Le Brexit : un vent de renouveau pour l’Europe ?

Article rédigé par les étudiants du cours CITOYEN, droit et politiques de l’Europe – fondamental Droit ESSEC : CAMPI Agathe – CHAPUIS Chloé – DEBARD Lucie – JIA BINGHAO – PATERNAULT Côme – ROUINA Manon – SALAT-BAROUX Alexandre et la professeure Viviane de Beaufort

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En 2014, bien avant le vote britannique qui projeta le Royaume-Uni hors de l’Union Européenne, Michel Rocard, ancien premier ministre français, s’exclamait dans une tribune publiée par Le Monde : “Amis Anglais, sortez de l’Union européenne, mais ne la faites pas mourir !”. Cet appel, provocateur, reflète la colère de l’homme d’Etat face au refus systématique de tout grand projet européen par les Britanniques : non à la politique étrangère commune, non à la monnaie unique, non à la participation au budget, non à l’espace Schengen. Il évoque d’autre part les deux vétos contre les candidatures de Jean-Luc Dehaene et de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission, en raison selon lui de leurs idéaux fédéralistes qui mettaient à mal la conception purement commerciale des Britanniques. La conclusion rocardienne est explicite : l’Union gagnerait, en fin de compte, à laisser derrière elle un Etat-membre devenu encombrant.

Pourtant, rares sont les analystes qui considèrent la sortie britannique de l’Union comme un événement positif, en dehors des Brexiters écumants des tabloïds anglais. Le consensus dépeint un terrible gâchis économique et géopolitique, et ce des deux côtés de la Manche. Néanmoins, malgré les projections de croissance à la baisse et de tensions diplomatiques, des opportunités à saisir se détachent pour l’Europe. Entre opportunités économiques, renouveaux politiques et effets institutionnels, la sortie du Royaume-Uni pourrait cacher une nouvelle chance pour l’Europe.

Le Brexit, une aubaine pour les sociétés et les investisseurs européens ?

Certaines entreprises pourraient tirer leur épingle du jeu en comblant le vide laissé par les entreprises britanniques. De plus, la dépréciation de la livre pourrait permettre aux investisseurs européens de prendre des participations dans les sociétés anglaises. Explications :

Selon un rapport de PwC, deux secteurs d’activités notamment verront leurs activités se développer suite au Brexit. La finance d’une part : les investisseurs qui voudront bénéficier du marché unique ne pourront plus utiliser l’expertise de la City pour bénéficier de la libre circulation des capitaux. Ce sera l’occasion pour les places financières européennes comme Paris et Francfort de prendre des mesures incitatives pour attirer les investisseurs et devenir les nouveaux centres de gravité de la finance européenne.   

D’autre part, les activités de conseil pourraient voir la demande augmenter à court et moyen terme, d’abord en accompagnant les entreprises cherchant à tirer profit des conséquences organisationnelles du Brexit, et d’autre part pour organiser les échanges entre Union Européenne et Royaume-Uni, surtout en cas d’absence totale d’acte d’organisation de la rupture, autrement appelé “Hard Brexit”.

Ensuite, la deuxième opportunité potentielle du Brexit sera la possibilité de bénéficier de la baisse de la livre face à l’euro. L’idée est d’utiliser la dépréciation de la monnaie britannique face à l’euro (phénomène déjà constaté) afin d’investir dans les entreprises britanniques les plus rentables. Ce phénomène de dépréciation s’explique par l’incertitude entourant le Brexit. Il faut aussi compter sur les inévitables effets négatifs du Brexit qui ancreront de manière structurelle cette faiblesse de la livre face à l’euro. La place de Londres comme place financière majeure, même affaiblie, ne manquera pas d’attirer les investisseurs. Ces derniers saisiront l’occasion de prendre une participation dans les fleurons de la finance et de l’industrie britannique.

Enfin, si cet état de trouble peut favoriser certaines transactions pour le territoire britannique, celui-ci risque aussi de créer un manque à gagner. C’est ainsi que Tesla a finalement décidé d’installer sa Gigafactory dans la région de Berlin, un projet qui représente 4 milliards d’euros d’investissements et qui générera 8000 emplois sur le long terme. Le Royaume-Uni a bien été considéré comme un candidat potentiel, mais, selon Elon Musk lui-même, « le Brexit rend trop risqué un projet d’installation de Gigafactory au Royaume-Uni ». Le cas de Tesla ne semble pas non plus être une exception, car l’on commence à observer des déplacements conséquents d’entrepreneurs hors du pays par crainte de voir le Brexit se réaliser.

