Étiquette : contrôle des investissements

  • La France contrôle t-elle trop étroitement les investissements étrangers ? – maddyness.com

    https://www.maddyness.com/2020/06/22/france-controle-investissements-etrangers/

    Geraldine Russel

    L’abaissement fin avril à 10% du seuil de prise de participation par des investisseurs étrangers dans des entreprises sensibles nécessitant une autorisation de l’administration a suscité une levée de boucliers.

    C’était le moment ou jamais. La dernière assemblée générale de l’association France Digitale, qui s’est tenue jeudi 18 juin, a bénéficié de la participation de deux guest stars : le ministre de l’Économie Bruno Le Maire et le secrétaire d’État au Numérique Cédric O ont tous deux répondu aux questions des membres du lobby du numérique. Quelle meilleure occasion pour remettre sur la table l’opposition de l’écosystème au contrôle renforcé des investissements étrangers en France ?

    Fin avril, Bercy avait en effet annoncé que le seuil de prise de participation dans des entreprises sensibles nécessitant une autorisation de l’administration était abaissé de 25% à 10% et serait valable jusqu’à la fin de l’année. Conséquence directe de l’épidémie de coronavirus, les biotechnologies faisaient aussi leur entrée dans la liste des secteurs sensibles. Une modification qui n’est pas passée inaperçue aux yeux des investisseurs comme des startuppers. Par la voix de Lucie Basch, fondatrice de Too Good To Go présente au board de France Digitale, l’association s’est émue que cela soumette les opérations financières « à deux contrôles : l’un au niveau français, l’autre au niveau européen » mais aussi que cette « position défensive » à l’égard des investissements directs étrangers (IDE) ne plombe l’attractivité de l’Hexagone.

    Pas de doublon avec l’Europe

    Une crainte que Bruno Le Maire a jugée infondée, la France s’étant classée en 2019 au premier rang des pays européens les plus attractifs pour les IDE. « C’est un résultat que l’on a obtenu après trois ans d’efforts et on ne veut pas perdre cette place » , a souligné le ministre, qui a estimé que le décret publié fin avril est « une manière simple de dire aux investisseurs que s’ils ont la volonté de toucher à des technologies sensibles, nous serons vigilants » . Enfin, le ministre a rappelé que « l’outil de contrôle utilisé au niveau européen est une simple alerte mais ne nécessite pas d’accord comme celui de la France » , battant en brèche l’idée d’un double mécanisme auquel les investisseurs devraient se soumettre.

    Dans un livre blanc dédié à la question, le cabinet d’avocats Dechert précise ainsi que « les nouvelles régulations européennes (datant de mars 2019, NDLR) n’introduisent pas de contrôle centralisé comme ce qui peut se faire aux États-Unis. Elles créent un mécanisme de coordination des dispositifs nationaux d’analyse des investissements directs par des investisseurs étrangers, donnant à la Commission européenne un nouveau rôle central de conseil en la matière » . La Commission peut ainsi émettre un avis sur une opération – mais n’a pas le pouvoir de s’y opposer, par exemple.

    Un dispositif contraignant…

    Parmi les pays européens, la France fait figure de chien de garde en la matière. Parmi les États membres, douze n’ont ainsi aucun dispositif d’analyse ou de contrôle des investissements étrangers. La France, parmi douze autres États membres, a opté pour la mise en place de garde-fous, comme l’illustre cette carte réalisée par le cabinet Dechert.

    Et quels garde-fous. Avec une demande d’autorisation obligatoire pour conclure l’opération, la France fait effectivement partie des pays les plus stricts sur ce sujet, comme le rappelle le cabinet Dechert dans son livre blanc. Neuf autres pays, dont l’Italie ou le Danemark ont également fait ce choix. D’autres, comme l’Espagne, ont choisi des mécanismes plus souples, ne conditionnant pas forcément la conclusion de l’opération à une approbation étatique. Le Portugal, lui, mise plutôt sur le volontariat et la procédure n’est pas suspensive donc peut être contrôlée a posteriori. Une extrême souplesse qui a pesé dans l’attractivité du pays mais dont le manque de clarté l’empêche d’être un véritable filet à investisseurs étrangers.

