En France, la tentation d’un « corridor de prix » pour le carbone – EURACTIV.fr

Grain de sel : Depuis 2005, l’UE encadre un marché du carbone dont l’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Désormais, l’UE souhaite accélérer sa transition écologique et s’interroge sur une évolution de ce système. L’idée d’un corridor de prix émerge, fausse bonne idée ou nécessité politique ? 

Contexte et enjeux

Depuis quelques mois, les prix du carbone s’emballent sur le marché européen. Une situation qui remet sur la table l’idée d’un prix plafond, après des années de prix bas ayant suscité le soutien à un prix plancher.

Alors que l’Union européenne est en train de procéder à la révision de son marché du carbone pour s’aligner sur les objectifs climatiques plus ambitieux du bloc, les appels se multiplient pour que l’outil phare de la politique climatique de l’UE soit transformé, de manière à être à l’épreuve du temps et à empêcher les fluctuations incontrôlées des prix.

En France, près de 1 000 installations industrielles sont concernées par le marché du carbone. Elles bénéficient de quotas les autorisant à émettre une certaine quantité de CO2. Au-delà de cette quantité, elles doivent acheter des quotas supplémentaires sur le marché européen du carbone, tout comme d’autres entreprises en Europe.

En place depuis 2005, ce Système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) a pour but d’inciter les grands industriels à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Dans cette optique, le nombre de quotas alloués diminue également chaque année, entraînant par effet collatéral une augmentation du prix du carbone. 

Mais alors que le prix du CO2 se languissait en dessous des 10 euros la tonne, les cours se sont envolés. Entamée en 2018, la remontée des prix a atteint des records inattendus. En décembre 2021, le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen était de 80 euros ; en février 2022, il a frôlé les 100 euros.

Les conséquences ont rapidement été ressenties du côté des électriciens, grands consommateurs de quotas de CO2.

« Récemment, un fournisseur d’énergie électrique polonais m’expliquait que les coûts du carbone représentaient 60 % du coût de son électricité en sortie d’usine » détaille Sébastien Postic, chef de projets Finance publique, Développement, Climat à l’Institute for Climate Economics, lors d’un entretien avec EURACTIV.

Pour Marc Baudry, responsable du programme Prix du CO2 et Innovation bas carbone à la chaire Économie du Climat de l’université Paris Dauphine, on assiste à « un tournant dans la dynamique du prix du carbone » dues à plusieurs facteurs comme la mise en place de la réserve de stabilité, « qui a contribué à resserrer légèrement l’offre de quotas et, de ce fait, à faire remonter le prix ».

L’expert mentionne également à EURACTIV le Pacte vert. « Il y a une politique volontariste de décarbonation et, de ce fait, le prix grimpe. »

Emmanuel Macron favorable

Confrontés à des pris jugés trop bas pendant de longues années, les politiques français ont été jusqu’à présent plutôt enclins à soutenir un prix plancher.

En mars 2018, le président Emmanuel Macron estimait ainsi : « Nous avons besoin d’un marché carbone qui fonctionne au niveau européen (…). Nous avons besoin d’un prix plancher européen du carbone. »

Cette idée est également soutenue par les sénateurs Guillaume Chevrollier et Denise Saint-Pé, auteurs d’un rapport d’information intitulé « Réformer le marché carbone pour bâtir une économie européenne souveraine, durable et juste ».

Publié le 15 mars 2022, le document propose de disposer d’un « outil pour donner plus de visibilité aux acteurs économiques sur l’évolution du prix du CO2, par exemple par l’instauration d’un corridor de prix sur le SEQE-UE »

Au prix plancher, les deux sénateurs ajoutent donc l’idée d’un prix plafond, à l’image du « serpent monétaire » européen instauré dans les années 70 en préparation à l’introduction de la monnaie unique.

