Quatre mois après l’apparition des premiers cas présumés de coronavirus en Chine, l’épidémie est devenue mondiale et son épicentre s’est déplacé en Europe. Si les Etats membres sont en première ligne face à la maladie, quelles mesures l’Union européenne a-t-elle prises pour l’endiguer ?
Des touristes munis de masques de protection à Rome, le 3 mars dernier – Crédits : Photo Beto / iStock
Depuis le 15 mars, l’Europe est devenue l’épicentre de la pandémie de Covid-19 qui frappe la planète. Avec plus de 45 000 morts recensés au 7 avril, elle est le continent le plus touché par la maladie, poussant les Etats membres de l’Union européenne à prendre des mesures exceptionnelles de fermeture des frontières et de confinement.
Face à cette situation exceptionnelle, comment s’articulent les réponses étatiques et européennes ? Toute l’Europe dresse la liste de ce que l’Union européenne peut faire – et ne peut pas faire – lorsqu’elle se retrouve confrontée à une crise sanitaire de cette ampleur.
Chronologie de la pandémie en Europe
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Comment réagissent les Etats membres ?
- Par des mesures de confinement et la fermeture de leurs frontières
Sur le Vieux Continent, au 7 avril, l’Italie paie le plus lourd tribut avec 16 523 morts, toujours selon les chiffres avancés par les chercheurs de l’université John Hopkins. Suivent ensuite l’Espagne (13 341 victimes) et la France (8 911). L’Allemagne comptabilise quant à elle un nombre important de contaminations (103 375 cas recensés), mais « seulement » 1 810 morts.
Face à ces circonstances exceptionnelles, les Etats membres de l’Union européenne, tous touchés, ont réagi. Des mesures très strictes de confinement ont été instaurées en France, en Espagne et en Italie. L’Allemagne, la République tchèque, la Slovaquie, le Danemark, la Pologne, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie et Chypre ont également instauré des contrôles plus étroits des déplacements, allant parfois jusqu’à la fermeture totale de leurs frontières. Toutes ces décisions ont été prises dans un même but : limiter les déplacements de population et la vie sociale, deux facteurs aggravants de la propagation du virus.
Schengen : la carte des contrôles aux frontières nationales
Les accords de Schengen autorisent les Etats membres à fermer leurs frontières « pour des périodes renouvelables de 30 jours prolongeables en principe pour une durée maximale de 24 mois, selon l’article 23 du code frontières Schengen. Les 26 pays de l’espace Schengen, dont 22 membres de l’UE ne peuvent activer ces contrôles renforcés qu’en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ».
De fait, plusieurs Etats membres ont déjà fermé leurs frontières suite à des attaques terroristes, des événements sportifs faisant craindre des débordements ou pendant la crise migratoire. Mais c’est la première fois que ce principe est appliqué pour des raisons sanitaires.
Sur ce point, la Commission européenne ne peut donc empêcher ce retour des contrôles aux frontières : elle s’est ainsi contentée d’appeler à des fermetures « coordonnées, opérationnelles, proportionnées et efficaces« . Elle a par ailleurs édicté des lignes de conduite à adopter pour ne pas « menacer les chaînes de distribution et d’approvisionnement des magasins« , comme l’a rappelé sa présidente Ursula von der Leyen le 13 mars.
Europe, UE, Schengen, zone euro : quelles différences ?
Quelles sont les prérogatives de l’Union européenne en termes de politique de santé ?
- L’UE ne dispose que d’une compétence d’appui et s’attache donc à coordonner au mieux l’action des Etats membres.
Dès les débuts du développement de l’épidémie sur le territoire européen, une question a émergé : que fait – et que peut faire – l’Union européenne face à cette crise ? Parfois critiquée pour son manque de répondant, l’Union européenne jouit en réalité d’une marge de manœuvre réduite dans le domaine des politiques de santé. Comme l’indique l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), la santé est une compétence communautaire d’appui : l’UE « encourage la coopération » et « complète les politiques nationales« , sans s’y substituer.
