Directive copyright : l’article 13 va-t-il vraiment tuer YouTube ?

 

20.12.2018 François Pène

L’article 13 de la directive copyright de l’Union européenne déchaîne les passions sur internet. Indirectement concernés, eux aussi, les vidéastes de la plateforme YouTube s’insurgent contre la mort imminente de leur activité. Mais quelle est la part de vérité, et quelle est la part de lobbyisme dans ces déclarations ?

Pastiche de vignette YouTube, couleurs vives, emojis et textes en gras

Pastiche de vignette YouTube, couleurs vives, emojis et textes en gras – François Pène

La directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, ou plus simplement directive copyright, a initialement été proposée par la Commission européenne le 14 septembre 2016. Elle contient 24 articles, dont deux ont particulièrement fait parler d’eux : l’article 11, qui étend les droits des éditeurs et des agences de presse dont les contenus génèrent du trafic sur internet, et l’article 13 qui nous intéresse ici.

Après de longues discussions, un rejet en première lecture en juillet 2018 et de très nombreux amendements, le texte a finalement reçu l’aval du Parlement européen le 12 septembre 2018. Le processus législatif est donc entré dans une phase de « trilogue » entre le Parlement, le Conseil et la Commission, pour aboutir à une version finale.

Le Parlement européen valide la directive sur le copyright. Fin des débats ?

Vous avez dit « article 13 » ?

Pour reformuler simplement l’article 13, celui-ci indique que les plateformes permettant à leurs utilisateurs de diffuser du contenu – telles que YouTube, Facebook ou Dailymotion par exemple – ont la responsabilité de contrôler ces contenus, notamment ceux qui incluent des œuvres sous copyright (musiques, films…) afin de protéger leurs ayants droit. Il est ainsi précisé que les plateformes doivent mettre en place des « techniques efficaces de reconnaissance des contenus » et être en mesure d’appliquer de manière systématique les accords passés avec les titulaires de droits quand un contenu protégé est détecté.

Pour les plateformes, cela pose deux soucis techniques majeurs : mettre en place un algorithme de détection des contenus est extrêmement compliqué et couteux, de même que de passer des accords avec l’intégralité des ayants droit potentiels. Les plateformes et réseaux sociaux sont donc farouchement opposés au texte.

Pour les auteurs ou leurs ayants droit, en revanche, l’article 13 est une nouvelle assurance pour la protection de leurs œuvres originales, et une manière d’être mieux rémunérés pour leur utilisation en ligne. Car dans les faits, le trafic généré par leurs contenus est extrêmement rentable pour les plateformes multimédia.

YouTube, les youtubeurs et Content ID

Une autre catégorie d’acteurs est indirectement concernée : les communautés de créateurs de contenus qui ont largement émergé sur les réseaux ces dernières années. Comme les plateformes qui les hébergent, elles expriment aujourd’hui leur mécontentement contre la directive copyright, notamment en France sur la plateforme YouTube. Parmi ces vidéastes tout terrain que l’on nomme souvent « youtubeurs », nombre d’entre eux ont réussi à professionnaliser leur activité – via les revenus publicitaires versées par YouTube, le sponsoring, les partenariats ou le financement participatif sur des plateformes tels que Tipeee.

Et pour comprendre leur activisme contre l’article 13, il faut rappeler un point : YouTube dispose déjà d’un algorithme de reconnaissance des contenus copyrightés, Content ID, lancé de manière expérimentale dès 2006. Et celui-ci est déjà depuis plusieurs années une source de mécontentement des youtubeurs.

Le concept de fair use (« usage raisonnable ») est issu du droit américain, mais le terme est utilisé de manière générique pour désigner les lois similaires dans d’autres pays, notamment en France.

Plusieurs frondes ont déjà eu lieu depuis 2015 au fur et à mesure des évolutions de Content ID, qui est devenu de plus en plus sévère vis-à-vis des utilisateurs. Aujourd’hui, l’algorithme est très critiqué car il ne sait pas faire la différence entre un vol de contenu pur et simple (la diffusion d’un film en entier, par exemple) et l’utilisation d’extraits de contenus sous copyright dans le cadre de parodies, d’illustration de critiques, de citations, de caricatures, etc. Ces utilisations d’extraits, qui devraient être considérées comme un « usage raisonnable », sont amalgamées à des violations de droit d’auteur, avec des possibilités de recours très limitées.

YouTube peut déjà bloquer des vidéos en cas de violation de copyright

Content ID est donc aujourd’hui accusé de restreindre la création, et d’amputer les créateurs d’une part conséquente de leurs revenus. Par exemple, l’utilisation d’un court extrait de musique sous copyright dans une vidéo de plusieurs dizaines de minutes peut, selon les exigences de l’ayant droit, entraîner la suppression de la vidéo ou de sa bande son, la suppression des revenus publicitaires du créateur liés à cette vidéo, voire la revendication intégrale de ces revenus par l’ayant droit de l’extrait.

La mort de la création sur internet ?