L’idée d’instaurer un « corridor de prix » pour le carbone n’est pas neuve. Elle avait notamment été défendue en 2017 par la Commission de Haut Niveau sur les Prix du Carbone, soutenue par le groupe de la Banque mondiale, l’ADEME et le ministère de la Transition écologique et solidaire.

Mais si ce point de vue est partagé par deux niveaux politiques français, le sujet mobilise peu sur la scène nationale. « Le regard français existe, mais il est davantage porté par les parlementaires français européens. C’est un débat qui se joue très largement au niveau européen » observe Sébastien Postic.

Parmi les députés européens français qui se sont exprimés sur le sujet, on peut citer Marie Toussaint (Europe Ecologie Les Verts), auteur avec Philippe Lamberts d’un rapport sur le marché européen du carbone.

Dans l’avant-propos, les édiles estiment qu’ « un signal de prix du carbone fort et stable est essentiel pour que le SCEQE soit réellement efficace », ce à quoi pourrait contribuer l’instauration d’un prix plancher.

Pour autant, il n’est pas non plus « la solution miracle » selon la députée européenne Aurore Lalucq (Socialistes & Démocrates). Elle plaide plutôt pour « de la réglementation, de la norme », de la planification et un changement des modes de vie.

« On a besoin de stabilité et de vision » pour la transition écologique, ce qui n’est pas compatible avec des prix fluctuants soumis aux aléas du marché, mêmes plafonnés, estime-t-elle.

Entretien-analyse de Michael Pahle

Une certaine forme de régulation des prix, comme un tunnel de prix ou des limites de position pour les acteurs du marché, pourrait répondre aux inquiétudes concernant les prix élevés relatifs au système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE) et aider à prévenir « un retour de bâton politique ». C’est ce que nous a expliqué l’expert en climat et énergie Michael Pahle lors d’un entretien.

Le Dr Michael Pahle est chef d’un groupe de travail à l’Institut de Postdam pour la recherche des effets du climat en Allemagne.

POINTS FORTS DE L’ENTRETIEN

  • Il n’y a « aucune preuve tangible » de la spéculation sur le SEQE qui a un effet significatif sur le prix des quotas de CO2.
  • L’idée qu’il y a de bons et de mauvais traders « est dangereusement erronée » car la spéculation est également le fait de traders agissant au nom de l’industrie réglementée – dit « de conformité ».
  • Cela étant dit, permettre aux financiers d’opérer sans contrôles suffisants est « une recette pour des turbulences et de graves perturbations du marché ».
  • C’est pourquoi des indicateurs et des seuils sont nécessaires pour mesurer les modèles d’échange afin d’éviter une pénurie de liquidités pour les industries réglementées couvertes par le SEQE.
  • La volatilité des prix du carbone est également due à un « monopole de l’information » détenu par une poignée de négociants capables d’anticiper les mouvements de prix. Une plus grande transparence et un meilleur partage de l’information permettraient d’éviter ce phénomène.
  • Parmi les autres solutions possibles, citons l’imposition de « limites de position » aux acteurs du marché ou l’introduction d’un « tunnel de prix » pour garantir la stabilité des prix, comme l’a fait l’État américain de Californie avec son propre SEQE.

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Dans quelle mesure la spéculation est-elle présente dans le système d’échange de quotas d’émission ? Les volumes sont-ils importants ? Et quels types de problèmes cela peut-il causer ?

Le principal problème, à mon avis, est en fait la « spéculation sur la spéculation ». Jusqu’à présent, nous ne pouvons ni mesurer directement le volume de la spéculation, ni mesurer rigoureusement son impact sur les prix. Par conséquent, si les observateurs affirment avec une grande confiance que la spéculation est un gros problème ou qu’elle n’en est pas un du tout dans le SEQE, ils avancent en fait des affirmations pour lesquelles il n’existe aucune preuve concrète.