    … mais loin d’être le plus strict !

    Oui, le dispositif de contrôle est contraignant et oui, la liste des secteurs concernés est relativement longue. Télécoms, défense ou encore infrastructures énergétiques sont tous concernés par le mécanisme d’autorisation préalable, au même titre que, dans le secteur numérique, « les activités de recherche et développement en matière de cybersécurité, intelligence artificielle, robotique, fabrication additive et semi-conducteurs » ou « l’hébergement de certaines données sensibles » . Néanmoins, pas question de faire de la France l’épouvantail à investisseurs que ses détracteurs s’empressent de dépeindre !

    Ainsi, même en abaissant le seuil de prise de participation à 10% dans les secteurs concernés, la France n’est pas le pays le plus strict. L’Italie et l’Espagne ont toutes deux fixé ce seuil à… 3%. Et avec un seuil normalement fixé à 25%, l’Hexagone est même l’un des États membres les plus souples ! En effet, la Finlande, l’Allemagne et la Lettonie présentent toutes trois un seuil normal à 10% – soit le seuil « de crise » édicté par la France. Seuls trois autres pays ont opté pour un seuil à 25% : l’Autriche, la Hongrie et la Lituanie.

    D’autre part, avec un délai de deux mois maximum entre le dépôt de la demande d’autorisation et la réponse de l’administration, la France n’est, là encore, pas le pays le plus contraignant. L’Allemagne, que beaucoup montrent régulièrement en exemple, a ainsi fixé le temps de réponse maximal à 90 jours, soit trois mois, tout comme la Pologne. L’Espagne est championne toutes catégories avec un délai porté à 180 jours ! Mais l’Autriche ou la Lettonie font mieux que l’Hexagone avec un mois maximum. Preuve que la France a, certes, encore une marge de manoeuvre pour gagner en attractivité mais a de solides arguments pour défendre sa première place européenne gagnée de haute lutte.

  • Investissements directs étrangers : la renaissance du souverainisme – leclubdesjuristes.com

    Investissements directs étrangers : la renaissance du souverainisme – leclubdesjuristes.com

    https://www.leclubdesjuristes.com/blog-du-coronavirus/libres-propos/investissements-directs-etrangers-la-renaissance-du-souverainisme/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Blog_du_coronavirus__Newsletter_du_4_mai_43&utm_medium=email

    Par Patrick Jaïs, avocat associé, et Ian Ouaknine, avocat, De Pardieu Brocas Maffei

    Le ministre de l’Économie et des Finances a annoncé mercredi dernier l’abaissement du seuil de déclenchement du contrôle des investissements non européens à 10% (contre 25% précédemment) « jusqu’à la fin de l’année », et, a souhaité, de manière plus générale, élargir le contrôle au secteur des biotechnologies. Il s’agit d’avoir un contrôle accru des acquisitions dans les entreprises françaises dans le secteur de la santé au sens large alors que son contrôle portait déjà sur les investissements dans les sociétés essentielles à la protection de la santé publique.

    Ce nouvel épisode, intervenu pendant la crise Covid-19, ne surprendra guère les praticiens du secteur. La réflexion sur le souverainisme économique ne date pas de la crise sanitaire actuelle et a tendance à s’amplifier à chaque crise ou émoi du public. Ce mouvement initié depuis plusieurs années s’accentue alors que les décennies précédentes avaient été marquées par la remise en cause de l’emprise étatique sur les mouvements de capitaux.

    Cette démarche n’est pas propre à la France et apparaît se généraliser à travers le monde occidental où s’était opéré ce reflux renouant avec les souvenirs de la Direction des investissements étrangers du ministère de l’Économie et des Finances des années 1980 et antérieures.

