Viktor Orban, hussard de l’illibéralisme à l’assaut des élections européennes

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Actualité


11.10.2018

Jules Lastennet

Personnalité incontournable du paysage politique européen, figure du populisme et chantre de la « démocratie illibérale », Viktor Orban est Premier ministre de la Hongrie depuis 2010. Portrait de celui qui entend prendre la tête d’une droite souverainiste et anti-immigration lors des élections européennes de 2019.

Viktor Orban

Viktor Orban – Crédits : Európai Bizottság/ Végel Dániel

« Le dictateur arrive« , souffle Jean-Claude Juncker à Laimdota Straujuma, alors Première ministre de Lettonie, qui lui répond d’un rire gêné. Nous sommes en mai 2015 et Riga accueille un sommet européen où arrive Viktor Orban. Le président de la Commission européenne, en roue libre, persiste et signe au moment de saluer le Premier ministre de Hongrie. « Bonjour dictateur« , lui lance-t-il. Imperturbable, Viktor Orban lui rétorque un « bonjour grand-duc« , en référence au Grand-Duché de Luxembourg d’où est originaire M. Juncker. Ce dernier éclate de rire et assène au dirigeant hongrois une franche claque au visage, sans que l’on sache vraiment s’il s’agit d’un geste affectueux ou agressif.

La scène est cocasse et a fait le tour des médias européens. Elle est représentative des facéties de Jean-Claude Juncker. Mais elle symbolise surtout l’ambiguïté voire le malaise des Européens face à ce dirigeant en poste depuis 2010, arrimé au Parti populaire européen (qui regroupe la majeure partie des conservateurs européens), mais qui rivalise avec la Pologne en matière d’atteintes à l’Etat de droit et fait partie des figures de proue du populisme.

Démocratie illibérale

Réforme de la Cour constitutionnelle, attaques contre la liberté et la pluralité de la presse, affaiblissement de l’indépendance de la justice… Viktor Orban s’emploie depuis des années à limiter l’exercice de la démocratie dans son pays. Ce dernier conteste logiquement cette idée, estimant au contraire mettre en œuvre un autre modèle. A l’instar du parti Droit de justice de Jaroslaw Kaczynski en Pologne, M. Orban se réclame ainsi du concept de « démocratie illibérale« , qui permet selon lui de dissocier le libéralisme qu’il rejette, de la démocratie.

Une dissociation jugée impossible par une large majorité des intellectuels. Pour Luuk van Middelaar, philosophe et professeur de droit européen, la Hongrie s’apparente en effet à une « dictature électorale« . Les électeurs, qui n’ont plus de liberté de la presse ou de liberté d’association, « sont encore là pour la façade« , mais l’exécutif « n’autorise plus de contre-pouvoirs« . Le populisme est « un style de gouvernement« , abonde en ce sens Jean-Yves Camus, politologue spécialiste des extrêmes droites. Les populistes « veulent aller au-delà de la démocratie représentative pour aller vers la démocratie directe » et pour « aboutir à une dictature des passions« .

Solidement implanté à son poste, charpenté sur le plan idéologique et convaincu que l’Europe pourrait, demain, « cesser d’être le continent des Européens« , c’est dans ce contexte que Viktor Orban chercherait aujourd’hui à prendre la direction d’un mouvement européen (ultra)conservateur, chrétien et anti-immigration. Ce dernier irait de son camp, le Parti populaire européen, jusqu’aux droites radicales et souvent antieuropéennes comme celles de la Ligue de Matteo Salvini en Italie ou du Rassemblement national de Marine Le Pen en France. Les grandes divergences de vues des uns et des autres en matière d’immigration ou plus généralement de construction européenne seront toutefois des obstacles majeurs à surmonter pour le Premier ministre hongrois. Il refuse par exemple la répartition des migrants que souhaite M. Salvini et n’envisage en rien une sortie de son pays de l’UE alors que la question est régulièrement évoquée par le Rassemblement national.

Plus que de bâtir un programme commun, l’objectif principal serait donc plutôt de faire émerger des élections européennes 2019 un puissant pôle illibéral et ainsi de jeter les bases d’une « contre-révolution« , pour reprendre le terme de Jacques Rupnik, expert des pays d’Europe centrale et orientale. Viktor Orban pourrait trouver des alliés, objectifs ou de circonstance, pour essayer de « changer l’Union européenne elle-même, ses structures, ses processus de décisions« .

