FEDERALISME – Une Union toujours plus étroite peut-elle être à plusieurs vitesses ? – EURACTIV.fr

Les propositions d’une Union fiscale, d’une prise de décision au niveau européen sans droit de veto en matière d’affaires étrangères et de listes transnationales qui ont été présentées lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe (CoFoE) devront être soutenues par la société civile pour aboutir. C’est ce que pense le président nouvellement élu des Jeunes Européens Fédéralistes.

Entretien avec Antonio Argenziano, président nouvellement élu des Jeunes Européens Fédéralistes (JEF Europe).

Le nouveau gouvernement allemand a demandé que la Conférence sur l’avenir de l’Europe (CoFoE) soit suivie d’une Convention et du développement d’un État fédéral européen. Même si celui-ci tient sa parole et encourage les réformes fédéralistes de l’UE après la Conférence, comment surmonter l’euroscepticisme présent dans certaines capitales et sociétés d’Europe?

Il existe une idée préconçue selon laquelle nous devons poursuivre l’intégration tous ensemble, à 27. En réalité, cela n’a jamais été le cas dans l’histoire de l’intégration européenne. Dans tous les traités, il y a eu des cas de participations sélectives et de clauses d’exemption, comme avec l’euro ou Schengen par exemple. Notre Europe est déjà à plusieurs vitesses. Cette approche ne vise pas à exclure qui que ce soit, mais plutôt à donner la possibilité aux États membres qui le désirent d’aller plus loin dans le processus d’intégration s’ils en ressentent le besoin. Les autres peuvent les rejoindre à leur propre rythme.

En ce qui concerne les sociétés, je vais prendre l’exemple de l’Italie. Là-bas, on demande principalement des actions concrètes. En effet, depuis que l’UE a fourni le programme NextGenerationEU et que cela a un grand impact sur la vie des gens, ces derniers changent leur point de vue vis-à-vis de l’Union européenne. D’un autre côté, ils veulent que ces changements soient permanents et ont besoin de voir une UE qui est toujours là pour résoudre leurs problèmes. Certains problèmes, s’ils ne sont pas traités au niveau européen, finissent par ne pas être traités du tout, et c’est là la source d’une grande partie de l’euroscepticisme.

Il est probable que de nombreux eurosceptiques tentent de saper les propositions de la CoFoE en les qualifiant d’illégitimes en raison de la faible ampleur du processus. Comment pouvons-nous répondre à cela ?

En ce moment, la Conférence peut être utilisée par les deux camps puisque certains peuvent prendre ce qui se passe autour et dire que les citoyens européens ne s’intéressent pas assez à l’Europe ou que seule une minorité de citoyens demande des changements tandis que d’autres pourraient dire, avec autant de conviction, que la CoFoE a mobilisé de nombreuses personnes et organisations qui réclament des changements. 

C’est là qu’il y aura une résistance, et c’est là que la société civile devra jouer son rôle. Il faut souligner que la plupart des personnes touchées par la Conférence demandent sans aucun doute une Europe différente, et la représentativité de ces demandes peut être confirmée par les sondages de l’Eurobaromètre.

Quelles stratégies et quels outils la société civile pro-européenne devrait-elle privilégier pour s’assurer que les propositions de la Conférence soient correctement mises en œuvre ?

Il est important de rester en contact avec les institutions. Il est clair que toutes les institutions européennes ne sont pas contre un suivi adéquat de la Conférence, et parmi elles, le plus grand allié de la société civile est le Parlement européen. C’est au Parlement de relever ce défi et de faire pression pour un suivi de la CoFoE mais également au-delà. Le Bureau exécutif de la Conférence prend ses décisions par consensus, ce qui implique que les représentants du Conseil devront également approuver les résultats, et cette institution est réputée pour faire obstacle à de tels processus. Au final, il appartiendra donc au Parlement d’être la voix des citoyens européens et de la société civile, en réclamant un véritable changement.

Parmi les propositions les plus populaires sur la plateforme numérique de la Conférence figure celle d’une Union fiscale. Existe-t-il un moyen de parler des impôts au niveau européen d’une manière que les citoyens, et notamment les participants au CoFoE, puissent trouver compréhensible et pertinente ?

Nous parlons ici de biens communs (ou publics) européens qui servent à tous, par exemple l’accès au programme Erasmus ou un environnement propre. Actuellement, ce sont les gouvernements nationaux, et non l’Union européenne, qui décident de ces biens, et ce seulement tous les sept ans. 

