Article de viviane de beaufort publié dans les Cahiers de la sécurité et de la justice – IHEMI – N°54
Le Covid19 a été un « stress test » non voulu et pourtant majeur pour l’Union européenne qui a, au final, plutôt correctement « sauté l’obstacle » mais demeure en situation de risque si elle ne renforce pas ses compétences juridique, politique et opérationnelle en matière de politique sanitaire mais aussi ses outils quant à la préservation de l’État de droit pour éviter de se fracturer à la prochaine crise, car on sait hélas qu’il y en aura.
Le 11 mars 2020 l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare un état de pandé mie mondiale. Le virus était déjà en Europe. Les tentatives désordonnées pour contenir la propagation du virus à coups de fermetures des frontières ont affaibli les chaînes d’approvisionnement vitales et les interdictions d’exportation de fournitures essentielles ont aggravé les pénuries.
La Commission européenne, garante du projet d’UE a dû intervenir largement entravée par une réalité juridique : la politique sanitaire n’est qu’une compétence d’appui de l’UE. Si l’article 168.1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose qu’un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union, celle-ci peut soutenir mais a priori pas décider, jusqu’au moment où peut être utilisé le principe de subsidiarité. Si l’on tente de récapituler les actions et d’évoquer un avenir de l’UE en ces questions, cela donne à peu près ça, étant entendu que cet article demeure modeste dans son ambition, car pour clarifier le propos, nombre de complexités ont dû être passées sous silence.
Sur le moment, un objectif : limiter « les » risques
Risque sanitaire
Vaccination
La Commission européenne a déjà réservé jusqu’à 4,6 milliards de doses de vaccins contre la COVID-19 et 912,31 millions de doses ont été livrées permettant
que 76,3 % des adultes dans l’UE soient entièrement vaccinés (19 novembre 2021), mais c’est insuffisant à l’aune des annonces d’une 5ème vague . Par ailleurs cette moyenne recouvre des situations diverses entre États. Il a fallu aider au départ et il faut aider dorénavant : les entreprises à accroître leurs capacités de production ; assurer aux États membres un approvisionnement au moyen de contrats d’achat anticipé ; accélérer la mise au point, l’autorisation et la disponibilité des vaccins et c’est bien la Commission qui négocie. Elle a notamment lancé une procédure conjointe de passation de marché pour le matériel médical destiné à la vaccination, créé HERA : plan européen de préparation en matière de biodéfense contre les variants du coronavirus qui rassemble des chercheurs, des industriels et des pouvoirs publics ; mobilisé des moyens financiers considérables aidée de la BEI elle-même soutenue par Horizon 2020 et le plan d’investissement pour l’Europe. Une pandémie mondiale nécessite une réaction mondiale et la Commission s’est aussi engagée à garantir l’accès universel aux vaccins contre la COVID-19 dans les pays à revenu faible pour assurer une couverture vaccinale mondiale et un milliard d’euros est prévu pour augmenter la capacité de production de vaccins à ARN messager. Mais l’action n’est pas exempte de critique : selon certains députés européens « Le Covax est un échec, on devait fournir 660 millions de doses et il n’y a pas 100 qui ont atterri dans les pays en voie de développement » [Rivasi].
Équipements de protection individuels (EPI)
La Commission a travaillé avec les États membres en vue d’évaluer les stocks disponibles dans l’UE, les capacités de production et les besoins ; assuré l’évaluation de la conformité et la surveillance du marché ; discuté avec l’industrie des moyens de convertir les chaînes de production pour fournir davantage d’équipements de protection individuelle (EPI) et donné aux fabricants des orientations pour la production de gels hydroalcooliques pour les mains, de désinfectants et des tests de dépistage.
Risque sur la liberté de circulation transfrontalière
La pandémie liée au Covid a, en 2020, fait vaciller les bases de l’Union européenne dont la liberté de circulation, valeur cardinale de la construction avec l’espace Schengen. Divers rappels sur les menaces pesant sur la liberté de circulation intra-européenne sont intervenus au fur et à mesure que des fermetures de frontières étaient décidées de manière désordonnée. Très vite, la solution apparaît être une coordination renforcée et celle-ci prendra petit à petit le dessus. À noter que pour limiter les conséquences néfastes d’une atteinte au commerce intracommunautaire, la préservation de la libre circulation des produits a été organisée dès mars 2020, des lignes directrices en matière de fret : les voies vertes aux points de passage du réseau transeuropéen de transport ont limité la durée des contrôles de santé des transporteurs.
Mais c’est bien la libre circulation des personnes qui est l’objet de toutes les attentions et le certificat COVID numérique européen en est le sésame. Le pass n’est rien d’autre qu’une concrétisation d’un principe largement utilisé en droit de l’UE : la reconnaissance mutuelle des mesures et contrôles des États membres. La preuve d’une vaccination reconnue par l’Agence européenne des médicaments, un test PCR négatif ou un certificat de guérison du virus Covid-19 délivré par un État membre est reconnu par les 27 et Suisse, Islande, Norvège, Liechtenstein. Le pass est détaillé dans un règlement tripartite et opérationnel depuis le 1er juillet 2021.
