Grain de sel : Le Président Donald Trump retrouvera dans quelques mois la Maison Blanche. Après sa défaite non reconnue en 2020, qui a fragilisé les institutions américaines, l’alignement institutionnel dont bénéficie l’homme d’affaire lui octroie une liberté d’action qui fait entrer le monde, et particulièrement l’Europe, dans l’incertitude. Une occasion pour l’Europe de se repositionner dans le monde ?
NOTA BENE : Du fait de l’évolution rapide des réactions européennes à l’élection, cet article sera ultérieurement complété, notamment par un grain de sel personnel de Madame la Professeure Viviane de Beaufort.
Ressources :
- La tenaille Trump : l’Europe face à un risque existentiel, par Le Grand Continent.
- L’élection de Trump à la lumière du droit, par Le Club des juristes.
- Quels pays européens seraient le plus impactés par les tarifs douaniers annoncés par Trump ?
- Avec plus de 500 milliards d’euros de biens exportés l’an dernier, les États-Unis sont le premier marché pour les exportations européennes — loin devant la Chine, qui a importé deux fois moins de produits européens en 2023. Des tarifs indiscriminés de 10 % pourraient se traduire par une contraction de près de 30 % des exportations européennes vers les États-Unis.
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I – Le programme de Trump : menaces pour l’Europe
Alors que l’ancien président américain va bientôt faire son retour à la Maison-Blanche, une nouvelle ère d’incertitudes s’ouvre pour les relations entre Bruxelles et Washington. D’une hausse des droits de douane aux Etats-Unis jusqu’à l’éventuelle fin de l’aide américaine à l’Ukraine, le programme de Donald Trump soulève des craintes à travers l’Union européenne.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le président français, Emmanuel Macron, ou encore le chancelier allemand, Olaf Scholz. Tous ont félicité Donald Trump pour sa réélection. Mais derrière les traditionnelles politesses diplomatiques, l’issue de l’élection américaine du 5 novembre dernier a sans doute donné quelques sueurs froides en Europe. Le retour de Donald Trump n’a pas réjoui les dirigeants de ce côté de l’Atlantique, à l’exception du Premier ministre hongrois connu pour ses dérives autoritaires, Viktor Orbán, fervent soutien du milliardaire.
Car en coulisses, la Commission européenne a mis en place une équipe qui travaille sur différents scénarios pour répondre aux décisions commerciales de Donald Trump et du vice-président élu, James David Vance. Emmanuel Macron et Olaf Scholz se sont quant à eux entretenus dès le mercredi 6 novembre, tandis que les ambassadeurs des 27 Etats membres se sont réunis le même jour pour analyser les conséquences de l’élection américaine.
Commerce, défense, régulation du numérique ou lutte contre le réchauffement climatique : l’alternance au sommet de la première puissance mondiale conduit les Européens à multiplier les points de vigilance face aux incertitudes ouvertes par le second mandat de Donald Trump, qui commencera en janvier.
Multiplication des droits de douane
C’est peu dire que les Etats-Unis représentent un partenaire commercial essentiel pour l’Union européenne. L’Oncle Sam est le premier client de l’UE, absorbant 20 % de ses exportations. Les Etats-Unis figurent également au deuxième rang pour les importations européennes, derrière la Chine.
Donald Trump a fait de Pékin son adversaire principal. Mais en matière de commerce, le milliardaire de 78 ans a aussi ciblé l’Union européenne, allant jusqu’à la qualifier de “mini-Chine” : “ils ne prennent pas nos voitures, ils ne prennent pas nos produits agricoles, ils ne prennent rien”, a-t-il lancé lors d’une interview à la radio, fin octobre. Si l’Europe représente aussi une cliente de l’Oncle Sam, il est vrai que son pays accuse un déficit commercial avec l’UE, les Européens exportant plus qu’ils n’importent depuis les Etats-Unis.
