Politique commerciale de l’UE et multilatéral – Etat des lieux

Editorial sur la politique commerciale de l’UE et le multilatéral – Etat des lieux

Houssam Fadil, Lydia Kerbache, Sarah Kettani, Brune Lange, étudiantes ESSEC – décembre 2017 

A l’heure où se sont réunis il y a quelques jours les 164 membres de l’Organisation mondiale du commerce pour leur Conférence ministérielle à Buenos Aires, ce n’est pas tant le blocage du quasi défunt Cycle de Doha qui inquiète que l’avenir même du principe de multilatéralisme. L’actuelle stratégie de sape de l’administration Trump pour paralyser le mécanisme de règlement des différends de l’OMC ne fait que s’ajouter à un vaste contexte de défiance vis à vis du principe de multilatéralisme.

Alors même qu’il est encore difficile de savoir si cette défiance globalisée s’inscrit dans une vague temporaire ou un phénomène pérenne, l’Union Européenne tente tant bien que mal de défendre l’intérêt de l’OMC et du commerce international multilatéral.

Quels sont donc les intérêts européens à se porter héraut du multilatéralisme et quelles stratégies l’UE met-elle en place pour y parvenir ?

Importance du multilatéralisme pour l’UE:

Un idéologie économique indispensable pour l’UE?

L’UE a considérablement bénéficié du système régulé par l’OMC et la croissance de l’économie européenne basée sur un système libéral et réciproque est fortement corrélée au développement du système multilatéral.  L’intensité des échanges commerciaux – mesurée en rapportant le montant des exportations au PIB – est bien plus importante au sein de l’Union Européenne (44 %) qu’en Chine (22 %) ou aux États-Unis (13%). Un regain soutenu et à long terme du protectionnisme diminuerait la croissance en UE et dans le monde, mais pourrait aussi entraîner une baisse des normes et une concurrence déloyale.

Une véritable arme politique

L’accélération des échanges de biens, services et capitaux dans les pays européens a bouleversé la donne géopolitique. La mondialisation mais surtout l’intégration croissante des économies au sein de l’Union Européenne ont propulsé cette dernière au rang de première puissance commerciale du monde, devançant ainsi les géants américains et chinois. Non seulement le multilatéralisme profite aux performances économiques de l’UE, mais il renforce également son poids politique et diplomatique sur la scène internationale. Révision du poids de vote au FMI et à l’ONU, nouvelles alliances inter-régionales (signature des accords CETA avec le Canada), renforcement de la coopération politique et militaire avec la rive sud de la Méditerranée: le multilatéralisme semble apporter un nouveau souffle à la puissance politique des pays européens. Le deal “Everything but Arms” (inclus dans Système des Préférences Généralisé) ouvrant le marché européen, sans quotas et sans droits de douanes, aux pays les plus pauvres pour toutes les marchandises à l’exception des armes est un exemple d’utilisation des échanges commerciaux à des fins politiques tels que la pacification ou démocratisation poussée d’états tiers. Capables ainsi de soutenir le bras de fer avec la superpuissance américaine, les préceptes du multilatéralisme constituent pour l’UE une formidable opportunité d’occuper une place stratégique sur le devant de la scène internationale, et lui garantit la participation aux grandes décisions politiques et géopolitiques qui façonnent le monde de demain.

Au sein même de l’Union, la démocratisation d’Etats anciennement soumis à la dictature soviétique met en exergue les avantages politiques du multilatéralisme. La condition fixée par la législation Européenne de disposer, pour intégrer l’Union, d’un régime démocratique, stable, qui garantisse la pérennité des institutions et le respect de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme à ses citoyens assure aux fondateurs de l’Union la perpétuation de leur système politique chère aux pères fondateurs de la communauté européenne.  

 

Un contexte globalisé de défiance vis à vis du multilatéralisme

« L’OMC fait face aux plus forts vents contraires qu’elle a connus depuis sa création, tant au niveau du multilatéralisme qu’à celui du commerce international »

Arancha Gonzalez, directrice du Centre du commerce international à Genève

Tout d’abord, la conférence ministérielle de Buenos Aires met en exergue la difficile survie du multilatéralisme au sein même des réunions de l’OMC. En effet, de vives voix, incarnées essentiellement par le représentant americain Robert Lighthizer, alertent l’organisation quant à une éventuelle transformation en un organisme de litiges. Il est indéniable que le règlement des litiges, notamment ceux relatifs aux droits de douanes et aux subventions, représentent une partie considérable des tâches octroyées à l’organisme. Toutefois, les procédés utilisés par les américains pour témoigner de leurs mécontentement mettent en péril le multilatéralisme. Ces derniers bloquent les nominations des membres. Or, sans la mise en place de processus de gestion efficaces, les différentes voix du multilatéralisme ne peuvent se faire entendre.