– Caractéristiques du certificat
– Format numérique et/ou papier
– Comporte un code QR
– Gratuit
– Dans les langues nationales et en anglais
– Sûr et sécurisé
– Valable dans tous les pays de l’UE
Sésame, oui mais pas absolu. Les États n’en sont pas au même niveau et sur un sujet si épineux que la santé publique et leur économie, ils ne sont pas prêts à lâcher. De nouvelles fractures apparaissent régulièrement. On évoquera, par exemple à l’été 2021, la Grèce allégeant
considérablement les restrictions sanitaires pour accueillir des touristes et l’Allemagne interdisant des déplacements. L’application Re-open EU créée en décembre 2020 permet de trouver des informations en temps réel sur : les frontières ; les moyens de transport disponibles ; les restrictions en matière de déplacements ; les mesures adoptées.
Risque économique – Mesures d’urgence
Le budget septennal de l’UE c’est 1 074 milliards d’euros, conjugué à l’instrument de relance Next Generation EU de 750 milliards d’euros, soit 1 800 milliards d’euros, auquel il faut ajouter, pour faire bonne mesure, le programme d’achats face à la pandémie de 1 350 milliards d’euros de la BCE. C’est à partir de ces perspectives que la Commission a soutenu l’économie un temps sinistrée des États. En 2020, le montant consacré s’est élevé à 3 000 milliards d’euros d’aide. D’autres initiatives sont venues compléter ces aides : règles adaptées en matière d’aides d’État ; activation de la clause de sauvegarde aux règles budgétaires avec des orientations économiques aux États dans le paquet de printemps du Semestre européen ; initiative d’investissement pour procurer aux États des liquidités à partir des fonds de la politique de cohésion non utilisés ; soutien spécifique aux PME et à des secteurs fragilisés et filtrage des investissements directs étrangers dans les secteurs stratégiques.
Risques d’atteinte aux libertés
Risque sanitaire et proportionnalité des restrictions aux libertés – un débat sans fin
Le pass covid et l’UE
Estimant que l’exigence de test ou de vaccination pour la délivrance d’un certificat Covid viole la Charte des droits fondamentaux, certains ont déposé un recours contre le Conseil et le Parlement européens qui ont approuvé le « Certificat Covid numérique de l’UE ». Le certificat COVID numérique de l’UE comprend en effet des informations telles que nom, date de naissance, date de délivrance, vaccin/test/rétablissement et un identifiant.
Menace potentielle contre l’état de droit dans les États
Le premier rapport sur l’État de droit de 2020 fait état de préoccupations concernant des décisions prises en lien avec la situation mais qui pourraient perdurer en France , la pandémie a impacté la liberté des citoyens et le rapport note dix points à surveiller dont la nécessité d’un débat démocratique, l’intelligibilité des textes, les mesures d’isolement étendues, les risques liés au traitement des données et la vaccination obligatoire pour certaines professions .
Politique à l’égard des tiers :
La décision d’instaurer ou non des restrictions à la libre circulation afin de protéger la santé publique continue de relever de la responsabilité des États. Le 13 octobre 2020, le Conseil a adopté une 1re recommandation relative à une approche coordonnée des restrictions de libre circulation ; actualisée elle établit des critères et un cadre commun à l’égard des voyageurs. Les zones sont classées par couleur : vert, orange, rouge ou interdit. En cas de détérioration de la situation épidémiologique dans une région, les États membres déclenchent un freinage d’urgence. Le Conseil réexamine la situation de manière coordonnée, en coopération avec la Commission et avec l’appui du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.
Liberté des médias, réseaux sociaux et risque de désinformation
Une autre préoccupation est la lutte contre la désinformation. La Commission collabore avec les plateformes de réseaux sociaux pour favoriser les contenus faisant autorité en matière de coronavirus (www.EUvsDisinfo.eu). Une page du site de la Commission est dédiée à la question et le Service européen pour l’action extérieure collabore avec les institutions de l’UE, les États, le G7 et l’OTAN au moyen du système d’alerte rapide. La Commission a, dans une approche de plus long terme, proposé un plan d’action pour la démocratie européenne et une législation sur les services numériques .
Quel pré-bilan ?
Le monde se débat avec une crise de santé publique sans précédent, qui aura causé des décès mais aussi des troubles de toutes sortes en matière de santé, déclenché l’une des crises économiques les plus graves de notre histoire et fait peser une grave pression sur nos sociétés et nos valeurs. L’UE a fourni un effort remarquable en termes de mesures d’urgence et de coordination pour atténuer les effets de ce bouleversement, même si la coopération entre les États membres a un temps patiné. Il est intéressant de noter la différence d’efficacité selon les domaines.
