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Extraits de trois articles parus dans le JSS.fr Journal Spécial des Sociétés
auteurs : Viviane de BEAUFORT[1] et Julien BRIOT-HADAR[2]
[1] Professeure à l’Essec BS, chaire Jean Monet, directrice du Centre européen de Droit et Économie – Essec, en charge de la filière affaires européennes
[2] Expert en compliance, conférencier, Fondateur de BH Consulting,expert au CEDE -ESSEC
Série « Fiscalité des GAFAM »
Article 1. Imposition des multinationales du numérique : la tentative OCDE / G20 (mardi 28 octobre)
https://jss.fr/post/taxe-gafam-ocde
« Les revenus de l’État sont une portion que chaque citoyen donne de son bien pour avoir la sûreté de l’autre, ou en jouir agréablement », disait Montesquieu. Or, à l’ère numérique, cette « portion » se dilue et échappe insensiblement au pouvoir régulateur des États.
Le poids de Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft
Les GAFAM ont déplacé le centre de gravité de la fiscalité. Par le truchement d’architectures financières d’une extrême sophistication, ils redistribuent selon leurs intérêts les richesses créées. La fiscalité contemporaine est devenue l’expression d’un combat de souveraineté: les États s’efforcent de retenir une valeur insaisissable, portée par les flux de données, les droits incorporels et les mécanismes de propriété intellectuelle. Face à eux, les multinationales orchestrent un évitement légal de l’impôt devenu presque systémique.
Le « projet BEPS 2.0 » (OCDE 2019) destiné à répondre aux défis posés par la mondialisation numérique a rapidement révélé des obstacles considérables et à l’automne 2025, le Pilier 1 demeure un édifice intellectuellement audacieux, mais privé de socle opérationnel, confronté aux limites du consensus politique international. Le Pilier 2, complémentaire, instaure un impôt minimal mondial de 15 % pour prévenir l’érosion de la base fiscale et la concurrence fiscale dommageable avec l’exigence de garantir la légitimité et la pérennité des systèmes fiscaux nationaux, révélant ainsi les tensions entre souveraineté étatique et mobilité globale du capital numérique.
Les dispositifs de l’OCDE prévus pour une plus grande équité fiscale mondiale, demeurent tributaires de la coopération multilatérale et vulnérable à la situation géopolitique.
Article 2 . Encadrement de l’industrie du Net : comment l’action européenne et française tente de réguler les plateformes ?
https://jss.fr/post/reglementation-sanction-gafam
mardi 4 novembre 2025
L’Union européenne, fidèle à sa vocation de « puissance normative »régule directement les comportements des plateformes d’échelle mondiale.
Le RGPD applicable depuis mai 2018, consacre des principes structurants et protecteurs des utilisateurs : consentement libre et explicite, droit à l’effacement, portabilité des données, obligation de sécurité, notification des violations. Le RGPD a instauré une discipline, mais il n’a pas rééquilibré la souveraineté fiscale.
Le DSA, en vigueur en 2023, modernise la directive de 2000 sur le commerce électronique. Les « très grandes plateformes en ligne » (45 millions d’utilisateurs européens) supportent des obligations de veille.. Le DSA traduit l’idée que le numérique ne peut plus être un espace hors droit.
Le DMA complète le dispositif ciblant les « contrôleurs d’accès » selon le chiffre d’affaires, le nombre d’utilisateurs et leur rôle d’infrastructure incontournable. Le DMA interdit les pratiques d’auto préférence, impose l’interopérabilité des messageries, oblige à ouvrir certaines interfaces et empêche les verrouillages contractuels. Il s’agit de vise prévenir les abus de position dominante en amont.
Ces instruments témoignent de la volonté de contraindre les géants du numérique sur leur terrain. Mais leur portée fiscale est indirecte. Et suscitent l’hostilité de Washington!
La taxe GAFA
La taxe française sur les services numériques adoptée en juillet 2019 , constitue un cas de souveraineté fiscale nationale appliquée au capitalisme numérique. Mais l’administration Trump a considéré la mesure comme discriminatoire à l’égard des acteurs américains et envisagé des représailles ( droits de douane sur des produits français emblématiques. Sur le plan juridique et technique, cette pression oblige les États à considérer la fiscalité numérique comme un enjeu stratégique de diplomatie économique. Anticipant les représailles, les GAFAM ont modifié leur architecture financière et opérationnelle pour limiter le taux d’imposition effectif global. Ces évolutions témoignent d’une volonté de la France de renforcer sa souveraineté fiscale face aux pratiques d’optimisation des multinationales.
Article 3 . Politique des GAFAM : jouer de la géographie fiscale et du lobby
https://jss.fr/post/optimisation-fiscale-gafam-lobby
mardi 11 novembre
Le lobbying des GAFAM constitue un mécanisme structurel de capture normative qui influence la capacité des États membres à exercer leur souveraineté fiscale. Leurs investissements annuels à Bruxelles sont colossaux et ils influencent les textes pour limite l’efficacité des mesures réglementaires. A date mi nov, le projet de directive numérique annoncé n’augure rien de bon!
La fragmentation mondiale : vers des blocs fiscaux régionaux
La souveraineté fiscale nationale se heurte aux limites imposées par la mobilité globale du capital et l’influence des multinationales numériques, rendant indispensable une approche stratégique combinant droit international, diplomatie économique et coordination multilatérale.
Seule une action coordonnée, notamment au niveau européen à travers la taxe GAFA, le Pilier 2 de l’OCDE, le RGPD, le DSA et le DMA, permet de constituer un bloc fiscal capable de réduire la vulnérabilité face aux pressions extérieures.
Mais la complexité technique reste extrême : harmonisation des assiettes, suivi des flux transfrontaliers, prévention de la double imposition et lutte contre l’évasion nécessitent des systèmes sophistiqués et une expertise pointue.
L’univers fiscal mondial se structure ainsi en blocs régionaux — Amérique, Europe, Asie, Afrique — articulés autour de logiques propres, tandis que l’absence d’une architecture universelle laisse partiellement en suspens l’application des Piliers 1 et 2 de l’OCDE, soulignant la nécessité d’une coopération multilatérale pour assurer la captation équitable de la valeur et la pérennité de la souveraineté fiscale.
La capacité à lever l’impôt, révélatrice d’une perte de souveraineté
L’impôt incarne la matérialisation de la souveraineté étatique, un instrument révélateur des rapports de force économiques et sociaux, et le miroir des équilibres entre acteurs publics et privés. L’avenir de l’impôt numérique réside dans la capacité des États à construire des dispositifs multilatéraux coordonnés, capables de limiter la fragmentation, d’harmoniser les pratiques et de sécuriser durablement les recettes publiques.
L’impôt numérique se réaffirme comme un marqueur de puissance et un levier de régulation économique et sociale . La perspective multilatérale, en consolidant les mécanismes de coopération fiscale internationale, apparaît comme le garant futur de l’équilibre entre capital mobile et autorité publique, entre innovation privée et intérêt collectif.