L’évaluation de la spéculation pose deux problèmes majeurs : premièrement, elle peut être à la fois bénéfique et préjudiciable au fonctionnement du marché. Elle est bénéfique lorsqu’elle aide les traders de conformité à se couvrir, fournit des liquidités qui réduisent la volatilité ou favorise la fixation des prix lorsque les fondamentaux changent. Si elle fait le contraire, elle a un effet néfaste et est jugée excessive.

C’est pourquoi je dis que la spéculation ne peut être véritablement évaluée que par rapport à ses effets sur les prix, et non par rapport aux volumes détenus, par exemple, par les sociétés financières.

Deuxièmement, la spéculation n’est pas nécessairement exclusive aux financiers — comme le suggère notre recherche, les traders « de conformité » s’engagent également dans des opérations qui vont au-delà des objectifs de couverture. Pour mesurer les effets des opérateurs non conformes comme les fonds d’investissement, il faudrait donc filtrer leurs effets sur le marché et établir un point de référence contre-factuel sur ce qu’auraient été les prix sans eux.

En fait, il existe un grand nombre d’ouvrages sur la financiarisation des marchés des matières premières, qui ont tenté de mesurer l’impact des opérateurs dits non conformes. Toutefois, le développement de méthodes scientifiques appropriées est toujours en cours, et la disponibilité et la qualité des données doivent encore être améliorées, comme le montre le rapport de l’AEMF [autorité européenne des marchés financiers] ainsi que le nôtre.

Je suis désolé pour la leçon de morale, mais en tant qu’universitaire, je pense qu’il est important de préciser que les preuves tangibles font encore défaut, et que les propositions sur la manière de traiter — ou de ne pas traiter — ce sujet doivent en tenir compte.

Donc, pour résumer, la distinction clé se fait entre les traders qui sont des acteurs de la conformité issus des industries réglementées, ou ceux qui opèrent en leur nom, et les traders qui ne sont pas issus des industries réglementées. Est-ce exact ?

Oui.

Quelle est l’importance des transactions provenant des industries non conformes ? Les volumes sont-ils importants et ont-ils évolué dans le temps ?

Si l’on examine les données du rapport de l’AEMF sur le marché européen du carbone et nos propres résultats, on constate que les entreprises d’investissement et les établissements de crédit se taillent la part du lion dans les volumes d’échanges.

Il s’agit principalement de banques agissant pour le compte de traders de conformité qui effectuent des « carry trades », c’est-à-dire qu’elles achètent des quotas en leur nom et les leur revendent, ce qui est une forme très courante de transaction pour la couverture.

Ensuite, dans des volumes beaucoup plus faibles, il y a les transactions des fonds d’investissement et d’autres sociétés financières non classées.

Ce sont les nouveaux acteurs, non ? Ce sont les financiers qui ne se sont intéressés au SEQE que récemment et qui n’agissent pas pour le compte des industries réglementées ?

Exactement.

Ces personnes sont-elles les spéculateurs alors ?

C’est là que le choix de la terminologie est important. Certains les appellent des spéculateurs parce qu’ils font du commerce uniquement pour gagner de l’argent, tandis que d’autres les appellent des investisseurs parce qu’ils achètent et détiennent des quotas — contrairement à la spéculation, qui est généralement perçue comme étant à plus court terme, ce qui signifie que les profits sont réalisés dans des délais allant de quelques secondes à plusieurs mois.

Ce qui est plus intéressant que le langage, c’est ce qui a amené ces entreprises sur le marché il y a quelques années. Jusqu’en 2018, les objectifs climatiques de l’UE étaient moins contraignants, l’offre de quotas d’émission était excédentaire et les prix du CO2 étaient relativement bas. Et puis, la réforme du SEQE pour la phase IV a été mise en œuvre pour supprimer l’offre excédentaire.

Les fonds d’investissement et les fonds spéculatifs ont alors compris que l’UE prenait le changement climatique au sérieux. Par conséquent, c’est à ce moment-là que ces négociants ont commencé à apparaître et, dans l’état actuel des choses, ils semblent être là pour rester.

