Elargissement de l’Union européenne : la France et l’Allemagne tentent d’orienter le débat

Un rapport commandé par Paris et Berlin sur l’elargissement de l’UE préconise des réformes substantielles de l’Union, avant de pouvoir accueillir de nouveaux entrants, à l’heure où l’Ukraine et la Moldavie frappent à la porte.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, entourés d’autres dirigeants européens, à Athènes, le 21 août 2023.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, entourés d’autres dirigeants européens, à Athènes, le 21 août 2023. THANASSIS STAVRAKIS / AP

L’échéance est importante : à l’occasion de leur réunion à Bruxelles, prévue fin décembre, les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept devront décider s’ils ouvrent les négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie. Dans le même temps, ils devront faire un geste à l’égard des pays des Balkans occidentaux, qui attendent dans l’antichambre de l’Union européenne (UE) depuis des années et verraient d’un mauvais œil Kiev et Chisinau leur passer devant.

Aujourd’hui, les Vingt-Sept sont tous d’accord pour avancer sur la voie de l’élargissement, tant le contexte géopolitique, avec la guerre en Ukraine aux frontières de l’UE, le rend inévitable. Mais, à la question de savoir comment mener ce chantier, qui changera radicalement la physionomie économique, sociale et politique de l’Union, les réponses varient fortement d’une capitale à l’autre.

Dans ce contexte, la France et l’Allemagne ont demandé à douze politologues indépendants de plancher sur le sujet. Mardi 19 septembre, les deux rapporteurs, Olivier Costa et Daniela Schwarzer, devaient présenter leurs conclusions aux ministres des affaires européennes, dans un rapport destiné à expliquer aux Vingt-Sept comment « naviguer en haute mer ». A cette occasion, la secrétaire d’Etat chargée de l’Europe, Laurence Boone, et son homologue allemande, Anna Lührmann, devaient rappeler que leur travail n’engage pas Paris et Berlin.

Des divergences sur l’elargissement

« L’UE n’est pas prête à accueillir de nouveaux membres, ni sur le plan institutionnel ni sur le plan politique », écrit le « groupe des douze », comme les experts se sont eux-mêmes baptisés. Le rapport préconise donc une réforme de l’Union qui précéderait l’élargissement, ou lui serait concomitante, en ligne, de ce point de vue, avec ce que défendent Paris et Berlin. « Le risque serait de répliquer ce que nous avons déjà fait, c’est-à-dire de penser l’élargissement sans l’intégration. Je peux témoigner assez aisément qu’une Europe à 27, c’est assez compliqué à faire évoluer sur les sujets essentiels. Une Europe à 32 ou 35 ne sera pas plus simple, pour rester pudique »,expliquait Emmanuel Macron, le 28 août, devant les ambassadeurs français.

Tous, au sein de l’UE, ne partagent pas ce point de vue. Un autre rapport sur l’élargissement, rédigé cette fois par des politologues baltes, polonais, nordiques et croates, présenté aux ministres des affaires européennes, lundi 18 septembre au soir, à l’occasion d’un dîner organisé par la Lituanie, préconise de ne pas conditionner l’arrivée de nouveaux Etats membres aux réformes institutionnelles. Ces pays, traditionnellement plus favorables à une Europe élargie que Paris et Berlin, craignent que la dialectique franco-allemande soit un prétexte pour enterrer, une nouvelle fois, l’élargissement.

Dans ce contexte, Berlin et plus encore Paris marchent sur des œufs. Face à un président russe, Vladimir Poutine, qui cherche à diviser les Européens et à isoler l’Ukraine, il leur faut éviter d’entretenir cette idée selon laquelle ils seraient encore et toujours réticents à l’élargissement. Voilà pourquoi ni Laurence Boone ni Anna Lührmann ne devraient, dans les prochains jours, défendre les propositions du rapport pour une Europe à la carte.

Celui-ci prône une « différentiation » qui dessine une construction communautaire à plusieurs vitesses : autour d’un noyau dur de pays prêts à une intégration profonde, graviteraient le reste de l’UE actuelle, puis des pays adhérents au marché unique, et enfin les membres de la Communauté politique européenne (CPE) voulue par Emmanuel Macron pour faire vivre les intérêts du Vieux Continent en dehors de l’UE.

Un « processus reposant sur le mérite »

Le président français a pourtant milité, et obtenu, que l’UE réforme son processus d’élargissement pour une adhésion graduelle, et réversible, des nouveaux Etats membres. Le 28 août, il évoquait par ailleurs une Europe « à plusieurs vitesses ». Mais l’Elysée veut à tout prix éviter de crisper les discussions et offrir à Moscou l’image d’une Union déchirée.

Paris et Berlin ne devraient pas non plus soutenir la proposition d’Olivier Costa et Daniela Schwarzer que l’UE comme les pays candidats se donnent l’objectif « d’être prêts pour l’élargissement d’ici à 2030 ». Lorsque le président du conseil, Charles Michel, avait, lui aussi, émis cette hypothèse, fin août, il s’était attiré de nombreuses critiques des deux côtés du Rhin, où l’on rappelait que l’élargissement était un « processus reposant sur le mérite ».

Afin d’éviter un blocage des institutions, le « groupe des douze » propose par ailleurs une généralisation du vote à la majorité qualifiée. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, milite en ce sens depuis plusieurs mois déjà. La France, sans être opposée à cette réforme, se montre moins allante, jugeant que la situation actuelle offre déjà beaucoup de flexibilité. Les experts proposent, entre autres, un nouveau calcul de la majorité qualifiée qui donnerait plus de poids aux petits pays.

Enfin, Olivier Costa et Daniela Schwarzer mettent la défense de l’Etat de droit au cœur de leurs réflexions. Alors que la Pologne et la Hongrie donnent déjà du fil à retordre à l’UE en la matière, il ne faudrait pas que cette situation progresse, potentiellement, avec de nouveaux arrivants, et ronge le socle des valeurs communautaires. Ils préconisent une simplification de la procédure dite « de l’article 7 », qui peut priver un Etat membre de ses droits de vote au Conseil, et imaginent une plus grande conditionnalité du versement des fonds communautaires. Le débat ne fait que commencer.

Virginie Malingre(Bruxelles, bureau européen)

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/19/elargissement-de-l-union-europeenne-la-france-et-l-allemagne-tentent-d-orienter-le-debat_6189953_3210.html