Afin de tenter de renverser la vapeur, Donald Trump compte imposer des droits de douane supplémentaires sur tous les produits importés, en instaurant une taxe de 10 à 20 % sur les biens fabriqués à l’étranger. Défenseur de “l’Amérique d’abord” et d’un programme protectionniste, le futur président américain a même parlé de taxes jusqu’à 60 % contre les produits chinois. De quoi préoccuper les Vingt-Sept. A commencer par l’Allemagne, pour laquelle les Etats-Unis sont le premier partenaire commercial. Le pays exporte ses automobiles et ses produits pharmaceutiques de l’autre côté de l’océan.
Les relations avec Washington sont tout aussi cruciales côté français. Selon les chiffres du Trésor, les échanges de biens et services entre la France et les Etats-Unis ont atteint un niveau historique en 2023 (153,1 milliards de dollars). L’Hexagone représente par ailleurs le 5e plus gros investisseur outre-Atlantique, tandis que les Etats-Unis occupent la première place en sens inverse. Des droits de douane supplémentaires aux frontières américaines pèseraient sur les secteurs dans lesquels les exportations sont particulièrement importantes : les industries de l’aéronautique et de la chimie, ainsi que les vins, cognacs et autres alcools tricolores, dont certains sont déjà menacés par une enquête commerciale en Chine.
“Le recours de Trump aux contrôles des exportations, aux sanctions et à la coercition économique devrait être plus important”, résument les chercheuses Micol Bertolini et Elvire Fabry dans une note de l’institut Jacques Delors. L’UE n’est pas sans outil pour riposter aux droits de douane. Elle peut elle-même surtaxer certaines importations, comme elle l’avait fait en 2018 alors que l’administration Trump avait relevé les tarifs douaniers du fer et de l’aluminium européens. Ou bien utiliser ses autres instruments de défense commerciale. Mais le déclenchement d’une nouvelle guerre commerciale avec les Etats-Unis fragiliserait l’économie européenne, alors que les différends se multiplient déjà avec la Chine.
Quel avenir pour l’aide américaine à l’Ukraine ?
Force est de constater que le Vieux Continent n’est plus la priorité de Washington, au-delà des positions antieuropéennes de Donald Trump. Le mot “Europe” n’apparaît d’ailleurs qu’une seule fois dans le programme du ticket Trump-Vance, pour aborder le sujet des dépenses militaires. “Les républicains renforceront les alliances en veillant à ce que nos alliés respectent leur obligation d’investir dans notre défense commune et en rétablissant la paix en Europe”, lit-on dans le document de 16 pages.
Depuis des années, le républicain critique les Etats membres de l’Otan, les accusant de sous-investir en matière de défense et de compter sur le parapluie de leur allié américain. Donald Trump leur reproche de ne pas respecter l’objectif de consacrer 2 % de leur PIB aux dépenses militaires, une cible fixée en 2006. L’Organisation du traité de l’Atlantique nord compte aujourd’hui 32 membres, dont 23 sont également membres de l’Union européenne. Une large majorité d’entre eux atteint aujourd’hui le palier des 2 %, compte tenu du déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 qui a incité les gouvernements de l’UE à investir dans leur défense.
Le conflit entre l’Ukraine et la Russie est d’ailleurs l’autre grand sujet de préoccupation des Européens. Le milliardaire a déjà prévenu à plusieurs reprises qu’il entendait engager des négociations avec Moscou, promettant de “mettre fin à la guerre en Ukraine en vingt-quatre heures”. Si ce calendrier éclair est peu crédible, le nouveau président américain pourrait contraindre le président ukrainien Volodymyr Zelensky à entamer des discussions de paix avec Vladimir Poutine.
Notamment en stoppant l’aide militaire à Kiev, qui atteint aujourd’hui 57 milliards d’euros, selon l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale (IfW). Difficile alors pour l’UE de compenser un retrait de l’assistance américaine, dans l’éventualité où Donald Trump choisirait cette voie. Le Conseil de l’Union européenne estime que les Vingt-Sept totalisent aujourd’hui 43,5 milliards d’euros de soutien militaire à Kiev.