Ok, donc il y a plus de spéculation qu’avant. Pouvez-vous maintenant expliquer quels types de problèmes cela peut engendrer ? Est-ce que cela fait juste monter les prix ou y a-t-il d’autres problèmes ?

Apparemment, elle affecte le prix des quotas de CO2, et il est important de comprendre comment cela se produit. Ces négociants peuvent à la fois être consommateurs et fournisseurs de liquidités sur le marché. Mais on ne sait pas vraiment quand ils achètent ou vendent des quotas, ni combien de temps ils les conservent. Cela dépend en grande partie de leurs stratégies commerciales, qui sont difficiles à prévoir. S’ils consomment des liquidités pendant une période prolongée, ils peuvent faire monter les prix de manière continue au-dessus de leur valeur fondamentale.

Dans le même ordre d’idées, la décision d’investissement des investisseurs particuliers peut être principalement déterminée par le marché et, dans le cas des investissements d’impact, par le sentiment écologique. Ils peuvent se contenter d’acheter des quotas et décider de les vendre tout d’un coup, indépendamment des conditions du marché, ou même les annuler pour faire pression sur les prix des émetteurs.

Cela signifie qu’il existe une plus grande incertitude quant à ce qui motive les échanges, ce qui perturbe le marché et nuit à la rentabilité du système d’échange de quotas sur le plan environnemental.

Il est donc très difficile de le dire car les acteurs financiers suivent une autre logique d’échange que les traders de conformité qui doivent acheter des quotas en fonction de leur production.

Dans une étude publiée récemment, vous avez mis en garde contre la participation des acteurs financiers au SEQE, affirmant qu’ils risquent de déclencher une « spéculation excessive » sur le marché. En quoi le comportement des acteurs financiers est-il différent de celui des autres acteurs ?

Il est différent dans le sens que je viens de décrire, à savoir les stratégies commerciales et le risque d’une réduction persistante de la liquidité.

Cependant, nous avons clairement indiqué que les effets négatifs potentiels du trading par les nouveaux acteurs financiers sont davantage une menace imminente qu’une menace actuelle. Mais comme l’offre de quotas est appelée à se réduire au fil du temps et que l’écosystème des acteurs du marché s’élargit, permettre aux financiers d’opérer sans contrôles suffisants est une recette pour provoquer des turbulences et de graves perturbations du marché.

Notre conclusion est donc que nous avons besoin d’un moyen de mesurer les flux d’investissement et les quotas détenus, et de définir un point au-delà duquel ils peuvent être considérés comme excessifs.

Un indicateur consiste à mesurer la quantité de liquidités consommées — combien de quotas sont retirés du marché et ne sont plus disponibles pour les entités réglementées. S’il ne s’agit que d’une très petite part du volume global des liquidités du marché — actuellement quelques millions de quotas — personne ne s’en préoccupera. Toutefois, si, à un moment donné, le phénomène prend de l’ampleur, il risque de distordre le marché.

Nous devons donc disposer d’un indicateur approprié et d’un seuil pour déterminer quand cela devient critique. Il s’agit de trouver de nouvelles méthodes pour mesurer l’impact, mais aussi d’améliorer les données dans le sens suggéré par l’AEMF dans son rapport.

Votre document recommande de mettre en place un mécanisme d’alerte pour se prémunir contre une spéculation excessive. Comment cela fonctionnerait-il ? Et où placeriez-vous le seuil ?

L’approche adoptée par l’AEMF pour déterminer si le marché fonctionne correctement consiste à observer le « comportement désordonné ». Cependant, elle n’en donne pas la définition, il s’agit plutôt d’une notion implicite basée sur les volumes et les indicateurs globaux du marché, qui sont mis en relation avec ce qui est considéré comme un comportement normal du marché.