Par ailleurs, la rencontre interministérielle de Buenos Aires s’est apparentée à un défilé de revendications plutôt qu’à un forum de discussions aboutissant à des plans de travail détaillés. Chaque représentant a minutieusement défendu les intérêts de son pays, sans penser une réponse globale aux difficultés rencontrées par le multilatéralisme. Les exemples de dirigeant prenant la parole pour s’assurer des débouchés commerciaux (Le Mali pour son coton par exemple) sont ici legions. L’allocution du directeur général Roberto Azevedo insiste sur le dur labeur restant à accomplir, en oppositions aux faibles avancées enregistrées. De ce fait, il est clair que le multilatéralisme fait encore et toujours face a son principal obstacle: L’existence, voire la résurgence des intérêts nationaux qui supplantent les projets supranationaux en dépit d’un contexte globalisé.

Il faut enfin souligner que l’exemple donné par les principales puissances économiques mondiales n’encourage nullement les autres nations a suivre la voie du multilatéralisme. D’une part, le discours de Donald Trump oriente clairement l’administration sur la voie du désengagement des Etats Unis sur la scène mondiale. Cette nouvelle philosophie se répercute sur les échanges commerciaux américains avec ses partenaires majeures. La fiabilité américaine est actuellement mise en cause par son brutal retrait de l’accord transpacifique ou la renégociation forcée des accords de l’ALENA avec le Canada et le Mexique. D’autre part, la Chine ne semble pas souhaiter oeuvrer pour un multilatéralisme transparent. En effet et en dépit des efforts de l’UE, l’objectif de réciprocité dans les échanges n’a pas encore été atteint, la marche chinois étant toujours aussi difficile d’accès pour les entreprises européennes.

De ce fait, l’UE peine à faire valoir l’importance du multilatéralisme dans un monde fragmenté, où les intérêts nationaux font entrave à toute ébauche de réponse commune.

La Réciprocité : une problématique à résoudre de toute urgence

La réciprocité sous sa forme inconditionnelle – ou réciprocité diffuse – est le premier pilier du système commercial. C’est l’instrument grâce auquel il sera possible d’ouvrir toujours davantage les marchés, mais de façon ordonnée et dans le respect des droits souverains.

Les échanges économiques et commerciaux entre l’UE et la Chine restent aujourd’hui encore marqués par un fort déséquilibre : la Chine représente le premier déficit commercial bilatéral de l’UE. Par ailleurs, les échanges entre les deux régions ont baissé de 4,2% en 2016. Surtout, l’objectif de réciprocité, auquel la diplomatie française et européenne en général travaillent depuis plus d’une décennie, n’a jusqu’à présent pas été atteint. L’accès au marché chinois demeure difficile pour les entreprises européennes, freinant les progrès de nombreux projets, compliquant l’accès des acteurs étrangers à l’information et rendant ainsi plus difficiles leurs échanges avec les cadres locaux et centraux du Parti.

L’Union doit non seulement établir d’étroites relations économiques avec la Chine et d’autres partenaires du globe mais tout en étant tenu de rester dans le cadre des règles du multilatéralisme. Un objectif majeur serait d’achever les négociations en cours concernant un traité d’investissement bilatéral avec la Chine, mais cela ne peut se faire au prix de la réciprocité.

L’UE se doit d’offrir un nouveau mode de gouvernance et une réelle réponse stratégique face au rejet du commerce international actuel et aux problématiques de partenariats stratégiques tels que la Chine.

Une gouvernance plus solide pour faire face à un monde en transition :

Une nouvelle génération d’accords de libre échange:

Comme le blocage de l’OMC est un obstacle majeur au commerce pour l’Europe, l’UE a choisi l’alternative de la création d’une nouvelle génération d’accords de libre échange qui offrent à l’UE l’accès aux marchés de pays tiers. Il s’agirait certainement de pousser à des accords bilatéraux en vue de les intégrer au système multilatéral par la suite.

Le pays qui apparaissait comme stratégique était d’abord les Etats-Unis (21% des exportations, 33% IDE entrant) ; cependant l’échec du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) avec la politique américaine protectionniste actuelle débouche sur un blocage. La Chine (20% importations, 1er importateur en UE) ainsi que nombreux pays d’Asie tels que le Japon, l’Inde (négociations suspendues) et les leaders de l’Asie du Sud Est se positionnent également comme fondamentaux.

Ces démarche d’accords bilatéraux devraient porter à une réduction de 50 % des droits de douane moyens imposés aux exportations de l’Union. Ces accords devraient également contribuer à la croissance économique de l’Union en renforçant son PIB de 2 %. Cependant ils demanderont plusieurs années avant la mise en œuvre et une réponse immédiate est également nécessaire.

 

L’UE appelle ses partenaires à aider l’OMC à sortir de l’impasse

L’UE a souhaité préparer en amont la la 11eme conférence ministérielle de l’OMC à Buenos Aires du 10 au 13 décembre 2017 afin de proposer une suite d’initiatives afin de faire avancer les négociations à l’OMC. A Marrakech, l’UE a souhaité se poser en leader de la défense du commerce libéral et en alliés des pays en développement.