Viktor Orban avec, au second plan, Jean-Claude Juncker lors d’un congrès du PPE en 2017 – Crédits : PPE

Ascension d’un « briseur de tabous »

Le dirigeant hongrois n’a pourtant pas toujours été sur cette ligne. Son histoire est aujourd’hui assez connue : bulldozer politique, son ascension au moment de la chute du communisme a été fulgurante. Son baptême du feu intervient dès l’âge de 26 ans, le 16 juin 1989, sur la place des Héros de Budapest.

Comme le relate Jacques Rupnik dans un article pour l’Institut Montaigne, le jeune Viktor Orban, qui sort tout juste d’Oxford où il a pu aller étudier grâce à une bourse de la fondation du financier George Soros devenu aujourd’hui son ennemi intime, est alors inconnu des 250 000 Hongrois présents pour célébrer le « deuxième enterrement » d’Imre Nagy, héros de la révolution de 1956. Sans se débiner, c’est lui qui marque les esprits, en appelant à l’organisation d’élections libres et à la fin de l’oppression soviétique, alors que le Mur de Berlin n’est pas encore tombé. « C’est ainsi en briseur de tabous que Viktor Orban fit son entrée sur une scène politique en gestation, une marque de fabrique qu’il affectionne aujourd’hui encore à l’intérieur comme au plan européen« , écrit Jacques Rupnik.

Député à 27 ans, puis Premier ministre à 35 ans, rien n’arrête Viktor Orban. Déjà attaché aux valeurs chrétiennes et conservatrices, le cofondateur et chef du Fidesz, son parti de toujours, s’oriente dans un premier temps vers le libéralisme et se positionne au centre-droit. Mais il se tient éloigné de l’intelligentsia culturelle de Budapest, dont il se sent méprisé, lui qui vient d’un milieu rural. « On devine que la radicalité de la posture l’emportait sur le libéralisme affiché« , analyse encore Jacques Rupnik. « On sent que l’image est surfaite et que quelque chose sonne faux« .

Progressivement, Viktor Orban et le Fidesz se rapprochent des partis conservateurs européens. Le jeune dirigeant est finalement recruté au sein du Parti populaire européen (PPE) par Helmut Kohl. En politique européenne, le chancelier allemand de la chute du Mur fera même office de mentor pour Viktor Orban. Outre les valeurs chrétiennes, les deux hommes partagent « un fort esprit de pouvoir« , explique Luuk van Middelaar. « On n’a pas réunifié l’Europe pour que les socialistes prennent le pouvoir« , disait ainsi Helmut Kohl. Jusqu’à la mort de l’ancien chancelier en 2017, le Premier ministre hongrois est resté un visiteur régulier. Tous deux se retrouvaient dans la critique de la politique d’ouverture des frontières aux réfugiés défendue par Angela Merkel.

Le tournant de 2010

Mais après un premier passage à la tête du gouvernement de 1998 à 2002, l’homme fort du Fidesz connaît sa traversée du désert et survit de justesse à huit années dans l’opposition. Viktor Orban est alors bien aidé par la déliquescence de la gauche hongroise, qui ne s’est jamais relevée depuis. Proposant une alternative radicale, sa victoire en 2010 est sans appel et sonne le coup d’envoi d’un véritable durcissement du discours et de la politique mise en œuvre.

Fort d’une majorité des deux tiers au Parlement, le système Orban peut se mettre en place. Le Premier ministre a les mains libres pour changer la Constitution à son avantage. Comme le résumait le journaliste d’origine hongroise Thomas Schreiber (1929-2015) à Toute l’Europe en 2014 : « sans devenir pour autant une dictature, le système ne permet plus l’alternance, en raison du fonctionnement verrouillé du ‘régime Orban‘ ». Celui-ci s’apparente à celui de Vladimir Poutine en Russie, avec une pratique « autoritaire et personnelle du pouvoir » et le déploiement d’une fidèle oligarchie aux postes clés de la politique, des médias, de l’université et de la culture.

Les mandats suivants de Viktor Orban ne feront que confirmer cette orientation radicale et liberticide. Considéré comme une faiblesse, l’Etat de droit est limité. « Dans ces Etats forts, il ne doit rien y avoir entre le chef et son peuple : il faut imposer le silence aux associations, aux syndicats, aux partis d’opposition et à tous les citoyens qui contestent la vision religieuse, voire ethnique, de la nation que défendent les dirigeants« , explique le philosophe Michaël Foessel. Un mode de gouvernement d’autant plus facile à imposer dans des pays où la démocratie libérale n’est pas implantée de longue date, comme en Hongrie ou en Pologne.