Ce que nous avons suggéré dans le document, c’est d’établir explicitement des schémas de trading qui pourraient révéler la spéculation. Par exemple, une augmentation substantielle de l’intérêt ouvert des contrats de l’année précédente en l’espace d’un an, ce qui ne serait pas le cas si les échanges sur le marché à terme étaient uniquement destinés à des objectifs de couverture.

Il ne s’agit pas d’une approche infaillible, mais plutôt d’une approche heuristique éclairée. Mais ce serait un grand pas en avant que d’établir de tels schémas d’échanges qui soient normaux dans le sens où ils sont caractéristiques du fonctionnement des échanges de conformité.

La détection d’un écart par rapport à ces modèles pourrait alors constituer un signal d’alarme clair indiquant que le marché ne fonctionne pas correctement.

Qu’en est-il des transactions électroniques automatisées ultra-rapides, appelées transactions à haute fréquence, qui se déroulent en quelques millisecondes ? Pourrait-on également s’en servir comme paramètre ?

Vous pouvez en effet développer différentes mesures pour les transactions sur différentes échelles de temps, comme les transactions à haute fréquence, mesurées en secondes ou en millisecondes. On peut également envisager des échelles de temps plus longues, comme des années.

Cette dernière est beaucoup plus difficile, car l’information et l’anticipation jouent un rôle décisif. Par exemple, au début de l’année 2021, un fonds spéculatif londonien a indiqué très clairement que le prix d’un quota pourrait bien avoisiner les 100 dollars la tonne à la fin de l’année. Cette déclaration a certainement suscité beaucoup d’attention de la part d’autres opérateurs, probablement moins informés, qui ont peut-être suivi le mouvement — en tout cas, les prix ont augmenté de manière perceptible dans le sillage de cette nouvelle.

Cela souligne que l’information peut jouer un rôle important, non seulement dans la pénétration du marché, mais aussi dans la création du marché par des acteurs clés.

Cela ressemble plutôt à une manipulation du marché, alors.

Pas vraiment. La manipulation du marché intervient lorsque vous comprimez le marché en retenant les quotas pour faire grimper les prix — c’est physique dans le sens où la rareté réelle de l’actif augmente.

Dans le cas ci-dessus, je dirais qu’il s’agit plutôt de créer une information contagieuse. C’est pourquoi nos recommandations visent en fait à améliorer le partage de l’information et la transparence entre tous les acteurs du marché. Il s’agit d’empêcher une sorte de monopole de l’information dont une poignée de négociants pourraient tirer parti en anticipant les mouvements de prix sur le marché et en les programmant au détriment notamment des traders de conformité.

Cela correspond bien à la demande croissante d’améliorer la transparence des mouvements du marché et de les rendre compréhensibles pour un public plus large.

Certains législateurs du Parlement européen ont déposé un amendement à la directive relative aux SEQE (amendement 405) dans le but de limiter les échanges sur le SEQE aux « opérateurs ayant des obligations de conformité » ou aux intermédiaires financiers agissant pour leur compte. Qu’en pensez-vous ? Cela permettrait-il de résoudre le problème ?

De manière générale, je pense qu’il est très important d’être clair sur le rôle que jouent les financiers dans et pour le marché, et de limiter leur participation lorsqu’elle devient préjudiciable.

Mais l’idée qu’il existe de mauvais traders et de bons traders, et que ces derniers peuvent être exclus et que tout va bien, est dangereusement erronée. Agir de la sorte constituerait un risque considérable pour le fonctionnement du marché à bien des égards.

Tout d’abord, le marché pourrait connaître d’importants problèmes de liquidité, comme cela s’est produit en Corée du Sud, où les sociétés financières n’étaient pas autorisées à participer jusqu’à récemment. Cela implique que le signal de prix devient inefficace sur le plan de l’information. En outre, les grandes entreprises de conformité non exclues du marché pourraient également se livrer à des opérations de spéculation, ce qu’elles font probablement déjà dans une certaine mesure. Enfin, il existe également des mouvements conjoints de produits financiers qui imitent le SEQE ou qui y sont liés. Il y a donc un certain nombre de bonnes raisons de ne pas les exclure.