Elon Musk et la régulation du numérique
S’agissant des dossiers liés au numérique, les relations transatlantiques pourraient là aussi se tendre un peu plus. Ces dernières années, l’UE a renforcé la modération des réseaux sociaux avec le Digital Services Act (DSA) et limité la domination des géants du web avec le Digital Markets Act (DMA).
Des législations peu appréciées par Elon Musk, propriétaire de la plateforme X (ex-Twitter) et soutien actif de Donald Trump. Celui-ci a connu plusieurs conflits avec la Commission européenne au sujet de l’application du DSA, sur le traitement de la désinformation notamment. Reste à savoir dans quelle mesure Washington peut entraver la bonne application des règles européennes, et quelle influence aura Elon Musk sur la prochaine administration américaine. Pour l’instant, on sait que l’homme d’affaires à la tête de Tesla (automobile) et SpaceX (espace) dirigera un “département de l’efficacité gouvernementale”, une mission temporaire destinée à couper dans les dépenses et à abroger des réglementations fédérales.
Enfin, le Conseil du commerce et de la technologie UE-Etats-Unis est aussi sur la sellette. La plateforme avait été créée en 2021 pour rétablir un dialogue des deux côtés de l’Atlantique sur des sujets comme l’intelligence artificielle ou la cybersécurité. Ce Conseil “a certainement peu de chances de survivre à un second mandat républicain, à moins qu’il ne devienne un club antichinois à part entière”, résument Micol Bertolini et Elvire Fabry pour l’institut Jacques Delors.
Douche froide pour le climat ?
L’élection de Donald Trump s’apparente à un recul pour la politique climatique, alors que les Etats-Unis sont le deuxième émetteur de gaz à effet de serre dans le monde, derrière la Chine. Le milliardaire veut augmenter la production d’énergies fossiles en favorisant les forages et la construction de nouveaux pipelines. Il pourrait également revenir sur plusieurs normes antipollution dans le secteur automobile.
Donald Trump a choisi un homme pour mener à bien cette tâche. Le 11 novembre, le président élu a désigné Lee Zeldin à la tête de la puissante Agence de protection de l’environnement (EPA), l’organe qui élabore et fait respecter les politiques environnementales au niveau fédéral. “Nous rétablirons la domination énergétique américaine, revitaliserons notre industrie automobile pour ramener des emplois aux Etats-Unis et ferons des Etats-Unis le leader mondial de l’intelligence artificielle. Nous le ferons tout en protégeant l’accès à l’air et à l’eau propres”, a réagi sur X le républicain originaire de New York.
Cette situation fragilise aussi la diplomatie climatique. Rapidement après son accession à la Maison-Blanche en 2017, Donald Trump avait décidé de sortir de l’accord de Paris sur le climat, adopté lors de la COP21 fin 2015. Devenue officielle en novembre 2020, cette sortie avait été abrogée par Joe Biden dès son arrivée au pouvoir quelques mois après. Le milliardaire compte bien, une nouvelle fois, retirer la signature des Etats-Unis de ce texte qui doit engager le monde sur la voie d’un réchauffement planétaire sous les 2°C.
Cette situation complique les négociations de la COP29, qui se tiennent à Bakou (Azerbaïdjan) du 11 au 22 novembre. La position des Etats-Unis est aujourd’hui définie par les équipes de Joe Biden, encore en poste à la Maison-Blanche. Difficile pour les ambassadeurs présents à Bakou de prendre des engagements qui ne seront pas contraignants pour la prochaine administration et que Donald Trump pourrait rayer d’un trait de plume. Le retour de l’ancien président américain éloigne ainsi les Etats-Unis de ses partenaires, tels que l’Union européenne, qui a fait de la lutte contre le réchauffement climatique une de ses grandes priorités avec le Pacte vert présenté par Ursula von der Leyen en décembre 2019.
La souveraineté européenne réaffirmée ?
La coopération entre Bruxelles et Washington ne risque pas d’être plus apaisée sur d’autres sujets majeurs, comme la guerre au Proche-Orient. En 2020, son “plan de paix” prévoyait de légaliser la quasi-totalité des colonies juives de Cisjordanie et de maintenir Jérusalem sous l’autorité exclusive d’Israël.