Pour en revenir à la directive copyright, l’idée qui s’est rapidement installée dans l’esprit des youtubeurs est que l’article 13 allait donc rendre la situation encore plus délétère, voire rendre totalement impossible toute création de contenu sur YouTube.

Car jusqu’à présent, la politique appliquée par la plateforme est de prendre en compte uniquement les violations de droits d’auteur pour les œuvres dont les ayants droit se sont déclarés comme tels – ce qui se limite en général aux majors du disque ou du cinéma. Le filtrage n’est donc pas exhaustif, il se fait après publication et de manière pas tout à fait automatique. Enfin, la firme n’a pas besoin de conclure explicitement de contrat avec les sociétés d’ayants droit.

Avec l’article 13 au contraire, YouTube serait obligé de passer des contrats avec tous les ayants droit, et de leur verser une contrepartie en cas d’utilisation de leurs œuvres – selon les termes dudit contrat. Face à ces contraintes, et pour éviter d’avoir à payer des redevances trop importantes, la plateforme menace de devoir appliquer un contrôle strict des contenus, et d’interdire purement et simplement l’utilisation d’extraits d’œuvres sous copyright. Les contrôles de Content ID interviendraient alors avant publication, et seraient exhaustifs et draconiens. Certains voient dans ce scénario un arrêt de mort contre la création de nouveaux contenus sur YouTube, ainsi que contre de nombreux contenus déjà en ligne – qui risquent d’être supprimés.

Un grand nombre de youtubeurs, pour certains très influents, ont dès lors consacré une ou plusieurs vidéos à l’article 13, souvent sur un ton polémique et alarmiste. On annonce la fin de YouTube et le chômage imminent pour ses créateurs. Pourtant, ce mouvement de pessimisme ne fait pas l’unanimité, même au sein de la plateforme.

Un lobbyisme très bien rodé

Dans la controverse, de nombreuses voix s’élèvent pour relativiser le cataclysme annoncé, et pointent du doigt une campagne de communication directement orchestrée… par YouTube. Car la plateforme est la première perdante avec cette réforme : la directive lui imposerait d’engager des ressources et des frais pour mieux redistribuer ses bénéfices aux auteurs et à leurs ayants droit. Mais surtout, elle perdrait son statut de « simple hébergeur » pour devenir juridiquement responsable des contenus qu’elle héberge.

Courrier de YouTube a certains de ses utilisateurs

Cette capture d’écran relevée par le site d’actualité numérique Next INpact montre ainsi un courrier particulièrement inquiétant envoyé par YouTube à ses utilisateurs, et appelant à s’investir contre l’article 13. En bas de page, un lien renvoie vers des vidéos d’influenceurs, dans de multiples langues, qui dénoncent la directive copyright. Sur Twitter, le compte YouTube Créateurs participe par exemple à un matraquage à grande échelle contre l’article 13. Et la firme ne s’arrête pas là : dans une vidéo particulièrement complète sur le sujet, la chaîne Le Tatou montre, entre autres, une partie des moyens d’influence mis en œuvre par Google (à qui appartient YouTube) dans ce combat.

Finalement les youtubeurs s’élevant contre l’article 13 ne seraient donc, à leur insu, que des porte-voix d’un très vaste plan de communication orchestré par YouTube. Cette stratégie visant à exagérer les effets potentiels de l’article 13 sur les créateurs s’est finalement montrée très efficace.

En face, on trouve également un autre lobby, actif au niveau des institutions pour faire adopter la directive, mais bien moins puissant que Google pour influencer les opinions publiques : les Sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur (SPRD). En France, elles sont au nombre de 22, parmi lesquelles on trouve la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), la Société civile des auteurs multimédia (SCAM), ou encore la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP).

Qu’en est-il vraiment ?

La réponse reste compliquée à donner, car le texte final est encore en discussion, ainsi que les textes annexes venant préciser, techniquement, sa mise en application. Les versions du Parlement européen et de la Commission européenne présentent ainsi des nuances aux conséquences assez difficiles à prévoir.

Mais un décryptage attentif de l’article 13 vient en partie contredire toute la rhétorique alarmiste décrite précédemment. Si YouTube applique la directive, il n’est pas question, en effet, de bloquer les vidéos contenant des extraits d’œuvres sous copyright. Dans le cas où une maison de disque, par exemple, aurait passé un accord avec YouTube – comme la directive l’y obligera –, c’est YouTube qui devra payer l’ayant droit pour l’utilisation d’une œuvre lui appartenant, là où, aujourd’hui, seule la monétisation destinée au youtubeur peut être récupérée. De la même manière, les possibilités de réclamation des youtubeurs, pour l’instant quasi-inexistantes, devraient être institutionnalisées.

D’une manière générale, on retiendra que, même si le passage de la théorie à la pratique est complexe à visualiser, la réalité devrait être bien loin de la mort des créateurs telle qu’elle est décrite sur les réseaux. Car finalement, tout repose sur une menace de YouTube de bloquer tous les contenus en Europe : solution bien peu envisageable, quand on se rappelle que l’Europe est l’un des marchés les plus importants pour la plateforme.

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