L’exode des entreprises sur le continent et la fuite des cerveaux

Ces nouvelles implémentations et délocalisations qui se succèdent depuis 2016 bénéficieront directement aux 27 pays membres de l’Union et pourraient bien être une aubaine pour quelques capitales européennes.

Paris Europlace estime notamment que le Brexit pourrait aboutir à la création de 5000 emplois dans les services financiers parisiens (Bank of America est à l’origine de 400 nouveaux emplois, un des seuls projets ayant déjà vu le jour). En tout, ce sont entre 8000 et 12000 emplois qui fuiraient la City pour les pays de l’Union européenne.

Dublin quant à elle demeure une destination de choix pour les entreprises financières souhaitant offrir des services d’investissement à l’Union européenne, en partie grâce à son faible taux d’impôt sur les sociétés et de sa proximité géographique avec Londres. Barclays, par exemple, a déjà procédé à un transfert 190 milliards d’euros d’actifs et au redéploiement de 300 emplois. Hermes Investment Management (38 milliards d’euros d’actifs transférés) et Bank of America Merrill Lynch ont également fait le choix de la capitale irlandaise. S’il demeure une incertitude quant aux emplois qui seront générés, ces transferts pourraient aboutir à un important développement du centre financier de Dublin.

D’autres pôles européens se trouveront gagnants, comme Luxembourg, Milan, Madrid ou Bruxelles dans le cas d’un “Brexodus” des entreprises financières. Cependant, il reste encore à observer une fuite complète des activités et capitaux hors du Royaume-Uni.

Selon l’Agence néerlandaise pour l’investissement étranger, 100 entreprises internationales ont déménagé à Amsterdam depuis le référendum de 2016 et 325 entreprises supplémentaires envisagent de sauter le pas. Dernièrement, Bloomberg et le siège européen de Discovery y ont trouvé résidence. Sur ces 100 entreprises, 62 ont déjà apporté 2500 emplois et 310 millions d’euros d’investissement. Le choix d’Amsterdam s’explique notamment par une politique fiscale favorable aux entreprises.

Les grandes institutions ne sont pas les seules à repenser leur stratégie. Selon un sondage réalisé par l’IoD (The Institute of Directors), 29% des entrepreneurs britanniques envisagent de délocaliser tout ou partie de leurs activités en raison du Brexit. Parmi elles, 11% sont déjà passées à l’acte et 5% planifient une délocalisation. Les 13% restants n’en sont encore qu’au stade de la réflexion. Deux principales raisons ont été évoquées.

La première est la confusion suscitée par la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne. La seconde raison est la conséquence néfaste d’une hausse des barrières commerciales sur l’activité.

Avec les entreprises, les emplois et les cerveaux seraient eux aussi sur le départ. On constate que depuis le vote du Brexit en 2016, le Royaume Uni connaît une baisse des candidatures aux offres d’emploi. Les emplois peu qualifiés ne reçoivent plus que 20 dossiers contre 24 auparavant, et on observe la même constante pour les emplois moyennement qualifiés (10 contre 19) et les emplois qualifiés (6 contre 8). Et l’embellie ne semble pas pour demain : 47% des employés non-britanniques qualifiés au Royaume Uni pensent à quitter le pays dans les 5 prochaines années”, selon une étude dirigée par le cabinet Deloitte en 2017. Les nouvelles procédures administratives longues et chères ne vont pas favoriser la rétention et l’attraction des cerveaux. Certaines branches, comme le secteur du divertissement, se voient déjà pénalisées par ces nouvelles contraintes, notamment les artistes ou professionnels qui ne disposent pas d’un passeport européen. L’ancien Etat-membre est susceptible de changer ses critères à tout moment et sans avertissement, contrastant avec l’Europe qui présente une structure plus stable et moins exigeante. Les travailleurs européens ne sont pas encore pénalisés, mais délaissent l’Angleterre par crainte de devoir obtenir un visa pour pouvoir exercer, détériorant encore plus l’attractivité du pays.

Les grandes villes européennes bataillent déjà pour attirer ces talents et professionnels boudant désormais le Royaume-Uni comme les banquiers, médecins, architectes et universitaires.

Mais à long terme, l’emploi et les flux de travailleurs dépendront de l’accord qui sera choisi par les parties. Selon le Fond Monétaire International, un accord de libre-échange classique diminuerait l’emploi de 0,3%. Alternativement, si un accord selon les règles de l’OMC est mis en place, l’emploi diminuerait de 0.7%. Un modèle basé sur l’Espace économique européen permettrait quant à lui de conserver les niveaux d’emplois actuels sur l’ensemble des pays.