Une option de loin moins intrusive consiste à introduire des limites de position. Je suis généralement favorable à cette solution, notamment parce qu’elle a une fonction de signal. Nous le savons grâce au marché du carbone en Californie, où de telles limites ont déjà été mises en place : les acteurs du marché savent qu’ils sont sous surveillance, ce qui peut automatiquement contenir un éventuel comportement désordonné.

Mais il est absolument crucial de bien calibrer ces limites de position, ce qui est un problème que nous et l’AEMF avons signalé dans nos rapports respectifs. Il existe déjà des limites de position pour les dérivés de matières premières agricoles, par exemple, mais on ne peut pas simplement faire la même chose avec le marché du carbone — fixer un niveau déterminé pratiquement indéfiniment — puisque l’offre de quotas de carbone diminue de manière structurelle. Les limites doivent donc être constamment adaptées à la situation du marché, ce qui rend la tâche particulièrement délicate.

D’une manière générale, les prix du carbone au sein du SEQE ont atteint près de 100 € la tonne au cours des derniers mois, des niveaux qui ne devraient pas être atteints avant 2030. Pensez-vous que des mesures doivent être prises pour limiter la volatilité ou les niveaux de prix dans ce système ? Êtes-vous en faveur d’un plafonnement des prix, par exemple ?

Pour commencer, du moins avec le recul, nous ne devrions pas être très surpris par les prix élevés du carbone : nous avons un Pacte vert européen (Green Deal) en cours, et une proposition sur la table pour renforcer considérablement le plafond des émissions dans le cadre du SEQE.

D’après l’analyse que nous avons réalisée chez PIK il y a un an sur la proposition de SEQE, le prix du carbone atteindrait 130 euros la tonne d’ici 2030 sur la base d’hypothèses optimistes concernant les coûts de réduction. Le rythme auquel les prix ont augmenté a peut-être été surprenant, mais le fait même de cette augmentation ne l’a certainement pas été, puisque cela se serait produit tôt ou tard.

Dans ces conditions, les acteurs financiers ont anticipé activement ce futur. Ils ont pris des risques en le faisant, sans savoir comment les prix allaient réellement évoluer. Parfois, vous êtes récompensé en prenant des risques et en anticipant ce que le marché fera ensuite. Et à d’autres moments, vous êtes puni parce que vous n’avez pas réussi à faire des prévisions correctes. Cela fait partie du fonctionnement normal du marché — la découverte des prix pendant une transition vers un nouvel équilibre.

Cependant, nous devons reconnaître que le SEQE est un marché créé par la politique et que certains niveaux de prix peuvent déclencher une réaction politique lorsqu’ils touchent trop durement des entreprises ou des pays réglementés. Dans une certaine mesure, je pense que c’est ce que nous vivons en ce moment.

Afin de sauvegarder la stabilité politique, un tunnel de prix serait très utile pour empêcher toute intervention discrétionnaire et clarifier à l’avance et pour toutes les parties prenantes quelle fourchette de prix est politiquement acceptable. Et nous avons un bon exemple dont nous pourrions nous inspirer pour mettre cela en pratique : le programme de plafonnement et d’échange utilisé en Californie.

https://www.euractiv.fr/section/energie/interview/un-tunnel-de-prix-preserverait-la-%E2%80%89stabilite-politique%E2%80%89-du-marche-europeen-du-carbone-selon-un-analyste/

https://www.euractiv.fr/section/energie/news/en-france-la-tentation-dun-corridor-de-prix-pour-le-carbone/

Pour aller plus loin : Réforme du marché européen du carbone et stabilité des prix – EURACTIV.fr