mis à jour par Barthélémy Gaillard
A l’origine de la révélation de plusieurs scandales, visant par exemple des pratiques d’optimisation fiscale (Luxleaks, Panama papers…) ou la falsification de contrôles anti-pollution (Dieselgate), les lanceurs d’alerte sont protégés par une directive européenne entrée en vigueur en décembre 2019. Comment définit-elle ce statut et comment prémunit-elle les lanceurs d’alerte de potentielles représailles ?
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Protéger les lanceurs d’alerte
A l’origine de plusieurs révélations aux répercussions mondiales (Luxleaks, Dieselgate, Panama Papers…), les lanceurs d’alerte jouent un rôle important dans la mise au jour d’activités illicites ou moralement condamnables. Toutefois, selon une enquête de 2016 citée par la Commission européenne, 36 % des travailleurs qui ont signalé des fautes de leur entreprise ou de leur administration auraient été victimes de mesures de représailles.
Le meilleur exemple des difficultés que peuvent rencontrer les lanceurs d’alerte après avoir divulgué des informations sensibles reste probablement Antoine Deltour. Auditeur chez PricewaterhouseCoopers au Luxembourg, il est à l’origine de la fuite des documents sur l’évasion fiscale à grande échelle à l’oeuvre dans le Grand Duché, baptisée Luxleaks. De 2014 à 2018, il est poursuivi par la justice luxembourgeoise pour violation du secret professionnel et du secret des affaires. Il n’obtient le statut de lanceur d’alerte qu’après quatre ans d’une bataille judiciaire acharnée.
C’est donc pour leur assurer un niveau élevé de protection qu’en avril 2018, la Commission européenne a proposé une directive sur la protection des lanceurs d’alerte. Entrée en vigueur le 16 décembre 2019, celle-ci les considère comme « des acteurs permettant le respect de la légalité et l’application du droit de l’Union » car les « signalements et les divulgations publiques des lanceurs d’alerte constituent une composante en amont de l’application du droit et des politiques de l’Union« .
Pour les protéger, le texte entend instaurer des « canaux sûrs permettant les signalements tant au sein d’une organisation qu’auprès des pouvoirs publics« . Le but : protéger les lanceurs d’alerte contre le licenciement, la rétrogradation et d’autres formes de représailles, y compris ceux qui interviennent en tant que source pour des journalistes d’investigation. La directive s’applique à toutes les personnes divulguant des informations dans leur cadre de travail, qu’ils soient ou non salariés. Stagiaires, sous-traitants ou volontaires sont donc concernés.
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Quels précédents ?
La directive s’appuie sur plusieurs textes, notamment une recommandation du Conseil de l’Europe de 2014 sur la protection des lanceurs d’alerte. Le Parlement européen avait quant à lui adopté en octobre 2017 un rapport d’initiative porté par la députée européenne radicale de gauche Virginie Rozière. A noter que la proposition de la Commission est très proche des recommandations faites dans le rapport d’initiative du Parlement. Néanmoins le rapport d’initiative du Parlement recommandait notamment d’imposer des sanctions pénales aux auteurs de représailles envers les lanceurs d’alerte, ainsi qu’une aide financière pour aider ces derniers dans la procédure judiciaire mais ces deux propositions n’ont pas été retenues par la Commission.
Comment protéger les lanceurs d’alerte ?
La proposition de la Commission européenne, adoptée par le Parlement européen et le Conseil, établit que les entreprises de plus de 50 salariés et d’un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros, les administrations nationales, régionales et les municipalités de plus de 10 000 habitants mettent en place un mécanisme interne afin de recevoir les alertes de leurs employés. Si un délai de 3 mois passe sans qu’aucune réponse ne soit faite au lanceur, celui-ci peut se rendre devant un organisme national indépendant, dont la nature devra être arrêtée par les Etats.
Si le travailleur est dans une entreprise ou une administration qui n’a pas de mécanisme d’alerte interne, il pourra s’adresser directement aux autorités compétentes nationales. Le signalement au grand public pourra avoir lieu lorsqu’aucune mesure adéquate n’a été prise après un signalement par les voies internes en entreprise ou auprès des autorités nationales. A chaque étape, l’anonymat du travailleur devra être impérativement respectée. A noter que si le travailleur a de sérieux soupçons mais ne dispose pas de toutes les preuves, il pourra néanmoins déclencher l’alerte en montrant sa bonne foi.
Enfin, une clause de sauvegarde générale permettrait aux lanceurs d’alertes de se rendre directement devant la presse et de divulguer l’information au public en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt public ou en cas de préjudice irréversible.
Dans quels domaines l’Union européenne est-elle compétente pour les protéger ?
La directive sur les lanceurs d’alerte définit un cadre précis dans lequel les sources rapportant une infraction ou un manquement peuvent être protégés. L’Union garantit ainsi la défense des droits des sources en cas de violation de la législation européenne. Cette dernière porte sur différents secteurs, listés dans le texte : les marchés publics, le droit de la concurrence et des aides d’état, les services financiers, les règles de l’impôt sur les sociétés, la protection de l’environnement, la sécurité des aliments, des produits et des transports, la santé publique, le nucléaire, la protection des consommateurs, le droit à la vie privée et la protection des données à caractère personnel et la sécurité des réseaux et des systèmes d’information.
Comment le texte va-t-il être transposé dans la loi française ?
Outre ces domaines propres aux politiques européennes, l’Union encourage les Etats membres à élargir le spectre de la protection des lanceurs d’alerte à d’autres secteurs relevant des compétences nationales. C’est tout l’enjeu de la transposition de la directive au niveau des législations des Vingt-Sept, qui ont jusqu’au 17 décembre 2021 pour l’appliquer. Dix pays européens ont déjà établi dans leur droit national une protection spécifique pour les lanceurs d’alertes, dont la France, avec la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II ».
En France, la Cour nationale des droits de l’homme (CNDH) a ainsi estimé que la directive européenne de protection des lanceurs d’alerte recouvrait un champ d’application bien plus large que le texte actuellement en vigueur. Différence notable entre l’actuelle loi française et la législation européenne, le lanceur d’alerte est pour l’instant obligé d’informer son employeur de sa volonté d’informer le grand public d’une infraction, tandis que la directive l’autorise à « s’adresser directement à l’autorité en charge du traitement des alertes« , note Legifrance. Enfin, la directive autorise les personnes morales à revendiquer le statut de lanceur d’alerte, permettant à des associations, des syndicats ou des ONG de se substituer à des individus, par nature plus vulnérables. La CNDH recommande également que les lanceurs d’alerte puisse bénéficier d’un soutien financier et psychologique, et que ceux étant de nationalité étrangère puissent bénéficier du droit d’asile. Le Défenseur des droits a pour sa part appelé à une transposition rapide du texte européen.
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