Actuellement, seul le monde des technologies semble épargné par cette fuite du savoir. Le secteur a continué à se développer en Angleterre et a même obtenu des investissements record début 2019 (2.56 milliards d’investis dans le domaine).

Les intellectuels hésitent à quitter le navire eux aussi

Les secteurs économiques et financiers britanniques ne sont pas les seuls à pâtir de cette situation, le monde académique et de la recherche sont aussi touchés. D’après The Independent, au moins 2,300 universitaires européens ont quitté leur poste au sein d’universités britanniques en 2017, 19% de plus par rapport aux chiffres de l’année précédente. Quant à la France, une enquête réalisée par l’Edhec NewGen Talent Center montre que le taux d’élèves qui souhaitent s’installer au Royaume-Uni après leur diplôme a reculé depuis le vote du Brexit, passant de 47% à 30%.

Cet impact n’est pas homogène sur les universités britanniques. Les plus prestigieuses seront probablement peu sujettes à ces changements. Toutefois, les universités moins réputées devront faire face à des difficultés et envisagent la possibilité de fusionner avec d’autres institutions éducatives ou de créer des alliances ou des consortiums pour gagner des économies d’échelle, augmenter leur attractivité et améliorer leur position internationale.

En ce qui concerne la recherche, les incertitudes du Brexit vont faire baisser les financements entrants au Royaume-Uni et l’attractivité des instituts britanniques de recherche.

Par exemple, le Conseil européen de la recherche (CER) a prévu d’investir 1,3 milliard d’euros au Royaume-Uni au cours des deux prochaines années dans des programmes de lutte contre le cancer et contre le réchauffement climatique. Sans accord, ces projets pourraient être compromis.

Des universitaires et des chercheurs de renommée mondiale pourraient donc s’installer dans des pays où l’accès au financement n’est pas menacé, et ceux qui envisagent actuellement de s’installer au Royaume-Uni pourraient remettre en cause leur décision.

Le Brexit pourrait aussi donner un nouveau souffle à certains projets européens, laissés en chantier après des blocages britanniques successifs, comme celui d’une défense commune européenne.

Une chance pour la construction d’une défense européenne ?

Le concept de défense européenne est né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et revient aujourd’hui au cœur des préoccupations de l’Union européenne avec des pays comme la France désireux de construire une réelle coopération diplomatique et militaire au sein de l’UE.

Le contexte géopolitique actuel, en proie à de nouvelles tensions liées à la sécurité, notamment dans une Europe où les frontières se sont grandement effacées, remet au-devant de la scène la défense européenne commune pour remplacer et/ou soutenir l’OTAN. Cybercriminalité, crime organisé et terrorisme sont les enjeux de notre siècle et ne peuvent s’appréhender en fonction de limites géographiques. Dans ce contexte, comment réussir à contrecarrer ces dynamiques grandissantes ? La coopération intergouvernementale à l’échelle européenne apparaît comme une solution.

Depuis les accords de Saint Malo de 1998, le Royaume-Uni a réitéré ses blocages politiques envers l’institution d’une Europe de la défense. Ces refus successifs sont dus à leur “relation spéciale” ou “special relationship” avec les États-Unis, qui les incitent à se tourner outre-Atlantique plutôt que vers le continent. A ce paramètre vient s’ajouter évidemment le souci de la préservation de la souveraineté nationale, ainsi que l’argument sur l’OTAN, qui présente des avantages indéniables, au premier rang desquels une coopération internationale et pas seulement européenne. Le Royaume-Uni est donc demeuré un adversaire de poids pour le projet, d’autant plus que l’armée britannique est la plus puissante armée d’Europe avec celle de la France.

Pourtant, malgré l’arrêt de ce projet et les nombreux obstacles, beaucoup parmi les intellectuels et politiques considèrent que l’Europe est aujourd’hui à un carrefour, entre le désir fédéraliste d’une intégration plus prononcée et son explosion pure et simple. Ses défenseurs les plus fervents insistent que la préservation de l’Union dépendra de sa capacité à avancer sur ses grands chantiers, comme celui de l’Europe de la défense, qui pourrait incarner une nouvelle étape de la construction européenne et de la coopération entre les peuples du continent.