Cela signifie que les Etats membres gardent la mainmise sur leur politique de santé. L’UE peut néanmoins produire des actes juridiquement contraignants en la matière, à condition qu’ils n’impliquent aucune harmonisation législative ou réglementaire des législations nationales.
Face à une situation comme la pandémie de Covid-19, l’Union peut également favoriser une meilleure coordination des politiques, tout particulièrement dans les zones transfrontalières. Elle se charge également d’informer et d’éduquer sur les problématiques de santé, de lutter contre les menaces sanitaires transfrontalières et de favoriser la recherche pour endiguer la maladie, comme elle a pu le faire en levant 140 millions d’euros de fonds publics et privés pour trouver un vaccin contre le Covid-19.
Le fonctionnement de l’Europe de la santé
- Pour ce faire, elle dispose de plusieurs dispositifs et mécanismes déjà activés
Sur le plan strictement sanitaire, l’Union européenne a donc un rôle de coordination. Elle s’assure ainsi que les décisions prises au niveau national par chacun de ses Etats membres n’aient pas de conséquences néfastes pour leurs voisins. Le 28 janvier, la présidence croate a déjà appelé les Etats membres « à la solidarité« , via le dispositif pour une réaction politique en situation de crise (IPCR). Son but : permettre un meilleur partage de l’information entre les gouvernements.
Dans cette optique, les institutions européennes disposent de plusieurs outils, notamment du Mécanisme contre les menaces transfrontières graves pour la santé dans l’UE, mis en place en 2013 après l’épidémie de H1N1 de 2009 et du Système d’alerte et de réponse pour la prévention et le contrôle des maladies transmissibles. C’est aussi dans un objectif de coordination que le Conseil européen s’est réuni en visioconférence le 10 mars dernier, et à nouveau mardi 17 mars. Le 6 mars dernier, les 27 ministres de la Santé s’étaient également rassemblés dans le même esprit. Ce partage d’informations demeure cependant plus qu’imparfait, d’après Politico : « le 6 mars, les ministres de la Santé européens se demandaient encore quelles mesures leurs collègues allaient prendre dans les jours à venir« , rapporte le média.
En parallèle de la coordination intergouvernementale, l’action européenne est appuyée par plusieurs agences consacrées à la santé. En 2001, l’UE a par exemple créé un Comité de sécurité sanitaire, qui a, par le passé, permis d’élaborer une stratégie de vaccination européenne pour freiner l’épidémie de peste porcine. Il avait notamment décrété l’usage de vaccins traceurs, qui permettent de distinguer les porcs contaminés des porcs sains, et avait ainsi permis de circonscrire l’épidémie. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies évalue quant à lui les risques sanitaires, à la manière d’une OMS européenne. Il a ainsi consolidé les données épidémiologiques européennes et permis de mieux évaluer les risques, tant en termes de propagation du virus d’un individu à l’autre qu’en termes de conséquences sur les systèmes de santé nationaux. Ursula von der Leyen a d’ores et déjà annoncé qu’il serait épaulé par un comité scientifique supplémentaire.
Quelles autres compétences l’Union européenne peut-elle mobiliser pour intervenir face à la crise sanitaire ?
- L’Union européenne s’engage financièrement grâce à sa flexibilité budgétaire
Bien qu’elle dispose de prérogatives réduites en termes de santé, depuis le début de la pandémie, l’Union européenne s’est mobilisée sur trois autres champs où elle bénéficie de compétences plus élargies pour réagir face à la pandémie. Le premier concerne le budget pluriannuel de l’Union européenne, pour lequel les Etats membres doivent normalement geler des fonds en prévision de leur participation aux années à venir, selon une logique de préfinancement. Bruxelles a ainsi annoncé vouloir dispenser les Etats membres de cette obligation, pour leur permettre de débloquer le plus rapidement possible 7,5 milliards d’euros en soutien aux hôpitaux et aux entreprises en difficulté.