Il faut décider “de défendre nos intérêts nationaux et européens en même temps, de croire dans notre souveraineté et notre autonomie stratégique”, a lancé jeudi 7 novembre Emmanuel Macron depuis Budapest, où se tenait un sommet de la Communauté politique européenne. L’Europe ne doit pas “déléguer à d’autres [son] économie, [ses] choix technologiques ou sa sécurité”, a insisté le chef de l’Etat.
Quelques jours avant, le Premier ministre polonais Donald Tusk avait prévenu sur le réseau social X : il est temps “pour l’Europe de grandir enfin et de croire dans sa propre force. Quel que soit le résultat [de l’élection], l’ère de la sous-traitance géopolitique est révolue”. Un cap qui pourrait être celui de la future Commission européenne, dont l’installation est au mieux prévue pour le mois de décembre.
Complément :
- Pourquoi le retour de Trump menace l’économie mondiale.
- Le plan de Donald Trump pour tordre le bras de l’Europe.
- Un tournant vers la Chine comme arbitre du monde pour l’Europe ?
II – Une occasion de se repositionner dans le monde ? L’heure d’assumer un destin géopolitique
Le retour du républicain Donald Trump oblige les Vingt-Sept à un choix existentiel : s’unir ou prendre le chemin du chacun pour soi.
Pour Thierry Breton, le Vieux Continent ne fait plus partie des priorités américaines. Et doit donc tout faire pour acquérir sa propre autonomie stratégique : « L’Europe est seule face à son destin »
A – La victoire de Trump, une bonne nouvelle (paradoxale) pour les Européens ?
La victoire de Donald Trump II, qui est aussi celle du nationalisme et de l’isolationnisme, a plongé la majeure partie des leaders européens dans la consternation. Durant toute la campagne, c’était l’élection de Kamala Harris que les Européens avaient espérée, souhaitée et appelée de leurs vœux. Seuls les dirigeants eurosceptiques du Vieux continent, Viktor Orban en tête, ont salué l’élection du Républicain comme 47e président des États-Unis.
Le retour de Trump à la Maison Blanche, doublée de la prise par les Républicains du Sénat et de leur probable maintien en tant que premier parti à la Chambre des représentants, annonce la mise en œuvre, au cours des quatre prochaines années, d’un programme politique et diplomatique aux antipodes des objectifs européens en matière de climat, de coopération internationale et de liens transatlantiques.
Toutefois, éclairés par la présidence Trump I et instruits par les crises actuelles, les Européens ont les moyens d’exploiter les opportunités ouvertes par une présidence Trump II. À condition d’agir ensemble et vite ! Les Européens ne sont pas condamnés à subir. Ils peuvent faire du prochain mandat américain une chance pour leur autonomie stratégique. Sous certaines conditions.
Dans l’antichambre des peurs européennes
L’élection de Donald Trump peut assurément devenir un cauchemar pour les Européens. Au vu de son premier mandat et de ses déclarations durant la campagne, ils savent déjà que plusieurs objectifs transatlantiques communs ne résisteront pas à son retour au pouvoir.
Le lien transatlantique redeviendra sous peu un rapport de force transactionnel : pour Donald Trump, les grandes alliances historiques des États-Unis issues de la Seconde Guerre mondiale, en Europe et en Asie, sont à la fois des fardeaux et des leviers d’action pour extorquer des concessions économiques aux Européens. N’a-t-il pas constamment accusé le Japon, l’Allemagne et l’OTAN en général de profiter indûment de la police d’assurance géopolitique américaine ?
Loin de renforcer les partenariats, il cherchera à inquiéter, à diviser et à provoquer les Européens, qu’il traitera en clients, et non en alliés. Et l’UE risque de voir se creuser des clivages internes importants entre ceux qui voudront se concilier les faveurs de Trump II et ceux qui voudront y résister au prix de pressions économiques et politiques brutales. Que les Européens s’en souviennent : Trump II n’aura plus d’alliés mais des obligés régulièrement intimidés.
