dans le respect des principes et valeurs fondamentaux de l’Union, de l’acquis communautaire et des institutions. Sur le plan externe, la différenciation a permis à des pays non membres de participer à différentes politiques – recherche, éducation, libre circulation des personnes, euro, marché intérieur…
S’agissant de la différenciation interne, les États membres devraient pouvoir recourir plus facilement aux instruments de flexibilité existants pour surmonter les blocages qu’impliquera nécessairement un nouvel élargissement de l’Union. Toutefois, il faudrait pour cela qu’ils observent cinq principes : le respect de l’acquis communautaire et de l’intégrité des politiques et des actions de l’Union ; l’utilisation des institutions européennes ; l’ouverture à tous les États membres des aspects avancés de l’intégration européenne ; le partage des pouvoirs décisionnaires, coûts et bénéfices entre les seuls pays impliqués ; la possibilité de suspendre un État membre d’un groupe de précurseurs s’il n’est plus en accord avec ses objectifs.
La différenciation externe pourrait, quant à elle, être une ressource dans la stratégie d’élargissement de l’Union et sa politique de voisinage si certains États membres bloquent la réforme des traités. Ils pourraient alors négocier de nouvelles dispositions dérogatoires, voire préférer un statut moins avancé sur le plan de l’intégration européenne. Dans ce cas, il serait possible d’envisager un statut d’association spécial avec l’Union, voire une simple participation à la Communauté politique européenne.
La réforme des traités est aussi susceptible de nécessiter une différenciation : le ou les États non coopératifs ou non désireux de participer à un nouveau traité pourraient se voir proposer des dispositions dérogatoires. Elles ne devraient toutefois être offertes que lorsque la révision renforce l’intégration, soit en créant de nouvelles compétences, soit en étendant le vote à la majorité qualifiée. Et, une fois encore, il est exclu de déroger à l’acquis communautaire existant ou aux valeurs fondamentales de l’Union par ce biais.
En somme, nous anticipons que tous les États européens ne seront pas désireux ou capables d’adhérer à l’Union dans un avenir proche, et que certains États membres actuels pourraient préférer des formes d’intégration moins poussées. C’est pourquoi nous recommandons d’envisager l’avenir de l’intégration européenne selon quatre cercles concentriques, dont chacun serait doté de son propre équilibre entre droits et devoirs :
- Le cercle restreint : les coalitions existantes d’États volontaires (Schengen, Euro, coopérations renforcées, Coopération structurée permanente dans le domaine militaire…) pourraient être étendues à davantage de domaines (climat, énergie, fiscalité, etc.) et être dotées de leur propre budget.
- L’Union européenne : ce devrait être le cercle de référence. Tous les États membres y sont liés par les mêmes objectifs politiques, doivent respecter les dispositions de l’article 2 du TUE et bénéficient des fonds de cohésion ainsi que des politiques de redistribution.
- Les membres associés : un premier cercle externe à l’Union permettrait de rationaliser les différentes formes d’association existantes avec les pays de l’Espace économique européen, la Suisse, certains micro-États, voire le Royaume-Uni. Les membres associés ne seraient pas tenus par le principe d’une « union sans cesse plus étroite » et seraient principalement intégrés au marché intérieur. Ils devraient néanmoins respecter les principes et valeurs communs de l’Union et la juridiction de la CJUE. Ils ne seraient représentés ni au Parlement, ni à la Commission, mais pourraient s’exprimer au Conseil.
- La CPE : un second cercle externe ne supposerait aucune forme d’intégration et n’offrirait pas d’accès au marché unique. Il serait focalisé sur la convergence géopolitique et sur la coopération politique dans des domaines tels que l’énergie ou l’environnement. Les bases institutionnelles récemment établies de la CPE pourraient être améliorées pour assurer une coopération plus structurée.
Quoique accessibles à n’importe quel pays européen, y compris aux candidats à l’adhésion, les deux cercles externes seraient distincts de la procédure d’adhésion. Les États pourraient rejoindre volontairement l’un ou l’autre de ces cercles parce qu’ils se retireraient de l’Union, n’auraient pas l’intention d’y adhérer ou voudraient nouer des liens avec elle en attendant d’en devenir membres.
De l’urgence d’agir pour préparer la prochaine vague d’élargissement
Quand il est question d’élargissement, d’approfondissement ou de réformes institutionnelles, l’intégration européenne n’est pas un processus autonome, dépendant de l’action des institutions supranationales ou de quelque logique irrésistible. Toutes ces décisions requièrent des négociations complexes et sont soumises à la règle de l’unanimité des États membres. Même quand il existe un consensus pour reconnaître la vocation de l’Union à s’élargir ou à réformer ses traités, ce processus nécessite la mobilisation de puissants entrepreneurs politiques, capables d’avancer des propositions et de convaincre, pour générer l’élan nécessaire au changement.
Le rapport du Groupe des Douze est une contribution, parmi d’autres, au débat sur les modalités concrètes du processus d’élargissement et de réforme de l’Union qui s’amorce. Il ne propose pas un projet cohérent, mais quelques pistes de réflexion et une méthode. Nous sommes toutefois convaincus que les représentants des 27 doivent agir sans plus attendre s’ils veulent être à la hauteur des défis qu’affronte aujourd’hui l’Union. Elle doit se donner les moyens d’accueillir un premier groupe d’États candidats dès 2030. S’il importe que l’adhésion se fasse selon la logique du mérite et dans le strict respect des critères de Copenhague, l’Union doit se donner les moyens d’être prête à cette date, afin d’encourager les États candidats à l’être eux aussi. Pour ce faire, certaines réformes peuvent être lancées dès demain et entrer en vigueur avant les élections européennes de juin 2024. Les autres, notamment celles qui nécessitent une modification des traités, devront être entreprises durant le prochain cycle institutionnel (2024-2029). Une nouvelle série de réformes et d’initiatives sera sans doute nécessaire après le premier élargissement.
Le traité de Lisbonne a été conçu pour être résistant aux élargissements mais, en l’absence de réforme, l’Union ne sera pas à la hauteur des enjeux. Si elle ne parvient pas à se transformer et à s’élargir, l’ensemble du continent européen affrontera de graves dangers. Faute d’un leader européen capable d’engager à lui seul le destin de l’Europe, comme l’a fait Vladimir Poutine l’an dernier, il faut mobiliser les responsables de l’Union, des États membres et des pays candidats, et alerter les opinions publiques et les forces politiques et sociales, ainsi que la société civile, afin de susciter un mouvement capable d’engendrer ces changements.
Élargir et réformer l’Union : la feuille de route du «Groupe des Douze» | Le Grand Continent