Publié le 24 avril 2024
Un devoir de vigilance européen affaibli finalement adopté – Photo de ALEXANDRE LALLEMAND sur Unsplash
Après des mois de turbulences et de débats, le Parlement Européen vient finalement d’adopter la directive sur le devoir de vigilance européen. Une révolution juridique qui permettra bientôt d’encadrer le respect des droits humains et des droits environnementaux par les grandes entreprises.
C’est une avancée majeure pour la responsabilité sociale des entreprises et des multinationales. A 374 voix pour, 235 voix contre, le Parlement Européen vient d’adopter la directive européenne sur le devoir de vigilance. Ce vote intervient 11 ans jour pour jour après l’effondrement du Rana Plaza, qui avait causé la mort de milliers de travailleurs des chaînes de production des multinationales de la mode, et provoqué un vif débat sur la responsabilité juridique des entreprises en matière de vigilance.
La directive CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) instaure pour les grandes entreprises européennes ou opérant en Europe une obligation de garantir le respect des droits humains, sociaux et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur, y compris chez leurs fournisseurs. Une révolution juridique qui pourrait considérablement améliorer la réglementation des pratiques des entreprises en matière sociale et environnementale, et éviter de futurs drames comme celui du Rana Plaza.
Table of Contents
Un vote historique pour la régulation des multinationales
Le vote a été immédiatement largement salué par le monde politique, notamment à gauche, et par le monde associatif. En conférence de presse, Lara Wolters, eurodéputée socialiste, rapporteuse du texte, a exprimé sa satisfaction : “je suis une eurodéputée heureuse, c’est une étape majeure, vraiment. L’Europe montre qu’elle peut tenir son rang, et qu’elle compte agir pour le respect des droits humains et environnementaux.” Marie Toussaint, eurodéputée écologiste et tête de liste Europe Ecologie Les Verts pour l’élection européenne à venir voit dans “l’adoption de ce texte une première historique dans le monde et une victoire de taille”. Pascal Canfin, eurodéputé du groupe Renaissance a qualifié le vote “d’avancée historique”.
Pour l’association Notre Affaire à Tous, il s’agit également “d’un pas historique vers la régulation des acteurs privés en matière de droits humains et de vigilance climatique”. “On avance dans la lutte contre l’impunité des multinationales” commente pour Novethic Clara Alibert, chargée de plaidoyer chez CCFD-Terre Solidaire. Pour François de Cambiaire, avocat des requérants dans la plainte contre TotalEnergies sur son devoir de vigilance climatique, il s’agit “d’une avancée majeure du point de vue juridique.”
Dans les milieux économiques, bon nombre d’entreprises ont également salué l’adoption du texte. Le collectif Business for a Better Tomorrow, qui rassemble près de 100 000 entreprises européennes engagées pour une économie plus durable, appelait notamment à voter un texte ambitieux sur le devoir de vigilance, et s’est réjoui du vote du jour. Fabrice Bonnifet, président du Collège des directeurs du développement durable, s’est réjouit quand à lui auprès de Novethic de l’adoption : “ceux qui estiment que cette réglementation est une contrainte n’ont pas compris que prévenir et atténuer l’inacceptable est définitivement préférable à la gestion de l’intolérable”, ajoute-t-il.
Une adoption difficile pour un devoir de vigilance affaibli par les droites et les patrons européens
Malgré ces soutiens, il aura fallu attendre les tous derniers jours de la mandature de l’actuel Parlement Européen pour que ce texte, qui a suscité des débats houleux et des retournements politiques majeurs, soit finalement voté. “Aujourd’hui se termine un processus qui comprenait 9 commissions parlementaires, plus de 3 000 amendements, et clôt près de 5 ans de débats et de négociations” commente Richard Gardiner, chargé des politiques publiques européennes à la World Benchmarking Alliance.
Considérée comme une pierre angulaire du Pacte Vert européen, qui doit permettre de structurer de réels mécanismes de responsabilité juridique pour les entreprises en cas de violation des droits humains ou environnementaux, la directive sur le devoir de vigilance était en effet très contestée depuis quelques mois. Les partis de droite européens ainsi que certains représentants patronaux comme le Medef (Mouvement des entreprises de France) ou la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) ont en effet tenté d’empêcher l’adoption du texte.
Les gouvernements de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, après avoir pourtant validé le projet de directive en trilogue, ont notamment bloqué plusieurs semaines durant les débats en comité des représentants permanents au Conseil européen, et négocié un affaiblissement significatif de la portée de la CSDDD. Un revirement politique inédit, qui a, selon Lara Wolters, “laissé un goût amer”, et “prouvé que certains acteurs européens ne prennent pas au sérieux les processus démocratiques européens”.
Dans les prochaines semaines, les Etats membres devront valider leur accord définitif, le 15 et le 23 mai prochains au Conseil. D’ici l’entrée en vigueur, pas avant 2027, le texte devra toutefois passer par l’étape de la transposition dans le droit interne des Etats-Membres, “une étape qui ne va pas être un long fleuve tranquille” selon Clara Alibert. En France et en Allemagne, où il existe déjà une réglementation sur le devoir de vigilance, la transposition pourrait ainsi susciter des débats et faire l’objet de nouvelles discussions.