    Tour d’horizon du souverainisme mondialisé

    Ces vingt dernières années, la structure et la provenance des investissements directs étrangers en Europe ont changé : les investissements chinois ont été multipliés par six, ceux du Brésil par 10 et ceux de la Russie ont presque doublé. Il ne s’agit pas là d’une marque d’un mondialisme bienveillant car les cibles opèrent la plupart du temps dans des secteurs stratégiques, notamment de haute technologie, des entreprises détenues par l’État ou ayant un lien avec les gouvernements.

    La crainte d’un opportunisme économico-politique étranger au moment où les entreprises européennes sont affaiblies a ravivé les stigmates de la crise de 2009 durant laquelle la Grèce, l’Italie et le Portugal avaient été particulièrement touchés.

    Toutefois, en une décennie, l’arsenal juridique a changé. Désormais, 15 pays de l’UE (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie et Royaume-Uni) disposent de mécanismes de « filtrage » des investissements.

    Compte tenu des différents champs d’application, la Commission Européenne a cherché à mettre de l’ordre au sein de l’Union en publiant un règlement européen visant à aligner les secteurs stratégiques, les bonnes pratiques et organiser une coopération au niveau européen lorsque différents marchés sont touchés (Règlement 2019-452 du 19 mars 2019). De plus, on peut constater que la France ne fait que se conformer, avec retard, à la loi européenne mettant dans le giron de son contrôle les sociétés de la Biotech (article 4.1.b du règlement précité).

    Le 23 mars 2020, la Commission Européenne a sollicité les États membres en vue de prendre des mesures de protection en publiant des orientations concernant la protection des technologies et des actifs européens critiques. Mme Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne a voulu rappeler que « L’Union est un marché ouvert aux investissements directs étrangers et le restera. Cette ouverture n’est toutefois pas inconditionnelle ». 

    A ce titre, l’Allemagne n’a pas attendu l’actuelle crise sanitaire pour renforcer son arsenal juridique. Après avoir revu la liste des secteurs stratégiques en 2017 à la suite du rachat du fleuron allemand de la robotique Kuka par le groupe chinois Midea, elle a abaissé dès novembre 2019 son seuil de protection à 10% dans les domaines de la robotique, de l’intelligence artificielle, des semi-conducteurs, des technologies quantiques et des biotechnologies. C’est ainsi que Berlin a pu s’opposer aux velléités américaines, en mars dernier, concernant l’acquisition du laboratoire CureVac, travaillant à un vaccin sur le COVID-19.

    Le 9 avril dernier, l’Italie a également abaissé son seuil de contrôle aux acquisitions de plus de 10% du capital et des droits de vote et étendu largement la liste des secteurs clés auxquels s’applique la « Golden Law ». Le 29 avril, le gouvernement italien aurait annoncé vouloir ramener ce seuil à 5%.

    En dehors des frontières européennes, le constat est le même. Fin mars, le gouvernement australien a prolongé le délai d’examen des accords d’investissement de 30 jours à six mois et a soumis à son autorisation préalable « quel que soit la nature ou la qualité de l’investissement ». L’Inde, quant à elle, est plus « ciblée » et vient d’adopter un dispositif de surveillance des investissements étrangers en provenance des pays frontaliers (comprendre la Chine sans la nommer).

    Les États-Unis en revanche se sont dotés de longue date d’un arsenal juridique complet protégeant leurs entreprises notamment par des lois d’application extraterritoriales (FIRRMA Act en 2018) étendant, notamment, les pouvoirs de l’organe de contrôle américain (CFIUS).

    Souverainisme à la française

    Côté français, il n’y a pas lieu de chercher une quelconque originalité.

    Pré-COVID 19, la France avait déjà récemment affuté ses armes (décret n°2019-1590 du 31 décembre 2019 et arrêté de la même date) en modifiant sensiblement la loi et les pouvoirs du gouvernement. Elle avait, à cette occasion, abaissé le seuil du contrôle des prise de participation à partir de 25% (contre 33%) par les investisseurs hors UE.