Cela aura une conséquence directe sur ce qui cimente l’OTAN et l’UE à l’heure actuelle : le soutien économique, militaire et diplomatique à l’Ukraine. Le candidat Trump a été très clair sur ses intentions : couper les crédits à l’Ukraine (80 milliards de dollars depuis 2022), se positionner en médiateur avec la Russie et obtenir une paix fondée sur un troc consistant en l’abandon par l’Ukraine de ses territoires de l’Est du pays en contrepartie de la fin de l’invasion russe.
Là encore, la culture du rapport de force cèdera la place à l’animation du réseau d’alliés. La sécurité et la sérénité des Européens seront beaucoup moins bien garanties par une présidence Trump II sur les flancs orientaux et méridionaux du continent. La présidence Trump II estimera ne pas avoir de responsabilités à assumer, mais seulement des intérêts à promouvoir.
La cohésion de l’Occident sera également entamée dans les institutions internationales issues de la Seconde Guerre mondiale. Trump II continuera à afficher ses affinités avec des leaders en rupture avec l’Europe : Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, Benyamin Nétanyahou, etc. Ce sera la fin du front uni à l’ONU sur l’Iran, sur la Corée du Nord ou encore sur le climat. Comme durant la première présidence Trump. Et les Européens risquent de se retrouver isolés, à mener des combats d’arrière-garde afin de préserver ce qui reste des mécanismes de coopération internationaux contestés par le Sud Global dans ses différents forums (G20, BRICS, OCS, etc.).
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Quant au volet commercial, il sera marqué par la hausse des droits de douane à la fois pour le partenaire rival chinois et pour l’allié européen : Donald Trump les placera sur un pied d’égalité en raison du déficit commercial massif envers l’un et envers l’autre.
Les risques inhérents à une présidence Trump II sont massifs et immédiats pour les Européens : désinformation, intimidation, désunion, isolement et insécurité aux frontières seront le pain quotidien des prochaines années pour les Européens. Ces dangers sont, en outre, accentués par l’affaiblissement des leaders de grands pays tels que la France et l’Allemagne – qui avaient endigué le premier tsunami trumpien. La résignation est-elle pour autant de mise ?
Ne pas manquer une occasion historique
En géopolitique comme en économie, une crise peut devenir une opportunité, à condition de la prévoir, de l’anticiper, de la préparer et de la traiter. C’est ce que vient de faire le premier ministre polonais Donald Tusk en qualifiant la victoire de Donald Trump d’oraison funèbre de la « sous-traitance géopolitique ».
Le choc de Trump II peut être paradoxalement salutaire pour les Européens. Mais cette potentielle thérapie de choc ne peut réussir que sous certaines conditions très difficiles à remplir. Que les Européens oublient un instant leurs craintes justifiées et leur déception amère !
Pour exploiter la crise géopolitique que provoque dès maintenant l’élection du candidat ouvertement nationaliste du MAGA, les Européens doivent s’imposer une discipline de fer en matière de coordination sur les principaux dossiers sécuritaires (Ukraine, Israël), économiques (IA, énergie, tarifs douaniers) et diplomatiques (sanctions, dialogue avec le Sud, organisations multilatérales).
La moindre faille dans cette coordination serait funeste car exploitée en même temps par Washington, Moscou et Pékin. Les mécanismes de coordination existent, même s’ils sont lents. Les leaders sont en place malgré leurs talons d’Achille, qu’il s’agisse de Mark Rutte à l’OTAN ou d’Ursula von der Leyen à l’UE… Cet atout est renforcé par le décalage des calendriers électoraux : l’UE est en phase de lancement de sa nouvelle mandature alors que la nouvelle administration Trump ne prendra ses fonctions qu’en janvier. Les Européens disposent de quelques semaines pour prendre position à l’avance sur tous les sujets de dissensus.