Le Brexit est positif sur ce point-là, car d’après l’article 42 alinéa 4 du Traité de l’Union Européenne, « les décisions relatives à la politique de sécurité et de défense commune […] sont adoptées par le Conseil statuant à l’unanimité, sur proposition du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou sur initiative d’un État membre ». L’unanimité étant nécessaire, le départ du Royaume-Uni lèvera une partie du blocage politique qui pèse sur ce chantier si particulier. En revanche, il ne faut pas oublier que les divergences au sein des États membres persisteront, ce qui demandera de longues négociations et des compromis de chaque côté.

Le débat politique et juridique fait après tout corps avec l’Union européenne : après la politique de défense, ce sont des préoccupations juridiques que le Brexit laisse derrière lui.

Les conséquences juridiques du Brexit : étoffer le droit européen

Les aléas des négociations sur le Brexit laissent la porte ouverte à la spéculation quant aux normes qui seront appliquées sur les échanges commerciaux, les relations économiques, ou encore la sécurité. Néanmoins, certaines avancées sur le plan juridique se dégagent déjà de ce climat d’incertitude.

La procédure du Brexit est en elle-même inédite. L’article 50 du TUE disposant que « tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. » n’avait jusqu’à lors jamais été appliqué. Dès lors, le Brexit en lui-même va faire jurisprudence, permettant de préciser le régime juridique de l’Union européenne en la matière. Ainsi, l’article 50 a déjà été étoffé par l’arrêt de la CJUE du 10 décembre 2018, décidant que le Royaume-Uni peut librement révoquer son intention de se retirer de l’Union européenne. Cet exemple est symptomatique de la précision des modalités du droit européen que le Brexit occasionne.

D’un point de vue plus pragmatique, le Brexit aura des conséquences indéniables d’allégement des procédures judiciaires européennes. Outre la fin du bridage du Royaume-Uni vis-à-vis des normes européennes, considérées comme réduisant la souveraineté nationale, le retrait britannique de l’UE va occasionner un gain procédurier. La CJUE aura un Etat membre de moins en son sein, ce qui signifie un pays de moins où l’application des lois européennes sera à contrôler ainsi qu’une réduction de son nombre de juges (un juge pour la Cour de justice et deux pour le Tribunal par Etat membre). Ces perspectives peuvent amener à envisager un futur droit européen plus contraignant, car désormais non réfréné par cet Etat-membre réfractaire et bénéficiant d’une simplification des procédures juridiques.

Enfin, le Brexit pourrait contribuer à la prévalence nouvelle du droit continental. Le droit britannique avait jusqu’alors une influence mondiale dans le monde des affaires ; la sortie du Royaume-Uni risque de diminuer son utilisation et d’amener au rapatriement de certaines procédures internationales (contentieux notamment), qui étaient confiées aux instances judiciaires britanniques

En bref

Le Brexit, malgré son absurdité, présente donc quelques espoirs pour les Européens. L’avantage majeur cependant, pourrait bien être politique : la procédure catastrophique de départ du Royaume-Uni n’aurait-elle pas finalement été une grande publicité en faveur de l’Europe, de l’Union, de ses protections, de son marché intérieur, et même de ses négociateurs en la figure de Michel Barnier ?

Dans le sillage du Brexit et des négociations entre l’Union et le gouvernement britannique, l’enthousiasme des eurosceptiques du continent semble avoir diminué : oubliées les revendications de “Frexit” du Front National, nouvellement devenu Rassemblement National, en France. De même, selon Eurobarometer dans une enquête sur le sentiment pro-européen sur le continent entre 2016 et 2018, la popularité de l’Union a augmenté d’un grand bond post-vote du Brexit dans les pays que Nigel Farage avait désignés comme “les plus susceptibles de partir” : 12% d’opinion favorable en plus en Autriche, 16% au Danemark, 13% aux Pays-Bas, 18% en Suède. Comparée aux deux années précédentes, la variation est conséquente, car on mesurait par le passé seulement 8% d’augmentation d’opinions favorables.

Au Parlement cependant, les élections du printemps 2019 ont vu le maintien du groupe eurosceptique, tenu pour l’instant à distance par la formation de coalitions entre les partis “traditionnels” des différents membres. Si le Brexit n’a pas signé la mort de l’Europe, il est effectivement un signal d’alarme indéniable : pour survivre, l’Europe devra faire face aux populismes, aux crises économiques et aux enjeux sociaux, au cœur d’une mondialisation de plus en plus redoutée par certains citoyens. 

Voir aussi : https://europe.vivianedebeaufort.fr/?s=brexit+