Cette première mesure, annoncée par Ursula von der Leyen le 10 mars, a été validée par le Parlement et le Conseil le 26 mars. Elle entre dans le cadre d’un « fonds d’investissement en réponse au coronavirus« , dont le montant total doit atteindre, à terme, 37 milliards d’euros, dont une partie provient des fonds normalement dédiés à sa politique de cohésion.
La commissaire à la Recherche Mariya Gabriel a également précisé, dans un entretien au Point, que 140 millions d’euros issus du programme européen de recherche Horizon Europe seraient alloués aux études pour trouver un vaccin. L’Usine nouvelle rapporte que l’Union européenne entend également se porter garante de prêts à hauteur de 8 milliards d’euros, dans le but de soutenir l’activité économique.
Toutes ces mesures répondent à la même logique : l’Union européenne cherche à mobiliser ses différents programmes et fonds, et compte profiter de la flexibilité budgétaire dont elle dispose grâce à son organisation pluriannuelle pour aider financièrement les Etats membres. Le 20 mars, elle a enfin annoncé qu’elle ferait preuve d’une tolérance maximale quant aux critères de convergence économiques, qui contraignent habituellement les décisions budgétaires des Etats membres. Annonce officialisée par le conseil des ministres des Finances de l’UE, qui a validé le 23 mars la clause dérogatoire générale aux règles budgétaires prévues dans le Pacte de stabilité et de croissance. Cette mesure d’exception lève la limite de 3% du PIB pour le déficit public et de 60% du PIB pour la dette publique.
Comment l’Union européenne peut-elle éviter la crise ?
Cette mesure d’exception concerne les 27 pays de l’Union européenne, mais elle a des répercussions plus importantes pour les membres de la zone euro. En effet, si les 27 Etats de l’Union européenne doivent respecter ces règles économiques et sont rappelés à l’ordre en cas de non-respect des normes, les membres de l’Eurogroupe encourent des amendes en cas d’infraction. Amendes qui seront donc levées dans le cadre de cette clause dérogatoire générale.
La Banque centrale européenne a quant à elle annoncé mercredi 18 mars qu’elle allait mettre en place un plan de relance de l’économie en rachetant les dettes des Etats membres et des entreprises à hauteur de 750 milliards d’euros. Le but de la manoeuvre : rassurer les banques et les inciter à soutenir l’investissement avec des emprunts aux taux les plus bas possibles pour les ménages et les entreprises.
Pour l’instant, le mécanisme européen de stabilité (MES) mis en place après la crise de 2008 n’a pas encore été mobilisé. Le Conseil européen du jeudi 26 mars a d’ailleurs vu les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE se diviser sur la meilleure solution de relance économique. Quatorze Etats européens, dont l’Italie, l’Espagne et la France, privilégient la création de « corona bonds », des titres de dette émis au niveau de la zone euro qui permettraient aux Etats les plus endettés de se financer plus facilement sur les marchés. Une option écartée par l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande.
- Elle formule une proposition de cadre financier pluriannuel européen
La Commission européenne peut également intervenir grâce à sa compétence d’initiative budgétaire. Dans le fonctionnement institutionnel européen, elle formule en effet des propositions de cadre financier pluriannuel, en l’occurrence pour la période 2021-2027. Ce qu’elle a engagé samedi 28 mars, en promettant une future proposition budgétaire construite autour de la lutte contre le virus. Une annonce destinée à tenter de resserrer les rangs entre les Etats membres et à trouver une solution commune pour endiguer la crise.
- Elle prend des dispositions grâce à ses compétences sur le marché intérieur
Autre levier activé par l’Union européenne, le marché intérieur. L’UE partage la compétence du marché avec les Etats membres, ce qui permet à ces derniers de légiférer en la matière, seulement si l’Union européenne ne l’a pas déjà fait. Dans le cas précis de la pandémie de Covid-19, la Commission européenne a décidé de limiter les exportations de matériel médical hors des frontières de l’Union européenne pour s’assurer que les kits de tests, masques, gels hydroalcooliques et autres machines d’assistance respiratoire servent en priorité à lutter contre la pandémie sur le territoire européen.