    En pleine crise du Covid-19, le 25 mars dernier, le gouvernement avait suspendu les délais d’instruction des dossiers d’investissement étranger jusqu’à « l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » (articles 1 et 7 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020).

    Consciente que la crise durerait, le gouvernement a pris l’ordonnance 2020-427 du 15 avril 2020, laquelle a apporté plus de latitude à la Direction Générale du Trésor pour fixer les délais pour mettre en œuvre de certaines autorisations ou se conformer à des injonctions de la Direction Générale du Trésor. Cette dernière a prévenu les praticiens qu’« elle appliquera la loi avec la plus grande vigilance ».

    Ainsi, la dernière annonce du ministre de l’Économie réduisant le seuil de contrôle s’inscrit dans une logique de renforcement du contrôle des investissements mais semble être une réponse très mesurée par rapport à nos homologues européens et internationaux. Cette nouvelle procédure serait accélérée (10 jours contre 2 mois précédemment) et réservée exclusivement aux investissements dans les sociétés cotées. L’application serait enfin très limitée dans le temps (31 décembre 2020).

    La nécessité d’une règlementation adaptée

    Au-delà de ces questions de seuils ou de secteurs protégés, à l’heure où nous sommes tous contraints d’utiliser des outils de transfert de données à distance, ne faudrait-il pas plutôt renforcer le contrôle de Bercy sur les contrats et partenariats dit « stratégiques » conclus par les fleurons français et les administrations françaises ?

    80% des groupes du Cac 40 et 75% des start-up du Next 40 auraient recours au service de Cloud d’Amazon Web Services alors qu’il existe des alternatives françaises crédibles. Zoom, Teams, Webex sont également utilisés massivement pour les conseils d’administration et autres réunions à distance (y compris à l’Assemblée Nationale) alors que nous avons connaissance d’outils français (ex : Tixeo, Odrive, TransfertPro…) et que de sérieux doutes sont émis sur la sécurisation et l’utilisation finale de certains systèmes utilisés.

    Lors des déboires du Groupe chinois Huawei avec l’administration Trump, le monde a réalisé que les États-Unis détenaient un monopole absolu sur les Operating Systems (systèmes d’exploitation IOS ou Android) mais cela n’a pourtant pas fait réagir nos gouvernements incapables de soutenir une solution européenne d’un Operating System souverain à même d’assurer notre indépendance sur un sujet aussi fondamental. La souveraineté n’est donc pas simplement une question de régulation mais également l’expression d’une volonté politique.

    Par ailleurs, la crise du Covid-19 a réveillé brutalement les observateurs du milieu économique à propos du fait que nous aurions oublié qu’une guerre économique ne peut pas se mener sans la maitrise de ses propres armes telles qu’un tissu industriel domestique puissant, une capacité à maitriser ses propres sources d’approvisionnement et un système financier approprié. Une fois de plus (de trop ?), la comparaison avec un système allemand ayant un budget excédentaire, un Mittelstand dont on ne cesse de rappeler les aspects bénéfiques, permettant de redéployer immédiatement un outil industriel au service des besoins nationaux, et un système de retraites par capitalisation, nous rappellent qu’il n’est pas contradictoire d’être un leader mondial tout en étant attentif aux besoins domestiques.

    Il ne faut pas se tromper de cible et la défense de la souveraineté n’implique pas de se refermer sur soi. Ériger des frontières artificielles ne ferait que construire une nouvelle ligne Maginot. A ce propos, les débats sur les libertés publiques à propos du système de tracking du Covid-19 en sont un parfait symbole quand les farouches opposants de ce système basé sur le volontariat oublient de rappeler que toute la population a d’ores et déjà abandonné tous ses droits aux GAFAM dans une proportion bien plus large.