Publié le 13 novembre 2024
Le devoir de vigilance européen menacé ? Dans une lettre ouverte, Business Europe, le Medef européen, réclame un report de la directive et une simplification des obligations. Une charge qui inquiète déjà les acteurs de la transition écologique et sociale.
Bientôt un recul sur le devoir de vigilance européen ? Après les propositions de moratoire sur la CSRD, après le report de la loi sur la déforestation importée, c’est au tour de la CS3D, directive sur le devoir de vigilance européen, d’être sous le feu des critiques en Europe. Dans une lettre ouverte, 25 associations européennes de lobbyisme représentant les intérêts des entreprises, dont Business Europe, le Medef européen, ont appelé la Commission européenne à des actions visant à “alléger la charge” des obligations de vigilance et à en décaler l’application.
La directive sur le devoir de vigilance européen, votée difficilement en avril dernier au Parlement Européen, instaure une obligation pour les entreprises opérant en Europe de mettre en place des dispositifs visant à identifier et prévenir les atteintes aux droits humains et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur. Une obligation essentielle du Green Deal européen pour la transition écologique et sociale des entreprises, qui suscite cependant l’opposition des acteurs privés depuis des mois.
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“Complexité”, “incertitude”
Dans leur lettre, les représentants des intérêts du secteur privé estiment ainsi que la directive, en instaurant de nouvelles obligations en matière de respect des droits sociaux et environnementaux pour les multinationales, va “impacter” les entreprises européennes, et créer de la “complexité et de l’incertitude”. Les signataires considèrent que la Commission européenne devrait mettre en place une procédure pour examiner les effets de la directive sur la compétitivité, et “identifier et traiter les domaines prioritaires dans lesquels la simplification, la clarification et la réduction des charges devraient être réalisées”, “en consultation avec les entreprises et leurs associations professionnelles”.
Les associations professionnelles réclament également que soient publiées des lignes directrices pour accompagner les entreprises dans la mise en place de leur conformité au devoir de vigilance, ce que la Commission Européenne a pourtant déjà fait dès juillet dernier, en précisant les conditions d’application du devoir de vigilance européen. Arguant de la difficulté de la mise en place des mesures du devoir de vigilance, les signataires appellent également l’Europe à “prévoir une période de transition prolongée pour les entreprises”, autrement dit, un décalage de l’application du devoir de vigilance européen. La lettre ouverte précise que ces changements sont “essentiels pour la compétitivité des entreprises” et notamment celle “des PME, qui seront indirectement mais considérablement affectées par la législation”.
“Arguments du vieux monde”
L’argumentaire reprend ainsi les éléments de langage du rapport Draghi sur la compétitivité, qui mettait déjà en cause les réglementations sociales et environnementales au nom de la simplification administrative. Des critiques également reprises par certains représentants politiques, notamment en Allemagne, où la droite dure et néo-libérale du FDP (Parti libéral-démocrate) tente d’imposer un retour en arrière sur le devoir de vigilance. Dans ce contexte, la charge des lobbies européens contre le devoir de vigilance inquiète déjà certains acteurs de la transition écologique et sociale.
Clara Alibert, chargée de plaidoyer Acteurs Économiques chez CCFD-Terre Solidaire s’alarme auprès de Novethic : “la lecture des signataires donne froid dans le dos… Le secteur des phytosanitaires, de la pharmacologie, du textile et du pétrole… Des secteurs hautement à risque pour les droits humains et l’environnement !” L’experte voit dans cette lettre ouverte “une tentative du vieux monde du business as usual pour bloquer toute tentative d’amélioration de l’économie et de réduction des externalités négatives,” alors qu’un mouvement plus large de remise en cause des réglementations sociales et environnementales se structure en Europe ces derniers mois.
“Nous faire croire que ces multinationales ne sont pas équipées pour suivre et prévenir les risques sur leurs chaînes de valeur est un mensonge honteux alors que les crises socio-environnementales se multiplient”, explique ainsi Clara Alibert. Quant aux PME, “le texte a prévu de s’attacher à les protéger notamment via des aides financières”, ajoute-t-elle. En France, la loi sur le devoir de vigilance, en vigueur depuis 2017, qui porte d’ailleurs exclusivement sur les grandes entreprises, et a permis à la société civile de faire valoir ses droits dans plusieurs procès visant à faire respecter les droits humains et environnementaux.
En février dernier, alors que les attaques se multipliaient déjà contre la directive sur le devoir de vigilance européen, une coalition d’entreprises européennes de toutes tailles, avait au contraire appelé à soutenir le devoir de vigilance européen, rappelant : “La CSDDD ne constitue pas une menace pour les entreprises européennes mais une opportunité historique de construire un cadre économique équitable pour tous et de mettre fin aux avantages des entreprises qui agissent au détriment des droits humains et de l’environnement.”
C’est ce qu’a rappelé le Commissaire européen chargé de la mise en œuvre de la CSDDD lors de son audition devant le Parlement il y a quelques jours, précisant que son objectif ne serait pas “d’affaiblir les règles, mais de fournir toutes les orientations nécessaires dont les entreprises ont besoin pour se conformer au devoir de vigilance.” ■