Pour agir face à la crise, l’Union européenne peut également revenir sur les règles de concurrence strictes qui régissent habituellement le marché intérieur et limitent l’interventionnisme des Etats. C’est la raison pour laquelle la Commission a notamment considéré que la situation justifiait des aides d’Etat exceptionnelles aux entreprises en difficulté, autorisées dans des cas majeurs comme la remédiation « à une grave perturbation de l’économie d’un Etat membre » (article 107 3b du TFUE).
- Elle prend des dispositions relatives aux accords de Schengen
Autre décision majeure relative à l’espace Schengen, l’Union européenne a annoncé la fermeture de ses frontières extérieures ainsi que celles de l’espace Schengen pour une durée de 30 jours à compter du 17 mars à midi. Les ressortissants de pays membres de l’UE et de l’espace Schengen situés hors de ces frontières pourront néanmoins revenir au sein de l’espace européen s’ils le souhaitent, tout comme les citoyens britanniques.
- Elle mobilise des dispositifs d’urgence
L’Union européenne dispose enfin de dispositifs et fonds d’urgence destinés à venir en aide aux pays touchés par des crises, dont le Mécanisme de protection civile. Il permet à n’importe quel Etat, membre de l’Union européenne ou non, de demander l’assistance de Bruxelles en cas de catastrophe ou de circonstances exceptionnelles.
Le Centre de coordination des réponses d’urgence s’engage alors à aider le pays en question selon les moyens que les Etats membres sont prêts à lui donner. Chacun d’entre eux est libre de participer ou non à la hauteur qu’il souhaite. Ce mécanisme a déjà été mobilisé pour rapatrier les citoyens européens présents dans la province de Wuhan, en Chine, au début de l’épidémie de coronavirus, et avait également permis d’envoyer du matériel médical sur place. Il a été mobilisé notamment par l’Autriche pour financer une partie des rapatriements de ses citoyens vivant à l’étranger. Jeudi 19 mars, Ursula von der Leyen a annoncé que l’Union européenne allait « tout mettre en oeuvre » pour organiser, via ce mécanisme, le rapatriement par avion des citoyens européens dans leurs pays respectifs. On estime que 100 000 citoyens européens sont encore disséminés dans le monde entier. L’Italie a de son côté sollicité ce mécanisme sans obtenir d’aide pendant de longues semaines, rapporte Politico. L’Allemagne a, depuis, annoncé l’envoi d’un million de masques de protection en Italie. Il a finalement été utilisé pour acheminer un kit de 50 000 tests, 200 000 masques N95 et 2 millions de masques chirurgicaux ordinaires fourni par la Chine à l’Italie.
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En complément, le président du Conseil européen Charles Michel a annoncé que RescEU, le mécanisme européen de lutte contre les catastrophes naturelles, serait mobilisé face à la crise sanitaire « pour acheter des équipements de protection individuelle« .
L’Union a pris une autre mesure européenne de soutien économique en activant le fonds de solidarité de l’Union européenne, destiné lui aussi à soutenir les Etats membres en cas de catastrophe naturelle. Son champ d’application a été étendu à la lutte contre la pandémie par le Parlement et le Conseil européen le 26 mars, débloquant ainsi une enveloppe de 800 millions d’euros supplémentaires.
Face à la crise économique majeure provoquée par la pandémie, le 2 avril, la Commission européenne a également annoncé la mise en place d’un dispositif « d’aide au maintien partiel de l’emploi« , selon les mots de sa présidente Ursula von der Leyen. Cet instrument dénommé SURE est une aide « destinée à inciter les Etats de l’Union à adopter à leur tour des mesures permettant l’instauration du chômage partiel et éviter une explosion du nombre des licenciements« , rapporte ainsi Reuters. Au total, 100 milliards d’euros seraient mis à disposition des Etats pour soutenir leurs systèmes d’assurance-chômage nationaux. Une somme qui « pourrait être empruntée sur le marché avec des garanties apportées par les gouvernements« .
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