Les conséquences de la guerre en Ukraine pour le projet européen – Europanova

Article d’Europanova sur les conséquences de la guerre en Ukraine pour le projet européen.

Le moment semble être venu pour l’UE de s’assumer en tant qu’entité géopolitique, avec un rôle et une responsabilité accrus dans la gouvernance mondiale et envers son voisinage. Les implications de la guerre en Ukraine seront considérables : pour le peuple ukrainien d’abord, mais aussi pour le rôle des règles démocratiques dans l’ordre mondial, pour le redécoupage de la carte de l’Europe et l’avenir du projet européen.

Pour le moment, sous le choc de l’invasion russe, l’UE a fini par se rassembler autour de quelques premières mesures fondamentales : organiser l’accueil de la première vague de réfugiés, fournir des armes aux forces ukrainiennes, mettre en place des sanctions ayant un impact sur le système financier et
économique russe, se coordonner avec les autres organismes internationaux pour isoler l’offensive de Poutine, bien que limitée par le risque d’une escalade aux conséquences imprévisibles. Mais cette guerre, grâce à la réponse héroïque du peuple ukrainien qui a déjoué le raid initialement prévu par Poutine, peut
s’éterniser et son issue est encore très incertaine. Elle peut aller de la défaite et de la soumission à la Russie, à un détachement de provinces et à la création d’une zone tampon, ou à une victoire relative de l’Ukraine avec un rapprochement avec l’UE. Et plusieurs questions essentielles se poseront d’ici là.

Comment accueillir une grande vague de réfugiés sans répéter les blocages regrettables constatés récemment ? Il faudra rapidement mettre en place des canaux humanitaires et de protection temporaire tout en organisant enfin un véritable système d’asile européen basé sur des frontières européennes,
une coordination européenne et un partage des efforts entre tous les Etats membres. Comment créer les conditions d’un accord de cessez-le-feu qui réduira les pertes civiles et militaires et empêchera l’escalade du conflit tout en minimisant les concessions à faire à Poutine ? Il faudra le mettre sous une pression maximale avec des sanctions financières, économiques et politiques. Il est tout aussi crucial de mobiliser l’ensemble des partenaires internationaux et – autant que possible – la population russe elle-même, et de renforcer le soutien à la résistance ukrainienne. Mais il s’agit d’une course contre la montre qui sera payée par des vies ukrainiennes.

Comment répondre à l’offensive russe dans le cyberespace – cette nouvelle forme de guerre – visant à attaquer les différents systèmes numérisés et à manipuler l’opinion publique russe et internationale ? Il faudra rapidement développer de plus grandes capacités en matière de cybersécurité et activer une information publique mondialement accessible dans le monde entier.

Comment réussir à réduire drastiquement la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie sans encourir le risque d’un chantage ou d’une nouvelle spirale d’inflation ou pire de stagflation ? Il faudra diversifier les sources d’approvisionnement et accélérer la transition vers les énergies renouvelables avec la capacité d’investissement nécessaire. Cela implique de prolonger l’exceptionnelle capacité budgétaire européenne créée pour répondre à la pandémie, de maintenir la suspension du Pacte de stabilité et de croissance et de le réformer pour les temps à venir. Une transition plus rapide ne peut pas creuser les inégalités sociales et régionales en Europe.

Comment répondre aux appels à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à ceux qui émanent des pays d’Europe de l’Est, à commencer par les Balkans occidentaux, quand on sait que l’intégration nécessite un effort préparatoire important de la part des pays candidats pour répondre aux conditions exigeantes du marché unique européen et de l’État de droit démocratique ? Des instruments de partenariat et de soutien bien plus eicaces doivent être développés.

Comment pouvons-nous empêcher la Russie dirigée par Poutine de gagner davantage d’alliés déclarés ou cachés ? La position de la Chine sera cruciale, car elle pourrait provoquer ou empêcher une fracture de la gouvernance mondiale et l’avènement d’une nouvelle guerre froide. Une UE beaucoup plus proactive
sera nécessaire pour désamorcer ces risques et faire pression pour une solution négociée et un système multilatéral inclusif mais plus eicace. Le récent vote de l’Assemblée générale des Nations unies qui a isolé Poutine est un point de départ important.

Il est temps pour l’Union européenne de jouer le rôle géopolitique qui lui revient et d’assumer ses responsabilités dans la gouvernance mondiale et envers son voisinage. Cela implique de doter le bloc d’instruments plus robustes pour son approfondissement et son élargissement, de surmonter les divers tabous et blocages concernant une politique étrangère plus cohérente, une capacité de défense
européenne en liaison avec l’OTAN, un système d’asile européen réformé, une union européenne de l’énergie, une politique industrielle et numérique européenne et une capacité fiscale renforcée fondée sur la convergence fiscale.

Il faudra peut-être envisager une architecture à plusieurs vitesses si certains États membres ne veulent pas ou ne peuvent pas pour l’instant suivre le rythme nécessaire. Il reste à voir à quelles conditions la coexistence avec la Russie pourra un jour être rétablie. La lutte contre la pandémie a donné un nouvel élan au projet européen. La bataille contre le nouveau visage de la tyrannie – avec l’Ukraine à son épicentre devrait en fournir un encore plus grand.