Historiquement, les dirigeants devaient obtenir l’approbation des parlements qui représentaient la population pour introduire de nouveaux impôts. Dans certains cas, cette règle a été transgressée. La révolution américaine, par exemple, a commencé avec le slogan « pas de taxation sans représentation ». Aujourd’hui, il se trouve que nous avons une représentation mais pas d’imposition, l’UE n’étant pas en mesure de fournir les biens publics européens que nous, citoyens, attendons d’elle. Si le Parlement européen ne peut pas décider de la manière de collecter les ressources et de les dépenser, il ne remplit pas son rôle de représentation des citoyens européens. C’est pourquoi nous demandons que le Parlement européen dispose maintenant d’une capacité fiscale. 

Cela ne signifie pas que nous avons besoin d’impôts supplémentaires en plus de ceux que nous payons déjà au niveau local, régional ou national. Il s’agit simplement de réorganiser l’ensemble du système fiscal en Europe à travers les différents niveaux de gouvernance, conformément au principe de subsidiarité.

Les participants au panel de citoyens de la CoFoE semblent favorables à une prise de décision au niveau européen sans droit de veto dans le domaine des affaires étrangères, mais les détracteurs de cette proposition soulignent son côté clivant. Quel est votre avis sur la question ?

Il est important de formuler le problème de la bonne manière. Nous avons besoin d’une Union européenne qui ait le pouvoir d’agir au niveau international et de le faire rapidement, notamment en cas de guerre ou de risque de conflit. Il ne s’agit pas seulement d’unanimité ou de majorité, nous devons clarifier les rôles au niveau de l’UE et désigner une personne capable d’agir au nom de celle-ci. Le problème ici n’est pas la prise de décision au Conseil, mais le Conseil en lui-même et son caractère intergouvernemental. Il est bon que tous les gouvernements soient impliqués, mais à un moment donné, quelqu’un doit prendre une décision et les autres doivent être obligés de suivre pour que notre action extérieure commune soit efficace. 

De plus, individuellement, les États membres sont relativement peu influents sur la scène internationale. Nous devons également nous unir pour pouvoir discuter avec les grands acteurs tels que les États-Unis, la Chine ou les multinationales, qui peuvent être plus puissantes que les États. Nous devons choisir si nous voulons prendre des décisions dans le monde ou laisser les autres le faire pour nous.

Les listes transnationales figurent également parmi les propositions les plus discutées par les panels de citoyens de la CoFoE. Elles ont également été mentionnées par le nouveau gouvernement allemand. Une circonscription électorale paneuropéenne est-elle la bonne réponse au déficit démocratique de l’UE ?

Le problème ici est que le débat autour des élections européennes est toujours national plutôt qu’européen. L’introduction de listes électorales transnationales avec une seule circonscription paneuropéenne ne signifie pas que chaque membre du Parlement serait élu de cette manière. Nous pensons plutôt que quelques députés devraient être choisis sur des listes transnationales afin de stimuler le débat électoral paneuropéen par leur participation. Si nous permettons ce débat, il sera également plus facile pour les candidats au Parlement européen se présentant dans des circonscriptions nationales ou régionales de représenter les citoyens, car leurs programmes pourront mieux reconnaître le fait que de nombreux problèmes auxquels les gens sont confrontés sont de nature transnationale. 

Dernier point à aborder : l’Année européenne de la jeunesse 2022 (AEJ). Comment la société civile européenne peut-elle utiliser l’Année européenne de la jeunesse pour amplifier la voix des jeunes dans la Conférence, son suivi ainsi que dans la politique européenne en général ?

Je souhaite voir de réels changements en matière de politiques, et pas seulement en ce qui concerne les politiques de la jeunesse, mais également les politiques qui affectent notre avenir en général. Nous connaissons un taux de chômage très élevé chez les jeunes, et la question qui se pose est la suivante : que peut faire l’UE pour réduire ce chômage ? Avoir une réponse concrète à cette question serait bien plus important que d’organiser une multitude de Conférences où l’on nous dit que « l’avenir appartient aux jeunes ». Nous n’avons pas besoin d’entendre cela, nous savons que l’avenir nous appartient et c’est pourquoi nous sommes inquiets. L’avenir se construit sur le présent, et nous avons donc besoin de voir quelque chose se passer aujourd’hui. Je voudrais que cette année soit marquée par un véritable changement dans l’Union européenne, et la CoFoE peut contribuer à ce changement.

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