L’appel conjoint avec le Brésil à des réformes concernant les subventions domestiques à l’agriculture pour limiter les distorsions de marché laissaient présager une forte entente entre l’UE et les géants émergents. Le rôle de l’UE dans la participation des pays les moins avancés – contribution de 100 000€ pour leur participation à Buenos Aires + 20 millions € versés les 15 dernières années dans le fonds de l’OMC – s’inscrit dans la continuité de la politique commerciale européenne en faveur du développement des pays pauvres et dans la volonté d’une alliance avec le bloc des émergents.

L’UE qui ne peut plus compter sur le bloc américain et doit faire face au géant chinois souhaite en effet s’offrir le soutien des leaders des pays émergents tels que le Brésil.

 

Le sommet de l’OMC à Buenos Aires, échec ou nouveau défi lancé au multilatéralisme ?

Du 10 au 13 décembre 2017 s’est tenu le 11ème sommet de l’OMC à Buenos Aires. L’objectif de ce sommet était de relancer le processus de libéralisation de l’économie mondiale par le multilatéralisme. A l’heure où le multilatéralisme est menacé par la prolifération d’accords commerciaux régionaux et bilatéraux, il s’agissait surtout pour l’UE de trouver un consensus multilatéral dans le sens de la dérégulation, dans un contexte de vives critiques adressées au multilatéralisme.

Parmi les problématiques qui divisent les pays face au multilatéralisme, on trouve le commerce alimentaire et la protection de l’environnement. Cette critique reposait notamment sur l’idée que les règles de l’OMC empêchent les pays en développement de subvenir aux besoins alimentaires de leurs populations, ainsi que de bien protéger leurs agriculteurs dans le contexte libre-échangiste.

Les Etats-Unis de Donald Trump, avec leur politique « America First », figuraient parmi les premiers obstacles à une politique multilatérale, malgré de fortes pressions des géants de la Silicon Valley en faveur des dérégulations. De leur côté, les pays en développement ont refusé d’entrer dans la dynamique impulsée par l’Union européenne pour conclure de nouveaux accords favorisant la libéralisation des marchés, considérant que cette politique leur était défavorable.

L’issue du sommet fut peu probante : aucun accord substantiel n’a été conclu. Sur le plan des obstacles au développement des pays, comme sur celui de nombreux secteurs (agriculture, pêche, économie numérique…), la question reste ouverte. Seuls quelques accords ont pu être signés, comme celui qui engage les Etats-Unis à assouplir ses droits de propriété intellectuelle sur certains programmes comme l’accès au médicaments, en échange d’une suppression des taxes sur certains produits électroniques. Parmi les rares points d’accords entre les Etats-Unis et l’Union européenne : la décision de ne pas reconnaître la Chine comme une économie de marché en raison du dumping chinois et de son soutien déloyal aux industriels chinois. Enfin, l’exclusion de nombreux acteurs de la société civile a fini d’entacher la crédibilité de ce sommet en matière de réponse aux critiques mondiales du libre-échangisme multilatéral.

Le directeur général de l’OMC, Roberto Azevedo, arrivait à ce sommet conscient des divergences existantes, et a déclaré lors de son discours de clôture[1] que les travaux se poursuivraient après Buenos Aires pour trouver des solutions aux problèmes non réglés à ce jour, tout en s’affirmant « déçu » de l’absence de consensus. Il a également ajouté que « nous devons garder à l’esprit que le multilatéralisme ne consiste pas à obtenir ce que nous voulons. Il consiste à obtenir ce qui est possible […] le système n’est pas parfait. C’est néanmoins le meilleur que nous ayons ».

Quelles solutions pour l’UE ? La commissaire européenne au commerce, Cécilia Malmstrom, a déclaré au début du sommet : « Il faut avoir à l’esprit un objectif clair. Pour l’Union européenne, il est clair : préserver et renforcer le système commercial multilatéral fondé sur des règles. »[2]. A l’issue du sommet, elle a exprimé sa déception : « nous avons échoué à remplir tous nos objectifs, et nous ne sommes parvenus à aucun issue multilatérale », tout en réaffirmant le soutien européen à l’OMC, déclarant : « c’est un bien public mondial, et l’UE y attache une valeur énorme. Dans les mois à venir, nous ferons le nécessaire pour la soutenir si elle subit de nouvelles pressions. Nous devons aussi intensifier nos efforts pour trouver des solutions aux problèmes importants du système de commerce mondial, comme l’e-commerce, en travaillant avec tous les membres volontaires de l’OMC, dans l’ouverture, l’inclusion et la transparence.[3] »

Sources:

[1] https://www.wto.org/french/news_f/spra_f/spra209_f.htm

[2] http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2017/december/tradoc_156456.pdf

[3] http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2017/december/tradoc_156464.pdf

DG Trade 2017