L’autre atout des Européens tient au contenu de leurs intérêts. En Ukraine, à eux de prendre le relais de l’aide américaine notamment militaire et de proposer rapidement un plan de cessez-le-feu et de négociation qui prendra de court la présidence Trump et coupera court aux plans de paix, très favorables à Moscou, avancés par le Sud Global. Dans les rapports avec la Chine, à eux de proposer une autre voie que la guerre tarifaire annoncée par Trump. Tenir un cap ferme mais moins belliqueux que Washington sera finalement aisé avec Pékin : l’UE n’est que le partenaire, pas le rival de la RPC.
Sur les rapports avec le Sud Global, les Européens doivent jouer la carte de la différence : ne pas hésiter à proposer une option alternative aux États-Unis, oser les concurrencer au Moyen-Orient par un bras de fer avec Israël, appeler une fois encore à une maîtrise par la négociation du programme nucléaire iranien, etc. La crédibilité des Européens dans le Sud sera objectivement favorisée par le discrédit que les États-Unis risquent fort de subir dans ces régions sous Trump II.
Enfin, face à une administration américaine sans complexe pour intimider ses partenaires européens, il faudra identifier des points sur lesquels ne pas céder : sur la gestion des données, sur l’IA, sur la diversification des sources d’énergie.
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Aujourd’hui, avec une coordination renforcée et un agenda européen bien identifié, les Européens sont capables non seulement de résister mais aussi d’en imposer à une administration Trump II.
En attendant Trump
Pour les Européens, la période de transition jusqu’au 20 janvier 2025 sera un test de cohésion, de rapidité et de sang froid. Durant ces deux mois, l’administration Biden passera le relais à l’administration Trump. Et, pendant ce temps, le candidat devenu président élu sans être président au sens plein multipliera les prises de position d’autant plus tonitruantes qu’elles ne seront pas traduites dans la réalité.
Aux Européens de le prendre de vitesse et de se positionner sur l’Ukraine, le Moyen-Orient, le commerce international et les organisations multilatérales avant et par différence avec lui. Ne perdons pas de temps : l’élection de Donald Trump peut précipiter la maturité européenne.
B – Défense : le défi de l’émancipation
Donald Trump va-t-il bousculer voire piétiner les relations entre la France et les États-Unis, et au-delà avec l’Europe dans le domaine de la défense ? Le passé récent donne quelques pistes qui tordent le cou aux idées reçues. Au-delà des divergences politiques, les cabinets ministériels français ont plutôt bien travaillé avec l’administration américaine lors du premier passage de Trump à la Maison-Blanche (janvier 2017-janvier 2021).
Cette semaine, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a indiqué que cette bonne entente devait se poursuivre. En présence de son homologue allemand, Boris Pistorius, il a indiqué que le duo formé par Berlin et Paris « doit se montrer particulièrement ouvert avec la nouvelle administration américaine choisie par le peuple américain ». Cette approche est avant tout pragmatique, tant l’Europe reste dépendante des États-Unis en matière de sécurité.
Le meilleur symbole de cette dépendance reste le F-35, avion de combat le plus vendu sur le Vieux Continent. Malgré ses problèmes récurrents et de son prix exorbitant, il a laminé les trois avions européens (le Rafale, l’Eurofighter et le Gripen suédois). Lors d’un passage à Washington en 2019, l’ex-ministre des Armées Florence Parly avait d’ailleurs ironisé sur le sujet, expliquant que la clause de solidarité de l’Otan « s’appelle article 5, pas article F-35 ».
Sauf que, dans l’esprit de Donald Trump, une alliance, y compris celle de l’Otan, doit lui rapporter quelque chose. Il n’apprécie guère le type de propos que la même Florence Parly avait tenus à Washington : « L’alliance devrait être inconditionnelle, sinon ce n’est pas une alliance. » Consciente des nouveaux défis que pose le retour du républicain au pouvoir, l’Allemagne, très atlantiste, se retrouve aujourd’hui en première ligne.
Persuadé que le centre de gravité stratégique des États-Unis va migrer vers
l’Indopacifique, Boris Pistorius a appelé, lors de son passage à Paris, les Européens à « serrer les rangs » et à « combler » de façon « crédible » le départ des Américains d’Europe, où sont encore cantonnés quelque 100 000GI. « C’est quelque chose qui va se produire», a-t-il martelé.