Viktor Orban et Vladimir Poutine lors d’une conférence de presse commune en 2016 – Crédits : Kremlin

« Solidarité flexible » vis-à-vis des réfugiés

Et face à Viktor Orban, les Européens se montrent globalement impuissants pour infléchir ses positions, même lorsque la confrontation entre la Hongrie et la majeure partie de l’UE se fait de plus en plus brutale, dans le contexte de l’éclatement de la crise migratoire en 2015. Le dirigeant hongrois s’oppose sèchement aux propositions de Jean-Claude Juncker de répartir les demandeurs d’asile dans l’ensemble des Etats membres sur la base de quotas. Fédérant autour de lui les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), Viktor Orban développe plutôt le concept de « solidarité flexible« . Une manière policée d’affirmer que l’UE sera incapable d’imposer l’accueil de migrants aux pays qui y sont opposés, et peu importe que la charge ne revienne qu’à une poignée d’Etats du pourtour méditerranéen.

Qu’est-ce que le groupe de Visegrad ?

Située sur la « route des Balkans » – et donc concernée par des arrivées massives -, la Hongrie n’a pas tardé à réagir en fermant ses frontières et en empêchant les déplacements des demandeurs d’asile déjà présents dans le pays. En 2016, Viktor Orban va jusqu’à convoquer un référendum pour faire approuver par ses électeurs le rejet des quotas de répartition voulus par Bruxelles. Une consultation approuvée à 98% des votants, mais qui n’a suscité que 40% de participation, invalidant le scrutin et atténuant fortement la démonstration de force du chef du gouvernement hongrois.

Mais à force d’outrances, de provocations et d’entorses aux valeurs de l’Union européenne, Viktor Orban prend logiquement le risque de se voir mis au ban, à l’image de la Pologne, et de perdre le soutien si précieux du PPE. Aussi habile pour exploiter ses forces que pour composer avec ses faiblesses – le Premier ministre bénéficie des bonnes performances économiques de son pays et ne pâtit pas du creusement des inégalités – l’homme fort de Budapest est ainsi toujours parvenu à maintenir le lien avec les conservateurs européens. Si certains apparaissent mal à l’aise, comme les membres scandinaves du PPE, d’autres ne sont pas loin de partager ses vues, notamment sur le plan migratoire. Tandis qu’une grande majorité du parti s’accorde à reconnaître sa légitimité électorale et à penser que l’exclure du parti ne ferait que renforcer sa radicalité.

« Talon d’Achille » de la droite européenne

A l’approche des élections européennes de mai 2019, la donne pourrait toutefois changer. De fait, soutenir une personnalité aussi clivante que Viktor Orban a de quoi constituer un handicap de taille pour des partis conservateurs de plus en plus concurrencés par des formations d’extrême droite et/ou antisystème. C’est ce qui a incité, en septembre dernier, la plupart des membres du PPE à « lâcher » le Premier ministre hongrois, visé par un rapport du Parlement européen pour ses infractions à l’Etat de droit. Même la CSU bavaroise et l’ÖVP autrichien, d’ordinaire plutôt complaisants vis-à-vis du Fidesz, n’ont pas soutenu Viktor Orban, le laissant esseulé avec une poignée de soutiens, venus notamment de Forza Italia de Silvio Berlusconi et d’une partie des Républicains de Laurent Wauquiez.

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Ainsi, comme l’explique le politologue bulgare Ivan Krastev, Viktor Orban n’a d’autre choix que d’essayer de « maintenir l’immigration comme le principal sujet pour la politique européenne« , et d’utiliser « l’anxiété causée par la crise des réfugiés pour pousser le PPE à adopter des positions habituellement associées à l’extrême droite« . Mais la baisse du nombre d’arrivées joue contre le dirigeant hongrois qui apparaît, selon M. Krastev, de plus en plus comme le « talon d’Achille » de son camp, laissant croire à une possible exclusion, ou du moins à une marginalisation.

Au Parlement européen de Strasbourg en septembre, face aux eurodéputés puis aux journalistes, Viktor Orban a opté pour le clash. « Nous lutterons contre l’inondation de l’Europe par les migrants« , a-t-il notamment martelé dans une ambiance électrique. Regard d’acier et posture de combat, le Premier ministre n’a jamais perdu son calme, comme galvanisé par son infériorité numérique. Trapu, massif, doté d’une carrure de lutteur, Viktor Orban a, en un sens, le physique de sa politique. Se référant à un poète hongrois, il lance : « je peux continuer mon combat même quand il n’y a plus d’espoir« .

Tout sauf renversé et encore membre du PPE, Viktor Orban n’en est pas là. Mais même seul, il assure qu’il mènera tel un hussard (mot d’origine hongroise) l’affrontement électoral contre les « progressistes« , dont Emmanuel Macron se verrait bien en premier de cordée.

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