Sans le domaine économique, une capacité à faire
L’action de l’UE ayant manifestement tiré leçon de la crise financière de 2008 et disposant de la capacité à dire et faire en la matière a été exemplaire à ce jour en trois phases :
– mesures d’urgence : pour mobiliser les ressources de l’UE, dont 82 milliards d’euros du budget de l’UE et clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance pour permettre aux États membres d’intervenir à grande échelle, etc.
– réparation : mobilisation des instruments de l’Union à hauteur de 540 milliards d’euros afin d’amortir les répercussions économiques et le risque de chômage (SURE) ;
– relance : avec NextGenerationEU et REACT-EU, afin de stimuler les investissements et les réformes au cours des six ans qui viennent.
Les réponses des États ont été coordonnées par le budget de l’UE et les plans pour la reprise et la résilience contribuent à compenser les effets asymétriques de la crise.
Faiblesse récurrente en matière de Santé
L’improvisation salvatrice et les interventions d’urgence doivent mener à des changements structurels en vue d’une réponse coordonnée à de futures crises sanitaires. Par ailleurs, si le poids de l’économie de l’UE et de l’euro a permis la résilience de l’UE face aux différents chocs, la prise de conscience de l’interdépendance entre les économies de l’UE et le reste du monde, notamment en matière de santé, reste un problème crucial qui requiert une solution.
Conclusion : et maintenant?
Quelle politique de santé publique européenne ?
« La Covid-19 ne sera pas la dernière urgence de santé publique », écrit l’exécutif européen. Améliorer la préparation commune pour faire face aux « risques de pandémies et de bioterrorisme » est un impératif absolu.
L’Union européenne a sans doute gagné une compétence supplémentaire au titre de la nécessité !
Dès le 11 novembre 2020, la Commission a proposé un plan pour une Union européenne de la santé afin de créer un cadre plus solide.
– un système d’urgence déclenchant une coordination renforcée et une action rapide pour mettre au point, stocker et acquérir les équipements requis ;
– l’harmonisation des plans de préparation et de réaction aux niveaux : européen, national et régional. Plans soumis à des tests de résistance et à des audits par la Commission et les agences de l’UE ;
– des agences solides, articulées autour du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, qui surveilleront la situation épidémiologique ; l’Agence européenne des médicaments avec un mandat étendu à la sécurité des médicaments et des dispositifs médicaux, les risques de pénuries et les essais cliniques des médicaments ; enfin, la nouvelle autorité de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA). Cette Autorité a pour mission de prévenir, détecter et répondre aux urgences sanitaires transfrontalières, logée au sein de la Commission européenne, elle sera opérationnelle début 2022. La Commission a déjà fourni un budget de 6 milliards d’euros provenant du budget de l’UE, dont une partie proviendra de NextGenerationEU ;
– une politique médicale « Made in Europe » : garantir l’accès aux médicaments pour tous à un prix abordable, accroître l’innovation de l’industrie pharmaceutique, renforcer la stratégie de défense contre les futures pandémies et faire de l’UE un leader en santé publique.
– le rapport « pour une politique pharmaceutique de l’UE qui réponde aux futurs besoins » de Dolors Monsterrat (PPE) déposé le 8 novembre 2021 présente des pistes pour la mise à jour de la législation pharmaceutique européenne tirant leçon du Covid, après qu’on a notamment constaté notre dépendance : 40 % des médicaments proviennent de l’Inde ou de la Chine et 80 % des IPA qui servent à fabriquer les médicaments.
Ainsi, de compétence d’appui, la politique sanitaire est en passe, pour des raisons qu’il est inutile de détailler de nouveau, de devenir une politique commune. De fait l’action de l’UE a été rapide, ambitieuse mais lorsque la coordination a fait et fait défaut, l’échec montre le bout de son nez, démontrant le besoin de mettre en place des structures et des solutions communes durables, efficaces et résilientes. Alors qu’il était possible d’espérer que l’Union européenne se consacre à la relance et investisse dans le domaine de la santé, en mode préventif et en mode collectif, avec des moyens conséquents, le nouveau variant génère des mesures nationales en ordre dispersé allant du recours aux sanctions (Autriche ou Grèce) à l’aide financière en cas de vaccination1 ou d’annulation d’événements ainsi qu’à la mise en place de restrictions, par exemple pour l’accès aux bars et aux restaurants. Il est possible que la Commission ait à nouveau du mal à garder la capacité de coordination acquise alors que certains gouvernements envisagent un vaccin obligatoire dont le champ s’élargit aux enfants. Elle en en revient à ses fondamentaux et se préoccupe à nouveau du fonctionnement du marché intérieur et de la liberté de circulation entre les États membres. ■
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